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Date : 20060217

Dossier : T-1350-04

Référence : 2006 CF 220

Ottawa (Ontario), le 17 février 2006

EN PRÉSENCE DU JUGE VON FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER LIMITED

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La demanderesse, Pfizer Canada Inc. (Pfizer), sollicite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les AC), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à la défenderesse, Ratiopharm Inc. (Ratiopharm), avant l’expiration du brevet canadien no 1,321,393 (le brevet 393).

 

[2]               La présente demande porte sur le médicament appelé amlodipine. Ce médicament pour cardiaques agit comme inhibiteur calcique. Il améliore le débit sanguin dans le cœur et diminue la pression artérielle. Pfizer commercialise et vend le bésylate d’amlodipine sous la marque NORVASC.

 

[3]               Pfizer a fait inscrire deux brevets pour le NORVASC au registre des brevets : le brevet 393 et le brevet canadien no 1,253,865 (le brevet 865). Le brevet 865 expire le 8 mai 2006 et n’est donc pas visé par la présente demande. Ratiopharm sollicite la délivrance d’un avis de conformité lui permettant de produire une version générique des comprimés de bésylate d’amlodipine de 5 mg et de 10 mg après l’expiration du brevet 865, le 8 mai 2006.

 

[4]               Pfizer a introduit la présente demande par un avis de demande daté du 19 juillet 2004 en réponse à l’avis d’allégation de Ratiopharm daté du 31 mai 2004 concernant le brevet 393. Compte tenu de l’alinéa 7(1)e) du Règlement, un jugement doit être rendu dans les 24 mois suivant cette date.

 

LA NATURE DU RECOURS

[5]               La nature du présent recours a été résumée de la manière suivante par la juge Layden‑Stevenson dans la décision Fournier Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 38 C.P.R. (4th) 297, 2004 CF 1718 :

6              Comme je l'ai déjà signalé, le recours à l'origine de la présente instance a été introduit en application du Règlement. Plusieurs arrêts de la Cour d'appel fédérale traite de l'historique de ce règlement et du régime qu'il établit, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de reprendre ces propos ici. Voir : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.) […] Essentiellement, les questions de non-contrefaçon et de validité intéressant le titulaire d'un brevet (la première personne) et la personne sollicitant un AC du ministre (la deuxième personne) sont d'abord soulevées dans un avis d'allégation - que la seconde personne signifie à la première personne - dans lequel la seconde personne fait ses allégations et fournit un énoncé du droit et des faits invoqués à l'appui de celles-ci. La première personne peut s'opposer et demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à la seconde personne avant l'expiration du brevet [...]

 

8              Le recours prévu à l'article 6 du Règlement n'est pas assimilable à une action par laquelle le tribunal est appelé à décider de la validité d'un brevet et à se prononcer sur la contrefaçon. Il s'agit d'une procédure de contrôle judiciaire expéditive, qui vise à faire déterminer s'il est loisible au ministre de délivrer l'avis de conformité demandé. Elle ne sert que des fins administratives : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.). Le tribunal doit déterminer si les allégations de la seconde personne sont suffisamment étayées pour justifier une conclusion, à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité), portant que le brevet du demandeur ne serait pas contrefait si le produit de la seconde personne est commercialisé : Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.).

 

9              Du simple fait qu'il exerce le recours prévu à l'article 6, le demandeur peut obtenir l'équivalent d'une injonction interlocutoire sans avoir à satisfaire à l'un ou l'autre des critères qu'un tribunal appliquerait en temps normal avant d'interdire la délivrance d'un avis de conformité : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 80 C.P.R. (3d) 368 (C.S.C.) […] Le Règlement autorise le tribunal à décider sommairement, sur le fondement de la preuve produite, si les allégations sont fondées. Le recours prévu à l'article 6 ne fait pas appel à la fonction juridictionnelle et la décision qui en résulte n'a pas l'autorité de la chose jugée. Le breveté n'est aucunement privé des recours qui lui sont normalement ouverts en vue de faire respecter ses droits. Si un examen au fond des questions de validité ou de contrefaçon est nécessaire, il pourra procéder suivant la voie ordinaire en introduisant une action : Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.F.) […]

 

 

 

[6]               Dans son avis d’allégation, Ratiopharm prétend que le brevet 393 est invalide :

a) pour cause d’antériorité;

b) pour cause d’évidence;

c) parce qu’il s’agit d’un brevet de sélection.

 

Comme on pouvait s’y attendre, Pfizer conteste ces allégations et prétend que l’avis d’allégation était insuffisant.

 

[7]               Pour décider s’il y a lieu de prononcer une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pfizer avant l’expiration du brevet 393 en cause, la Cour doit conclure que les allégations de Ratiopharm ne sont pas fondées, c’est-à-dire qu’elle doit être d’avis que le brevet 393 est valide, puisque la non‑contrefaçon n’a pas été soulevée dans le présent recours.

 

[8]   J’ai l’intention d’examiner les questions litigieuses dans l’ordre suivant :

a) le caractère suffisant de l’avis d’allégation;

b) l’antériorité;

c) la validité du brevet de sélection;

d) l’évidence.

 

 

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE : LE FARDEAU DE LA PREUVE

 

[9]               Avant d’aborder le bien-fondé des allégations, je dois dire un mot au sujet du fardeau de la preuve. Cette question a été examinée en profondeur par la Cour fédérale et par la Cour d’appel. Pourtant, Pfizer a affirmé ce qui suit dans sa demande :

[traduction]

1.         Un brevet qui a été délivré demeure valide en l’absence de preuve du contraire.

Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, art. 45 (la Loi)

2.         Il est « bien établi » que la présomption de validité s’applique quand il s’agit d’attribuer le fardeau de la preuve lors d’un recours engagé en vertu de l’article 6 du Règlement sur les AC :

a)                  la première personne (en l’espèce Pfizer) a le fardeau d’établir que les allégations d’invalidité de la deuxième personne (en l’espèce Ratiopharm) ne sont pas fondées;

            b)         en raison de la présomption de validité, la première personne peut s’acquitter de ce fardeau simplement en prouvant l’existence du brevet;

            c)         lorsque le brevet a été prouvé, il incombe alors à la deuxième personne d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que le brevet est invalide.

(Dossier de la demanderesse, vol. 8, p. 1940)

 

[10]           La Cour a traité à de nombreuses reprises de la question de l’effet réciproque de l’article 46 de la Loi et du Règlement sur les AC (voir Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 466, 2002 CFPI 138, aux paragraphes 82 et 83, la juge Dawson; Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 36 C.P.R. (4th) 437, aux paragraphes 103 à 106, le juge Gibson; conf. par (2005), 339 N.R. 277, 2005 CAF 250; GlaxoSmithKline Inc. c. Genpharm Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 360, 2003 CF 1248, au paragraphe 45, le juge Heneghan; Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd. (2004), 35 C.P.R. (4th) 353, 2004 CF 1631, aux paragraphes 13 à 21, le juge Mosley; Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc. (2005), 39 C.P.R. (4th) 202, 2005 CF 390, page 209, le juge Shore). Toutes ces décisions permettent d’affirmer que le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations de non-contrefaçon ou d’invalidité du brevet formulées par le défendeur ne sont pas fondées. Le demandeur a le fardeau ultime de la preuve. Néanmoins, comme c’est le défendeur qui fait des allégations dans l’avis d’allégation, il a l’obligation de mettre ces allégations en jeu, c’est-à-dire qu’il doit veiller à ce qu'il y ait suffisamment d'éléments de preuve de ces allégations pour soumettre des questions à l’attention du tribunal (Eli Lilly & Co. c. Nu-Pharm Inc. (1996), 69 C.P.R. (3d) 1, [1996] A.C.F. n904 (C.A.F.) (QL)).

 

[11]           Le tribunal doit donc examiner chacune des allégations de validité et décider, compte tenu de la preuve présentée par la défenderesse, si la preuve est suffisante pour réfuter la présomption de validité. Le cas échéant, le tribunal examine ensuite l’ensemble de la preuve pour déterminer si la demanderesse s’est acquittée de son fardeau consistant à réfuter l’allégation d’invalidité de la défenderesse.

 

[12]           Le droit est assez constant sur ce point et l’interprétation faite par la demanderesse, fondée sur un seul paragraphe d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale, pris hors contexte, ne me convainc pas de m’écarter de la jurisprudence établie.

 

LES TÉMOINS EXPERTS

[13]           Chacune des parties a fait appel à plusieurs experts très compétents. Parmi ceux de Pfizer, il y avait Gerald Brenner et Stephen Byrn.

 

[14]           M. Brenner est un chimiste spécialiste en produits pharmaceutiques et il est titulaire d’un doctorat en chimie organique de l’Université du Wisconsin. Il a travaillé pour Merck pendant 33 ans, et le dernier poste qu’il a occupé était celui de directeur principal de la recherche et développement pharmaceutique et de chef du département de la recherche pharmaceutique. Il travaille comme consultant depuis qu’il a pris sa retraite.

 

[15]           M. Byrn est titulaire d’un doctorat en chimie physique et il a travaillé à l’Université Purdue en Indiana pendant plus de 30 ans. Il est l’auteur de nombreux chapitres de livres et de manuels dans le domaine de la chimie des médicaments à l’état solide, et il a publié plus d’une centaine d’articles scientifiques dans le domaine de la chimie physique.

 

[16]           Du côté des experts de Ratiopharm, il y avait Robert Miller, Eli Shefter et Stephen Houldsworth.

 

[17]           M. Miller est titulaire d’un doctorat en sciences pharmaceutiques de l’Université Temple à Philadelphie. Il a travaillé pour Merck pendant deux ans et il était responsable de la formulation des produits pharmaceutiques. Il a ensuite travaillé pour Novopharm à la formulation des produits pharmaceutiques, à la conception des processus de fabrication et au soutien technique à la fabrication. De 1994 à 2002, il a enseigné à l’Université de la Colombie-Britannique.

 

[18]           M. Shefter a un doctorat en sciences pharmaceutiques et a publié plus d’une centaine d’articles sur différents sujets dans le domaine pharmaceutique. Il a aussi effectué des recherches sur la structure des cristaux et l’activité pharmaceutique des dihydropyridines. Il travaille maintenant à son compte comme consultant pour des sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques, en plus d’être professeur adjoint à l’Université de Californie et directeur scientifique principal d’une société qui fournit des services dans le domaine du développement de produits.

 

[19]           M. Houldsworth est titulaire d’un doctorat en chimie organique de l’Université de Nottingham, en Angleterre, et il est chef de l’équipe de l’exploitation à la société Dalton Chemical Laboratories Inc. Il est responsable des activités quotidiennes de la société et agit comme chef de projet pour de nombreux contrats.

 

[20]           La présente affaire ne repose pas sur la preuve d’expert, car sur tous les principaux points, les experts sont d’accord. Leurs témoignages diffèrent seulement sur la question de savoir ce qu’une personne versée dans l’art aurait considéré comme prévisible ou évident. En fin de compte, ce sont des questions qu’il appartient à la Cour de trancher. Les témoignages des experts sont donc utiles, mais ils ne sont pas concluants. Par conséquent, je vais traiter les témoignages des experts de la même façon que l’a fait le juge Campbell dans AB Hassle c. Apotex (2003), 27 C.P.R. (4th) 465, 2003 CFPI 771 :

16            Dans la présente affaire, tous les experts ont juré avoir rendu un témoignage véridique. Sur ce fondement, la personne qui apprécie la preuve doit présumer que les témoins sont crédibles, à moins qu'on ne démontre clairement le contraire (pour un exemple de ce principe général, voir Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.). Autrement dit, même s'ils défendent, sur un sujet donné, des opinions différentes, on doit présumer que leurs affirmations n'ont pas pour but d'accorder un bénéfice à la partie qui s'appuie sur leur témoignage. Je suis d'avis qu'il est injuste à l'égard des témoins, et donc des parties, de tirer, sous le couvert de conclusions portant sur le poids de la preuve, des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité sans avoir vu et entendu chacun des témoins.

 

17            Je n'ai, en l'espèce, absolument aucune raison de mettre en doute la crédibilité d'aucun des experts.

 

L’INTERPRÉTATION DES BREVETS

 

[21]           Tout litige en matière de brevet commence par l’interprétation du brevet. Dans Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2005), 37 C.P.R. (4th) 487, 2005 CF 9, au paragraphe 15, le juge Harrington a brièvement résumé la jurisprudence, que j’entends suivre, concernant les règles d’interprétation des brevets :

Pour décider de la validité d'un brevet et se prononcer sur la contrefaçon, il faut, comme condition préalable, prendre en compte le libellé des revendications figurant dans le brevet. Le mieux à faire, dans une instance relative à un avis de conformité, est d'adopter la même approche en gardant à l'esprit l'objet restreint du recours. Dans deux arrêts récents, rendus le même jour, la Cour suprême a grandement clarifié les principes d'interprétation applicables en matière de revendications et largement contribué à leur codification : Free World Trust c. Électro-Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067. Dans ces deux arrêts les motifs ont été rédigés par le juge Binnie. Les principes suivants sont particulièrement pertinents en l'espèce :

1. Un brevet est considéré comme un marché conclu entre l'inventeur et le public. En contrepartie de la divulgation de l'invention, l'inventeur se voit accorder un monopole temporaire lui permettant d'exploiter l'invention pour une période restreinte.

2. La Loi exige que la demande de brevet renferme un mémoire descriptif « définissant distinctement et en des termes explicites l'objet de l'invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif ». Le mémoire descriptif doit être rédigé en des termes complets, clairs, concis et exacts « qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention » (Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, et ses modifications, art. 27).

3. Le brevet s'adresse, en théorie, à une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention et doit recevoir l'interprétation que cette personne lui aurait donnée lorsqu'il a été rendu public. (Il sera davantage question de cette personne versée dans l'art plus loin dans ces motifs.)

4. Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l'objet pour assurer le respect de l'équité et la prévisibilité, et pour cerner les limites du monopole. « [L]'ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d'un résultat souhaitable, mais bien à l'enseignement d'un moyen particulier d'y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d'exercer un monopole sur tout moyen d'obtenir le résultat souhaité » (Free World Trust, par. 31 et 32).

5. La partie du mémoire descriptif dans laquelle figurent les revendications prévaut sur la partie dans laquelle la divulgation est effectuée, c'est-à-dire que l'on se servira de la divulgation pour comprendre le sens d'un mot utilisé dans les revendications « mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle [est] écrite et, ainsi, interprétée » (Whirlpool, par. 52).

6. Ce sont seulement les nouvelles caractéristiques que l'inventeur prétend être essentielles qui constituent ce qu'on appelle l' « essence » de la revendication. « L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments essentiels de son invention » (Whirlpool, par. 45).

7. Certains des éléments de l'invention visée par la demande sont essentiels alors que d'autres ne le sont pas compte tenu des connaissances usuelles que détenaient les personnes oeuvrant dans le domaine concerné à l'époque où le brevet a été publié ou compte tenu de l'intention de l'inventeur, expresse ou inférée des revendications. Ce point est au cœur de la position de Biovail selon laquelle l'allégation de Novopharm portant qu'elle ne contrefera pas le brevet 320 est fausse. Autrement dit, était-il manifeste à l'époque de la publication que l'emploi d'une variante ferait une différence?

8. Il est fatal de revendiquer plus que nécessaire. Par ailleurs, si les revendications de l'inventeur sont d'une portée trop limitée, le tribunal ne pourra pas accroître l'étendue du monopole en invoquant « l'esprit de l'invention » . Cela se produit souvent, comme c'est le cas en l'espèce, lorsque l'inventeur recourt à différents niveaux de revendications dont les restrictions sont destinées à servir d'éventuels filets protecteurs de sorte que, si une revendication plus large devait être rejetée, le monopole puisse en partie subsister sur la base d'une autre revendication de moins grande portée.

9. Un brevet n'est toutefois pas un écrit ordinaire. Il est visé par la définition de « règlement » qui figure dans la Loi d'interprétation et il faut l'interpréter de manière compatible avec la réalisation de son objet. « [L]'interprétation des revendications est une question de droit qu'il appartient au juge de trancher, et celui-ci avait parfaitement le droit de donner aux revendications une interprétation différente de celle préconisée par les parties » (Whirlpool, par. 61).

 

[22]           La seule revendication en litige est la revendication 11 du brevet 393; en voici le libellé :

[traduction] « Le bésylate d’amlodipine »

 

Ainsi, seul le bésylate d’amlodipine fait l’objet d’une revendication. Le processus de sélection qui a permis de choisir le bésylate d’amlodipine, ainsi que les propriétés, les utilisations ou l’état de ce produit ne font l’objet d’aucune revendication.

 

[23]           La divulgation du brevet 393 précise que le bésylate a été choisi en raison de sa combinaison inhabituelle de propriétés souhaitables lors de la formulation de préparations pharmaceutiques, c’est-à-dire sa solubilité, sa stabilité, sa non-hygroscopicité et sa traitabilité (caractère adhésif). Les exemples décrivent ensuite deux méthodes permettant de préparer le bésylate d’amlodipine et de formuler ce produit en comprimés, en capsules et en solutions aqueuses stériles.

 

[24]           Il est également précisé dans la divulgation que la solubilité, la stabilité, la non‑hygroscopicité et la traitabilité (caractère adhésif) du bésylate ont été comparées à celles d’autres sels de l’amlodipine acceptables du point de vue pharmaceutique, et que ces sels ont été classés de la façon suivante :

Solubilité et pH (combinés)

1. acétate

2. bésylate

3. salicylate

 

Stabilité

1. bésylate

2. mésylate

3. tosylate

 

Non-hygroscopicité

1. maléate (lié)

1. bésylate (lié)

3. tosylate

 

Traitabilité

1. mésylate

2. bésylate

3. tosylate

 

La divulgation indique que, compte tenu des résultats de cette comparaison, le bésylate est un candidat exceptionnel pour la formulation de préparations pharmaceutiques d’amlodipine, étant donné le rang qu’il occupe dans les quatre catégories.

 

LE CARACTÈRE SUFFISANT DE L’AVIS D’ALLÉGATION

[25]           Dans sa plaidoirie, Pfizer a prétendu que l’avis d’allégation était insuffisant pour les raisons suivantes :

1.         Il ne fait aucunement référence aux essais effectués par Dalton Chemical Laboratories Inc. pour le compte de Ratiopharm en vue de déterminer la stabilité des maléates (les essais effectués par les laboratoires Dalton).

 

2.         Il ne fait pas référence au paragraphe 34(1) de la Loi, même si les conclusions de Ratiopharm font ressortir l’inobservation du paragraphe 34(1).

 

3.         Il ne contient pas l’allégation à l’appui du paragraphe 95 des conclusions de Ratiopharm, à savoir que [traduction] « les sels en nombre limité ayant fait l’objet des essais relatifs au brevet 393 ont été choisis simplement pour faire en sorte que le bésylate apparaisse avantageux ».

 

[26]           Les essais effectués par les laboratoires Dalton pour le compte de Ratiopharm en décembre 2003 avaient pour but de déterminer la stabilité du bésylate et du maléate d’amlodipine. Voici ce que comportaient ces essais :

[traduction] En décembre 2003, Ratiopharm Limited (Ratiopharm) de Mississauga, en Ontario, a retenu les services de Dalton Chemical en vue de faire déterminer la stabilité thermique de l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) brut, soit le bésylate d’amlodipine, du maléate d’amlodipine et des comprimés contenant 10 mg d’IPA (mandat donné par Ratiopharm). En particulier, les services de Dalton Chemical ont été retenus afin de procéder à des essais de dégradation (essais de dégradation) sur l’IPA et sur les comprimés, à deux températures différentes (soit 50 oC et 75 oC) et au taux d’humidité ambiant. L’IPA et les comprimés devaient être analysés par chromatographie liquide haute performance (CLHP) au temps zéro, puis après une semaine, après deux semaines et après trois semaines, aux deux températures. Les essais de dégradation de l’IPA avaient pour but de déterminer le nombre et la quantité (pourcentage d’ingrédient actif) de produits de dégradation à certains moments. Les essais de dégradation des comprimés avaient pour but de déterminer le nombre et la quantité (pourcentage d’ingrédient actif indiqué sur l’étiquette) de produits de dégradation

 

(Affidavit de M. Houldsworth, dossier de la demanderesse, vol. 6, onglet 12, p. 1557)

 

[27]           Il est bien établi que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé des faits et du droit sur lesquels se fonde l’allégation doivent fournir tous les faits que le fabricant de médicaments génériques entend invoquer dans d’éventuelles procédures en interdiction. L’auteur de l’avis d’allégation ne peut pas invoquer d’autres faits que ceux décrits dans son énoncé détaillé (voir Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 F.C. 402, 2002 CAF 290, paragraphes 21 à 26).

 

[28]           Dans son avis d’allégation, Ratiopharm a prétendu que le bésylate n’offre aucun avantage par rapport au maléate en termes de stabilité :

 

[traduction] En ce qui concerne la stabilité, le brevet ne précise pas, pour les différents sels ayant été soumis aux essais, le nombre et la quantité d’impuretés et le degré de différence de stabilité, grâce auxquels on pourrait conclure que le bésylate constitue un avantage notable pour le produit. À la date du brevet 393, l’essai couramment utilisé pour déterminer la quantité d’impuretés dans le produit faisait appel à la chromatographie liquide haute performance (CLHP). Le brevet 393 ne fait état d’aucun résultat obtenu par CLHP. Les résultats des essais réalisés par chromatographie sur couche mince (CCM) dont il est question dans le brevet 393 sont de nature qualitative. En fait, le bésylate n’apporte, en ce qui concerne la stabilité, aucune amélioration notable ou d’une importance pratique par rapport aux autres sels soumis aux essais et, plus particulièrement, aucune amélioration notable ou d’une importance pratique par rapport au maléate d’amlodipine identifié dans les techniques antérieurs comme étant le produit préféré de façon particulière.

 

(Dossier de la demanderesse, vol. 1, p. 29.)

 

[29]           Il n’y a aucune référence dans l’avis d’allégation aux essais effectués par les laboratoires Dalton ou à leurs résultats. Pourtant, ces essais ont été effectués en décembre 2003 et l’avis d’allégation est daté de mai 2004. Les résultats de ces essais constituent des faits nouveaux qui auraient dû être mentionnés dans l’avis d’allégation pour que Pfizer puisse produire ses propres essais contraires si elle avait voulu le faire. Pfizer n’ayant pas été informée dans l’avis d’allégation des essais effectués par les laboratoires Dalton (sauf par la référence indirecte citée plus haut), Ratiopharm ne peut pas maintenant s’appuyer sur ces essais pour attaquer les conclusions de stabilité du bésylate. En application des décisions Mayne Pharma (Canada) Inc c. Aventis Pharma Inc. (2005), 38 C.P.R. (4th) 1, 2005 CAF 50, paragraphe 21, et Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2005), 43 C.P.R. (4th) 161, 2005 CF 1283, paragraphe 305, je ne tiendrai pas compte de la preuve relative aux essais effectués par les laboratoires Dalton.

 

[30]           Accessoirement, j’ajouterais que les résultats des essais effectués par les laboratoires Dalton n’auraient guère servi la cause de Ratiopharm, puisque selon ses propres témoins :

 

 

a) les résultats obtenus à 50 oC étaient anormaux et ne peuvent pas être expliqués scientifiquement;

                        (affidavit de M. Miller, dossier de la demanderesse, vol. 6, onglet 10, p. 1500)

           

            b) la personne ayant procédé aux essais a employé la mauvaise version du protocole et aucune explication de ce fait n’est fournie;           

(contre-interrogatoire de M. Houldsworth, dossier de la demanderesse, vol. 7,

onglet 18, p. 1907)

(contre-interrogatoire de M. Shefter, dossier de la demanderesse. vol. 7,

onglet 17, p. 1860)

 

c) les résultats provenant d’une seule machine sont rapportés, alors que deux machines ont été utilisées; il n’y a rien qui nous informe des résultats de la deuxième machine ou qui explique pourquoi ils n’ont pas été fournis.

(contre-interrogatoire de M. Houldsworth, dossier de la demanderesse, vol. 7,

onglet 18, p. 1907)

 

 

[31]           En ce qui a trait au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, aussi appelée la Loi sur les brevets antérieure à 1989 (l’ancienne Loi), je ne parviens pas à saisir les mérites de l’allégation de Pfizer. Le paragraphe 34(1) prévoyait ce qui suit :

34(1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur :

a) décrit d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l'inventeur.

 

[32]           L’article 34 exige que le mémoire descriptif divulgue l’invention. La question de savoir si le mémoire descriptif divulgue correctement l’invention doit être examinée du point de vue de l’ouvrier versé dans l’art. Deux choses doivent être décrites dans le mémoire descriptif : 1) l’invention et 2) l’application ou l’exploitation de l’invention. Dans le cas d’un brevet de sélection, l’inventeur doit divulguer dans le mémoire descriptif les avantages spéciaux que procurent les éléments de la catégorie qu'il a choisis (voir Sanofi-Synthelabo, précitée, au paragraphe 56).

 

[33]           Ratiopharm prétend que la divulgation du brevet 393 ne démontre pas que le sel de bésylate possède des propriétés de stabilité spéciales d’une importance matérielle quelconque par rapport aux autres sels d’addition acide mis à l’essai. Elle ne fait pas état de propriétés spéciales qui seraient surprenantes ou inattendues par rapport aux autres sels d’addition acide qui viendraient appuyer la conclusion formulée dans le brevet 393 selon laquelle ce sel est [traduction] « nettement plus approprié pour la préparation de formulations d’amlodipine » que les autres sels évalués. Il importe peu qu’elle n’ait pas cité le paragraphe 34(1). Il ressort clairement de l’avis d’allégation que Ratiopharm conteste le brevet 393, notamment pour le motif qu’il n’est pas un brevet de sélection valide, une manière indirecte de dire qu’il n’est pas conforme au paragraphe 34(1).

 

[34]           Quant au troisième point soulevé au paragraphe 25, il s’agit d’une allégation implicite dans une contestation du brevet 393 pour le motif qu’il n’est pas un brevet de sélection valide. Il n’est donc pas nécessaire de l’indiquer explicitement dans l’avis d’allégation. Le brevet est ou n’est pas un brevet de sélection valide; les motifs de la sélection ne sont pas en cause.

 

L’ANTÉRIORITÉ

[35]           Pfizer prétend que le brevet 393 se heurte à l’antériorité du brevet européen correspondant au brevet 865, soit la demande de brevet européen 0089167. Il n’est pas contesté que la demande de brevet européen précède le brevet 393 de plus de deux ans. Le paragraphe 27(1) de l’ancienne Loi est ainsi libellé :

27 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas :

 a)            connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;

 b)            décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

c)            en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

 

 

[36]           La règle de droit applicable à l’antériorité et aux brevets de sélection a été résumée récemment par mon collègue le juge Shore dans la décision Sanofi-Synthelabo, précitée, où il a dit aux paragraphes 55 et 56 : 

55            Par antériorité, on veut dire que l'invention exacte a déjà été faite et a été divulguée au public. Le critère de l'antériorité a été décrit dans la décision Beloit et a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Free World [au paragraphe 26] :

Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. (Non souligné dans l'original.)

Le choix du terme « infailliblement » est important. La simple possibilité qu'une personne puisse agir dans le cadre de la revendication n'est pas, en soi, suffisante pour qu'il y ait antériorité.

 

[…]

 

Ainsi que l'a décidé la Cour dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., la revendication visant un composé chimique spécifique ne peut se heurter à un document d'antériorité qui décrit uniquement une catégorie ou un genre général de composés auquel appartient le composé en question, étant donné que le document d'antériorité ne fournit pas d'instructions qui permettent infailliblement d'arriver au composé spécifique.

56            En ce qui a trait à la découverte des propriétés avantageuses particulières d'un composé donné, choisi parmi des composés appartenant à une catégorie plus générale, Fox affirmait ce qui suit aux pages 89 et 90 de Canadian Law and Practice (4édition) :

[traduction] On peut faire preuve d'invention en choisissant une substance parmi plusieurs autres, à une fin particulière, même si d'autres substances de cette catégorie ont déjà été utilisées à la même fin, pourvu que l'utilisation de la substance choisie procure un avantage spécial et que ce choix fasse assurément avancer les connaissances. Même si la personne qui choisit simplement un certain nombre d'éléments parmi ceux d'un groupe ou d'une série divulgué n'invente rien, il pourrait en être tout autrement si ses recherches l'amènent à découvrir que certains éléments du groupe ou de la série possèdent des qualités particulières ou présentent des caractéristiques particulières en elles-mêmes qui étaient jusqu'ici inconnues. (Citations omises et soulignement ajouté.)

 

Dans Re E.I. Du Pont Nemours & Co. Application, la Chambre des lords déclarait ce qui suit à l'égard des propriétés avantageuses nouvellement découvertes :

[traduction] Le droit applicable aux brevets de sélection s'est développé de façon à régler ce problème [...] La position actuelle a été succinctement exposée par lord Diplock :

[...] L'étape inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu'un ou plusieurs éléments d'une catégorie de produits antérieurement connue offre certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n'auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite [...] En contrepartie du monopole qui lui est accordé, l'inventeur doit divulguer au public dans son mémoire descriptif les avantages spéciaux que procurent les éléments de la catégorie qu'il a choisis. (Beecham Group v. Bristol Laboratories International S.A, [1978] R.P.C. 521, à la p. 579). (Non souligné dans l'original.)


[37]           Ainsi, la question devient la suivante : la demande de brevet européen a-t-elle fourni à une personne au fait de l’art des instructions d'une clarté telle qu'elle arriverait infailliblement au sel revendiqué dans le brevet 393, c’est-à-dire le bésylate d’amlodipine?

 

[38]           Avant d’appliquer ces principes au brevet 393, la Cour souligne que les faits suivants ne sont pas contestés :

a)         la demande de brevet européen et le brevet 865 revendiquent la découverte de certaines 1,4-dihydropyridines (qui comprennent l’amlodipine) et de leurs sels acceptables du point de vue pharmaceutique;

 

b)         la demande de brevet européen et le brevet 865 décrivent l’utilisation desdites 1,4‑dihydropyridines (qui comprennent l’amlodipine) et de leurs sels acceptables du point de vue pharmaceutique comme agents anti-ischémiques ou anti-hypertensifs dans un excipient acceptable du point de vue pharmaceutique;

 

c)         les sels acceptables du point de vue pharmaceutique (l’amlodipine étant une base) désignent les 80 anions décrits dans l’article fondamental de Stephen Berge, intitulé « Pharmaceutical Salts », paru en janvier 1977 (Berge) dans le Journal of Pharmaceutical Sciences, dans lequel figurent quelque 80 sels, dont le bésylate.

 

[39]           La sélection d’un sel est difficile et exige beaucoup de temps. M. Brenner la décrit ainsi :

[traduction] De nombreux produits pharmaceutiques sont actifs lorsqu’il ne sont pas à l’état ionique (c’est-à-dire lorsqu’ils sont à l’état libre); il n’est pas nécessaire que ces produits soient sous forme de sels pour présenter les effets physiologiques recherchés. Toutefois, les produits sous forme de sels peuvent présenter des propriétés différentes de celles de leurs produits d’origine, y compris des propriétés physiques et chimiques pouvant influer favorablement sur la préparation d’une forme pharmaceutique commerciale. Dans le cas d’acides ou de bases libres ne présentant pas les propriétés optimales nécessaires à la préparation d’une forme pharmaceutique, on peut modifier ou améliorer ces propriétés en choisissant un sel approprié. Ce processus de sélection permet de modifier ou d’optimiser de nombreuses propriétés d’un produit.

 

[…]

 

Certains produits pharmaceutiques sous forme d’acide ou de base libre présentent, à la température ambiante, l’aspect d’une huile (par exemple, l’un des sels de l’exemple 18 dans la demande de brevet européen) ou d’un solide à faible point de fusion. Il est difficile de purifier et de manipuler les produits qui présentent l’aspect d’une huile. D’autres produits sous forme d’acide ou de base libre présentent l’aspect d’une solide « amorphe » à la température ambiante. Ces produits se manipulent plus facilement qu’une huile, mais il est difficile de les purifier. La purification — par exemple par cristallisation – est un aspect important de la préparation d’un produit pharmaceutique, et ce, pour plusieurs raisons, à tout le moins : elle permet d’éliminer les impuretés potentiellement toxiques; de plus, dans le cas de produits ne présentant pas la stabilité optimale, la stabilité tend normalement à augmenter avec le degré de pureté.

 

De nombreux sels se présentent sous forme de solides cristallins à la température ambiante. Dans le cas de produits pharmaceutiques, la forme cristalline est la forme optimale, non seulement parce qu’il est plus facile de manipuler des cristaux, mais aussi parce que la cristallisation constitue le principal processus de purification de ce type de produits.

 

Le point de fusion élevé de nombreux sels constitue aussi une propriété souhaitable lors de la préparation de produits pharmaceutiques commerciaux. Par exemple, lors de la fabrication de comprimés, les pressions appliquées sont suffisamment élevées pour générer de la chaleur et ainsi faire fondre le produit. Plus le point de fusion d’un produit est élevé, plus ce produit se prête au procédé de fabrication de comprimés. Je constate, en lisant l’exposé de la demande de brevet européen, que la base libre de l’amlodipine ne pourrait, en raison de son faible point de fusion (79‑80 oC), être mise en comprimés. Il faudrait choisir un sel d’amlodipine possédant un point de fusion plus élevé. Comme le précise l’exposé du brevet 393, le bésylate d’amlodipine en serait un exemple. Il est indiqué dans cet exposé que le bésylate possède un point de fusion de 201 oC.

 

Comme l’illustrent mes exemples, le processus de sélection d’un sel constitue une partie très importante de la mise au point d’un produit pharmaceutique, car il permet d’adapter les propriétés du produit à une fin particulière. Par exemple, dans le cas de la fabrication de comprimés à l’échelle commerciale, on peut choisir un sel qui permettra d’optimiser la combinaison de propriétés qui sont importantes lors de ce procédé, entre autres la stabilité, la non-hygroscopicité, la solubilité et le point de fusion.

 

Malgré l’importance que revêt ce processus de sélection, il n’a jamais été possible de déterminer quel sera le comportement d’un acide donné une fois combiné à une molécule donnée, quelles seront les propriétés du sel ainsi obtenu et quel sel d’un produit pharmaceutique convient le mieux à une fin particulière. Les caractéristiques des sels sont et ont toujours été imprévisibles. C’est pour cette raison que le processus de sélection d’un sel a été décrit – et à juste titre, à mon avis –comme une « difficile tâche empirique » : veuillez vous reporter à l’article de synthèse bien connu de S.M. Berge et coll., intitulé « Pharmaceutical Salts », publié dans J. Pharm. Sci. (1977), 66:1-19 [...]

 

(Affidavit de M. Brenner, dossier de la demanderesse, vol. 4, onglet 4, p. 1063)

 

Ce témoignage n’a pas été contesté lors du contre-interrogatoire.

 

 

 

[40]           De même, 80 sels acceptables du point de vue pharmaceutique figurent dans le tableau de Berge. Néanmoins, cela ne veut pas dire que simplement 80 essais sont nécessaires; il faudrait plutôt procéder à des millions d’essais, comme l’a fait remarquer M. Byrn dans son affidavit qui n’a pas été contesté :

[traduction] Rien ne permettrait à une personne versée dans le domaine de conclure, à partir des propriétés des bésylates d’autres composés, que le bésylate d’amlodipine possède une combinaison de propriétés favorisant son utilisation comme préparation pharmaceutique.

 

À mon avis, la thèse, s’il s’agit bien de la thèse de Ratiopharm, selon laquelle il est évident que tous les sels possibles d’un composé donné, qui sont acceptables du point de vue pharmaceutique, peuvent être préparés puis soumis à des essais en vue de déterminer lesquels conviennent le mieux, n’est pas raisonnable. En plus des nombreux sels à synthétiser et des nombreux essais à effectuer pour établir leurs propriétés physicochimiques, il faut aussi déterminer les propriétés cristallines des sels ainsi obtenus. Pour ce faire, il faudrait procéder à de nombreuses expériences de cristallisation dans diverses conditions – c’est-à-dire avec différents solvants, à différentes températures, à des concentrations différentes et à des taux d’évaporation différents – afin d’identifier une forme cristalline stable. Il faudrait alors procéder à des millions d’expériences. En pratique, on ne procéderait pas à un si grand nombre d’expériences, en raison, du moins, de l’énorme quantité de matière que cela exigerait.

 

(Affidavit de M. Bryn, dossier de la demanderesse, vol. 4, onglet 5, p. 1100)

 

 

[41]           La demande de brevet européen indique qu’il est possible de préparer des 1,4 dihydropyridines (qui comprennent l’amlodipine) et leur sels acceptables du point de vue pharmaceutique; elle donne l’exemple du maléate pour illustrer la façon dont cette préparation est réalisée. Elle indique également que ce procédé peut être appliqué à n’importe lequel des 80 sels acceptables du point de vue pharmaceutique mentionnés dans l’article de Berge. Toutefois, la demande n’indique pas à une personne versée dans le domaine :

i)          pourquoi il faut choisir l’acide benzènesulfonique (bésylate) comme l’un des premiers choix pour obtenir un sel d’addition acide de l’amlodipine;

 

ii)         si l’acide benzènesulfonique forme un sel à l’état solide de l’amlodipine;

 

iii)         les propriétés particulières du bésylate d’amlodipine ou l’avantage qu’elles constituent pour des préparations pharmaceutiques.

 

[42]           À la lumière de ce qui précède, il semble évident qu’une personne versée dans l’art n’arriverait pas infailliblement à fabriquer le sel de bésylate à partir de la demande de brevet européen. Par conséquent, je ne crois pas que la demande de brevet européen constituait une antériorité opposable au brevet 393.

 

LA VALIDITÉ DU BREVET DE SÉLECTION

[43]           Ratiopharm soutient que le brevet 393 est invalide, car il s’agit d’un double brevet relatif à une évidence et d’un brevet de sélection inapproprié. Elle soutient que :

a)         la sélection du bésylate d’amlodipine parmi une catégorie déjà divulguée de sels d’amlodipine acceptables du point de vue pharmaceutique ne satisfait pas aux critères d’un brevet de sélection valide;

 

b)         l’exposé du brevet 393 n’est pas suffisant pour permettre d’appuyer la sélection du bésylate d’amlodipine parmi les autres sels d’addition acide, basée sur une combinaison de caractéristiques de solubilité, d’hygroscopicité, de traitabilité et de stabilité.

 

[44]           Dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, le juge Binnie a dit aux paragraphes 66 et 67 :

L'interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence ». Il s'agit d'un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d'un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur […]

 

Dans l'arrêt Consolboard, précité, le juge Dickson a qualifié l'arrêt Farbwerke Hoechst d' « arrêt qui fait autorité en matière de double brevet » (p. 536) et qui appuie la proposition selon laquelle un second brevet ne saurait être justifié que si les revendications font preuve « de nouveauté ou d'ingéniosité » par rapport au premier brevet […]

 

[45]           Les experts des deux parties conviennent que le brevet 865 est un brevet de genre qui comprend le bésylate d’amlodipine. L’amlodipine est mentionnée dans la revendication 12 du brevet 865 dans la nomenclature de la chimie organique (voir l’affidavit de M. Shefter, dossier de la demanderesse, vol. 6, onglet 11, p. 1519, par. 12; contre-interrogatoire de M. Byrn, dossier de la demanderesse, vol. 5, onglet 9, p. 1421, questions 130 à 132).

 

[46]           À moins que le brevet puisse être qualifié de brevet de sélection, le concept de double brevet relatif à une évidence énoncé par le juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool, précité, interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par un brevet antérieur.

 

[47]           Les brevets de sélection trouvent leur origine dans la décision I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289, où le juge Maughan a fait remarquer à la page 322 :

[traduction] Il y a trois affirmations générales qui, à mon avis, peuvent cependant être tenues pour vraies. Premièrement, pour être valide, un brevet de sélection doit se fonder sur un avantage notable à tirer de l'utilisation des éléments sélectionnés (ou encore permettre d’éviter un désavantage notable). Deuxièmement, la totalité des éléments sélectionnés doivent posséder l'avantage en question. Troisièmement, la sélection doit être faite en fonction d'une qualité ou d'une caractéristique spéciale que l’on peut à juste titre qualifier de particulière au groupe d’éléments sélectionnés.

 

 

[48]           On peut trouver la justification d’une telle position de principe dans la remarque qu’a fait lord Glaisdale dans E.I. Du Pont de Nemours & Co. (Witsiepse’s) Application, [1982] FSR 303 (H.L.), à la page 313 :

[traduction] Le type d’invention que les règles concernant les brevets de sélection ont pour but de favoriser ressort des propos tenus par mon très cher ami, lord Diplock, dans Beecham Group Ltd. v. Bristol Laboratories International S.A. [1978] R.P.C. 521, page 579 :

 

L'étape inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu'un ou plusieurs éléments d'une catégorie de produits antérieurement connue offre certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n'auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite découverte (Re I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930) 47 R.P.C. 283, juge Maugham, pages 322 et 323). En contrepartie du monopole qui lui est accordé, l'inventeur doit divulguer au public dans son mémoire descriptif les avantages spéciaux que procurent les éléments de la catégorie qu'il a choisis.

 

[49]           On trouve un excellent résumé de l’état du droit en la matière dans le texte de l’auteur britannique T.A. Blanco White, Patents for Inventors and the Protection of Industrial Designs, 5éd. (Londres : Stevens & Sons, 1983), page 62, paragraphe 14-110, où il est dit :

[traduction] À l’heure actuelle, on estime que la divulgation d’une catégorie, même très limitée, en termes généraux ou par l’énumération de ses éléments, ne constitue pas une divulgation des éléments individuels de cette catégorie qui ferait en sorte qu’ils ne seraient plus nouveaux. Plus particulièrement, la simple énonciation du nom systématique d’un composé chimique ne constitue pas la publication de ce nom; un composé n’est pas un composé déjà connu tant qu’il n’a pas effectivement été fabriqué. De plus, une invention nécessitant la connaissance des propriétés d’un composé n’a pas été effectuée, et ne peut donc pas être publiée, non seulement tant que le composé n’a pas été fabriqué, mais aussi tant qu’on n’a pas vérifié s’il possédait les propriétés en question. Ainsi, dans toute affaire ordinaire relative à un brevet de sélection, la question n’en est pas une de nouveauté, mais d’évidence, d’utilité et de description suffisante, et cela, de la manière ordinaire.

 

[50]           Un examen attentif du brevet 393 permet de constater qu’aucune raison n’est donnée pour expliquer pourquoi seules la solubilité, la stabilité, la non-hygroscopicité et la traitabilité des neuf sels ont été déterminées. C’est étonnant vu la teneur du paragraphe 24 du mémoire de Pfizer :

 

[traduction] La tendance à la dégradation du maléate d’amlodipine constitue un problème. La structure de la partie maléate permet au maléate d’amlodipine de participer à un processus chimique appelé réaction d’addition de Michael (RAM). Cette RAM transforme le maléate d’amlodipine en une molécule différente (produit RAM). Ce produit RAM est biologiquement actif et, à une concentration non contrôlée, pourrait constituer un risque pour la sécurité du patient. Pfizer a donc pris la mesure inhabituelle de mettre fin aux essais cliniques sur le maléate d’amlodipine, qui étaient déjà en cours, et a entrepris des travaux de recherche en vue de trouver un autre sel plus avantageux.

 

(Dossier de la demanderesse, vol. 8, par. 24)

 

[51]           Aucune raison n’est donnée pour expliquer la sélection de seuils. L’examen des seuils pour chaque caractéristique révèle que :

a)  Le seuil pour la solubilité est supérieur à 1 mg.mL-1 à un pH de 1-7,5 (pH voisin du pH du sang, qui est de 7,5). Aucune raison n’est donnée pour expliquer ce seuil de 1 mg.mL-1. Pourtant, il est indiqué dans le tableau 1 à la page 3 du brevet 393 que la solubilité du bésylate est de 4,6, tandis que celle du mésylate est de 25 et celles de l’acétate et du chlorhydrate sont, l’une et l’autre, de 50. Des solutions saturées d’acétate et de bésylate présentent le même pH. De plus, selon les témoignages d’experts, il est évident que le pH pourrait être facilement ajusté par l’addition d’une substance appropriée. M. Miller a déclaré dans son affidavit :

 

[traduction] Le formulateur versé dans le domaine pourrait avoir ajusté le pH de chaque sel en choisissant un excipient alcalin ou acide approprié à l’état solide pour améliorer la dissolution. 

(Déclaration de M. Miller, dossier de la demanderesse, vol. 6, onglet 10, p. 1499, par. 47)

 

            Le seuil pour la solubilité reste donc totalement sans explication.

 

b)      Le seuil pour la stabilité n’est pas mentionné. Pour déterminer la stabilité, chaque sel a été mélangé à un véhicule en poudre (dans le cas de comprimés, le véhicule était constitué d’un mélange dans un rapport 50/50 de cellulose microcristalline et de phosphate de calcium anhydre), mis dans un flacon fermé hermétiquement, puis entreposé à une température de 50 °C et de 75 °C pendant une période pouvant atteindre trois semaines. Les sels et tout produit de décomposition ont ensuite été comparés et classés selon le nombre et la quantité de produits de décomposition qu’ils contenaient. Le bésylate s’est avéré le produit le plus stable. Toutefois, ni le nombre et la quantité de produits de décomposition ni la différence entre les sels n’étaient précisés. Il est donc impossible d’établir dans quelle mesure le bésylate est plus stable que le mésylate, par exemple, et de déterminer si cette cette différence est importante. Comme l’a dit M. Shefter :

 

 

[traduction] La seule information que l’on puisse tirer de l’exposé du brevet 393 est que les sulfonates (bésylate, mésylate et tosylate) sont plus stables que les autres sels qui ont été évalués (qui ne sont pas des sulfonates) et que le bésylate est le plus stable des sulfonates. L’exposé n’indique donc pas que le bésylate possède des propriétés de stabilité spéciales d’une importance matérielle quelconque par rapport aux autres sels qui ont été évalués. Il est précisé dans le brevet 393 que la stabilité du maléate d’amlodipine, la forme préférée d’amlodipine décrite dans la demande de brevet européen, suscitait de l’inquiétude, car ce produit avait tendance à se dégrader après quelques semaines en solution. Si la stabilité des sels d’addition acide de l’amlodipine acceptables du point de vue pharmaceutique avait alors préoccupé les inventeurs dont les noms figurent dans le brevet 393, je me serais attendu à ce que ces inventeurs quantifient alors ces propriétés de stabilité des sels évalués dans le brevet 393 et qu’il soit précisé dans ce brevet dans quelle mesure le bésylate possède la plus grande stabilité parmi les sels qui ont été évalués.

(Affidavit de M. Shefter, dossier de la demanderesse, vol. 6, onglet 11, p. 1535, par. 41)

 

c) Voici comment est défini le seuil pour la non-hygroscopicité : le sel doit demeurer anhydre lorsqu’il est exposé dans un milieu présentant une humidité relative de 75 % et une température de 37 °C pendant 24 heures et dans un milieu présentant une humidité relative de 95 % et une température de 30 °C pendant trois jours. On ne précise pas pourquoi ces trois paramètres ont été choisis, ni pourquoi ils ont été modifiés au cours de la seconde expérience. De plus, M. Miller a déclaré dans son affidavit :

 

 

[traduction] À mon avis, l’essai réalisé dans un milieu présentant une humidité relative de 95 % est un essai extrême, car le taux d’humidité est considérable dans un tel milieu. Normalement, un essai d’hygroscopicité serait réalisé dans un milieu présentant une humidité relative de 75 %. À mon avis, les résultats de l’essai réalisé dans un milieu présentant une humidité relative de 95 % ne peuvent être utilisés pour déterminer si le tosylate demeurerait anhydre sous forme de comprimés. Il n’y a, à mon avis, aucune différence pharmaceutique pratique en ce qui concerne l’hygroscopicité du maléate, du tosylate et du bésyalte d’amlodipine. De plus, il n’est pas précisé, dans l’exposé du brevet, dans quelle mesure les autres sels d’amlodipine avaient absorbé de l’eau lors de l’essai réalisé à une humidité relative de 75 %. Il se peut que ces autres sels n’en aient absorbé qu’une très petite quantité; auquel cas, il n’y aurait aucune différence pharmaceutique pratique entre ces autres sels et le maléate, le tosylate et le bésylate.

(Affidavit de M. Miller, dossier de la demanderesse, vol. 6, onglet 10, p. 1501, par. 57)

 

d) Le seuil de traitabilité est défini comme étant le degré d’adhésivité du maléate à la presse d’une machine à fabriquer des comprimés. Aucune raison n’est donnée pour expliquer pourquoi le maléate possède le degré idéal de non-adhésivité, pourquoi la petite différence relative est si importante et pourquoi ce problème ne pourrait pas être résolu par l’addition d’un lubrifiant. Voici ce que M. Shefter a observé :

 

[traduction] L’essai d’adhésivité décrit dans le brevet 393 n’a guère de sens, et ce, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, pour chaque sel évalué, la quantité d’amlodipine dans les constituants du comprimé qui adhérait à la presse de la machine à fabriquer des comprimés était très faible. À mon avis, les différences de quantités seraient, en pratique, sans importance. Tout comme pour la demande de brevet européen présentée en 1983, le formulateur versé dans le domaine aurait reconnu qu’il fallait ajouter un lubrifiant, comme le stéarate de magnésium, à la préparation de comprimés commerciale et aurait ajusté cette préparation afin d’obtenir une bonne compressibilité et un bon caractère lubrifiant, ce qui aurait éliminé pratiquement tout le caractère adhésif.

 

En fait, le brevet 393 reconnaît qu’on peut obtenir une bonne compressibilité en utilisant des excipients de dilution appropriés (brevet 393, p. 5). De plus, les préparations contenant 5 mg et 10 mg de bésylate d’amlodipine qui proviennent de chez Pfizer renferment du stéarate de magnésium comme excipient (affidavit de Lombardi, pièce B-49). Si le bésylate d’amlodipine présentait des propriétés de traitabilité étonnamment et notablement supérieures, Pfizer n’aurait pas à ajouter un lubrifiant, comme le stéarate de magnésium, à la préparation commerciale de ce produit.

(Affidavit de M. Shefter, dossier de la demanderesse, vol. 6, onglet 11, p. 1539 et 1540, par. 52 et 53.)

 

[52]           Comme le montre l’analyse qui précède, un seuil, pour lequel aucune explication n’a été donnée, a été attribué à chacun des quatre facteurs. Aucune preuve permettant d’établir que les quatre caractéristiques n’étaient pas connues au préalable n’a été présentée. De même, aucune preuve permettant de justifier les seuils en termes d’exigences réglementaires, de normes industrielles, de facilité de production ou de réduction au minimum des coûts n’a été présentée. Dans le brevet 393, on ne fait que vérifier l’étendue des caractéristiques et comparer celles-ci aux caractéristiques de neuf autres sels. Le brevet 393 décrit, dans les termes suivants, la façon dont ces seuils (qui, selon Ratiopharm, ont été fixés de façon arbitraire) sont atteints ou dépassés :

 

[traduction] Il a maintenant été constaté inopinément que le benzènesulfonate (ci-après appelé bésylate) présente un certain nombre d’avantages par rapport aux sels connus de l’amlodipine et qu’il possède aussi, on l’a en outre constaté inopinément, une combinaison unique de propriétés de formulation avantageuses grâce auxquelles ce sel se prête particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine

 

[53]           Toutefois, à mon avis, il n’en est rien. Toute combinaison des quatre caractéristiques des neuf sels peut être considérée comme unique et comme se prêtant particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine, pourvu qu’aucune raison ne soit donnée pour expliquer la sélection de la valeur seuil. Toute modification de ces seuils pourrait se traduire par un autre sel présentant [traduction] « une combinaison unique de propriétés de formulation avantageuses grâce auxquelles ce sel se prête particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine ». En fait, on peut manipuler ces seuils de façon à obtenir le résultat recherché.

 

[54]           Le but d’un brevet de sélection est de récompenser l’inventeur ayant découvert des caractéristiques jusqu’ici inconnues qui sont propres aux éléments de la sélection. Il ne s’agit pas d’autoriser la création de brevets de sélection valides en permettant à un « inventeur » de vérifier le degré de caractéristiques connues, de fixer, sans justification aucune, des seuils inexpliqués, puis de revendiquer comme unique tout produit satisfaisant à cette combinaison de caractéristiques.

 

[55]           Ce que Pfizer a fait dans le présent cas n’équivaut essentiellement qu’à vérifier que le bésylate possède les degrés de caractéristique suivants :

a)         solubilité : 4,6 mg.ml-1, pH : 6,6;

 

b)         stabilité : sel le plus stable parmi le chlorhydrate, l’acétate, le maléate, le salicylate, le succinate, le tosylate, le mésylate et le bésylate;

 

c)         non-hygroscopicité : demeure non-hygroscopique lorsque exposé à une température de 90 °C pendant trois jours;

d)         traitabilité : 1,17 μg d’amlodipine par cm2, c.-à-d. 58 % par rapport au maléate.

           

            Il est bien établi en droit que la vérification de propriétés existantes ou de leur degré ne constitue pas une activité inventive (voir H.G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd.) (Toronto : The Carswell Company Limited, 1969), p. 90). En l’espèce, il n’y a ni « avantage notable à tirer de l’utilisation des éléments sélectionnés » ni « qualité ou caractéristique spéciale que l’on peut à juste titre qualifier de particulière au groupe d’éléments sélectionnés », comme l’exige le critère à trois étapes énoncé dans la décision I G Farbenindustrie, précitée.

 

[56]            En ce qui concerne la « combinaison unique » de ces caractéristiques, dans un cas comme la présente espèce où aucune raison n’est donnée pour justifier la sélection des caractéristiques ou des seuils, je dois souscrire à l’argument de Ratiopharm, qui déclare :

 

[traduction] Pfizer affirme que la combinaison unique de propriétés de formulation du bésylate d’amlodipine ne peut être prévue et constitue donc un avantage fortuit. Si elle s’avérait exacte, cette affirmation pourrait mener au résultat absurde que la sélection de tout [sel] d’un ingrédient actif et la vérification de ses propriétés pourraient être brevetées. Tout sel sélectionné pourrait faire l’objet d’essais visant à déterminer un nombre quelconque de propriétés, ce qui, il est concevable, permettrait d’appuyer une revendication de « propriétés uniques » ne pouvant être prévues. Je dois donc rejeter l’argument de Pfizer.

 

                                                (Dossier de la défenderesse, mémoire modifié, par. 87)

 

[57]           Par conséquent, le brevet 393 n’est pas un brevet de sélection valide et Pfizer n’est pas parvenue à réfuter l’allégation de Ratiopharm selon laquelle le brevet 393 est invalide car il s’agit d’un double brevet relatif à une évidence.

 

[58]           En raison de ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner l’allégation de Ratiopharm relative à l’évidence.

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée et que les dépens soient adjugés aux défendeurs.

 

« Konrad W. von Finckenstein »   

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                               T-1350-04

 

INTITULÉ :                                             Pfizer Canada Inc. et al. c. Le ministrede la Santé et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 23 janvier 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :        Le juge von Finckenstein

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 17 février 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Andrew Shaughnessy, Kamleh Nicola, Andrew Bernstein

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Glen Bloom, David Aitken

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Torys s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin and Harcourt s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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