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Date:20011011

Dossier: IMM-3883-00

Référence neutre: 2001 CFPI 1109

ENTRE:

                                                               QUEEN TAIRE

                                                                                                                                Demanderesse

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                        Défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JUGE HANSEN

A.        INTRODUCTION

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (ci-après la « Loi » ), à l'encontre d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après le « tribunal » ) rendue le 30 mai 2000, à l'effet que Mme Queen Taire (ci-après la « demanderesse » ) n'est pas une réfugiée au sens de la Convention, pour le seul motif que son témoignage n'était pas crédible.


B.        LA REVENDICATION

[2]                 La demanderesse, originaire du Nigéria, a revendiqué le statut de réfugié alléguant avoir une crainte bien fondée de persécution advenant son retour dans son pays. L'élément central de sa revendication est son appartenance à un groupe social particulier, à titre de femme victime de violence conjugale.

[3]                 À l'âge de 16 ans et malgré son refus, ses parents l'ont promise en mariage à un homme ayant près de 3 fois son âge en échange pour des terres. Elle a maintenu ses objections et n'a jamais formellement épousé cet homme, mais a vécu avec lui et ses 3 autres épouses pendant 15 ans, durant lesquels elle a souffert de la violence conjugale.

[4]                 En 1990, elle a donné naissance à une fille. Lorsque cette dernière a atteint l'âge de 7ans, l'époux de la demanderesse a exigé que l'enfant subisse une clitoridectomie. Malgré les objections de la demanderesse, l'intervention a eu lieu.     Par conséquent, elle a quitté son époux avec l'espoir de se réfugier chez ses parents. Ceux-ci l'ont renvoyée chez son conjoint, lequel à continuer à la violenter et lui a causé deux fausses couches.

[5]                 Elle a de nouveau quitté le foyer conjugal en 1998, et a vécu à Lagos avec son nouvel ami Emmanuel jusqu'à ce que son conjoint la retrouve, fasse assassiner Emmanuel et la ramène de force au foyer conjugal.


[6]                 Suite à son retour forcé, elle s'est procurée un passeport et a quitté le Nigéria avec l'aide d'un ami du défunt Emmanuel. Elle a déposé sa demande de réfugié le 2 décembre 1999 et l'audience s'est tenue à Montréal le 18 avril, 2000. Cette demande fût rejetée pour le motif qu'elle n'était pas crédible.

C.         DÉCISION DU TRIBUNAL

[7]                 Le tribunal a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi, ayant déterminé que des éléments importants de son témoignage n'était pas crédibles et que ces derniers avaient entachés la crédibilité de son témoignage au complet. C'est de cette décision que la demanderesse réclame la révision.

[8]                 Le tribunal donne comme exemples de contradictions et d'implausibilités le fait que la demanderesse se soit contredite au sujet de son séjour à Lagos, le fait qu'elle ait pu tenir tête à ses parents et son conjoint de fait au sujet du mariage avec ce dernier, le meurtre d'Emmanuel et les circonstances entourant l'obtention du passeport et de l'extrait de naissance.


D.        PRÉTENTIONS DES PARTIES

a) Les erreurs soulevées par la demanderesse

[9]                 La demanderesse prétend que le tribunal a commis une erreur concluant que ses problèmes passés et sa crainte actuelle ne sont pas liés à l'un des motifs de la Convention.

[10]            Par ailleurs, la demanderesse allègue que le tribunal a confondu deux éléments séparés lorsqu'il a conclu qu'il était implausible qu'elle se soit procuré son passeport après la mort d'Emmanuel et que ce soit ce dernier qui le lui ait suggéré, puisqu'il était déjà décédé. Selon la demanderesse il n'y a rien d'implausible dans cela puisque, c'est suite à son retour forcé dans son village qu'elle a fait les démarches nécessaires pour obtenir le passeport.

[11]            De plus, la demanderesse prétend que le tribunal a commis une erreur de droit en notant une contradiction entre le fait que le passeport avait été émis le 17 juillet 1999 et le certificat de naissance le 20 juillet 1999. Elle prétend qu'elle ne pouvait être tenue responsable de son ignorance à expliquer comment le passeport avait été obtenu avant le certificat de naissance, malgré le fait qu'elle ait témoigné que le certificat de naissance était nécessaire pour obtenir son passeport, son frère ayant été celui qui avait fait les démarches pour obtenir le passeport.


[12]            Le tribunal aurait tiré une conclusion contraire à la preuve en déclarant ne pas croire que son père aurait accepté de signer la demande de certificat de naissance, compte tenu le rôle oppressif qu'il avait joué dans sa vie, malgré le fait que l'authenticité de l'affidavit produit à cet effet n'a pas été soulevée.

[13]            De plus, elle ajoute que la conclusion de non-crédibilité relativement à l'épisode du meurtre d'Emmanuel est non fondée et repose sur une mauvaise compréhension de la preuve puisqu'elle est contraire à la preuve produite.

[14]            En dernier lieu, la demanderesse prétend qu'un des commissaires n'avait plus la compétence requise pour instruire la cause. Elle s'appuie sur le paragraphe 61(1) de la Loi et sur des décrets du Conseil Privé, qui sont d'après elle de connaissance judiciaire.

b) Prétentions de la partie défenderesse

[15]            La défenderesse avance que la revendication ayant été rejetée à cause du témoignage non-crédible de la demanderesse, la Cour ne peut intervenir à moins que la décision ait été fondée sur des conclusions de faits erronées, tirées de façon absurde ou arbitraire sans tenir compte de la preuve.


[16]            La défenderesse prétend que le tribunal s'est appuyé sur plusieurs contradictions et invraisemblances pour arriver à la conclusion que la demanderesse n'était pas crédible, par exemple le fait que la demanderesse ait pu s'opposer au mariage à son conjoint de fait, malgré le fait qu'elle ait dit être sous sa domination, le témoignage contradictoire de la demanderesse quant aux circonstances du meurtre de son fiancé Emmanuel, les contradictions de la demanderesse quant à la durée de son séjour à Lagos, le récit de la demanderesse en ce qui a trait aux circonstances concernant l'obtention de son passeport et de son certificat de naissance.

[17]            La défenderesse allègue que puisque le tribunal a jugé que le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible, il n'était pas obligé d'accorder de valeur probante au rapport médical produit qui décrit certaines cicatrices sur son corps et elle s'appuit sur les propos du juge Weston dans l'affaire Boateng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1995] A.C.F. no 517

[18]            La défenderesse prétend que l'argument au sujet du manque de compétence de M. Lasalle ne saurait être accepté par la Cour puisqu'il n'est nullement appuyé par la preuve. De plus, contrairement à ce que prétend la demanderesse les décrets ne sont pas de connaissance judiciaire puisqu'ils ne sont pas publiés. Par ailleurs, l'interprétation de la demanderesse quant au fait qu'un membre du tribunal ne peut cumuler des mandats durant une période de plus de 7 ans est erronée. Le paragraphe 61 (1) de la Loi prévoit que le terme d'un mandat ne peut excéder 7 ans toutefois un membre peut cumuler plusieurs mandats qui totalisent plus de 7 ans.


E.          QUESTIONS EN LITIGE

[19]            Les questions soulevées en l'espèce sont les suivantes: 1) Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit ou s'est-il fondé sur des conclusions de faits erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte d'éléments dont il disposait lorsqu'il a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugié au sens de la Convention pour le motif qu'elle n'était pas crédible? 2) Le tribunal, plus précisément, le membre Lasalle, avait-il perdu la compétence requise pour instruire la cause.

F. ANALYSE

a) Norme de contrôle

[20]            Il est bien établi dans la jurisprudence qu'en matière de crédibilité, les conclusions du tribunal ne devraient pas être contrariées à moins d'être déraisonnables. Le juge Décary, énonce ce principe de la manière suivante dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) à la page 316:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.


b) Crédibilité de la demanderesse

[21]                         En l'espèce, tel qu'il appert de la décision du tribunal, la demande a été rejetée parce que le tribunal a jugé que la demanderesse n'était pas crédible puisque son témoignage était criblé de contradictions et d'implausibilités. Une lecture attentive du procès verbal et de la preuve au dossier, m'a permis de constater que les contradictions et implausibilités notées par le tribunal ne le sont pas. Par conséquent, je suis d'avis que certaines des conclusions du tribunal étaient déraisonnables et que l'intervention de cette Cour est justifiée pour les raisons suivantes.

(i) séjour à Lagos

[22]                         Le tribunal estime que la demanderesse s'est contredite au sujet de son séjour à Lagos parce que dans son FRP elle a indiqué s'être réfugiée avec Emmanuel à l'automne 1998 et y être rester jusqu'en mai 1999. Toutefois, dans son témoignage, elle aurait dit avoir vécu à Lagos pendant une année, se terminant en Mai 1999. À mon avis, il ne s'agit pas d'une contradiction, mais plutôt d'un jeu sur les mots. D'ailleurs, que ce soit une contradiction ou non, ce n'est pas un élément central de la revendication.


[23]                         Il est bien établi dans la jurisprudence que les contradictions soulevées par le tribunal doivent être centrales à la revendication. (Voir Mahathmasseelan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 15 Imm L.R. (2e) 29 (C.A.F.). En l'espèce, je suis d'avis que la demanderesse ne s'est pas contredite et que son séjour à Lagos n'est pas central à sa revendication.

(ii) refus de marier son conjoint

[24]                         Le tribunal a jugé qu'il était implausible que la demanderesse ait pu tenir tête à ses parents et son conjoint de fait au sujet d'une cérémonie de mariage officielle. La preuve documentaire, de laquelle a fait fi le tribunal, démontre qu'il est commun que des jeunes filles soient vendues en mariage. Ces mariages sont célébrés par un paiement de biens, d'argent ou de service, effectué en public, de la famille de l'époux à la famille de l'épouse (pièces A-11, A-12, A-13, Dossier du tribunal). En l'espèce, la demanderesse a témoigné qu'il y a eu une célébration et une bénédiction à la suite desquelles, on l'a envoyé vivre chez son conjoint. Donc, malgré son refus de participer à une cérémonie de mariage formelle, il n'en reste qu'elle est devenue l'épouse de son conjoint.

(iii) âge du conjoint


[25]                         Le tribunal a conclu que la demanderesse s'est contredite au sujet de l'âge de son conjoint. Toutefois, je suis d'avis qu'il s'agit là d'une autre circonstance où le tribunal cherchait à trouver une contradiction. En effet, dans son témoignage, la demanderesse a dit qu'elle ne connaissait pas l'âge de son époux. Malgré le fait qu'elle ait expliqué que la coutume nigérienne veut que les aînés ne révèlent pas leur âge aux plus jeunes, le tribunal a insisté pour qu'elle donne une réponse. Suite aux pressions du tribunal, elle a estimé l'âge de son conjoint.    Cela ne constitue nullement une contradiction.

(iv) meurtre d'Emmanuel

[26]                         Le tribunal conclut que la demanderesse s'est contredite au sujet du meurtre d'Emmanuel, parce qu'elle aurait dans un premier temps témoigné ne pas savoir ce qui s'était passé puisqu'elle n'était pas dans la maison lors du meurtre et ensuite elle aurait témoigné du contraire. Quant au meurtre d'Emmanuel, le récit de la demanderesse ne comporte pas de contradictions. Il se situe plutôt sur un continuum. En effet, elle raconte qu'elle ne connaît pas les détails de la façon par laquelle Emmanuel a été assassiné puisqu'elle n'était pas dans la maison, et plus tard dans son témoignage elle précise que suite à son retour forcé au village de son époux, elle a entendu des rumeurs qu'il avait été poignardé. Son témoignage sur ce point est clair et ne comporte aucune contradiction et par conséquent, la conclusion du tribunal sur ce point n'est pas raisonnable.

(v) obtention du passeport


[1] Le tribunal trouve difficile de croire que ce serait Emmanuel qui avait suggéré à la demanderesse qu'elle obtienne son passeport, puisqu'elle a obtenu le passeport après la mort d'Emmanuel. Toutefois, il n'y a là aucune contradiction puisque les deux situations sont compatibles, l'une n'excluant pas l'autre. En effet, il est fort possible qu'Emmanuel ait suggéré à la demanderesse qu'elle obtienne son passeport et que ce soit sa mort qui ait précipité l'obtention du passeport.                   

[27]                         Le tribunal conclut qu'il était implausible que le père de la demanderesse aurait signé la demande de certificat de naissance nécessaire pour qu'elle obtienne son passeport, compte tenu du rôle oppressif qu'il avait joué dans sa vie. Toutefois, le tribunal ne remet pas en question l'authenticité du document. Par ailleurs, la demanderesse a témoigné ne pas connaître les circonstances dans lesquelles son père a signé le formulaire, puisque c'est son frère qui s'était occupé des démarches.

[28]                         Le tribunal a noté une contradiction dans le témoignage de la demanderesse relativement à l'obtention du passeport et de l'extrait de naissance, puisque la demanderesse a témoigné avoir besoin de l'extrait pour l'obtention du passeport, malgré le fait que le passeport avait été émis avant l'extrait de naissance. À mon avis, il s'agit là de la seule contradiction réelle soulevée par le tribunal.

[29]                         Dans son zèle pour trouver des contradictions, le tribunal a fait abstraction de l'élément central de la revendication de la demanderesse. Le tribunal se devait d'évaluer la substance de la revendication et de ne pas mettre toute l'emphase sur ce qu'il percevait être des contradictions, tel que l'énonce le juge Marceau dans l'affaire Djama c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 531 :

A notre avis, les membres du Tribunal ont nettement exagéréla portée des quelques hésitations, imprécisions ou contradictions apparentes qu'ils avaient pu déceler dans les propos du revendicateur et ils ne pouvaient, sur cette base seule, traiter l'ensemble de son témoignage comme étant celui d'un menteur. Leur fixation sur les détails de l'histoire qu'il disait être la sienne leur a fait oublier, il nous semble, l'essentiel de ce sur quoi il fondait sa réclamation.

[30]                         En l'espèce, je suis d'avis que le tribunal dans son empressement de trouver des contradictions, n'a pas évalué la substance de la revendication de la demanderesse.

c) Compétence du commissaire

[31]     Ayant déjà soulevé plusieurs erreurs justifiant l'intervention de la Cour, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'en traiter.

[32]                         Pour tous ces motifs, la décision de la Section du statut de réfugié est annulée, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour un nouvel examen devant un tribunal différemment constitué.

                                                                              « Dolores M. Hansen »         

                                                                                                      J.C.F.C.                    

Ottawa (Ontario)

11 octobre 2001

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