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Date : 20020412

Dossier : IMM-5814-00

Référence neutre : 2002 CFPI 424

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                  CEDRIC SYLVESTER CHAMBERS

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en conformité avec l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, d'une décision rendue par le tribunal de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SAI), le 6 novembre 2000, dans laquelle la SAI a refusé de rouvrir l'appel interjeté par le demandeur contre une mesure d'expulsion.


[2]                 Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de refuser de rouvrir l'appel et sollicite une ordonnance renvoyant l'affaire pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

Contexte

[3]                 Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque. Le demandeur s'est vu accorder le statut de résident permanent au Canada le 14 mars 1973. Le demandeur était marié en 1973 et il s'est séparé à la fin des années 80. Le demandeur a quatre enfants adultes. En date d'août 1999, le demandeur n'a eu aucun contact avec sa femme et ses quatre enfants, et ce, depuis 1989.

[4]                 Le demandeur a été condamné 18 fois, la première fois le 7 juillet 1983 et la dernière fois le 7 août 1997. Le 20 novembre 1998, le demandeur a fait l'objet d'une mesure d'expulsion après avoir été reconnu coupable le 16 février 1994 de trafic de stupéfiants (cocaïne).

[5]                 Le demandeur a interjeté appel de la mesure d'expulsion.

[6]                 Le 24 août 1999, l'appel a été entendu par le premier tribunal de la SAI. Le demandeur s'est présenté et a été représenté par son avocat.

[7]                 Le 27 octobre 1999, la décision rejetant l'appel a été rendue par le premier tribunal de la SAI. Des motifs ont été fournis.

[8]                 Le 12 novembre 1999, le demandeur a déposé une demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Section de première instance de la Cour fédérale (no du greffe : IMM-5490-99). À cette occasion, le demandeur a été représenté par un nouvel avocat.

[9]                 Le 30 novembre 1999, l'avocat du demandeur a écrit à l'agent chargé du renvoi afin de lui demander de reporter le renvoi du demandeur parce que « M. Chambers est gravement malade et qu'il est incapable de prendre soin de lui-même » .

[10]            Le 13 décembre 1999, le demandeur a déposé le dossier de sa demande à la Section de première instance de la Cour fédérale, dossier qui soulevait la question suivante :

[traduction]

Le tribunal a-t-il erré en droit en rejetant l'appel du fait qu'il ait omis de tenir compte de questions liées aux droits de la personne que soulève l'expulsion d'une personne atteinte de maladie mentale qui dépend entièrement de sa famille au plan émotif dans le contexte des questions de traitement cruel et inusité et du droit à la vie et à la sécurité prévu par l'article 7 de la Charte?

[11]            Le 17 mars 2000, la demande d'autorisation du demandeur a été rejetée par une ordonnance émise par M. le juge Gibson.

[12]            Le 3 juillet 2000, le demandeur a déposé une demande afin de rouvrir son appel interjeté auprès de la SAI, aux motifs que de nouveaux éléments de preuve étaient apparus et qu'ils pouvaient amener la SAI à trancher en sa faveur, et il a prétendu qu'à la première audience de la SAI, il avait été représenté par un avocat incompétent, ce qui a donné lieu à une violation de la justice naturelle.

[13]            Le deuxième tribunal de la SAI, dans une ordonnance datée du 6 novembre 2000, a décidé de ne pas accueillir la demande de réouverture de l'appel présentée par le demandeur. Il s'agit du contrôle judiciaire de la deuxième décision de la SAI.

L'argumentation du demandeur

[14]            Le demandeur prétend que les éléments de preuve nouveaux avaient trait à l'une des préoccupations principales du tribunal de première instance, notamment que l'on a maintenant diagnostiqué que le demandeur souffrait d'alcoolisme et de maladie mentale et que celui-ci suivait des traitements en conséquence.

[15]            Le demandeur prétend que le tribunal a commis une erreur flagrante dans sa description du casier judiciaire du demandeur comme étant un casier où un temps d'arrêt de trois ans n'était pas inhabituel parce que, selon la preuve, le demandeur n'avait pas commis d'infractions en quatre ans et d'infractions sérieuses en sept ans.


[16]            Le demandeur prétend que le tribunal a erré en appliquant le critère. Le tribunal qui examine une demande de réouverture ne doit pas décider des questions en litige; il ne fait simplement que déterminer s'il existe des éléments de preuve qui permettraient à un tribunal saisi de l'affaire d'accueillir l'appel après avoir examiné les nouveaux éléments de preuve. Le demandeur prétend que le tribunal peut peser et évaluer les éléments de preuve dans une certaine mesure mais qu'il ne doit pas se lancer dans un examen attentif comme celui que le tribunal doit faire à l'audience complète.

L'argumentation du défendeur

[17]            Le défendeur prétend que la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique à la conclusion de fait de la Section d'appel. Le demandeur prétend que l'on doit faire preuve d'un grand respect envers la SAI étant donné que cette affaire relève de sa compétence.

[18]            Le défendeur prétend que le critère pour la réouverture exige l'existence d'une possibilité raisonnable que de nouveaux éléments de preuve pourraient amener le tribunal à changer sa décision originale. Le tribunal peut examiner les nouveaux éléments de preuve et expliquer la raison pour laquelle ceux-ci ne suffisent pas à conduire à un résultat différent. Le défendeur prétend que la SAI n'a pas fait une application erronée du critère de la réouverture.

[19]            Questions en litige

1.          Était-il déraisonnable que la SAI conclue qu'il n'était pas invraisemblable, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur récidive?

2.          La SAI a-t-elle erré en droit dans son évaluation de la preuve?

3.          La SAI a-t-elle erré en droit en ce sens qu'elle a outrepassé sa compétence en pesant et en évaluant la preuve d'une manière qui n'est indiquée que pour l'audience complète?

[20]            Question en litige no 1

Était-il déraisonnable que la SAI conclue qu'il n'était pas invraisemblable, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur récidive?

Le demandeur n'a pas récidivé pendant environ quatre ans. Dans sa décision, la Section d'appel a affirmé que celui-ci n'avait pas récidivé depuis trois ans. La Commission a conclu qu'il n'était pas invraisemblable que le demandeur récidive. Le casier judiciaire passé du demandeur a constitué le seul fondement pour en arriver à cette conclusion. Comme nous l'avons signalé plus haut, le demandeur n'a pas récidivé pendant environ quatre ans. De plus, le demandeur dispose maintenant du soutien de son père, il vit avec ce dernier et il suit des traitements pour sa maladie et son alcoolisme. J'estime que la conclusion de la SAI voulant qu'il ne soit pas invraisemblable que le demandeur récidive représente une conclusion manifestement déraisonnable en ce que la preuve ne soutient tout simplement pas cette conclusion.

[21]            Question en litige no 2

La SAI a-t-elle erré en droit dans son évaluation de la preuve?

La SAI, lorsqu'elle a évalué la preuve, a conclu qu'on ne possédait pas de « détails sur la manière selon laquelle le père du demandeur était capable de surveiller ce dernier sans vivre avec lui » . L'affidavit du père du demandeur affirme clairement que le père a insisté pour que son fils vienne vivre avec lui. Il s'agit là d'une erreur que la SAI a commise lors de son évaluation de la preuve. La SAI a aussi conclu que le demandeur « ne pouvait pas compter sur le soutien de sa famille, ce qui est crucial pour qu'il puisse guérir et qu'il puisse éviter de s'adonner à des activités criminelles » . Le père du demandeur a déclaré dans son affidavit que depuis que son fils était venu vivre avec lui, il avait pris le contrôle de la vie de ce dernier. Le père a aussi témoigné que son fils se porte maintenant beaucoup mieux et qu'il évite de boire. Celui-ci s'assure aussi que son fils prend ses médicaments et va chez son psychiatre. Je suis d'avis que la conclusion de la SAI voulant que le demandeur ne pouvait pas compter sur le soutien de sa famille représente une conclusion manifestement déraisonnable si l'on se fie à la preuve.

[22]            Si la SAI n'avait pas commis les erreurs mentionnées plus haut, elle serait peut-être arrivée à une conclusion différente en ce qui concerne la réouverture de l'appel. Étant donné que je ne sais pas à quelle conclusion la SAI serait parvenue si elle n'avait pas commis ces erreurs, l'affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI afin d'être examinée de nouveau.

[23]            En raison de mes conclusions relatives aux questions en litige no 1 et no 2, je n'ai pas besoin de traiter de la question en litige no 3.

[24]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a souhaité me soumettre une question grave d'importance générale.

ORDONNANCE

[25]            IL EST ORDONNÉ que la décision de la SAI refusant la réouverture de l'appel du demandeur soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI afin d'être examinée de nouveau.

                                                                                 « John A. O'Keefe »          

                                                                                                             Juge                      

Ottawa (Ontario)

Le 12 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

No DU GREFFE :      IMM-5814-00

INTITULÉ :              Cedric Sylvester Chambers c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 22 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                     Le 12 avril 2002

COMPARUTIONS:

Lorne Waldman                                       POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Jackman, Waldman & Associates                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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