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Date : 20060331

Dossier : IMM‑2168‑05

Référence : 2006 CF 420

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

JEREMY HINZMAN (ALIAS JEREMY DEAN HINZMAN)

LIAM LIEM NGUYEN HINZMAN (ALIAS LIAM LIEM NGUYE HINZMAN)

ET NGA THI NGUYEN

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 


TABLE DES MATIÈRES

 

PARAGRAPHE

 

 

I.          Introduction........................................................................................................................... 1

 

II.         Le contexte factuel................................................................................................................. 6

 

III.       La décision préliminaire relative à la preuve rendue par la Commission.................................. 35

 

IV.       La décision de la Commission sur le bien‑fondé des demandes des demandeurs.................... 48

 

i)       La protection de l’État................................................................................................ 50

ii)      M. Hinzman craignait‑il avec raison d’être persécuté aux États‑Unis?........................... 60

iii)      L’article 171 du Guide du HCNUR............................................................................ 69

iv)     La peine associée à la désertion : poursuite ou persécution?......................................... 78

v)      Les demandes présentées par les autres demandeurs................................................... 87

 

V.        Les questions en litige.......................................................................................................... 88

 

VI.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant que les éléments de preuve relatifs à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak n’étaient pas pertinents à la décision que devait prendre la Section de la protection des réfugiés aux termes du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?...................... 90

 

i)       La thèse des demandeurs............................................................................................ 92

ii)      La question préliminaire.............................................................................................. 99

iii)      Compte tenu des éléments de preuve présentés à la Commission, la question de savoir si l’action militaire menée par les Américains en Irak avait été autorisée par une résolution du Conseil de sécurité était‑elle finalement pertinente à l’issue de la présente affaire?.................................................. 102

iv)     Le paragraphe 171 du Guide – La norme de contrôle................................................ 112

v)      Le statut et l’objet du Guide du HCNUR.................................................................. 115

vi)     La culpabilité individuelle à l’égard des crimes contre la paix...................................... 152

vii)     Autre caractère pertinent possible des éléments de preuve contestés.......................... 161

viii)    Conclusion............................................................................................................... 164

 

VII.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que les violations du droit humanitaire international commises par l’armée américaine en Irak étaient systématiques ou tolérées par cet État?......................................................................................................... 168

 

VIII.     La Commission a‑t‑elle commis une erreur en imposant un fardeau trop lourd aux demandeurs, à savoir celui de démontrer que M. Hinzman aurait lui‑même participé à la perpétration d’actes illégaux s’il était allé en Irak?       179

 

 

IX.       Conclusion sur ce point...................................................................................................... 188

 

X.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse des questions portant sur la protection de l’État et la persécution?...................................................................................................................... 191

 

            i)       La thèse des demandeurs.......................................................................................... 191

ii)      La norme de contrôle................................................................................................ 198

            iii)      Analyse.................................................................................................................... 201

            iv)     Conclusion............................................................................................................... 228

 

XI.       Résumé des conclusions..................................................................................................... 234

 

XII.      Certification....................................................................................................................... 236

 

            Jugement........................................................................................................................... 240

 


I.          Introduction

[1]               Jeremy Hinzman est un soldat américain qui a déserté lorsque son unité a été envoyée se battre en Irak. M. Hinzman affirme avoir déserté parce qu’il s’oppose pour des raisons morales à la guerre en Irak et qu’il croit que l’action militaire menée par les Américains dans ce pays est illégale.

 

[2]               Après avoir déserté, M. Hinzman est venu au Canada, accompagné de sa femme et de son jeune fils. Peu de temps après, la famille a demandé l’asile, en soutenant qu’elle craignait avec raison d’être persécutée aux États‑Unis, du fait des opinions politiques de M. Hinzman. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes présentées par les demandeurs et a jugé qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

 

[3]               M. Hinzman et sa famille sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission et soutiennent que celle‑ci a commis une erreur en refusant de leur permettre de présenter des éléments de preuve concernant la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak. La Commission a également commis une erreur, affirment‑ils, en écartant les éléments de preuve portant sur l’allégation que l’armée américaine tolérait les violations répétées des droits de la personne commises par ses membres en Irak et sur la nature systématique de ces violations.

 

[4]               En outre, les demandeurs affirment que la Commission leur a imposé un fardeau de la preuve trop lourd en exigeant que M. Hinzman démontre qu’il aurait lui‑même été amené à participer à des actes illégaux, s’il était allé en Irak. Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte du fait que l’opposition à une guerre particulière ne constitue pas une raison légitime d’obtenir le statut d’objecteur de conscience aux États‑Unis. Étant donné que l’armée des États‑Unis n’a pas tenu compte des objections de conscience sincères qu’entretenait M. Hinzman à l’égard de la guerre en Irak, les demandeurs affirment que toute punition qui pourrait lui être imposée en raison de sa désertion constitue automatiquement de la persécution.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il y avait lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Il convient de noter qu’il n’est pas demandé à la Cour de trancher la question de savoir si l’intervention militaire en Irak dirigée par les Américains est en fait illégale et qu’aucune conclusion n’a été formulée sur ce point.

 

II.        Le contexte factuel

[6]               Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540, la plupart des affaires d’objecteur de conscience mettent en cause des faits qui leur sont propres. Il est donc nécessaire d’examiner en détail les faits qui sous‑tendent les demandes d’asile des demandeurs, en particulier ceux qui concernent la nature de l’objection de M. Hinzman à l’accomplissement de son service militaire en général et à faire la guerre en Irak en particulier.

 

[7]               M. Hinzman s’est enrôlé dans l’armée des États‑Unis en novembre 2000. M. Hinzman a reconnu qu’il est entré dans l’armée parce que, d’une part, il souhaitait obtenir l’aide financière que l’armée fournit aux recrues, ce qui lui aurait donné la possibilité de faire des études universitaires après avoir effectué son service militaire, et d’autre part, parce qu’il était attiré par la noble et haute mission qui anime l’armée.

 

[8]               M. Hinzman pouvait s’engager pour une durée de deux, quatre ou six ans. Il a choisi de servir pendant quatre ans. Il pouvait également choisir le poste qu’il souhaitait occuper dans l’armée et a choisi d’être fantassin. Il a expliqué que [traduction] « […] une fois dans l’armée […] je voulais connaître l’essence même de l’armée, c’est‑à‑dire l’infanterie. Je recherchais l’excitation que l’on ressent lorsqu’on regarde un film de guerre et qu’on voit des gens se tirer dessus ».

 

[9]               Il affirme qu’il était bouddhiste pratiquant avant de s’enrôler dans l’armée, mais il semble qu’au début de son service militaire, M. Hinzman n’ait guère éprouvé de scrupules face à l’obligation de porter les armes ou de participer autrement à un service militaire actif.

 

[10]           M. Hinzman a expliqué que le processus de formation de base visait à le désensibiliser, et notamment à déshumaniser l’ennemi. Ce processus amenait les recrues à entonner des chants parlant de meurtre, de viol et de pillage. M. Hinzman a pensé au départ qu’il s’agissait de plaisanteries, mais par la suite, il a commencé à remettre en question sa participation à ce type d’activité.

 

[11]           M. Hinzman a manifestement obtenu d’excellents résultats au cours de sa formation militaire, puisqu’il a obtenu le grade de soldat de première classe avec la mention de « spécialiste ». Il faisait partie du petit groupe de soldats qui avaient été admis dans le « programme Ranger ». Ce programme est un programme de leadership exceptionnel qui permet aux participants d’acquérir les techniques nécessaires pour exceller dans les situations de combat et pour prendre de bonnes décisions en disposant de ressources limitées. L’obtention du diplôme de Ranger aurait grandement favorisé les perspectives de carrière de M. Hinzman au sein de l’armée.

 

[12]           Devant la Commission, M. Hinzman a déclaré que, pendant cette période, il vivait une « sorte de double vie ». Tout en réussissant très bien dans sa formation militaire, M. Hinzman était de plus en plus préoccupé par le fait de tuer, un acte auquel il réfléchissait depuis sa formation de base, parce qu’il s’intéressait à une conception du monde inspirée des enseignements bouddhistes, ce qui a eu pour résultat de renforcer ses croyances religieuses. Il affirme avoir progressivement compris qu’il était incapable de prendre une vie humaine et a précisé que ses préoccupations portant sur cet aspect se sont concrétisées au moment où il s’apprêtait à commencer le programme Ranger, s’étant alors aperçu qu’il arrivait à « un point de non‑retour » et qu’il « ne pouvait plus vivre de cette façon ».

 

[13]           M. Hinzman déclare n’avoir fait part de ses préoccupations qu’à sa famille. Il a toutefois appris que l’armée des États‑Unis permettait à son personnel de présenter une demande de statut d’objecteur de conscience. Cette politique permettait aux soldats qui refusaient de porter les armes d’être réaffectés à des tâches de non‑combattant et autorisait également à quitter l’armée les individus qui s’opposaient à toutes les sortes de guerre.

 

[14]           En août 2002, M. Hinzman a décidé de demander d’être affecté à des tâches de non‑combattant à titre d’objecteur de conscience. Il a déclaré ne pas avoir demandé d’être libéré de l’armée, parce qu’il se sentait obligé de terminer son service de quatre ans et qu’il était prêt à continuer à servir dans l’armée comme médecin, conducteur de camion, cuisinier, administrateur ou tout autre poste dans lequel il ne serait pas obligé de tuer qui que ce soit.

 

[15]           Il a reconnu qu’une libération anticipée de l’armée aurait eu pour effet de réduire les avantages auxquels il aurait eu droit en matière d’études, mais M. Hinzman affirme que ce n’est pas ce facteur qui a influencé sa décision de demander une réaffectation et de demeurer dans l’armée.

 

[16]           Dans sa demande de statut d’objecteur de conscience, M. Hinzman a déclaré qu’il pensait que toutes les guerres étaient immorales et qu’il ne pouvait plus faire partie d’unités formées pour tuer. M. Hinzman a déclaré qu’il n’était membre d’aucune secte ou organisation religieuse mais il a expliqué comment sa pratique des principes du bouddhisme et de la méditation, ainsi que le fait d’assister à des réunions de la société des amis, ou « Quakers », avaient influencé l’évolution de ses convictions.

 

[17]           Conformément à la procédure appliquée par l’armée aux objecteurs de conscience, M. Hinzman a été réaffecté à la garde de la grille d’entrée de la base de Fort Bragg trois jours après avoir présenté sa demande de statut d’objecteur de conscience. Cette fonction consistait à vérifier les plaques d’immatriculation des véhicules qui entraient dans la base. Il a par la suite été transféré à la cafétéria de Fort Bragg.

 

[18]           Les éléments de preuve n’indiquent pas très clairement ce qui est arrivé à la première demande d’objecteur de conscience présentée par M. Hinzman. Il semble qu’elle ait été égarée et que les autorités militaires ne l’aient jamais examinée au fond.

 

[19]           À la fin du mois d’octobre 2002, M. Hinzman s’est rendu compte que sa demande n’avait pas été traitée et il a décidé d’en présenter une autre. À ce moment‑là, M. Hinzman savait que son unité serait déployée en Afghanistan dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom ». Le moment choisi par M. Hinzman pour déposer sa seconde demande pourrait laisser croire que c’est la perspective d’être bientôt envoyé en Afghanistan qui l’avait motivé à la présenter, alors qu’en fait, ce n’était pas le cas.

 

[20]           M. Hinzman ne savait pas si l’opération militaire américaine en Afghanistan avait reçu la sanction d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, mais il estimait néanmoins que les États‑Unis avaient une raison légitime d’intervenir en Afghanistan. M. Hinzman a expliqué qu’il était convaincu qu’il existait des liens entre le régime des Talibans au pouvoir à l’époque en Afghanistan et Al‑Qaïda, Al‑Qaïda étant l’organisation terroriste responsable des attaques du 11 septembre 2001 aux États‑Unis.

 

[21]           M. Hinzman s’est donc rendu avec son unité en Afghanistan, où il a été affecté à des tâches de cuisine.

 

[22]           La demande de statut d’objecteur de conscience présentée par M. Hinzman a été examinée au cours d’une audience tenue à Kandahar le 2 avril 2003. M. Hinzman s’est plaint du fait qu’il n’avait pas été en mesure de convoquer des témoins à l’audience, étant donné que celle‑ci se tenait en Afghanistan et que les témoins qu’il aurait souhaité convoquer, notamment sa femme et les Quakers avec qui il assistait à des réunions, se trouvaient tous aux États‑Unis. Cependant, même si le règlement militaire 600‑43, qui régit la procédure de demande de statut d’objecteur de conscience, prévoit expressément l’ajournement des audiences à la demande du revendicateur, M. Hinzman n’a pas demandé que l’audience soit ajournée en attendant qu’il retourne aux États‑Unis, de façon à lui permettre de convoquer des témoins.

 

[23]           Après l’audience, le premier lieutenant chargé d’entendre l’affaire a conclu que M. Hinzman était sincèrement opposé à la guerre sur les plans philosophique, social et intellectuel, mais que ses convictions ne correspondaient pas à la définition d’objecteur de conscience contenue dans les règlements militaires. Le premier lieutenant semble en être arrivé à cette conclusion parce qu’il a été influencé par le fait que M. Hinzman refusait de participer à des opérations militaires offensives, mais pas à des opérations défensives. Le premier lieutenant a conclu que M. Hinzman ne pouvait choisir le moment ou le lieu où il se battrait et, par conséquent, sa demande a été refusée.

 

[24]           Le premier lieutenant a également statué que M. Hinzman avait déposé une demande d’objecteur de conscience parce qu’il voulait quitter l’infanterie. Cette conclusion était en partie fondée sur une déduction négative, et apparemment erronée, tirée du fait que le premier lieutenant pensait que M. Hinzman n’avait demandé le statut d’objecteur de conscience que peu de temps après avoir appris qu’il serait envoyé en Afghanistan.

 

[25]           Il existe un droit d’appel à l’égard d’une décision négative de premier niveau, mais M. Hinzman n’a pas interjeté appel de la décision du premier lieutenant et n’a pas pris non plus de mesures pour savoir quels étaient ses droits dans ce domaine. Il a continué à travailler dans la cuisine pendant le reste de son affectation en Afghanistan, et à son retour aux États‑Unis en juillet 2003, M. Hinzman a repris ses tâches normales de fantassin.

 

[26]           M. Hinzman a déclaré qu’il n’avait pas donné suite à sa demande de statut d’objecteur de conscience à son retour aux États‑Unis parce qu’il était « épuisé » et pensait que cela n’aurait servi à rien. Il a également déclaré qu’il ne souhaitait pas reprendre un processus aussi long et ne voulait pas avoir à accomplir des tâches inintéressantes en attendant une décision.

 

[27]           Il a également affirmé que, pendant qu’il se trouvait en Afghanistan, il avait réfléchi au fait qu’il pourrait être envoyé en Irak et qu’il avait décidé à l’époque qu’il n’irait pas. Au cours de l’audience relative à sa demande d’asile, la commissaire lui a demandé pourquoi, dans ce cas, il n’avait pas déserté à son retour d’Afghanistan. Il a répondu qu’une fois revenu aux États‑Unis, il a retrouvé sa famille et l’idée de déserter ne lui est pas venue, même s’il savait à ce moment‑là qu’il serait inévitablement envoyé en Irak.

 

[28]           M. Hinzman affirme avoir décidé de ne pas aller se battre en Irak parce qu’il estimait que l’action militaire américaine dans ce pays était illégale. Il fondait cette opinion sur le fait qu’il devait se trouver en Irak des armes de destruction massive mais qu’après des mois d’enquête, on n’avait pas découvert ces armes. Parallèlement, aucun lien n’avait été établi entre l’Irak et les agressions terroristes, même si ce prétendu lien avait servi de prétexte à l’intervention des États‑Unis. Enfin, étant donné qu’il pensait que l’Irak ne menaçait aucunement les États‑Unis, M. Hinzman estimait qu’une telle incursion non défensive sur le territoire d’un pays étranger n’était pas justifiée.

 

[29]           En décembre 2003, M. Hinzman a appris que son unité serait envoyée en Irak le 16 janvier 2004. Ayant décidé de ne pas y aller, M. Hinzman avait deux solutions – il pouvait refuser son affectation ou déserter. S’il refusait son affectation, M. Hinzman aurait pu être poursuivi aux termes du Universal Code of Military Justice (Code universel de justice militaire). Il a préféré déserter.

 

[30]           M. Hinzman est arrivé au Canada avec sa famille le 4 janvier 2004 et sa famille a demandé l’asile quelque trois semaines plus tard. Leurs demandes étaient fondées sur les convictions politiques de M. Hinzman. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), M. Hinzman décrit de la façon suivante les raisons qui l’ont poussé à déserter :

[traduction]

La guerre en Irak est la raison immédiate qui m’a poussé à refuser de terminer mon service militaire. Tout d’abord, je pense que cette guerre est une violation du droit international et qu’elle a été déclenchée sous de faux prétextes. Deuxièmement, je me refuse à tuer ou à être tué au service d’une idéologie ou pour des motifs économiques.

 

 

[31]           M. Hinzman soutient également que participer à la guerre en Irak aurait été contraire à sa conscience et à ses convictions religieuses, même si sa demande d’asile était uniquement basée sur ses opinions politiques.

 

[32]           M. Hinzman affirme que l’occupation militaire de l’Irak ne repose sur aucune base juridique solide et qu’il serait criminel d’y participer. Parallèlement, il a reconnu qu’il aurait accepté d’aller en Irak dans un rôle de non‑combattant, même s’il estimait qu’une telle participation limitée le rendrait néanmoins complice d’une guerre illégale.

 

[33]           S’il était renvoyé aux États‑Unis, M. Hinzman affirme qu’il serait poursuivi pour désertion. M. Hinzman reconnaît que l’immense majorité des déserteurs font simplement l’objet d’une exclusion pour cause d’indignité et ne sont pas poursuivis, mais il estime avoir « irrité suffisamment de personnes » pour qu’il soit probablement traduit devant une cour martiale et reçoive une peine de un à cinq ans de prison militaire.

 

[34]           M. Hinzman reconnaît qu’il subirait un procès équitable aux États‑Unis, devant un magistrat indépendant, mais il affirme néanmoins que le fait d’être puni pour avoir agi selon sa conscience constituerait de la persécution.

 

III.       La décision préliminaire relative à la preuve rendue par la Commission

[35]           Au cours des étapes ayant précédé l’audience relative aux demandes d’asile des demandeurs, l’avocat des demandeurs a fait connaître son intention de présenter à l’audience des éléments de preuve concernant l’allégation selon laquelle l’intervention américaine en Irak était illégale.

 

[36]           Ces éléments de preuve ont principalement été présentés sous forme d’affidavits préparés par deux professeurs de droit international, qui tous les deux traitaient du fait que le Conseil de sécurité des Nations Unies n’avait pas autorisé l’utilisation de la force par le gouvernement américain en Irak. Les deux professeurs font remarquer que la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, R.T. Can. 1945 no 7 [la Charte de l’ONU], n’autorise un pays à utiliser la force contre un autre pays que dans deux cas : les situations de légitime défense et lorsque le Conseil de sécurité autorise l’usage de la force.

 

[37]           Les deux professeurs font remarquer que les États‑Unis n’ont pas invoqué la légitime défense pour justifier sur le plan juridique leur intervention militaire en Irak. Ils soutiennent également qu’aucune des résolutions du Conseil de sécurité invoquées par les États‑Unis pour justifier leur conduite n’autorisait une intervention militaire en Irak dans les circonstances. Les professeurs font expressément référence à la résolution 1441 du Conseil de sécurité, qui reconnaît que l’Irak n’a pas respecté ses obligations en matière de désarmement et qui prévoit que toute violation ultérieure doit être signalée au Conseil de sécurité en vue de réévaluer la situation. Cette résolution n’envisage pas expressément la nécessité d’adopter une autre résolution autorisant l’usage de la force, mais les professeurs soutiennent que, compte tenu du profond désaccord qu’a entraîné l’adoption de cette résolution de compromis, il est impossible d’interpréter la résolution comme si elle autorisait, expressément ou implicitement, le recours à la force.

 

[38]           Un des professeurs examine également la nouvelle théorie selon laquelle l’intervention humanitaire est un troisième cas susceptible de justifier l’usage de la force par un État contre un autre. Le professeur fait toutefois remarquer que le président Bush n’a aucunement tenté de justifier l’invasion américaine de l’Irak en la qualifiant d’intervention humanitaire.

 

[39]           Les deux professeurs concluent qu’en l’absence d’autorisation du Conseil de sécurité ou d’éléments de preuve montrant qu’il s’agit d’un cas de légitime défense, la guerre en Irak ne repose sur aucune base juridique. Par conséquent, les deux professeurs concluent que l’invasion de l’Irak par les États‑Unis constitue une violation de l’interdiction du recours à la force consacrée au paragraphe 2(4) de la Charte des Nations Unies, et était donc illégale.

 

[40]           Les autres éléments de preuve que les demandeurs souhaitaient présenter allaient dans le même sens.

 

[41]           La Commission a décidé de se prononcer sur l’admissibilité de ces éléments de preuve avant de tenir l’audience, et elle a reçu des observations portant sur la question suivante :

[…] L’allégation selon laquelle l’intervention militaire des États‑Unis en Irak n’était pas autorisée par la Charte des Nations Unies ni par une résolution des Nations Unies est‑elle pertinente à la question de savoir s’il s’agit là d’un type d’action militaire qui est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires. Si cette allégation est pertinente, dans quelle mesure l’est‑elle?

 

 

 

[42]           La Commission a rendu une longue décision très fouillée, dans laquelle elle répond à cette question par la négative, et juge que la légalité de l’intervention militaire américaine en Irak n’est pas pertinente à la question de savoir si elle constituait le « type d’action militaire » qui est « condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires », au sens du paragraphe 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut‑commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Bureau du haut‑commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, 1988.

 

[43]           Le paragraphe 171 du Guide énonce :

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[44]           La Commission a jugé que les juridictions canadiennes et internationales qui ont examiné cette disposition pour déterminer si la personne en question répondait à la définition de « réfugié au sens de la Convention » se sont presque toujours fondées, pour trancher cette question, sur la nature des actes que l’insoumis ou le déserteur serait amené à accomplir, directement ou non, plutôt que sur la légalité du conflit pris dans son ensemble.

 

[45]           La Commission a interprété de cette façon le critère applicable et jugé que les éléments de preuve concernant la prétendue illégalité de la guerre en Irak n’étaient pas pertinentes à l’analyse qu’appelle le paragraphe 171 du Guide.

 

[46]           La Commission a également rejeté l’argument de M. Hinzman selon lequel la prétendue illégalité de la guerre en Irak intéressait sa demande parce que cette illégalité rendrait beaucoup plus probable que se commettent en Irak des violations systématiques et généralisées du droit humanitaire international, auxquelles M. Hinzman serait lui‑même appelé à participer. La Commission a estimé que cet argument était purement hypothétique.

 

[47]           La Commission a donc refusé d’admettre les éléments de preuve touchant la légalité de l’action militaire américaine en Irak, et a déclaré que ces éléments n’étaient pas pertinents aux demandes d’asile présentées par les demandeurs.

 

IV.       La décision de la Commission sur le bien‑fondé des demandes des demandeurs

[48]           La Commission a formulé ainsi les quatre questions substantielles que soulevaient les demandes d’asile présentées par les demandeurs :

 

            1.         M. Hinzman a‑t‑il réfuté la présomption légale selon laquelle le gouvernement des États‑Unis serait disposé à assurer sa protection et en mesure de le faire?

            2.         M. Hinzman était‑il un réfugié au sens de la Convention? Plus précisément, craignait‑il avec raison d’être persécuté par le gouvernement américain et son armée du fait de ses opinions politiques, de sa religion ou de son appartenance à un groupe social, à savoir les objecteurs de conscience à l’accomplissement du service militaire dans l’armée des États‑Unis?

            3.         Le type d’action militaire auquel M. Hinzman ne veut pas être associé est‑il condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, au sens de l’article 171 du Guide du HCNUR?

            4.         M. Hinzman est‑il une personne à protéger, c'est‑à‑dire serait‑il personnellement, par son renvoi aux États‑Unis, exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités de la part du gouvernement américain et de son armée? Sur ce point, la Commission a également examiné la question de savoir si la peine qui risque d’être imposée à M. Hinzman pour sa désertion est accessoire ou inhérente aux sanctions légitimes qui seraient infligées conformément aux normes internationales reconnues.

 

[49]           En ce qui concerne les autres demandeurs, la Commission a formulé les questions soulevées par leurs demandes de la façon suivante : premièrement, existe‑t‑il une sérieuse possibilité qu’ils soient persécutés en raison de leur appartenance à un groupe social, à savoir la famille de M. Hinzman, et deuxièmement, sont‑ils des personnes à protéger parce qu’ils sont exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités?

 

            i)          La protection de l’État

[50]           Pour ce qui est de la protection de l’État, la Commission a noté que la responsabilité d’assurer une protection internationale ne s’applique que lorsque le demandeur n’a pas accès à la protection de l’État dans son pays d’origine. La Commission a également fait remarquer que, selon le droit applicable aux réfugiés, il existe une présomption simple selon laquelle, à l’exception des situations où l’État connaît un effondrement complet, l’État est en mesure de protéger ses ressortissants. De plus, lorsque l’État en cause est un État démocratique, il incombe au demandeur d’épuiser tous les recours qu’il peut exercer dans son pays d’origine, avant de demander à l’étranger la protection accordée aux réfugiés.

 

[51]           La Commission a cité l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, et jugé que les demandeurs d’asile originaires des États‑Unis devaient établir l’existence de « circonstances exceptionnelles » permettant de conclure qu’ils n’auront pas accès à un processus judiciaire juste et impartial.

 

[52]           Cela veut dire que M. Hinzman serait tenu d’établir qu’il n’aurait pas accès à un processus équitable ou que le droit lui serait appliqué de façon discriminatoire, s’il devait retourner aux États‑Unis et être traduit en justice devant une cour martiale. La Commission a jugé que l’Universal Code of Military Justice (UCMJ) (code universel de justice militaire) et le Manual for Courts‑martial of the United States (guide à l’intention des cours martiales des États‑Unis) décrivaient un système judiciaire militaire sophistiqué qui respecte les droits des militaires, garantit un appel et accorde un accès limité à la Cour suprême des États‑Unis.

 

[53]           Après avoir noté que l’UCMJ était une loi d’application générale, la Commission a examiné l’approche exposée par la Cour d’appel fédérale dans Zolfagharkhani, cité antérieurement, pour décider si le fait de poursuivre M. Hinzman aux termes d’une loi ordinaire d’application générale constituait de la persécution.

 

[54]           La Commission a ainsi conclu qu’il incombait à M. Hinzman de démontrer que la loi américaine était assimilable à de la persécution, soit par sa nature même, soit pour quelque autre raison liée à un motif énuméré dans la Convention. La Commission a estimé qu’il ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

 

[55]           La Commission en est arrivée à cette conclusion en jugeant que M. Hinzman n’avait pas présenté de preuve susceptible d’étayer son allégation selon laquelle il ne bénéficierait pas de la pleine protection de la loi devant une cour martiale.

 

[56]           La Commission a également fait remarquer que les États‑Unis ont adopté un règlement militaire qui permet de dispenser du service militaire les personnes en mesure d’invoquer d’authentiques motifs de conscience et qui prévoient également pour ces personnes la possibilité d’accomplir leur service à titre de non‑combattant. Le règlement reconnaît également que les objections de conscience peut avoir des origines lointaines ou résulter de l’évolution des convictions de la personne en cause à la suite de son expérience militaire.

 

[57]           La Commission a reconnu que le règlement militaire américain ne prévoit pas qu’une objection de conscience puisse être fondée sur le fait que l’individu en cause s’oppose à une guerre particulière, et a noté que cette restriction a été déclarée constitutionnelle par la Cour suprême des États‑Unis dans une décision remontant à l’époque de la guerre du Vietnam, Gillette c. United States, 401 US 437 (1971).

 

[58]           La Commission a conclu que M. Hinzman n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisants pour établir que l’examen de sa demande de statut de non‑combattant n’avait pas été équitable ou qu’il ne pourrait avoir le bénéfice de l’équité procédurale ou qu’il serait traité de façon discriminatoire s’il retournait aux États‑Unis et comparaissait devant une cour martiale.

 

[59]           Étant donné que M. Hinzman n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il bénéficierait de la protection de l’État aux États‑Unis, la demande qu’il avait présentée aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés devait être rejetée.

 

            ii)         M. Hinzman craignait‑il avec raison d’être persécuté aux États‑Unis?

[60]           La conclusion à laquelle la Commission en était arrivée sur la question de la protection de l’État lui permettait de trancher les demandes, mais elle a examiné les autres questions soulevées par les demandes, en commençant par celle de savoir si la peine qui serait infligée à M. Hinzman en raison de son refus d’accomplir son service militaire en Irak à titre de combattant équivaudrait en soi à de la persécution, compte tenu de ses convictions politiques et morales.

 

[61]           La Commission a également examiné l’argument de M. Hinzman selon lequel, s’il s’était rendu en Irak, il aurait reçu l’ordre de participer à des opérations offensives, ce qui irait à l’encontre de ses convictions profondes qui lui interdisent de tuer autrement qu’en cas de légitime défense et que cela aurait également constitué de la persécution.

 

[62]           La Commission a commencé par examiner les paragraphes pertinents du Guide du HCNUR, dont le texte est reproduit intégralement en annexe de la présente décision. La Commission a noté sur ce point que, dans certaines circonstances, les convictions politiques et religieuses d’une personne constituent des motifs justifiant le refus d’accomplir son service militaire et peuvent également entraîner la reconnaissance du statut de réfugié.

 

[63]           La Commission a alors examiné les convictions de M. Hinzman. La Commission a conclu sur ce point que M. Hinzman était une personne intelligente et réfléchie, dont le code moral avait évolué.

 

[64]           La Commission s’est fondée sur les déclarations faites par M. Hinzman dans son FRP, lors de son audience relative à son objection de conscience en Afghanistan et au cours de l’audience relative à sa demande d’asile, et elle a jugé que M. Hinzman avait décidé de déserter parce qu’il s’opposait à l’intervention militaire américaine en Irak et non pas parce qu’il s’opposait à la guerre d’une façon générale. Tout en reconnaissant que les objections qu’opposait M. Hinzman à toute participation à la guerre en Irak étaient sincères, la Commission a conclu que la position adoptée par M. Hinzman était « de nature contradictoire ».

 

[65]           La Commission a noté sur ce point que M. Hinzman estimait que l’occupation militaire de l’Irak était illégale et que, par conséquent, les gestes qu’il aurait été amené à poser dans le cadre de cette guerre auraient également été illégaux mais qu’il était tout de même prêt à servir en Irak à titre de non‑combattant.

 

[66]           La Commission a cité l’arrêt de la Cour Ciric c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 65 et elle a jugé qu’on ne peut être un objecteur de conscience sélectif. La Commission a également estimé que le fait qu’il n’ait pas donné suite à sa demande de statut d’objecteur de conscience aux États‑Unis et qu’il ait repris ses activités régulières de fantassin à son retour d’Afghanistan n’était pas compatible avec son affirmation selon laquelle il est un objecteur de conscience.

 

[67]           De plus, la Commission a jugé que M. Hinzman n’avait pas non plus expliqué de façon satisfaisante pourquoi il n’avait pas demandé l’ajournement de l’audience relative à la demande d’objecteur de conscience en Afghanistan. En outre, la Commission a qualifié d’« inacceptable » l’explication qu’a fournie M. Hinzman au sujet du fait qu’il ne s’était pas renseigné sur les possibilités d’interjeter appel de la décision négative dont il avait fait l’objet parce qu’il était « épuisé ».

 

[68]           Ainsi, la Commission a apparemment accepté le fait que les objections de M. Hinzman à toute participation à la guerre en Irak étaient sincères, mais elle a néanmoins conclu que M. Hinzman n’était pas un objecteur de conscience parce qu’il ne s’opposait pas à la guerre sous toutes ses formes, ou au fait de porter les armes, en raison de convictions politiques, religieuses ou morales authentiques, et que, par conséquent, la peine qui pourrait lui être imposée en raison de sa désertion ne constituerait pas, par sa nature, de la persécution.

 

            iii)        L’article 171 du Guide du HCNUR

[69]           La Commission a également rejeté l’argument de M. Hinzman selon lequel le type d’action militaire auquel il ne voulait pas s’associer en Irak – soit les actes précis qu’il aurait été personnellement appelé à accomplir – était « condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires », l’expression que l’on retrouve à l’article 171 du Guide du HCNUR et que, par conséquent, la peine qu’il pourrait recevoir en raison de sa désertion constituerait de la persécution.

 

[70]           À l’appui de son affirmation selon laquelle il aurait fort bien pu être appelé à commettre des violations des droits de la personne s’il était allé en Irak, M. Hinzman fait référence aux éléments de preuve concernant la situation dans la prison de Guantanamo, à Cuba, aux cas de torture relevés dans la prison d’Abu Ghraib en Irak et à deux avis juridiques préparés par le ministère de la Justice américain (les « avis Gonzales »), selon lesquels la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, rés. A.G. 39/467, annexe, 39 U.N. GAOR Supp. (no 51) à 197, Doc. NU A/39/51, 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987, ne s’applique pas nécessairement à l’interrogatoire des « combattants ennemis » détenus par les États‑Unis.

 

[71]           D’après M. Hinzman, ces éléments de preuve démontrent que les États‑Unis se sont conduits avec une impunité relative et ont manifesté un mépris total pour les normes internationales dans leur conduite sur les divers fronts de leur « guerre contre le terreur ».

 

[72]           Devant la Commission, M. Hinzman a soutenu que s’il était tenu de participer à des actions offensives en Irak, en risquant de tuer des civils innocents, il ne pourrait être reconnu, à cause de ces actes, comme ayant la qualité de réfugié au sens de la Convention ou d’une personne à protéger aux termes de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Dans de telles circonstances, M. Hinzman soutient que la peine qui pourrait lui être imposée pour sa désertion constituerait nécessairement de la persécution.

 

[73]           Après avoir examiné les éléments de preuve présentés par M. Hinzman, la Commission a conclu que M. Hinzman n’avait pas démontré que les États‑Unis avaient, soit en raison d’une politique délibérée, soit par indifférence des responsables, exigé de ses combattants qu’ils commettent des violations généralisées du droit humanitaire international ou leur avait permis de le faire. La Commission a cité Popov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 24 Imm. L.R. 242, une décision de la Cour, et noté que le fait qu’il y ait des cas isolés de violations graves du droit humanitaire international ne veut pas dire que l’État en question tolère en général ce type d’activité militaire.

 

[74]           La Commission en est arrivée à cette conclusion après avoir examiné les constatations d’un rapport de Human Rights Watch faisant état de meurtres de civils par les forces américaines en Irak. Tout en faisant remarquer qu’il y avait des décès suscitant des interrogations, les auteurs du rapport reconnaissaient que l’armée américaine avait pris des mesures pour réduire le nombre des civils tués et pour faire enquête au sujet de ces morts.

 

[75]           La Commission a également noté que la pratique consistant à intégrer des représentants des médias dans les forces armées en Irak reflétait une attitude d’ouverture et de transparence de la part de l’armée américaine.

 

[76]           Enfin, la Commission a examiné le témoignage de Jimmy Massey, sergent d’état‑major du corps des Marines des États‑Unis, qui faisait partie de la division de M. Hinzman en Irak et avait été affecté à un poste de contrôle des véhicules. La Commission a retenu le témoignage du sergent d’état‑major Massey, qui a déclaré que la procédure d’opération normale appliquée à ces postes de contrôle visait à réduire le plus possible les dommages causés aux civils.

 

[77]           La Commission a donc conclu que M. Hinzman n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que s’il était affecté en Irak, il aurait personnellement commis des actes condamnés par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires, il y aurait été associé ou aurait été complice de ces actes.

 

            iv)        La peine associée à la désertion : poursuite ou persécution?

[78]           Après avoir conclu que M. Hinzman n’était pas un objecteur de conscience, la Commission a fait remarquer que la peine qui pourrait lui être imposée ne constituerait pas nécessairement de la persécution. La Commission a jugé que, pour établir le fait qu’il risquait la persécution, M. Hinzman devait démontrer que la peine qu’il craignait de se voir imposer pour désertion, dans le cas où il serait renvoyé aux États‑Unis, découlerait d’une application discriminatoire de l’UCMJ ou constituerait une peine ou un traitement cruel ou inusité.

 

[79]           La Commission a noté sur ce point que M. Hinzman avait déclaré qu’il risquait probablement de se voir imposer une peine d’emprisonnement de un à cinq ans dans une prison militaire, et qu’étant donné qu’il avait « probablement heurté […] les sensibilités militaires », il serait sans doute traité plus durement que les autres déserteurs.

 

[80]           Faisant remarquer que le Guide reconnaît que la désertion constitue toujours une infraction pénale, la Commission conclut que les peines imposées en cas de désertion ne sont habituellement pas considérées comme de la persécution. La Commission fait toutefois remarquer également que le paragraphe 169 du Guide prévoit qu’un déserteur peut être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Un déserteur peut également être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

 

[81]           En se fondant sur l’ensemble des éléments de preuve présentés, la Commission a conclu que le traitement ou la peine que M. Hinzman craignait de recevoir aux États‑Unis constituerait une peine sanctionnant la simple violation d’une loi neutre qui ne porte pas atteinte aux droits de la personne et qui n’accorde pas un traitement défavorable à certaines personnes pour un motif énuméré dans la Convention, que ce soit par sa teneur ou par son application.

 

[82]           La Commission n’a pas retenu l’argument de M. Hinzman selon lequel il serait puni plus sévèrement à cause de la publicité dont son cas a fait l’objet, étant donné l’insuffisance des éléments de preuve sur ce point.

 

[83]           La Commission a en outre conclu que les articles punitifs du UCMJ n’étaient pas grossièrement disproportionnés par rapport à la gravité inhérente de l’infraction de désertion. Il est vrai que l’UCMJ autorise en théorie l’infliction de la peine de mort en cas de désertion, mais la Commission note qu’en pratique, la dernière fois qu’un déserteur a été condamné à mort remonte à la Seconde Guerre mondiale.

 

[84]           Après avoir examiné les éléments de preuve, y compris les peines infligées à d’autres déserteurs américains, la Commission a conclu qu’il existait moins qu’une simple possibilité que M. Hinzman soit condamné à mort. En effet, l’avocat de M. Hinzman a admis que celui‑ci ne risquait pas la peine de mort dans cette affaire.

 

[85]           La Commissions a admis que M. Hinzman serait probablement condamné à une peine d’emprisonnement de un à cinq ans en raison de sa désertion, en plus d’avoir à renoncer à sa solde et d’être exclu de l’armée pour cause d’indignité, et elle a jugé que M. Hinzman n’avait pas démontré que ce traitement constituait de la persécution.

 

[86]           Enfin, la Commission a jugé que M. Hinzman risquait de subir une certaine discrimination sur le plan de l’emploi et dans ses relations sociales en raison de son exclusion de l’armée pour cause d’indignité, mais que cela ne constituait pas non plus de la persécution.

 

            v)         Les demandes présentées par les autres demandeurs

[87]           Les demandes d’asile présentées par la femme et le fils de M. Hinzman étaient fondées sur leur statut de membres de sa famille. La Commission a jugé qu’il n’y avait pas de preuve donnant à penser qu’ils seraient en danger aux États‑Unis, même si M. Hinzman devait être condamné à une peine d’emprisonnement. Dans la mesure où ils se sont fondés sur les éléments de preuve présentés par M. Hinzman pour établir le bien‑fondé de leurs demandes, le fait que M. Hinzman n’ait pas réussi à démontrer le bien‑fondé de sa demande a été fatal aux demandes présentées par les membres de sa famille immédiate.

 

V.        Les questions en litige

[88]           Les questions en litige que les demandeurs ont soulevées devant la Cour peuvent être examinées sous les intitulés suivants :

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant que les éléments de preuve relatifs à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak n’étaient pas pertinents à la décision que devait prendre la Section de la protection des réfugiés aux termes du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en jugeant que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir que les violations du droit humanitaire international commises par l’armée américaine en Irak avaient un caractère systématique ou étaient tolérées par l’État?

3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en imposant un fardeau trop lourd aux demandeurs, à savoir celui de démontrer que M. Hinzman aurait lui‑même participé à la perpétration d’actes illégaux s’il était allé en Irak?

4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse des questions touchant la protection de l’État et la persécution?

 

[89]           En outre, il conviendra d’examiner la question de la norme de contrôle appropriée à chacune de ces questions.

 

VI.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur en statuant que les éléments de preuve relatifs à la prétendue illégalité de l’action militaire américaine en Irak n’étaient pas pertinents à la décision que devait prendre la Section de la protection des réfugiés aux termes du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

 

[90]           Avant d’aborder les arguments que les demandeurs ont présentés sur ce point, il importe de mentionner que le paragraphe 171 du Guide ne peut être examiné de façon isolée; il doit être analysé à la lumière des autres dispositions du Guide qui traitent des « Déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience ».

 

[91]           En particulier, pour procéder à cette analyse, il convient de lire le paragraphe 171 avec le paragraphe 170. Les deux paragraphes sont reproduits ici pour la commodité du lecteur :

170. Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

 

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

            i)          La thèse des demandeurs

[92]           Les demandeurs affirment que les éléments de preuve qu’ils souhaitaient présenter au sujet de la prétendue illégalité de la guerre lancée par les Américains en Irak leur auraient permis d’établir que « l’action militaire » à laquelle M. Hinzman ne voulait pas être associé – à savoir la guerre en Irak – était une action « condamné[e] par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires ».

 

[93]           S’ils avaient réussi à établir ce fait, les demandeurs affirment que la peine que M. Hinzman risquait de se voir imposer en raison de son refus de servir dans l’armée des États‑Unis aurait constitué de la persécution et que, par conséquent, les demandeurs auraient eu droit à la protection accordée aux réfugiés.

 

[94]           D’après les demandeurs, la Commission a commis une erreur de droit et a irrégulièrement limité son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a jugé que seule la légalité des activités militaires que M. Hinzman aurait été amené à exercer, et non pas celle du conflit pris dans son ensemble, concernait son enquête.

 

[95]           Autrement dit, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le « type d’action militaire » mentionné au paragraphe 171 fait référence aux violations « sur le terrain » du droit humanitaire international régissant la conduite des actions au cours d’un conflit armé (jus in bello) et non aux violations du droit international concernant le recours à la force et la prévention de la guerre (jus ad bellum).

 

[96]           En outre, la Commission a jugé que la décision de lancer une guerre était essentiellement de nature politique et que celle‑ci n’avait pas le droit de juger les politiques étrangères des autres pays; les demandeurs soutiennent cependant que la légalité d’une guerre donnée est tout simplement une question juridique et non pas politique.

 

[97]           Les demandeurs affirment en outre que la Commission a le pouvoir – un pouvoir qu’elle exerce régulièrement – de se prononcer sur la légalité de guerres particulières lorsqu’elle doit décider si des demandeurs d’asile doivent être exclus de la protection accordée aux réfugiés en raison de leur participation à des crimes contre la paix.

 

[98]           Enfin, les demandeurs invoquent les arrêts Al‑Maisri c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 642, de la Cour d’appel fédérale et Krotov c. Secretary of State for the Home Department, [2004] EWCA Civ 69, de la Cour d’appel de l’Angleterre et du pays de Galles (division civile), pour affirmer que la participation à une guerre non défensive (c.‑à‑d. illégale) permet à un demandeur d’asile d’invoquer utilement l’article 171 du Guide.

 

            ii)         La question préliminaire

[99]           Avant d’examiner l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 171 du Guide, il se pose la question préalable de savoir si l’erreur qu’a pu commettre la Commission sur ce point a joué un rôle déterminant dans l’issue des demandes présentées par les demandeurs.

 

[100]       Sur ce point, l’avocat du ministre soutient que, compte tenu des éléments de preuve présentés par la suite à la Commission au sujet de la nature exacte des objections personnelles qu’entretenait M. Hinzman à l’égard de sa participation à la guerre en Irak, il est apparu que la question de savoir si l’action militaire lancée par les Américains en Irak avait été sanctionnée par une résolution du Conseil de sécurité ne touchait aucunement l’issue de la présente affaire.

 

[101]       Nous allons maintenant examiner cette question.

 

iii)        Compte tenu des éléments de preuve présentés à la Commission, la question de savoir si l’action militaire menée par les Américains en Irak avait été autorisée par une résolution du Conseil de sécurité était‑elle finalement pertinente à l’issue de la présente affaire?

 

[102]       Les éléments de preuve contestés portaient principalement sur la prétendue illégalité de l’action militaire menée par les Américains en Irak, et découlaient en grande partie de l’absence de résolution du Conseil de sécurité autorisant l’emploi de la force dans ce pays.

 

[103]       Il ressort des éléments de preuve que M. Hinzman est allé en Afghanistan en pensant que l’action militaire américaine dans ce pays était justifiée, même s’il ne savait pas, et bien évidemment ne se souciait pas de savoir, si cette action avait été autorisée par une résolution du Conseil de sécurité.

 

[104]       Pour ce qui est de la guerre en Irak, les éléments de preuve n’indiquent pas clairement si M. Hinzman savait si l’action militaire américaine dans ce pays avait été autorisée par une résolution du Conseil de sécurité à l’époque où il a pris la décision de déserter. Ce qui ressort toutefois clairement des éléments de preuve, c’est que l’absence d’une telle résolution n’a pas influencé sa décision.

 

[105]       Il apparaît donc que la conviction de M. Hinzman selon laquelle la guerre en Irak était immorale n’était pas fondée sur le fait que le Conseil de sécurité n’avait pas autorisé l’intervention dirigée par les Américains dans ce pays. M. Hinzman a lui‑même déclaré devant la Commission que si une telle résolution avait été adoptée, cela n’aurait pas nécessairement changé son opinion selon laquelle la guerre en Irak était illégale et immorale; à ses yeux, l’intervention américaine en Irak était immorale [traduction] « quelle qu’en soit la légalité ».

 

[106]       Faut‑il en déduire nécessairement que les éléments de preuve contestés n’étaient pas pertinents à la demande d’asile de M. Hinzman?

 

[107]       Pour répondre à cette question, il faut comprendre l’effet conjugué des paragraphes 170 et 171 du Guide.

 

[108]       Le paragraphe 170 parle de la nature et de l’authenticité des convictions personnelles et subjectives de la personne concernée, tandis que le paragraphe 171 parle du statut objectif de « l’action militaire » en question. Cela signifie que, pour être visé par le paragraphe 170 du Guide, le demandeur doit refuser de servir dans l’armée en raison de ses convictions politiques, religieuses ou morales ou pour des raisons de conscience valables. En l’espèce, la Commission a admis que M. Hinzman entretenait des objections véritablement sincères et profondes à l’égard de la guerre en Irak et cette conclusion n’est pas contestée ici.

 

[109]       M. Hinzman a donc démontré qu’il était visé par le paragraphe 170 du Guide. Cela ne lui donne toutefois pas droit à la protection accordée aux réfugiés, étant donné que le paragraphe 171 énonce clairement qu’une conviction morale ou politique authentique ne permet pas toujours de justifier une demande de statut de réfugié. Le paragraphe 171 exige qu’il existe également des éléments de preuve objectifs démontrant que « le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires ».

 

[110]       Ainsi, s’il est peut‑être vrai que l’existence ou l’absence d’une résolution du Conseil de sécurité autorisant le recours à la force à Irak n’a pas été un facteur déterminant dans l’acquisition par M. Hinzman d’une conviction personnelle que la guerre en Irak était illégale, il n’en résulte pas automatiquement que les éléments de preuve relatifs à l’absence d’une telle résolution ne sont pas pertinents à la question de savoir s’il répond au critère objectif énoncé au paragraphe 171.

 

[111]       Par conséquent, il y a tout de même lieu de déterminer si la Commission a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 171 du Guide. Plus précisément, il convient de décider si, dans les circonstances de l’affaire, l’expression « type d’action militaire » concerne uniquement les actions menées « sur le terrain » ou si elle fait référence à la légalité de la guerre elle‑même, auquel cas les éléments de preuve contestés auraient effectivement été pertinents. C’est la question que nous allons aborder maintenant.

 

            iv)        Le paragraphe 171 du Guide – La norme de contrôle

[112]       Pour examiner cette question, je dois d’abord décider quelle est la norme de contrôle applicable à cet aspect de la décision de la Commission. Pour ce faire, il convient d’identifier la nature de la question que la Commission était amenée à trancher sur ce point.

 

[113]       Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, pour décider si les éléments de preuve contestés auraient pu être utiles aux demandeurs en faisant en sorte que M. Hinzman soit visé par l’exception créée au paragraphe 171 du Guide, la question que la Commission était appelée à trancher était celle de savoir si, dans les circonstances de l’affaire, l’expression « type d’action militaire » concernait uniquement des actions menées « sur le terrain » ou également la légalité de la guerre elle‑même. Il s’agit là d’une question de droit qui doit donc être examinée en fonction de la norme de la décision fondée : voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.S. no 39, 2005 CSC 40, au par. 37, arrêt dans lequel la Cour suprême du Canada a récemment réaffirmé que les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur des questions de droit devaient être examinées selon la norme de la décision fondée.

 

[114]       La norme de contrôle appropriée ayant ainsi été précisée, je vais maintenant examiner les arguments des demandeurs au sujet de l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 171 du Guide du HCNUR.

 

            v)         Le statut et l’objet du Guide du HCNUR

[115]       Avant d’examiner ces arguments, il convient toutefois de commencer par examiner le rôle que joue le Guide dans le traitement des demandes d’asile au Canada.

 

[116]       Dans Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.S. no 78, la Cour suprême du Canada a déclaré que le Guide :

[...] résulte de l’expérience acquise relativement aux procédures et critères d’admission appliqués par les États signataires. Ce guide, souvent cité, a été approuvé par les États membres du Comité exécutif du HCNUR, y compris le Canada, et il est utilisé, à titre indicatif, par les tribunaux des États signataires. En conséquence, le Guide du HCNUR doit être considéré comme un ouvrage très pertinent dans l’examen des pratiques relatives à l’admission des réfugiés. [au par. 46]

 

 

[117]       Il est également nécessaire de comprendre l’objet qui sous‑tend le paragraphe 171. Sur ce point, les dispositions du Guide traitant de l’objection de conscience et de la désertion reconnaissent que, règle générale, la peine découlant de la violation d’une loi nationale d’application générale interdisant la désertion ne constitue pas nécessairement de la persécution, même si la désertion est motivée par une objection de conscience sincère.

 

[118]       Il existe toutefois des exceptions à cette règle – dans le cas, par exemple, où la peine susceptible d’être imposée à la personne concernée est disproportionnée ou lorsque celle‑ci risque une peine plus sévère en raison de sa race, de sa religion ou d’autres caractéristiques personnelles semblables.

 

[119]       Le paragraphe 171 du Guide crée une autre exception à la règle générale, qui a été décrite comme étant [traduction] « le droit de refuser de persécuter les autres » : voir Mark R. von Sternberg, The Grounds of Protection in the Context of International Human Rights and Humanitarian Law: Canadian and United States Case Law Compared (The Hague; New York: Martinus Nijhoff, 2002), aux p. 124 et 133.

 

[120]       Cela signifie que la structure de la Convention relative au statut des réfugiés, R.T.N.U. 150 entrée en vigueur le 22 avril 1954, y compris les motifs d’exclusion, exige que le paragraphe 171 du Guide soit interprété de façon à permettre aux demandeurs d’asile de refuser de participer à des actions militaires qui en feraient des « persécuteurs » et qui les priveraient de la protection qu’accorde la Convention : von Sternberg, à la p. 133.

 

[121]       Autrement dit, le paragraphe 171 a pour effet d’accorder la protection à titre de réfugié aux personnes qui violent les lois nationales d’application générale si le respect de ces lois amènerait l’individu concerné à violer les normes internationales généralement acceptées : Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, 2e édition (Buttersworth), aux par. 8‑212.

 

[122]       L’interprétation du paragraphe 171 du Guide à la lumière des dispositions de la Convention sur les réfugiés en matière d’exclusion est d’ailleurs la méthode que préconise le Conseil de l’Union européenne. Comme la Chambre des lords anglaise l’a fait observer dans Sepet and Another c. Secretary of State for the Home Department, [2003] UKHL 15, [2003] 3 All. E.R. 304, la position conjointe adoptée par le Conseil de l’Union européenne sur l’application harmonisée de l’expression « réfugié » est que l’asile peut être accordé pour des motifs de conscience dans les cas de désertion lorsque l’exécution par la personne en cause de ses obligations militaires amènerait celle‑ci à participer à des activités visées par les dispositions d’exclusion de l’article 1F de la Convention sur les réfugiés. (Voir Sepet, au par. 14.)

 

[123]       Je reconnais que je ne suis pas liée par les opinions du Conseil de l’Union européenne, mais celles‑ci reflètent néanmoins l’état de l’opinion internationale sur cette question.

 

[124]       Une telle interprétation des dispositions du paragraphe 171 est également conforme à la jurisprudence canadienne dominante sur cette question. La décision canadienne qui fait autorité sur cette question est sans doute l’arrêt Zolfagharkhani, cité plus haut, de la Cour d’appel fédérale.

 

[125]       Dans Zolfagharkhani, il s’agissait d’une demande d’asile présentée par un Kurde iranien qui avait déserté l’armée iranienne parce que le gouvernement iranien avait l’intention d’utiliser des armes chimiques dans la guerre civile qu’il livrait aux Kurdes. L’utilisation d’armes chimiques avait clairement été condamnée par la communauté internationale, comme le montraient les conventions internationales comme la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, rés. de l’A.G. 65, U.N. GAOR, 48e sess., Supp. no 49 à 68, Doc. NU A/48/40 (1993), 1015 R.T.N.U. 163, entrée en vigueur le 25 mars 1975.

 

[126]       Même si le demandeur occupait le poste de travailleur paramédical dans l’armée iranienne et qu’il n’aurait ainsi pas été directement responsable de l’utilisation d’armes chimiques, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’il aurait pu néanmoins être amené à aider les soldats iraniens involontairement exposés à des produits chimiques. Le travail qu’effectuait M. Zolfagharkhani comme travailleur paramédical l’aurait ainsi amené à participer concrètement à la réalisation des objectifs des forces iraniennes en aidant les auteurs de violations du droit humanitaire international à lutter contre les effets secondaires d’armes illégales.

 

[127]       La Cour d’appel fédérale a ensuite fait remarquer que ce type de participation aurait pu empêcher M. Zolfagharkhani de bénéficier de la protection accordée aux réfugiés parce qu’il aurait ainsi commis un crime international. La Cour a donc jugé que les dispositions du paragraphe 171 du Guide lui étaient applicables.

 

[128]       La Cour d’appel fédérale est revenue sur cette question l’année suivante dans Diab c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1277. Dans Diab, la Cour a encore fait droit à l’appel d’un demandeur d’asile qui avait refusé de participer à des activités militaires assimilables à des crimes contre l’humanité.

 

[129]       Dans Radosevic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 74, la Cour a rejeté une demande de contrôle judiciaire pour le motif que, d’après la preuve, il était peu probable que le demandeur aurait été personnellement amené à commettre des atrocités.

 

[130]       Ces affaires établissent donc clairement que le fait de participer directement à des actions militaires qui constituent des violations du droit humanitaire international, ou en être complice, rend applicable au demandeur d’asile l’exception envisagée par le paragraphe 171 du Guide. Il est toutefois plus difficile de savoir si le seul fait de participer en qualité de fantassin à une guerre d’agression illégale permettrait au demandeur d’asile de bénéficier de cette disposition.

 

[131]       Comme je l’ai noté plus haut, les demandeurs se fondent sur les arrêts Al‑Maisri de la Cour d’appel fédérale et Krotov de la Cour d’appel d’Angleterre, tous deux cités ci‑dessus, pour affirmer que le seul fait de participer à une guerre non défensive (c.‑à‑d. illégale) rend explicitement applicable à un demandeur d’asile le paragraphe 171 du Guide.

 

[132]       Je vais d’abord examiner l’arrêt Krotov. Les deux parties invoquent principalement cette affaire à l’appui de leurs arguments respectifs et il y a donc lieu d’examiner de près ce que la décision dit exactement. Cet examen révèle que, lue dans son ensemble et interprétée équitablement, la décision conforte l’interprétation du paragraphe 171 exposée aux paragraphes précédents.

 

[133]       Dans Krotov, il s’agissait d’une demande d’asile présentée par un citoyen russe qui avait refusé de faire son service militaire. M. Krotov s’opposait à la participation de son pays à la guerre en Tchétchénie parce qu’il estimait que cette guerre était menée pour des motifs politiques et parce que cela allait contre sa conscience.

 

[134]       La Cour d’appel a examiné l’appel du rejet de la demande de M. Krotov et émis l’opinion que le critère du paragraphe 171 est finalement celui de savoir si la conduite en question est contraire au droit international ou au droit humanitaire international, plutôt que condamnée par la communauté internationale, aspect qui fait appel à une analyse davantage axée sur les aspects politiques.

 

[135]       La Cour a jugé que la formulation de ce critère en termes d’actions contraires au droit international ou aux normes de droit humanitaire international applicables en temps de guerre est également conforme à l’économie générale de la Convention relative aux réfugiés, en particulier compte tenu des dispositions de la Convention en matière d’exclusion.

 

[136]       La Cour a déclaré ce qui suit sur ce point :

[traduction]

On peut fort bien soutenir que, tout comme le demandeur d’asile ne peut obtenir le statut de réfugié s’il a commis des crimes internationaux au sens de la [Convention], il ne devrait pas non plus se voir refuser le statut de réfugié si, en retournant dans son pays d’origine, il serait obligé de participer à la perpétration de crimes internationaux de ce genre, et d’aller ainsi à l’encontre de ses convictions authentiques et de sa conscience. [au par. 39]

 

 

 

[137]       La Cour a également fait remarquer que les demandes fondées sur la crainte de participer à des crimes contre l’humanité devraient se limiter aux affaires où il existe :

[traduction]

[…] une crainte raisonnable de la part de l’objecteur qu’il sera personnellement amené à participer à de tels actes, plutôt qu’à une manifestation générale de crainte ou d’opinion fondée sur les exemples rapportés d’excès individuels du genre qui se produit presque inévitablement au cours d’un conflit armé mais qui ne sont pas assimilables à la perpétration d’une série d’actes inhumains commis parce que la politique de l’État en question les autorise ou les tolère. [au par. 40, non souligné dans l’original.]

 

 

 

[138]       La Cour d’appel en est arrivée à cette conclusion en se fondant notamment sur l’arrêt Sepet and Bulbul c. Secretary of State for the Home Department, [2001] EWCA Civ 681, [2001] INLR 376 [confirmé par la suite par la Chambre des lords, cité ci‑dessus], dans lequel la Cour a déclaré :

[traduction]

[…] il est clair (et même incontestable) qu’il y a des cas où un objecteur de conscience pourrait à juste titre soutenir que le fait d’être puni pour avoir refusé de faire son service militaire constituerait de la persécution; lorsque le service militaire qu’il devait accomplir risque de l’amener à s’associer à des actes qui sont contraires aux règles fondamentales de la conduite humaine; lorsque les conditions dans lesquelles s’effectue le service militaire sont elles‑mêmes si dures qu’elles constituent de la persécution dans cette situation; lorsque la peine en question est d’une sévérité disproportionnée. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[139]       Dans Krotov, la Cour a conclu en élaborant un critère à trois volets applicable aux affaires de ce genre. Elle a déclaré qu’il convenait d’établir les éléments suivants :

[traduction]

1.  Le niveau et la nature du conflit, ainsi que l’attitude des autorités gouvernementales compétentes, sont tels que les combattants sont ou peuvent être tenus de commettre des actes contraires aux règles fondamentales de conduite de façon généralisée et généralement reconnues par la communauté internationale;

2.  Les combattants sont punis s’ils refusent de commettre de tels actes;

3.  Le fait de désapprouver ces méthodes et de craindre ce genre de peine est la véritable raison à l’origine du refus du demandeur d’asile de participer au conflit en question.

 

 

 

[140]       Il est vrai que, dans Krotov, la Cour d’appel a déclaré que le critère devrait être formulé en termes d’actes contraires à la fois au droit humanitaire international et au droit international. D’après les demandeurs, cette affirmation vient étayer leur argument selon lequel M. Hinzman serait visé par le paragraphe 171 du Guide s’il participait à une guerre illégale.

 

[141]       Comme je l’expliquerai plus loin dans la présente décision, j’estime que le refus de participer à la commission d’un crime contre la paix pourrait effectivement déclencher l’application du paragraphe 171 à un responsable du gouvernement ou des forces armées. Il ne peut y avoir de crime contre la paix sans que l’État en question ait commis une violation du droit international : R. c. Jones, [2006] UKHL 16, au par. 16. Par conséquent, dans le cas d’un responsable, la légalité de la guerre en question pourrait fort bien être pertinente à sa demande.

 

[142]       Cela présuppose toutefois que le poste qu’occupe l’individu en question et la nature de sa participation sont tels qu’il pourrait être reconnu coupable de complicité d’un crime contre la paix. Les crimes contre la paix ont été qualifiés de « crimes des dirigeants » : Jones, précité, au par. 16. Cela veut dire que seules les personnes ayant le pouvoir de planifier, préparer, déclencher et mener une guerre d’agression peuvent être déclarées coupables de crimes contre la paix. M. Hinzman n’appartenait pas à cette catégorie. Par conséquent, j’estime que les références à des violations du droit international que l’on trouve dans Krotov ne lui sont d’aucun secours.

 

[143]       J’en arrive à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Al‑Maisri c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), citée précédemment. M. Al‑Maisri était un citoyen yéménite, le Yémen étant un des rares pays qui a appuyé l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990. M. Al‑Maisri était prêt à se battre pour protéger son pays contre une agression étrangère mais n’était pas disposé à lutter pour défendre l’Irak, dans un conflit marqué par des prises d’otages et les mauvais traitements infligés au peuple koweitien. Il a donc déserté, est venu au Canada et a demandé l’asile.

 

[144]       La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Al‑Maisri en décidant qu’au Yémen, il risquait d’être poursuivi mais pas d’être persécuté. Il a été fait droit à l’appel qu’il avait interjeté devant la Cour d’appel fédérale, la Cour ayant jugé que la Commission avait mal appliqué la directive contenue dans le paragraphe 171 du Guide lorsqu’elle a déclaré que l’invasion du Koweït par l’Irak n’avait pas été condamnée par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, même si l’invasion avait été condamnée par les Nations Unies. La Cour a cité le passage suivant de l’ouvrage du professeur Hathaway intitulé The Law of Refugee Status (Toronto: Butterworths, 1991) :

[traduction]

[…] Il y a diverses activités militaires qui ne sont tout simplement jamais justifiées, parce qu’elles violent les normes internationales. Entrent dans cette catégorie les actions militaires visant à porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne, les opérations qui violent les normes posées dans la Convention de Genève en ce qui concerne la conduite d’une guerre, et les incursions non défensives en territoire étranger. Lorsqu’une personne refuse d’accomplir un service militaire qui est contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, « la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

[145]       La Cour d’appel fédérale a ensuite tranché l’appel en formulant l’observation suivante :

Sur le fondement de ces opinions, dont la justesse n’a pas été contestée, je suis persuadé que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en concluant que les actions de l’Irak n’étaient pas contraires aux règles de conduite les plus élémentaires. En conséquence, j’estime que la peine prévue pour la désertion qui serait probablement infligée au requérant s’il devait retourner au Yémen équivaudrait, indépendamment de la nature de cette peine, à une persécution que l’appelant a raison de craindre de subir. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[146]       Il est donc possible de soutenir que, selon Al‑Maisri, une incursion de nature non défensive dans un territoire étranger constitue une action militaire condamnée par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires et que, par conséquent, toute peine infligée au déserteur constituerait de la persécution en soi.

 

[147]       Le ministre affirme que l’arrêt Al-Maisri ne devrait pas être suivi, étant donné qu’il constitue, selon les termes utilisés par l’avocat, un précédent douteux à l’appui de la prétention selon laquelle le désir d’éviter de participer à une guerre illégale suffit à justifier l’octroi de l’asile à un déserteur. En outre, l’avocat soutient que des éléments de preuve relatifs à des violations des droits de la personne sous la forme de prises d’otages et de mauvais traitements infligés au peuple koweitien avaient été présentées à la Cour et qu’il est difficile de savoir exactement le rôle qu’ont joué dans la décision de la Cour ces violations « sur le terrain » du droit humanitaire international. L’avocat note également que, dans Al‑Maisri, la Cour ne cite aucune jurisprudence pour appuyer ses conclusions. Il fait en outre remarquer que cette affaire n’a été examinée qu’une seule fois en plus de dix ans : voir Zuevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 453.

 

[148]       Il me paraît impossible d’écarter un arrêt de la Cour d’appel pour de tels motifs. Je ne peux non plus adopter la position de la Commission et refuser de suivre cette décision parce que j’entretiens certains doutes sur ses fondements. Cela dit, un examen détaillé de cet arrêt indique que la Cour d’appel fédérale n’a pas été amenée à examiner la question précise qui est soumise à la Cour en l’espèce, à savoir si, dans le cas d’une demande présentée par un simple fantassin comme M. Hinzman, la légalité ou l’illégalité du conflit militaire en question doit être prise en compte dans l’analyse effectuée aux termes du paragraphe 171 du Guide.

 

[149]       Par conséquent, j’estime que l’arrêt Al-Maisri est d’une utilité limitée en l’espèce.

 

[150]       Pour ces motifs, je suis convaincue qu’il y a lieu d’interpréter le paragraphe 171 du Guide à la lumière des dispositions de la Convention sur les réfugiés en matière d’exclusion, de sorte que l’asile puisse être accordé à ceux qui violent des lois nationales d’application générale lorsque le respect de ces lois les amènerait à violer les normes internationales généralement acceptées.

 

[151]       Si l’on admet qu’il y a lieu d’interpréter le paragraphe 171 du Guide de cette façon, il faut alors se demander si M. Hinzman risquait de se voir refuser la protection accordée aux réfugiés pour le simple fait d’avoir participé à la guerre en Irak, dans le cas où l’action militaire menée par les Américains dans ce pays serait en fait illégale. J’examinerai maintenant cette question.

 

            vi)        La culpabilité individuelle à l’égard des crimes contre la paix

[152]       L’alinéa 1(F)a) de la Convention sur les réfugiés refuse toute protection aux personnes à l’égard desquelles il existe des motifs sérieux de croire qu’elles ont commis des crimes contre le paix, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Les demandeurs affirment que si M. Hinzman avait participé à la guerre en Irak, il aurait été complice d’un crime contre la paix et se serait donc vu refuser le bénéfice de la protection de la Convention.

 

[153]       L’examen de la jurisprudence sur ce point ne justifie pas cette affirmation.

 

[154]       Tout d’abord, il n’a pas été affirmé en l’espèce que l’armée des États‑Unis est une organisation qui recherche principalement des fins limitées et brutales de sorte que le seul fait d’appartenir à cette organisation indique qu’il y a eu participation personnelle et consciente à des crimes internationaux : voir Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.).

 

[155]       En outre, en 1945, la Charte du Tribunal international de Nuremberg définissait les éléments de l’infraction de « crime contre la paix » comme étant « la direction, la préparation, la déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression ou d’une guerre de violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent » : cité en anglais par Michael J. Davidson dans War and the Doubtful Soldier, 19 ND J.L. Ethics & Pub Pol’y 91, à la p. 123.

 

[156]       Depuis cette époque, la jurisprudence élaborée par les juridictions internationales, notamment celles qui ont examiné des accusations de crimes contre la paix découlant d’actions militaires en Europe et en Extrême‑Orient au cours de la Seconde Guerre mondiale, a précisé les cas dans lesquels un individu peut se voir imputer un crime contre la paix.

 

[157]       En résumé, la jurisprudence indique qu’un individu doit occuper un poste de décision pour pouvoir être déclaré coupable d’un crime contre la paix : voir Davidson, ci‑dessus, aux p. 122 à 124, et les études effectuées pour la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale (les « études Princeton »), documents des Nations Unies PCNICC/2002/WGCA/L.1, et PCNICC/2002/WGCA/L.1/Add.1.

 

[158]       Un simple fantassin comme M. Hinzman n’est pas tenu de se prononcer personnellement sur la légalité du conflit dans lequel il peut être amené à se battre. De la même façon, une personne dans cette situation ne peut être déclarée pénalement responsable pour la seule raison qu’elle a combattu dans le cadre d’une guerre illégale, en tenant pour acquis que son comportement personnel en temps de guerre a été, pour le reste, régulier : Davidson, ci‑dessus, à la p. 125. Voir également François Bugnion, Guerre juste, guerre d’agression et droit international humanitaire, Revue internationale de la Croix‑Rouge, n847, vol. 84, p. 523.

 

[159]       Il semble donc que la légalité d’une action militaire particulière pourrait être pertinente à la demande d’asile présentée par une personne qui occupait un poste de décision au cours du conflit en question et qui souhaitait éviter toute participation à la perpétration d’un crime contre la paix. Toutefois, l’illégalité d’une action militaire particulière ne rendra pas les simples fantassins qui participent au conflit complices de crimes contre la paix.

 

[160]       Par conséquent, l’argument des demandeurs selon lequel, si M. Hinzman avait participé à la guerre en Irak, il aurait été complice d’un crime contre la paix et devrait donc bénéficier de la protection prévue par le paragraphe 171 du Guide est mal fondé.

 

            vii)       Autre caractère pertinent possible des éléments de preuve contestés

[161]       Enfin, même si M. Hinzman ne s’est jamais déclaré préoccupé par l’éventualité d’avoir à commettre des violations du droit humanitaire international s’il était allé en Irak, les demandeurs soutiennent néanmoins que les éléments de preuve relatifs à l’illégalité de la guerre en Irak étaient pertinents à leurs demandes, étant donné que la volonté du président des États‑Unis de ne pas tenir compte du droit international et l’illégalité de l’action militaire des Américains en Irak qui en est résulté renforçaient la probabilité que M. Hinzman ait été amené à participer à des violations du droit humanitaire international s’il s’était effectivement rendu en Irak.

 

[162]       Les demandeurs affirment que le fait que les États‑Unis auraient agi sans tenir aucunement compte du droit international lorsqu’ils ont décidé d’intervenir en Irak indique que les membres des forces armées américaines risquaient davantage d’agir en toute impunité une fois rendus sur place.

 

[163]       La Commission a jugé que cet argument était de nature purement hypothétique, conclusion à laquelle je souscris.

 

            viii)      Conclusion

[164]       Pour ces motifs, je suis convaincue que, dans le cas d’un fantassin comme M. Hinzman, l’appréciation de « l’action militaire » qui doit être effectuée conformément au paragraphe 171 du Guide porte sur la conduite « sur le terrain » du soldat en question et non pas sur la légalité de la guerre elle‑même.

 

[165]       Par conséquent, je suis convaincue que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a statué que les éléments de preuve relatifs à la prétendue illégalité de l’action militaire menée par les Américains en Irak n’étaient pas pertinentes à la décision que devait prendre la Section de la protection des réfugiés dans la présente affaire, en conformité avec le paragraphe 171 du Guide du HCNUR.

 

[166]       Lorsqu’on examine le cas d’un simple soldat d’infanterie comme M. Hinzman, l’enquête devrait porter sur les règles du jus in bello, c’est‑à‑dire le droit humanitaire international qui régit la conduite des hostilités au cours d’un conflit armé. Dans ce contexte, la Commission aura à examiner la nature des tâches que la personne en question a été amenée, ou serait probablement amenée, à exécuter « sur le terrain ».

 

[167]       Cela nous amène à la deuxième question soulevée par les demandeurs.

 

VII.     La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que les violations du droit humanitaire international commises par l’armée américaine en Irak étaient systématiques ou tolérées par cet État?

 

[168]        La Commission a jugé que les éléments de preuve présentés ne démontraient pas que les États‑Unis « que ce soit par une politique délibérée ou par l’indifférence des autorités [avaient] exigé de leurs combattants qu’ils commettent des actions généralisées de violation du droit humanitaire ou les y ont autorisées », c’est‑à‑dire que les violations du droit humanitaire international qu’ont commises les soldats américains en Irak étaient systématiques ou tolérées par l’État. Il s’agit là d’une conclusion de fait qui doit donc être examinée selon la norme du caractère manifestement déraisonnable : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au par. 40, et Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

 

[169]       Il est généralement accepté que les violations isolées du droit humanitaire international constituent un aspect regrettable mais inévitable des conflits : voir Krotov, au par. 40. Voir également Popov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 489.

 

[170]       Comme la Cour d’appel britannique l’a noté dans Krotov, au par. 51, l’asile ne devrait être accordé qu’aux déserteurs ayant participé à des conflits armés dans lesquels l’ampleur et la nature du conflit, et l’attitude du gouvernement en cause, sont tels que les combattants sont tenus, ou peuvent être tenus, de violer, sur une base suffisamment généralisée, les règles de conduite les plus élémentaires (voir également Popov, précité).

 

[171]       En l’espèce, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas comme elle l’aurait dû les éléments de preuve présentés au sujet de l’allégation selon laquelle il y aurait eu des violations systématiques du droit humanitaire international commises par les membres des forces armées américaines en Irak et ailleurs, et n’a pas examiné comme elle l’aurait dû la preuve indiquant que le gouvernement américain tolérait ces violations des droits de la personne.

 

[172]       À l’appui de leur argument selon lequel M. Hinzman aurait fort bien pu être amené à commettre des violations des droits de la personne s’il était allé en Irak, les demandeurs se fondent en partie sur les éléments de preuve concernant la situation dans l’établissement carcéral de Guantanamo, à Cuba, et dans la prison d’Abu Ghraib, en Irak, ainsi que sur la prétendue omission du gouvernement américain de respecter les dispositions de la Convention de Genève (III) relative au traitement des prisonniers de guerre, 75 R.T.N.U. 135, entrée en vigueur le 21 octobre 1950, dans le traitement accordé aux personnes détenues dans ces établissements.

 

[173]       Les demandeurs invoquent en particulier deux avis juridiques préparés à l’intention du président des États‑Unis par le bureau du procureur général en janvier et août 2002 (les « avis Gonzales »). Ces avis portent sur la constitutionnalité des dispositions légales américaines visant à mettre en œuvre la Convention des Nations Unies contre la torture, citée plus haut, lorsqu’elles sont appliquées à l’interrogatoire de « combattants ennemis » conformément au pouvoir qu’exerce le président des États‑Unis en qualité de commandant en chef des forces armées américaines.

 

[174]       D’après les demandeurs, ces documents démontrent que les États‑Unis se sont conduits avec une impunité relative et ont manifesté un mépris complet pour les normes internationales dans la conduite qu’ils ont adoptée sur les divers fronts de leur prétendue « guerre contre la terreur ».

 

[175]       En règle générale, la Commission n’est pas tenue de faire référence à tous les éléments de preuve et est présumée avoir fondé sa décision sur l’ensemble de la preuve présentée : Woolaston c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102, et Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946, 1992, 147 N.R. 317.

 

[176]       En l’espèce, la Commission a effectivement analysé la preuve présentée de façon détaillée. Tout en reconnaissant que les soldats américains ont commis des violations du droit humanitaire international en Irak et ailleurs, la Commission a fait remarquer que la preuve démontrait que les civils n’avaient pas été délibérément ciblés par les forces armées américaines et que les cas de violations des droits de la personne commises par le personnel militaire américain faisaient l’objet d’enquêtes et que les coupables étaient punis.

 

[177]       Il est vrai que la Commission n’a pas expressément fait référence aux avis Gonzales dans ses motifs. Il est également vrai que, plus les éléments de preuve qui ne sont pas expressément mentionnés et analysés dans une décision sont importants, les tribunaux sont davantage disposés à déduire de ce silence que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans avoir tenu compte de ces éléments : Cepeda‑Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35, au par. 14 à 17.

 

[178]       La teneur des avis Gonzales est indubitablement troublante, mais il ne faut pas perdre de vue la nature de ces documents. Il s’agit simplement d’avis juridiques préparés à l’intention du président des États‑Unis. Ils ne représentent pas un énoncé de la politique américaine. En conséquence, je ne suis pas convaincue que la valeur probante des avis Gonzales est telle que l’omission de la part de la Commission de les mentionner expressément dans sa décision constitue une erreur sujette à révision.

 

VIII.    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en imposant un fardeau trop lourd aux demandeurs, à savoir celui de démontrer que M. Hinzman aurait lui‑même participé à la perpétration d’actes illégaux s’il était allé en Irak?

           

[179]       Les demandeurs contestent la conclusion de la Commission selon laquelle M. Hinzman :

[…] n’a pas établi que, s’il avait été déployé en Irak, il aurait participé et été associé à une action militaire, et en aurait été complice, action militaire condamnée par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires. [au par. 21, non souligné dans l’original.]

 

 

 

[180]       Les demandeurs affirment qu’en tirant cette conclusion, la Commission a commis une erreur en leur imposant un fardeau trop lourd, à savoir celui d’établir que M. Hinzman aurait lui‑même participé à des violations du droit humanitaire internationale. D’après les demandeurs, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 67, établit qu’il leur suffisait de prouver qu’il existait plus qu’une simple possibilité que de tels événements se produisent.

 

[181]       La question de savoir quelle est la norme de preuve appropriée dans une affaire donnée est une question de droit et doit donc être examinée en fonction de la norme de la décision fondée : Mugesera, citée précédemment, au par. 37.

 

[182]       Ayant cette règle à l’esprit, je suis convaincue que la Commission a appliqué la norme de preuve appropriée lorsqu’elle s’est prononcée sur ce point.

 

[183]       Selon la décision Adjei, il suffit que le demandeur d’asile démontre qu’il existe davantage qu’une simple possibilité qu’il subisse de la persécution dans son pays d’origine à l’avenir. Ce n’est pas la question que tranchait la Commission dans le paragraphe contesté.

 

[184]       Il convient de faire une distinction entre le critère juridique applicable à l’appréciation du risque de persécution futur et la norme de preuve applicable aux faits sous‑jacent à la demande d’asile. Le critère juridique en matière de persécution exige simplement que l’intéressé établisse davantage qu’une simple possibilité qu’il fasse l’objet de persécution à l’avenir, mais la norme de preuve applicable aux faits sous‑jacents à la demande est celle de la prépondérance des probabilités : Adjei, à la p. 682. Voir également Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1, 2005 CAF 1 aux par. 9 à 14 et 29.

 

[185]       Autrement dit, lorsque, par exemple, une femme demande l’asile en raison des mauvais traitements qu’elle a subis de la part de son partenaire, il ne suffit pas qu’elle établisse qu’il existe davantage qu’une simple possibilité qu’elle dise la vérité au sujet des mauvais traitements qu’elle affirme avoir subis. Elle doit établir les faits sur lesquels repose sa demande selon la prépondérance des probabilités. Parallèlement, elle n’a qu’à démontrer qu’il existe davantage qu’une simple possibilité qu’elle subisse de mauvais traitements constituant de la persécution à l’avenir.

 

[186]       Je ne suis donc pas convaincue que la Commission ait commis une erreur sur ce point.

 

[187]       En outre, l’argument des demandeurs se fonde sur le fait qu’il est établi que les violations du droit humanitaire international qui ont été commises en Irak sont systématiques ou tolérées par l’État et que, par conséquent, toute participation à la guerre constituerait un acte de complicité à un crime. Comme je l’ai mentionné dans la section précédente, j’ai conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que tel n’était pas, en fait, le cas.

 

IX.       Conclusion sur ce point

[188]       En me fondant sur l’analyse qui précède, je suis convaincue qu’à titre de simple fantassin, M. Hinzman ne pouvait se voir imputer les violations du droit international commises par les États‑Unis lorsqu’ils ont décidé d’intervenir en Irak. Par conséquent, dans les circonstances de la présente affaire, le « type d’action militaire » qui intéresse la demande de M. Hinzman, telle que cette expression est utilisée au paragraphe 171 du Guide, vise les activités « sur le terrain » auxquelles il aurait été associé en Irak.

 

[189]       J’ai également conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a statué que les violations du droit humanitaire international qu’ont commises les soldats américains en Irak ne sont pas systématiques ou tolérées par l’État. De plus, j’ai conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur en jugeant que les demandeurs n’avaient pas établi que M. Hinzman aurait lui‑même été appelé à commettre des violations du droit humanitaire international, s’il était allé en Irak.

 

[190]       La question qu’il reste à trancher est donc celle de savoir si M. Hinzman risque néanmoins d’être persécuté aux États‑Unis en raison de ses opinions politiques. La réponse à cette question dépend, dans les circonstances, de la question de savoir si le droit à la liberté de conscience de M. Hinzman va jusqu’à l’autoriser à refuser de se battre en raison de l’objection morale sincère qu’il éprouve à l’égard de cette guerre et si le déni de ce droit et la peine applicable à la violation d’une loi d’application générale constituent de la persécution. Nous allons maintenant examiner ces questions.

 

X.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse des questions portant sur la protection de l’État et la persécution?

 

            i)          La thèse des demandeurs

[191]       Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption que M. Hinzman aurait accès à une protection de l’État adéquate aux États‑Unis, en raison de la conclusion de la Commission selon laquelle il bénéficierait de toute la protection prévue par une loi d’application générale dans ce pays.

 

[192]       Les demandeurs reconnaissent que la présomption habituelle selon laquelle chaque État est en mesure de protéger ses propres ressortissants est plus stricte dans le cas d’une démocratie très développée, comme les États‑Unis, et ils reconnaissent également que l’asile n’est accordé à des demandeurs américains que dans des circonstances exceptionnelles; ils affirment néanmoins que l’omission des États‑Unis de reconnaître les objections de conscience à l’égard de guerres particulières crée un hiatus entre les droits garantis par le droit interne américain et les droits reconnus par le droit international.

 

[193]       D’après les demandeurs, ce hiatus constitue une circonstance exceptionnelle et permet de conclure qu’en l’espèce, la loi américaine d’application générale avait un effet assimilable à de la persécution. Cette situation montre qu’il était objectivement raisonnable pour M. Hinzman de demander l’asile au Canada.

 

[194]       Les demandeurs font remarquer que le paragraphe 172 du Guide énonce ce qui suit :

Le refus d’accomplir le service militaire peut également être fondé sur des convictions religieuses. Si un demandeur est à même de démontrer que ses convictions religieuses sont sincères et qu’elles ne sont pas prises en considération par les autorités de son pays lorsqu’elles exigent de lui qu’il accomplisse son service militaire, il peut faire admettre son droit au statut de réfugié. Toutes indications supplémentaires selon lesquelles le demandeur ou sa famille aurait rencontré des difficultés du fait de leurs convictions religieuses peuvent évidemment donner plus de poids à cette demande. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[195]       Les demandeurs reconnaissent que l’équité procédurale sera respectée dans le cas de M. Hinzman aux Etats-Unis, mais ils soutiennent que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’il n’a pas été en mesure d’invoquer ses objections de conscience à la guerre en Irak, en raison de la portée limitée des dispositions légales américaines concernant les objecteurs de conscience.

 

[196]       D’après les demandeurs, l’omission de la Commission d’examiner cette question permet d’affirmer que sa conclusion selon laquelle le droit américain concernant les objecteurs de conscience n’entraîne pas une discrimination fondée sur des motifs énumérés dans la Convention et n’est donc pas assimilable à de la persécution est une conclusion erronée et inadéquate.

 

[197]       En outre, les demandeurs affirment que, compte tenu du fait que le gouvernement des États‑Unis est lui‑même l’auteur de la persécution, il en résulte que la conclusion de la Commission selon laquelle M. Hinzman pouvait se prévaloir de la protection de l’État aux États‑Unis est fondamentalement viciée.

 

            ii)         La norme de contrôle

[198]       L’erreur alléguée est l’omission de la Commission de reconnaître l’existence d’un hiatus entre le droit limité accordé aux objecteurs de conscience et reconnu par le droit interne américain et celui qui est apparemment protégé par le droit international. C’est la raison pour laquelle la conclusion de la Commission selon laquelle M. Hinzman ne serait pas persécuté aux États‑Unis et sa conclusion d’après laquelle il bénéficierait d’une protection de l’État adéquate dans ce pays sont toutes deux fatalement viciées.

 

[199]       La question de savoir si un individu risque d’être persécuté dans son pays d’origine et le caractère adéquat de la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit et sont habituellement examinées à la lumière de la norme de la décision raisonnable : Pushpanathan, citée précédemment.

 

[200]       Cependant, comme je l’ai noté plus haut, en l’espèce, les arguments des demandeurs au sujet de l’erreur d’omission qu’aurait commise la Commission repose sur l’hypothèse que le droit de s’opposer à une guerre particulière est reconnu internationalement, autrement que dans les circonstances expressément décrites au paragraphe 171 du Guide. En l’absence d’un tel droit, les arguments des demandeurs ne peuvent être retenus.

 

            iii)        Analyse

[201]       L’examen des motifs de la Commission indique que celle‑ci savait effectivement que, d’après la politique de l’armée américaine applicable aux objecteurs de conscience, M. Hinzman ne pouvait demander le statut d’objecteur de conscience parce qu’il refusait de se battre en Irak (voir les paragraphes 68 et 105 de la décision de la Commission). Il s’agit de savoir si la portée prétendument limitée de cette politique a entraîné la violation d’un droit reconnu internationalement et montre qu’il y a eu persécution.

 

[202]       L’asile est accordé aux personnes qui risquent d’être persécutées dans leur pays d’origine en raison de leurs opinions politiques ou de leur religion : voir le paragraphe 1A(2) de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

[203]       Il ne s’agit pas ici d’un conscrit – M. Hinzman s’est volontairement enrôlé dans l’armée des États‑Unis – mais il est largement accepté sur le plan international qu’un État a le droit d’obliger ses citoyens à accomplir un service militaire. En fait, le service militaire obligatoire est bien souvent qualifié d’obligation « accessoire à la citoyenneté ».

 

[204]       Il est également bien reconnu que le refus d’un soldat d’aller en guerre est un acte de nature politique : voir Ciric, cité précédemment. En fait, comme le fait observer le professeur Goodwin‑Gill dans The Refugee in International Law, (Oxford: Clarendon Press, 1996, à la p. 57), cité avec approbation dans Zolfagharkhani, le refus de porter les armes exprime une opinion essentiellement politique qui concerne les limites acceptables de l’autorité gouvernementale et touche directement la nation.

 

[205]       Cela veut‑il dire que quiconque s’oppose sincèrement à une guerre particulière a le droit absolu d’obtenir le statut d’objecteur de conscience? Cela veut‑il dire que, lorsqu’une personne ne peut bénéficier du statut d’objecteur de conscience dans son pays d’origine, la peine que cette personne peut se voir infliger pour refus de combattre constitue par sa nature de la persécution?

 

[206]       Il est incontestable que les libertés de pensée, de conscience et de religion sont des droits fondamentaux reconnus par le droit international : voir, par exemple, l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Rés. AG 217(III), UNGAOR, 3e sess., Supp. no 13, Doc. NU A/810 (1948) 71, article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 U.N.T.S. 171, arts. 9 à 14, 6 I.L.M. 368 (entré en vigueur le 23 mars 1976) et article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, à la p. 223, R.T. Eur. 5.

 

[207]       À l’heure actuelle, il n’existe pas de droit absolu ou partiel reconnu internationalement au statut d’objecteur de conscience. La Commission des Nations Unies sur les droits de la personne et le Conseil de l’Europe ont encouragé les États membres à reconnaître le droit au statut d’objecteur de conscience dans divers rapports et commentaires, mais aucun instrument international relatif aux droits de la personne ne reconnaît actuellement un tel droit et il n’existe pas de consensus international sur ce point : voir Sepet, cité précédemment, aux par. 41 à 44.

 

[208]       En fait, l’idée qu’un tel droit pourrait même exister est d’origine relativement récente : Sepet, au par. 48.

 

[209]       On a fait valoir que l’omission de reconnaître le droit au statut d’objecteur de conscience découle, du moins en partie, des difficultés réelles que poserait l’obtention d’un consensus international sur la portée minimale d’un tel droit. Comme le lord Rodger d’Earlsferry l’a noté dans ses motifs concourants dans Sepet, on pourrait s’interroger, par exemple, sur la question de savoir si une objection formée en temps de paix devrait entraîner le même résultat qu’une objection soulevée à un moment où l’État lutte pour sa survie : au par. 57.

 

[210]       Il est certes possible de soutenir que, si la liberté de conscience est véritablement reconnue comme un droit fondamental de la personne, les individus ne devraient pas être obligés, sous peine d’emprisonnement, de violer leurs convictions fondamentales par leur conduite : voir Hathaway dans The Law of Refugee Status, cité précédemment, à la p. 182.

 

[211]       Si on envisage, par contre, l’objection de conscience comme un droit relatif, alors la nature particulière des conséquences auxquelles fait face le demandeur d’asile doit être prise en compte lorsqu’on apprécie sa demande : voir von Sternberg, The Grounds of Protection in the Context of International Human Rights and Humanitarian Law, cité précédemment, à la p. 42. C’est l’approche que semble avoir retenue la HCNUR dans son Guide.

 

[212]       Il convient également de prendre en compte le fait qu’il est dans l’intérêt des États d’entretenir des forces armées et une défense nationale. Comme le fait remarquer le professeur Goodwin‑Gill, la possibilité d’effectuer un service de rechange aide à réconcilier ces intérêts divergents en respectant le droit des États à se défendre, tout en prenant en compte, parallèlement, les convictions individuelles : voir The Refugee in International Law, à la p. 58.

 

[213]       En fait, le paragraphe 173 du Guide reconnaît que de nombreux États offrent aujourd’hui la possibilité d’effectuer un service de remplacement aux citoyens qui s’opposent à servir dans l’armée pour des motifs de conscience authentiques.

 

[214]       Jusqu’où doit donc aller un État pour fournir un service de remplacement à ses citoyens?

 

[215]       Les demandeurs affirment que les États‑Unis ne vont pas suffisamment loin parce qu’ils ne reconnaissent pas qu’un individu peut avoir des objections de conscience légitimes à participer à une guerre particulière, et soutiennent que M. Hinzman peut donc bénéficier de l’application du paragraphe 172 du Guide. Par conséquent, les demandeurs affirment que toute peine imposée par M. Hinzman aux États‑Unis constituerait par sa nature même de la persécution.

 

[216]       Il existe de nombreuses raisons qui m’interdisent de retenir cet argument. Tout d’abord, il convient de lire le paragraphe 172 du Guide dans son contexte. Le paragraphe précédent – le paragraphe 171 – énonce expressément qu’il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière.

 

[217]       Deuxièmement, M. Hinzman a certes mentionné ses convictions religieuses tant dans son FRP que dans son témoignage devant la Commission, mais la demande d’asile des demandeurs est fondée sur les opinions politiques de M. Hinzman et non pas sur sa religion. La Commission a reconnu, au cours de la conférence préparatoire à l’audience, que M. Hinzman entretenait également des objections religieuses à l’égard de l’accomplissement de son service militaire, mais ses convictions religieuses ne touchent pas directement le fait de participer au conflit irakien. Le paragraphe 172 concerne les objections religieuses et non pas les objections politiques.

 

[218]       Enfin, pour examiner l’argument des demandeurs selon lequel les dispositions légales américaines ont une portée trop limitée, dans la mesure où elles refusent aux membres des forces armées le droit d’exprimer des objections de conscience authentiques à des actions militaires particulières, il convient de tenir compte du paragraphe 60 du Guide. Le paragraphe 60 énonce que, pour décider si la peine prévue par le droit d’une autre nation constitue de la persécution, il est possible d’utiliser la loi du pays saisi de la demande d’asile comme « un point de référence » dans l’évaluation de la demande.

 

[219]       L’examen de la solution retenue par les Forces armées canadiennes à la question de l’objection de conscience montre que la protection accordée aux objecteurs de conscience canadiens est très semblable à celle que leur offrent les États‑Unis. Les dispositions pertinentes des Directives et ordonnances administratives du ministère de la Défense nationale (DOAD 5049‑2, 30 juillet 2004) énoncent :

L’enrôlement dans les [Forces canadiennes] est entièrement volontaire. Par conséquent, les militaires doivent être disposés à exercer toute fonction légitime pour défendre le Canada, y compris les intérêts et valeurs du pays, tout en contribuant à la paix et à la sécurité internationales. Un militaire qui soulève une objection de conscience est quand même tenu d’exercer toute fonction légitime, mais peut demander une libération volontaire pour ce motif.

             

Admissibilité à la libération volontaire

Un militaire peut demander la libération en vertu d’une objection de conscience s’il s’oppose sincèrement à l’une ou l’autre des situations suivantes :

-           la guerre ou le conflit armé en général

-           le port et l’utilisation d’armes comme exigence du service dans les FC.

                       

La libération en vertu d’une objection de conscience ne sera pas accordée si l’objection est principalement fondée sur un ou plusieurs des motifs suivants :

-           l’utilisation d’armes ou la participation dans un conflit ou un déploiement particulier;

-           la politique nationale;

-           la commodité personnelle;

-           les convictions politiques.    [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[220]       Comme le professeur Goodwin‑Gill l’a fait remarquer dans The Refugee in International Law, à la p. 59, les États sont libres de reconnaître que les objections de conscience constituent un motif suffisant pour accorder l’asile. Cependant, chaque État fixe lui‑même la valeur qu’il convient d’accorder à la liberté de conscience, un droit fondamental.

 

[221]       Tout en reconnaissant que le régime canadien applicable aux objecteurs de conscience est, dans l’ensemble, semblable au régime américain, les demandeurs soutiennent qu’il existe une différence importante entre les deux. En se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, les demandeurs soutiennent que le régime canadien prévoit un contrôle judiciaire qui permet de vérifier la conformité à la Charte de la décision attaquée, alors que le régime américain exclut tout contrôle judiciaire en vertu de la notion de « domaine politique ».

 

[222]       Si l’on fait abstraction du fait qu’aucune preuve d’expert n’a été présentée à la Cour au sujet de la possibilité de contester devant les tribunaux la politique américaine en matière d’objection de conscience si l’on tient pour acquis aux fins de l’argument que les demandeurs ont raison de faire cette affirmation, il demeure qu’à l’heure actuelle, le Canada n’accorde pas aux membres de ses propres forces armées la possibilité de s’opposer à des guerres particulières. À mon avis, c’est une autre preuve du fait qu’il n’existe pas de droit généralement accepté à soulever une objection de conscience pour les motifs avancés par les demandeurs.

 

[223]       Si tel est bien le cas, il en résulte que le système américain ne constitue pas, par sa nature, de la persécution.

 

[224]       Ma conclusion sur ce point est renforcée par l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale dans Ates c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1661. Dans Ates, la Cour a déclaré que, même dans un pays où le service militaire est obligatoire et où aucun service de remplacement n’est possible, la multiplication des poursuites et des peines d’emprisonnement visant un objecteur de conscience sincère ne constitue pas de la persécution fondée sur un des motifs de la Convention.

 

[225]       S’il n’y avait pas persécution dans les circonstances décrites dans Ates, alors la poursuite d’un soldat qui s’est volontairement enrôlé et son emprisonnement possible par un pays qui accorde certains services de rechange, quoique limités, au service militaire, ne constituent pas non plus de la persécution pour un motif énuméré dans la Convention.

 

[226]       Il convient de noter que les demandeurs n’affirment pas que la peine que M. Hinzman risque de se voir imposer aux États‑Unis n’est pas une peine qui serait considérée comme acceptable d’après le droit international des droits de la personne. Ils soutiennent en fait que toute peine qu’il risque de subir pour avoir suivi ce que lui dictait sa conscience constituerait, par sa nature, de la persécution. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner si la durée de l’emprisonnement susceptible de lui être imposé est disproportionnée.

 

[227]       Enfin, étant donné que la Commission n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion selon laquelle M. Hinzman risque d’être poursuivi et non persécuté aux États‑Unis, il en résulte que la question de la protection de l’État ne se pose pas.

 

            iv)        Conclusion

[228]       Il aurait été préférable que la Commission aborde directement les arguments des demandeurs au sujet de l’allégation concernant la portée limitée de la politique américaine à l’égard des objections de conscience; je suis néanmoins convaincue que cette omission de la part de la Commission n’a pas influencé l’issue des demandes présentées par les demandeurs.

 

[229]       Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis convaincue qu’à l’heure actuelle, le droit de s’opposer à une guerre particulière n’est pas reconnu internationalement, sauf dans les circonstances précisées au paragraphe 171 du Guide. Par conséquent, si M. Hinzman risque d’être poursuivi aux États‑Unis parce qu’il a agi selon sa conscience, cela ne constitue pas une persécution fondée sur ses opinions politiques.

 

[230]       La réalité est que les États, y compris le Canada, ont le pouvoir de punir leurs citoyens pour avoir agi conformément à des opinions morales, politiques et religieuses sincères lorsque ces personnes violent des lois d’application générale. L’écologiste qui installe une barricade sur un chemin forestier risque des poursuites et l’emprisonnement, tout comme la personne qui refuse, en raison de convictions religieuses profondes, de payer des impôts parce qu’ils sont utilisés à des fins militaires même si, dans chaque cas, l’individu en question ne fait qu’agir selon sa conscience.

 

[231]       En fait, comme lord Hoffman l’a noté dans Sepet :

[traduction]

En tant que juges, nous sommes prêts à respecter leurs opinions mais pensons néanmoins qu’il faut quand même les punir […] Nous tenons compte de leurs convictions morales mais nous ne reconnaissons pas l’existence d’une obligation morale absolue à les respecter. Au contraire, nous pensons que, même si nous comprenons leurs opinions et les partageons, nous sommes obligés de privilégier la nécessité de faire respecter la loi. [au par. 34]

 

 

 

[232]       Je comprends la position de M. Hinzman. Comme la Commission l’a noté, c’est manifestement un jeune homme sérieux. La Commission a constaté que ses préoccupations au sujet de la légalité de l’intervention militaire lancée par les Américains en Irak étaient sincères et profondes. Cependant, le fait de comprendre sa position ne permet pas de conclure que le droit de s’objecter à une guerre particulière est internationalement reconnu et que sa violation constitue de la persécution.

 

[233]       Étant donné que l’objection de conscience est un aspect fondamental des libertés de pensée, de conscience et de religion, garanties par des instruments internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme, il est possible qu’en raison de l’évolution du droit dans ce domaine, tant sur le plan national qu’international, une objection politique ou religieuse sincère à une guerre particulière constituera un jour une base suffisante pour appuyer une demande d’asile. Cela ne représente toutefois que [traduction] « le consensus international de demain » (Sepet, au par. 20), et non pas l’état du droit actuel.

 

XI.       Résumé des conclusions

[234]       Pour ces motifs, j’ai conclu qu’il n’existe aucune raison de modifier la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans la présente affaire. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée.

 

[235]       Comme je l’ai noté dès le départ, les questions soulevées par la présente demande ne m’ont pas obligée à me prononcer sur la légalité de l’action militaire dirigée par les Américains en Irak et je n’ai tiré aucune conclusion sur ce point.

 

XII.     Certification

[236]       Les avocats ont conjointement proposé la certification des deux questions suivantes :

[traduction]

1.  La question de savoir si un conflit donné est illégal selon le droit international est‑elle pertinente à la décision qui doit être prise par la Section de la protection des réfugiés aux termes de l’art. 171 du Guide du HCNUR?

 

2.  Lorsqu’un demandeur d’asile peut démontrer qu’une guerre particulière s’accompagne de violations systématiques du droit humanitaire international, est‑il également tenu d’établir qu’il est plus probable qu’improbable qu’il serait tenu de participer à de tels actes ou doit‑il uniquement établir la possibilité réelle qu’il ait à le faire?

 

 

 

[237]       Pour ce qui est de la première question, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, je suis convaincue que la légalité d’un conflit peut fort bien être pertinente dans le cas où un demandeur d’asile occupe un poste de haut niveau qui consiste à élaborer des politiques ou à planifier un conflit militaire, et pourrait donc être tenu responsable d’un crime contre la paix. La question qui se pose ici est de savoir si la légalité du conflit est un aspect pertinent dans le cas d’un simple fantassin comme M. Hinzman.

 

[238]       Pour les motifs fournis exposés, j’ai conclu que, selon la jurisprudence dominante, dans le cas d’un simple fantassin, la légalité du conflit militaire en question n’est pas pertinente à la question de savoir si le demandeur est un réfugié. Cependant, compte tenu de l’arrêt Al‑Maisri de la Cour d’appel fédérale, il faut reconnaître que cette question n’a pas encore été tranchée de façon définitive. Par conséquent, je suis disposée à certifier la première question, en la modifiant pour préciser qu’elle se pose dans le cas d’un fantassin.

 

[239]       La seconde question se fonde sur l’hypothèse, établie par les demandeurs, que la guerre en question donne lieu en réalité à des violations systématiques du droit humanitaire international. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas démontré le bien‑fondé de cette hypothèse, la seconde question dont la certification est proposée ne permettrait pas de trancher les demandes présentées et je m’abstiens de la certifier.


 

JUGEMENT

 

[240]    LA COUR ORDONNE :

           

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         La question grave de portée générale suivante est certifiée :

Dans le cas d’une demande d’asile présentée par un simple fantassin, la question de savoir si un conflit donné est illégal selon le droit international est‑elle pertinente à la décision que doit prendre la Section de la protection des réfugiés aux termes du paragraphe 171 du Guide du HCNUR?

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


 

 

ANNEXE

 

 

            Le chapitre V de la section B du Guide du HCNUR énonce ce qui suit sous l’intitulé « Déserteurs, insoumis, objecteurs de conscience » :

 

167.  Dans les pays où le service militaire est obligatoire, le fait de se soustraire à cette obligation ou insoumission est souvent une infraction punie par la loi. Quant à la désertion, elle est toujours dans tous les pays – que le service militaire soit obligatoire ou non – considérée comme une infraction. Les peines varient selon les pays et normalement leur imposition n’est pas considérée comme une forme de persécution. La crainte des poursuites et du châtiment pour désertion ou insoumission ne constitue pas pour autant une crainte justifiée d’être victime de persécution au sens de la définition. En revanche, la désertion ou l’insoumission n’empêche pas d’acquérir le statut de réfugié et une personne peut être à la fois un déserteur, ou un insoumis, et un réfugié.

 

168.  Il va de soi qu’une personne n’est pas un réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Elle peut, cependant, être un réfugié si sa désertion ou son insoumission s’accompagne de motifs valables de quitter son pays ou de demeurer hors de son pays ou si elle a de quelque autre manière, au sens de la définition, des raisons de craindre d’être persécutée.

 

169.  Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

 

170.  Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

 

171.  N’importe quelle conviction, aussi sincère soit‑elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

 

172.  Le refus d’accomplir le service militaire peut également être fondé sur des convictions religieuses. Si un demandeur est à même de démontrer que ses convictions religieuses sont sincères et qu’elles ne sont pas prises en considération par les autorités de son pays lorsqu’elles exigent de lui qu’il accomplisse son service militaire, il peut faire admettre son droit au statut de réfugié. Toutes indications supplémentaires selon lesquelles le demandeur ou sa famille aurait rencontré des difficultés du fait de leurs convictions religieuses peuvent évidemment donner plus de poids à cette demande.

 

173.  La question de savoir si l’objection à l’accomplissement du service militaire pour des raisons de conscience peut motiver une demande de reconnaissance du statut de réfugié doit également être considérée en tenant compte de l’évolution récente des idées sur ce point. Les États sont de plus en plus nombreux à avoir introduit dans leur législation ou leur réglementation administrative des dispositions selon lesquelles les personnes qui peuvent invoquer d’authentiques raisons de conscience sont exemptées du service militaire, soit totalement, soit sous réserve d’accomplir un service de remplacement (c.‑à‑d. un service civil). L’introduction de semblables dispositions législatives ou administratives a également fait l’objet de recommandations de la part des institutions internationales. Compte tenu de cette évolution, les États contractants sont libres, s’ils le désirent, d’accorder le statut de réfugié aux personnes qui ont des objections à l’égard du service militaire pour d’authentiques raisons de conscience.

 

174.  L’authenticité des convictions politiques, religieuses ou morales d’une personne ou la validité des raisons de conscience qu’elle oppose à l’accomplissement du service militaire doit, bien entendu, être établie par un examen approfondi de sa personnalité et de son passé. Le fait que cette personne ait exprimé ses opinions avant l’appel sous les drapeaux ou qu’elle ait déjà eu des difficultés avec les autorités en raison de ses convictions est un élément d’appréciation pertinent. De même, selon qu’elle a reçu l’ordre d’accomplir un service militaire obligatoire ou qu’au contraire elle s’est enrôlée dans l’armée comme volontaire, la sincérité de ses convictions pourrait être appréciée différemment.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2168‑05

 

 

INTITULÉ :                                       JEREMY HINZMAN ET AL.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 FÉVRIER 2006

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                             LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 MARS 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffry House                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

 

Marianne Zoric                         POUR LE DÉFENDEUR

Robert Bafaro

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffry House                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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