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     Date: 20000111

     Dossier: IMM-2756-99

ENTRE :


FLORENTA TANASE,

LEVENTE HADHAZY


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

Le juge Muldoon

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) contre la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a conclu, le 13 mai 1999, que ni l"un ni l"autre des demandeurs n"est un réfugié au sens de la Convention. Les demandeurs ont obtenu l"autorisation de solliciter le contrôle judiciaire par une ordonnance modifiée rendue par Madame le juge Sharlow le 15 octobre 1999. Ils sollicitent un bref de certiorari annulant la décision de la SSR.

Les faits

[2]      Mme Florenta Tanase est née en 1968; elle est d"origine ethnique roumaine et, à l"heure actuelle, elle est citoyenne roumaine. M. Levente Hadhazy est né en 1971; il est d"origine ethnique hongroise, mais il est lui aussi citoyen roumain. Les deux demandeurs sont des conjoints et ont un enfant qui est né au Canada en 1997.

[3]      Le voyage que les demandeurs ont effectué pour venir au Canada a commencé en 1996, lorsque M. Hadhazy a quitté la Roumanie, est entré aux États-Unis avec un faux visa et a attendu un an pour que Mme Tanase le rejoigne. Une fois réunis, les demandeurs ont franchi la frontière en passant par la forêt pour entrer au Canada; ils se sont rendus à Vancouver en faisant de l"auto-stop et, de là, à Regina par autobus. Le 14 septembre 1997, les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Une audience a eu lieu devant une formation de la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la formation) le 12 janvier 1999.

[4]      La demande de M. Hadhazy était fondée sur le fait qu"il craignait d"être persécuté en Roumanie à cause de sa nationalité et parce qu"il vivait avec sa conjointe roumaine, qui était alors sa fiancée, ainsi qu"à cause de ses opinions politiques à titre de membre d"un parti politique connu sous le nom d"UDMR. Mme Tanase a fondé sa revendication sur le fait qu"elle craignait d"être persécutée en Roumanie à cause de la relation qu"elle entretenait avec M. Hadhazy à ce moment-là.

[5]      Lors de l"audience et dans son formulaire de renseignements personnels (ci-après le FRP), M. Hadhazy a témoigné qu"il avait été membre de l"UDMR, qu"il avait assisté aux réunions de ce parti, qu"il avait participé à des manifestations et qu"il avait parfois distribué des feuillets. Il a également témoigné que ses problèmes avaient commencé en 1993, lorsqu"il avait commencé à vivre avec sa conjointe. On a cassé les fenêtres de leur logement, ils ont reçu des appels téléphoniques inquiétants et des lettres de menace et on a défoncé la porte avant de leur logement sans que la police puisse trouver les coupables. Malheureusement, lors de l"audience, ni l"un ni l"autre demandeur n"a pu corroborer de quelque façon que ce soit ces événements. Même s"il ne l"avait pas mentionné dans son FRP, M. Hadhazy a déclaré à l"audience qu"il avait été arrêté en 1993 et qu"il avait été détenu pendant quelques heures, avec plusieurs autres personnes, après avoir participé à une manifestation.

[6]      M. Hadhazy a également témoigné qu"en 1995, sa conjointe et lui avaient été attaqués devant leur logement et qu"ils avaient été sauvagement battus. Ils se sont tous les deux retrouvés à l"hôpital; malheureusement, Mme Tanase a avorté spontanément; on lui aurait censément dit qu"on lui avait enlevé les ovaires. M. Hadhazy allègue qu"en 1996, il a été sommé au poste de police, qu"il a été interrogé au sujet de manifestes visant à dénoncer le président Ilescu, que des photos sur lesquelles on le voyait distribuer des feuillets lui ont été montrées qu"il a été détenu avec plusieurs autres membres de l"UDMR. M. Hadhazy, qui avait refusé de signer un document dans lequel il était déclaré qu"il avait conspiré contre le gouvernement, a été battu par les policiers et a ensuite été battu par d"autres détenus qui avait été informés qu"il était Hongrois. M. Hadhazy allègue qu"il a alors perdu connaissance, qu"il a été transporté en ville en voiture, qu"il a été jeté en dehors de la voiture et que ce n"est que par la suite qu"il a été transporté à l"hôpital où il est resté cinq jours. La formation a demandé à M. Hadhazy s"il pouvait obtenir des documents attestant qu"il avait été à l"hôpital, et celui-ci a répondu : [TRADUCTION] " Je ne le sais pas. J"en doute. " Lorsqu"on lui a demandé si son père pouvait obtenir pareils documents, M. Hadhazy a répondu : [TRADUCTION] " J"en doute. J"ai entendu dire que les documents se trouvent dans un fichier principal à l"hôpital. "

[7]      M. Gary Mitchell, un ancien employé du défendeur, a également témoigné à l"audience; il a dit à la formation qu"il connaissait très bien les demandeurs et qu"il les croyait entièrement lorsqu"ils alléguaient avoir été maltraités. À l"audience, on a également présenté une lettre rédigée par le docteur S. C. Mahood, de Regina, dans laquelle était relatée la terrible histoire de Mme Tanase, en ce qui concerne le séjour qu"elle avait fait à l"hôpital roumain, et dans laquelle le docteur Mahood faisait des conjectures au sujet de la raison pour laquelle une grosse incision avait été effectuée à l"estomac. Voici ce que la lettre disait :

         [TRADUCTION]
         L "examen physique révèle une cicatrice de 18 cm au milieu de l"abdomen, allant de l"os pubien à l"épigastre. Il y a également une seconde cicatrice plus petite du côté droit au bas de l"abdomen, laquelle est probablement attribuable à un drain post-opératoire.
         [...]
         La cicatrice qui se trouve à l"abdomen est beaucoup plus grosse que celle qui résulterait d"une appendicectomie ou d"une ovariectomie; il est possible de soupçonner qu"une grosse incision exploratrice a été effectuée, peut-être en vue de permettre l"examen d"une hémorragie intra-abdominale, résultant des coups reçus.

[8]      Dans une décision datée du 13 mai 1999, la formation, qui était composée de MM. Benjamin Ayorech et Andrew Rozdilsky, a rejeté les deux revendications. Dans ses motifs, la formation a tout d"abord noté le fait que, dans son FRP, M. Hadhazy n"avait mentionné qu"il avait été arrêté en 1993; elle a également noté ce qui, selon elle, était une description vague de l"arrestation et de la détention. La formation a affirmé que l"intéressé essayait simplement de donner l"impression qu"il avait été persécuté. La formation a ensuite fait une inférence défavorable en se fondant sur ce qu"elle considérait être comme de la mauvaise volonté de la part de M. Hadhazy, lorsqu"il s"agissait d"essayer d"obtenir un document qui confirmerait son séjour à l"hôpital après qu"il eut été battu en 1996.

[9]      La formation s"est également arrêtée à l"argument des demandeurs selon lequel un compte de l"hôpital, à Regina, avait été envoyé en Roumanie et avait été intercepté par les autorités. Elle est allée jusqu"à dire qu"il s"agissait d"une [TRADUCTION] " histoire fabriquée destinée à donner l"impression que le cas des demandeurs intéresse encore les autorités roumaines ". Toutefois, une lettre de l"hôpital en question confirmant que le compte avait été envoyé en Roumanie était jointe à la demande qui a été présentée devant cette cour. Il s"agit de la pièce " D " de l"affidavit des demandeurs. La formation a commis une erreur grave, qui pourrait être une preuve de négligence sinon de partialité de sa part, compte tenu de l"importance de la pièce en question. Quant aux autres aspects des arguments des demandeurs, la formation a fait remarquer que la plupart n"étaient aucunement corroborés par quelque élément de preuve; toutefois, compte tenu de la grave erreur dont je viens de faire mention, cela a peu d"importance.

Les questions de droit

[10]      Les demandeurs soulèvent plusieurs questions au sujet de la décision de la formation et de la conduite de l"audience. La première question est de savoir si la formation a violé l"obligation d"équité qu"elle avait envers les demandeurs. La deuxième question est de savoir si la formation a pêché par excès de zèle en cherchant des incohérences dans les histoires des demandeurs. Les deux questions suivantes sont de savoir si la formation a omis de tenir compte de la preuve présentée par M. Gary Mitchell et par le docteur Mahood et si elle a commis une erreur en ne précisant pas pourquoi ces éléments de preuve avaient été rejetés. La question suivante est de savoir si la formation a exigé que la preuve présentée par les demandeurs soit corroborée. La dernière question est de savoir si la formation a omis de tenir compte de la présomption de véracité dont bénéficient les demandeurs.

[11]      Les demandeurs soutiennent en premier lieu que la formation a violé son obligation d"équité d"un certain nombre de façons. Ils soutiennent tout d"abord que la formation a agi d"une façon inéquitable en ne les avisant pas des préoccupations qu"elle avait au sujet de la crédibilité de l"allégation selon laquelle un compte d"hôpital avait été envoyé par la poste en Roumanie, censément dans le seul but d"étayer leurs allégations. La formation n"a pas non plus donné aux demandeurs la possibilité d"apaiser ses préoccupations. Les demandeurs soutiennent qu"ils ont le droit d"être informés de toute préoccupation que la formation peut avoir au sujet de la crédibilité avant que ces préoccupations soient incorporées dans les motifs de la décision. Le défendeur soutient que l"obligation d"équité n"exige pas que la formation avise les intéressés du fait que leur crédibilité ou la crédibilité d"un témoin est remise en question. Toutefois, dans des affaires aussi graves que celle-ci, toute personne raisonnable s"attendrait à ce que la formation veille à éviter toute iniquité. La formation a omis de le faire, de sorte que le contrôle judiciaire devrait être accueilli.

[12]      Les demandeurs mentionnent plusieurs décisions à l"appui de l"allégation selon laquelle la formation doit aviser l"intéressé de toute préoccupation qu"elle peut avoir au sujet de la preuve qu"il a présentée et lui donner la possibilité de répondre. Toutefois, certaines décisions montrent simplement que la formation demande de fait parfois à l"intéressé d"expliquer les incohérences figurant dans son témoignage avant de tirer une conclusion au sujet de la crédibilité. Néanmoins, d"autres décisions montrent que le droit sur ce point n"a pas encore été établi par cette cour. Cependant, il ne faudrait jamais oublier que les tribunaux fédéraux tels que la SSR doivent se montrer équitables et justes.

[13]      La décision Gracielome c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (A-507-88 et A-529-88, 30 mai 1989) (C.A.F.) (ci-après la décision Gracielome) a souvent été mentionnée à l"appui des thèses avancées par le demandeur. Voir par exemple les décisions Nadesu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (IMM-4606-96, 21 octobre 1997) (C.F. 1re inst.) et Vorobieva c. Canada (Solliciteur général) (IMM-4863-93, 15 août 1994) (C.F. 1re inst.). Malheureusement, la décision Gracielome, supra, a été à maintes reprises interprétée d"une façon erronée par les avocats. Dans cette décision, le juge Hugessen a fait les remarques suivantes :

         Il est à noter que dans aucun des trois cas n"a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu"ils s"expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité [de la Commission] après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n"est pas plus privilégiée que la nôtre.

[14]      Ce passage étaye la thèse selon laquelle, lorsque la formation ne confronte pas l"intéressé avec les prétendues contradictions ou ne lui demande pas d"explications avant de rendre une décision au sujet de la crédibilité, les motifs pour lesquels la Cour ferait preuve de retenue à l"égard de la décision de la formation sont beaucoup plus restreints puisque la formation n"est pas mieux placée que la Cour pour apprécier les contradictions. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que l"obligation d"équité exige que la formation informe l"intéressé dans tous les cas, même lorsque la question a peu d"importance, de la possibilité qu"elle tire une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Il s"agit d"une obligation rigoureuse. Ni l"une ni l"autre partie n"a mentionné la décision Kahandani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (IMM-2742-98, 17 novembre 1999 (C.F. 1re inst.), mais cette cour note que dans cette décision, le juge Pinard a tiré une conclusion similaire. Il importe également de noter la décision Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (IMM-4812-96, 30 décembre 1997) (C.F. 1re inst.).

[15]      De plus, les demandeurs se fondent sur la décision Gabor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (IMM-1187-97, 6 octobre 1998) (C.F. 1re inst.), dans laquelle cette cour a approuvé les thèses des demandeurs. Toutefois, il s"agit d"un cas d"espèce. Dans cette affaire-là, la formation avait conclu qu"une allégation de l"intéressé n"était pas crédible puisqu"elle semblait contredire la date inscrite sur un document que l"intéressé avait présenté après l"audience tenue par la SSR. En l"espèce, la SSR a accusé les demandeurs " alors qu"un fait évident contredisait la chose " d"avoir fabriqué un élément de preuve d"une importance cruciale. Les demandeurs revendiquent le statut de réfugié; il ne s"agit pas simplement de la réclamation d"une petite créance. La SSR s"en est pris aux demandeurs au sujet du compte de l"hôpital, à Regina, en disant que ce compte était censément destiné à étayer leur preuve.

[16]      Enfin, l"examen des facteurs énumérés dans l"arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (no 25823, 9 juillet 1999) (C.S.C.), montre clairement que l"obligation d"équité n"exige pas que la formation donne à l"intéressé la possibilité de répondre à toute question qui se pose au sujet de la crédibilité. En particulier, cette cour note que l"alinéa 65(1)a ) de la Loi confère au ministre le pouvoir de déterminer la pratique et la procédure de la SSR. Toutefois, fait plus important, le paragraphe 68(5) de la Loi exige que l"intéressé ait la possibilité de présenter des observations à la formation uniquement lorsqu"elle veut admettre d"office un fait. De même, le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi laisse entendre que les conclusions relatives à la crédibilité n"ont pas à être divulguées à l"intéressé avant d"être tirées. Le paragraphe 69.1(9.1) prévoit ce qui suit :

(9.1) If each member on the Refugee Division hearing a claim is of the opinion that the person making the claim is not a Convention refugee and is of the opinion that there was no credible or trustworthy evidence on which that member could have determinated that the person was a Convention refugee, the decision on the claim shall state that there was no credible basis for the claim.

(9.1) La décision doit faire état de l"absence de minimum de fondement, lorsque chacun des membres de la section du statut ayant entendu la revendication conclut que l"intéressé n"est pas un réfugié au sens de la Convention et estime qu"il n"a été présenté à l"audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour reconnaître à l"intéressé ce statut.

[17]      Cette cour sait fort bien que la décision de la formation a une grande importance pour l"intéressé et qu"elle détermine essentiellement si celui-ci continuera à bénéficier de tous les droits que comporte la vie au Canada. La procédure utilisée au cours de l"audience est passablement souple, comme le montre clairement l"examen de l"article 68 de la Loi. Cela montre également qu"un nombre relativement peu élevé de garanties procédurales sont nécessaires pour que la décision finale soit équitable " mais, fait très important, cette décision doit néanmoins être équitable!

[18]      Le deuxième argument concernant l"obligation d"équité se rapporte aux assertions que les demandeurs ont faites dans leur affidavit, à savoir qu"à l"audience, ils n"ont pas pu raconter toute leur histoire à cause d"interruptions fréquentes. Mme Tanase raconte qu"à un moment donné, l"agent chargé de la revendication l"aurait interrompue avant qu"elle puisse expliquer pourquoi aucun dossier médical n"avait été produit avant l"audience. Le défendeur soutient que l"assertion des demandeurs n"est étayée que par leurs propres déclarations. La Cour aimerait ajouter qu"étant donné que les audiences de la SSR sont enregistrées, il aurait été relativement facile pour les demandeurs de soumettre une transcription de l"audience afin de montrer à la Cour jusqu"à quel point on les a censément interrompus. Toutefois, aucune preuve de ce genre n"a été présentée et aucune raison n"a été avancée pour expliquer pourquoi les demandeurs avaient décidé de ne pas présenter de preuve à ce sujet. Cette cour ne peut donc pas conclure que les assertions des demandeurs constituent un motif adéquat justifiant l"annulation de la décision de la formation. De même, les allégations figurant dans l"affidavit des demandeurs au sujet de la présence de l"interprète à l"audience ne doivent pas être rejetées. Toutefois, étant donné que la décision de la SSR est maintenant annulée, il sera loisible aux parties de tirer parti de la situation comme elles le jugeront bon.

[19]      Les demandeurs soutiennent ensuite que la formation a manifesté une vigilance excessive en examinant à la loupe leur témoignage. Ils affirment à cet égard que la formation a eu tort de souligner que dans son FRP, M. Hadhazy n"avait pas mentionné qu"il avait été arrêté en 1993, même s"il l"avait fait à l"audience. Les demandeurs soutiennent également que la formation les a mis dans une situation inextricable en concluant qu"ils n"étaient pas crédibles compte tenu du grand nombre de détails qu"ils avaient donnés au cours de l"audience. Les parties pourront faire valoir ce point comme elles le jugeront bon.

[20]      La formation commet une erreur si elle effectue un examen trop détaillé ou, comme Monsieur le juge Hugessen l"a dit, si elle manifeste une vigilance excessive en examinant à la loupe l"histoire de l"intéressé telle qu"elle est relatée par l"entremise d"un interprète; Attakora c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (A-1091-87, 19 mai 1989 (C.A.F.). Toutefois, le défendeur soutient que rien ne montre que la formation ait pêché par excès de zèle dans son analyse des revendications des demandeurs. À coup sûr, la détention, en 1993, qui était la première de nombreuses détentions à venir, n"était pas l"acte de persécution le plus important dont M. Hadhazy avait été victime. Néanmoins, M. Hadhazy a en partie fondé sa revendication sur le fait qu"il craignait d"être persécuté pour ses opinions politiques. Il est donc surprenant qu"il ait omis de faire mention du fait qu"il avait été détenu à cause de ses activités politiques lorsqu"il a rempli le FRP en rédigeant ce qui était par ailleurs un exposé fort long et détaillé. Cette cour n"est peut-être pas d"accord avec la formation en ce qui concerne l"importance à accorder à cette omission; cependant, malgré des éléments de preuve clairs, la formation a omis de conclure à la persécution fondée sur la haine ethnique, perpétrée en complicité avec les agents de l"État.

[21]      Le troisième argument des demandeurs est fondé sur le témoignage qui a été présenté à l"audience pour le compte de ceux-ci par M. Gary Mitchell, un ancien employé du défendeur. M. Mitchell a dit à la formation qu"à son avis, les demandeurs étaient crédibles. Il a également déclaré croire entièrement les demandeurs lorsqu"ils affirmaient avoir été maltraités en Roumanie. Les demandeurs soutiennent que la formation a toutefois décidé de ne pas faire de remarques dans ses motifs au sujet de ce témoignage, sans expliquer pourquoi elle le rejetait apparemment. Les demandeurs soutiennent essentiellement que si la formation ne jugeait pas M. Mitchell crédible, elle était tenue d"expliquer pourquoi. La Cour attache beaucoup d"importance à cet argument.

[22]      M. Mitchell a essentiellement témoigné qu"il croyait les demandeurs et que la formation devrait donc également les croire. Cette cour n"irait pas jusqu"à dire, comme l"a fait le défendeur, que les références concernant la réputation d"une personne ne sont pas admissibles, mais elle reconnaît que la valeur probante de ce genre de démonstration d"amitié est peut-être faible. Cela étant, le fait que la formation n"en a pas fait mention dans ses motifs peut être considéré comme une erreur susceptible de révision, manifestant de la négligence de sa part. Ni l"une ni l"autre partie n"a mentionné la décision Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn. [1975] 1 R.C.S. 382, mais cette cour note les remarques que le juge Dickson a faites :

         Un organisme n"est pas tenu de conclure explicitement par écrit sur chaque élément constitutif, si subordonné soit-il, qui mène à sa décision finale.

[23]      Le fait que la formation n"a pas fait mention de la chose dans ses motifs montre qu"elle n"a probablement pas tenu compte de l"élément de preuve en question.

[24]      L"argument suivant des demandeurs est fondé sur un passage des motifs dans lequel la formation a noté, en premier lieu, que les demandeurs n"avaient produit aucun dossier médical pour confirmer le fait qu"ils avaient été traités à l"hôpital après avoir censément été battus à plusieurs reprises, et en second lieu, qu"aucun document n"avait été produit à l"appui des allégations relatives aux blessures subies par les demandeurs lors des attaques. Les demandeurs affirment que la lettre du docteur Mahood devrait être considérée comme établissant qu"ils avaient été blessés. Ils affirment que la formation n"a probablement pas tenu compte de cette lettre ou qu"elle ne lui a pas accordé l"importance qui devrait être accordée à une opinion professionnelle. La SSR aurait au moins dû tenir compte de la lettre du médecin. Ne s"agit-il pas d"une opinion professionnelle pertinente du genre de celle qui a été faite dans l"affaire Zapata c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (IMM-4876-93, 29 juin 1994) (C.F. 1re inst.)?

[25]      L"argument suivant invoqué par les demandeurs repose sur plusieurs passages des motifs dans lesquels la formation a noté que certaines allégations n"étaient pas corroborées par une preuve documentaire ou par quelque autre genre de preuve. Les demandeurs soutiennent que leurs allégations n"ont pas à être corroborées pour que la formation les croie. Le défendeur affirme que la formation n"a pas exigé de preuve corroborante, mais qu"elle pouvait à bon droit tenir compte de l"absence de corroboration en appréciant la crédibilité des demandeurs.

[26]      Ni l"une ni l"autre partie n"a présenté de preuve au sujet du droit qui s"applique à cet égard. Néanmoins, cette cour reconnaît qu"elle a fréquemment fait des remarques sur ce point. Ainsi, la formation peut rejeter la preuve des demandeurs en l"absence de corroboration, mais cette cour a déjà dit qu"un témoignage non contredit n"a pas à être corroboré; Miral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (IMM-3392-97, 12 février 1999) (C.F. 1re inst.).

[27]      Les demandeurs ont raison de noter que la formation a accordé beaucoup d"importance au fait que diverses parties de leur histoire n"étaient pas corroborées. Toutefois, cela ne veut pas dire qu"elle a exigé que chaque partie de l"histoire soit corroborée. Cela laisse simplement entendre que la formation s"est à maintes reprises arrêtée à la question, comme elle pouvait à bon droit le faire. À coup sûr, il y a un passage digne de mention, à la page 5 de la décision, dans lequel la formation semble dire que les allégations des demandeurs, lorsqu"ils affirment avoir été blessés, ne sont pas crédibles parce qu"elles ne sont pas corroborées. Toutefois, cette déclaration doit être interprétée dans le contexte de la conclusion antérieure que la formation avait tirée au sujet du fait que M. Hadhazy ne semblait pas trop s"efforcer d"obtenir une preuve documentaire montrant qu"il avait été admis à l"hôpital et qu"il y avait été traité pour ses blessures. Compte tenu de la remarque qui avait été faite, le passage en question ne peut pas être interprété d"une façon appropriée et la question pourra être examinée et démêlée par la formation qui entendra de nouveau l"affaire.

[28]      Enfin, les demandeurs peuvent se plaindre du fait que la formation ne les a pas jugés dignes de foi. Toutefois, il est clair que le fait qu"à l"audience, M. Hadhazy a soudainement mentionné avoir été arrêté en 1993 donnait à la formation fort peu de motifs de douter de son témoignage. Cela étant, la recherche anxieuse d"une preuve corroborante ne peut pas toujours être considérée comme une erreur; Maldonado c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.), mais la formation qui sera chargée d"entendre de nouveau l"affaire devra être moins stricte et se monter plus compréhensive à l"égard des épreuves alléguées auxquelles font face les réfugiés qui sont victimes de préjugés ethniques.

Conclusion

[29]      Les avocats et la Cour ont discuté de la question de la certification d"une question grave. L"avocat des demandeurs a proposé une question et a fourni le libellé proposé. Toutefois, la Cour refuse de certifier une question en l"espèce.

[30]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et les revendications des demandeurs sont déférées à une formation différente de la SSR, qui devra tenir minutieusement compte des présents motifs et rendre une décision conforme au droit.

                          F. C. MULDOON

                     ___________________________

                         Juge


Winnipeg (Manitoba),

le 11 janvier 2000.


Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-2756-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      FLORENTA TANASE, LEVENTE HADHAZY
     c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :      Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 10 janvier 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Muldoon en date du 11 janvier 2000


ONT COMPARU :

David Matas      pour les demandeurs

602 - 225, rue Vaughan

Winnipeg (Manitoba)

R3C 1T7

Aliyah Rahaman      pour le défendeur

Ministère de la Justice

301 - 310, rue Broadway

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas      pour les demandeurs

Morris Rosenberg      pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada


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