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Date : 20010613

Dossier : IMM-2248-00

Référence neutre : 2001 CFPI 643

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

MARIA TRINIDAD CORTES HERNANDEZ

ROMAN LOPEZ CORTES

KARINA IVONNE SANCHEZ GONZALEZ

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée suivant l'article 82 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), de la décision datée du 10 avril 2000 rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que Maria Trinidad Cortes Hernandez, Roman Lopez Cortes et Karina Ivonne Sanchez Gonzales n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Les demandeurs sollicitent l'annulation de la décision précédemment mentionnée et le renvoi de l'affaire à la Commission pour réexamen avec la directive de déclarer que les demandeurs sont des réfugiés au sens de la Convention ou, subsidiairement, le renvoi de l'affaire à la Commission pour réexamen avec les directives que la Cour jugera appropriées.

Les faits                                                                                        

[3]                 Les demandeurs, Maria Hernandez, son fils Roman Cortes et la conjointe de fait de son fils, Karina Gonzales, sont citoyens mexicains. Maria Hernandez est entrée au Canada le 26 novembre 1996 et a par la suite revendiqué le statut de réfugiée en 1997. Roman Cortes et Karina Gonzalez sont entrés au Canada le 4 août 1998 et ont par la suite revendiqué le statut de réfugiés.


[4]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels, Maria Hernandez prétend qu'elle était victime de mauvais traitements de la part de son conjoint de fait, Raul Nunez Ricarte. Maria Hernandez travaillait à Mexico pour PEMEX, société pétrolière d'État. Raul Nunez Ricarte y était aussi employé et aurait occupé un poste de « dirigeant important » . En 1990, Maria Hernandez et son fils Roman Cortes ont emménagé chez Raul Nunez Ricarte. Maria Hernandez allègue que Raul Nunez Ricarte, au cours d'une période de quatre ans, l'a maltraitée et l'a battue à de nombreuses reprises, tant au travail qu'à la maison, le premier incident important étant survenu en juin 1990. Au début, Maria Hernandez a déclaré qu'elle avait vécu avec Raul Nunez Ricarte pendant quatre ans, mais elle a mentionné, lors de l'audition de sa revendication, qu'elle avait vécu avec lui pendant seulement trois ans.

[5]                 Maria Hernandez a finalement signalé ses problèmes à PEMEX et à la police, mais rien n'a été fait. Elle allègue avoir perdu son emploi lorsque Raul Nunez Ricarte a imité sa signature sur une lettre de démission. En janvier 1994, Maria Hernandez a déménagé dans une autre ville afin de travailler dans un nouveau bureau de PEMEX, mais elle a démissionné et est retournée à Mexico après une semaine parce qu'on l'a questionnée au sujet de Raul Nunez Ricarte. À Mexico, Maria Hernandez s'est cachée chez son oncle, mais Raul Nunez Ricarte l'a trouvée et l'a menacée à deux reprises. Elle a alors déménagé dans une résidence de personnes âgées où elle travaillait, mais Raul Nunez Ricarte l'a encore une fois trouvée. En février 1996, Maria Hernandez est tombée et s'est fracturé la cheville après que Raul Nunez Ricarte eut failli la heurter avec sa voiture. En novembre 1996, Raul Nunez Ricarte a tenté de la forcer à monter dans sa voiture devant la résidence pour personnes âgées où elle travaillait. Une voiture de police qui passait alors s'est arrêtée, mais la police a laissé Raul Nunez Ricarte partir malgré les plaintes de Maria Hernandez.


[6]                 Roman Cortes et Karina Gonzalez prétendent qu'ils ont été suivis, intimidés et harcelés par Raul Nunez Ricarte après que Maria Hernandez eut quitté le Mexique. En avril 1997, des hommes ont forcé Roman Cortes à monter dans une voiture, l'ont frappé et l'ont interrogé sur les allées et venues de sa mère. Roman Cortez a signalé l'incident à la police le lendemain, mais les policiers n'ont pas préparé de rapport parce qu'il ne portait aucune marque de l'incident. En juin 1998, Roman Cortes a encore une fois été forcé de monter dans une voiture, a été battu et a été interrogé au sujet des allées et venues de sa mère. Il ne s'est pas adressé à la police parce que ceux qui l'avaient battu ont menacé Karina Gonzalez. En juin 1998, Karina Gonzalez a elle-même été forcée de monter dans une voiture et a été interrogée au sujet des allées et venues de Maria Hernandez. Raul Nunez Ricarte n'était jamais présent lors de ces incidents.

[7]                 Les revendications des demandeurs ont été entendues le 8 juillet 1999 et le 26 août 1999. Lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, la Commission a déclaré en partie ce qui suit aux pages 1 et 2 de sa décision :

Le tribunal conclut qu'aucun de ces revendicateurs n'est un réfugié au sens de la Convention. Ils n'ont pas présenté de preuves suffisamment crédibles ou dignes de foi permettant d'établir qu'ils ont une crainte fondée de persécution au Mexique en raison d'un motif énoncé dans la Convention. De plus, ils n'ont pas demandé la protection de leur pays. Cette protection leur était pourtant raisonnablement disponible. Ils avaient tous également, comme autre choix, la possibilité d'un refuge intérieur (PRI) au Mexique.


ANALYSE

Le tribunal a étudié l'ensemble de la preuve, y compris les Formulaires de renseignements personnels (FRP) des revendicateurs, leurs témoignages oraux, les éléments d'information fournis par l'agent chargé de la revendication (ACR) et le conseil, de même que les observations du conseil. Le tribunal a également tenu compte des directives énoncées dans le document intitulé : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe - mise à jour.

[8]                 Questions en litige

1.          Les membres du tribunal ont commis une erreur de droit lorsqu'ils n'ont pas tenu compte d'une expertise psychologique soumise en preuve et qui expliquait les problèmes de Maria Cortes Hernandez à témoigner d'une manière logique quant à ses expériences traumatisantes de violence familiale.

2.          Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas respecté ce que la Commission du statut de réfugié a établi dans ses « Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » et lorsque, dans ses motifs quant à la crédibilité, il ne s'est pas montré attentif à ce qui est connu au sujet des femmes qui, telles que la demanderesse Maria Cortes Hernandez, subissent de la violence familiale.

3.          Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que les demandeurs, Roman Lopez Cortes et Karina Ivonne Sanchez Gonzalez, ne pouvaient fournir aucune explication satisfaisante quant à leur omission d'avoir dit aux individus qui les harcelaient que la demanderesse, Maria Cortes Hernandez, avait quitté le Mexique.


4.          De la même façon, le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a tiré plusieurs inférences et conclusions déraisonnables en se fondant sur des probabilités sur lesquelles il ne pouvait pas raisonnablement se fonder.

5.          Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas analysé le caractère raisonnable de la possibilité pour Maria Cortes Hernandez d'avoir recours à un refuge intérieur et de sa capacité en tant que femme, en raison de son sexe, à voyager de façon sécuritaire vers un lieu représentant une possibilité de refuge intérieur (PRI) et à y demeurer sans avoir à subir des difficultés excessives.

Les prétentions des demandeurs

[9]                 Les membres du tribunal ont commis une erreur de droit lorsqu'ils n'ont pas tenu compte d'une expertise psychologique soumise en preuve et qui expliquait les problèmes de Maria Cortes Hernandez à témoigner d'une manière logique quant à ses expériences traumatisantes de violence familiale.


Après son arrivée au Canada, la demanderesse, Maria Hernandez, a consulté Maria S. Undurraga, une psychologue agréée. Le rapport de la psychologue a été déposé lors de l'audition de la revendication du statut de réfugiée de la demanderesse. Les demandeurs allèguent que le rapport concluait que Maria Hernandez a souffert et continue de souffrir des symptômes de stress qui caractérisent les femmes qui souffrent du syndrome de la femme battue, de même que du syndrome de stress post-traumatique. De plus, le rapport traite plus particulièrement de l'incapacité de la demanderesse à se souvenir d'aspects importants de son traumatisme et de sa difficulté à se souvenir de moments, de séquences et de dates précis.

[10]            Les demandeurs allèguent que la Commission, bien qu'elle ait attaqué la crédibilité de Maria Hernandez, n'a pas mentionné le rapport dans ses motifs. L'omission d'avoir pris en compte ce rapport équivaut à une erreur susceptible de contrôle étant donné que la Commission devait le prendre en compte.   

[11]            Les demandeurs invoquent la décision Sanghera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 73 F.T.R. 155 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour déclare aux pages 157 et 158 :

Le Tribunal exprime son inquiétude au sujet de la nature [TRADUCTION] « ... quelque peu évasi[ve] et confus[e] » du témoignage du requérant. Il retient les arguments de l'avocat du requérant à ce sujet, à savoir le temps qui s'est écoulé et l'[TRADUCTION] « instruction minime » du requérant. Le Tribunal semble ignorer complètement la preuve mise à sa disposition sous la forme d'un rapport psychiatrique écrit montrant que le requérant souffre de stress post-traumatique et de dépression de sorte qu'[TRADUCTION] « ... il a tendance à avoir mauvaise mémoire, à perdre le fil de ses idées et à ne pas se concentrer et [qu']il se met à avoir peur, en particulier lorsqu'il est question du passé » . Le requérant a droit à une garantie selon laquelle pareille preuve a été prise en considération dans la conclusion relative à la crédibilité qui a été tirée contre lui, laquelle était apparemment fondée sur le fait que son témoignage était évasif et confus.


[12]            Les demandeurs allèguent qu'étant donné que la Commission a fait son évaluation quant à la crédibilité de tous les demandeurs en partie sur le témoignage de Maria Hernandez, la décision quant aux revendications de tous les demandeurs ne peut valoir.

[13]          Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas respecté ce que la Commission du statut de réfugié a établi dans ses « Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » et lorsque, dans ses motifs quant à la crédibilité, il ne s'est pas montré attentif à ce qui est connu au sujet des femmes qui, telles que la demanderesse Maria Cortes Hernandez, subissent de la violence familiale.

Les demandeurs allèguent que, sauf pour ce qui est de la simple mention par la Commission qu'elle a tenu compte des Directives, il n'existe pas de preuve que les Directives ont été respectées lors de l'analyse du témoignage de Maria Hernandez.

[14]            Selon les demandeurs, la Commission doit examiner le témoignage du point de vue du celui qui témoigne et se faire une idée réfléchie du comportement auquel on doit s'attendre d'une femme qui vit dans des conditions de violence telles que celles décrites. Le défaut de le faire constitue une erreur susceptible de contrôle.


[15]            Le défaut de la Commission d'avoir évalué adéquatement la crédibilité de Maria Hernandez a une incidence sur la décision de la Commission selon laquelle il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI). La conclusion qu'une PRI est viable, réalisable et facile d'accès dépend d'une compréhension totale des conditions dans lesquelles se trouvent les demandeurs. Par conséquent, les demandeurs prétendent que la décision de la Commission selon laquelle une PRI existait ne peut pas être maintenue.

[16]          Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que les demandeurs, Roman Lopez Cortes et Karina Ivonne Sanchez Gonzalez, ne pouvaient fournir aucune explication satisfaisante quant à leur omission d'avoir dit aux individus qui les harcelaient que la demanderesse, Maria Cortes Hernandez, avait quitté le Mexique.

Roman Cortes a témoigné quant aux conséquences des mauvais traitements que Raul Nunez Ricarte a fait subir à sa mère. Il craignait que Raul Nunez Ricarte puisse atteindre sa mère s'il lui donnait des renseignements sur ses allées et venues. Les demandeurs allèguent que cette crainte a été exprimée plus d'une fois au cours de l'audition de la revendication du statut de réfugié. La Commission n'a pas tenu compte de ce témoignage lorsqu'elle a déclaré qu'aucune explication satisfaisante n'avait été donnée et lorsqu'elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de Roman Cortes. Les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur de droit en tirant cette conclusion et soumettent l'arrêt Toro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.), au soutien de leur prétention.


[17]            Les demandeurs allèguent que lorsque les conclusions de la Commission quant à la vraisemblance sont fondées sur des inférences qu'elle ne peut raisonnablement pas tirer, la décision doit être annulée. La Cour, selon les prétentions des demandeurs, est dans la même situation que la Commission, lorsqu'elle évalue des conclusions quant à la crédibilité qui sont fondées sur des inférences tirées de la preuve, et peut intervenir si les conclusions de la Commission ne sont pas des conclusions raisonnables, selon ce qui a été décidé dans l'arrêt Giron c. Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).

[18]            De la même façon, le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a tiré plusieurs inférences et conclusions déraisonnables en se fondant sur des probabilités sur lesquelles il ne pouvait pas raisonnablement se fonder.

Les demandeurs allèguent que la conclusion de la Commission selon laquelle l'agression survenue en avril 1997 contre Roman Cortes n'avait pas eu lieu étant donné qu'il avait attendu au lendemain pour signaler l'incident, qu'il n'avait pas de blessures visibles et qu'il n'avait pas donné de mobiles quant à l'agression, est abusive et a été tirée sans qu'il ait été tenu compte de la preuve dont elle disposait.


[19]            La conclusion de la Commission selon laquelle Raul Nunez Ricarte n'était pas un dirigeant important de PEMEX pendant la période en cause parce qu'il ne figurait pas dans la banque de données des employés actuels est aussi abusive selon les demandeurs. De plus, la conclusion de la Commission selon laquelle rien n'indiquait que Maria Hernandez et Raul Nunez Ricarte avaient vécu ensemble, parce qu'elle ne l'avait nommé comme bénéficiaire d'aucun des avantages de la société est abusive.

[20]          Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas analysé le caractère raisonnable de la possibilité pour Maria Cortes Hernandez d'avoir recours à un refuge intérieur et de sa capacité en tant que femme, en raison de son sexe, à voyager de façon sécuritaire vers un lieu représentant une possibilité de refuge intérieur (PRI) et à y demeurer sans avoir à subir des difficultés excessives.

Les demandeurs allèguent que le dossier de demande contient beaucoup d'éléments de preuve qui montrent que bien que le Mexique se soit en théorie occupé du problème de violence à l'égard des femmes, il ne s'est pas adéquatement attaqué à la nécessité d'éliminer ce problème. La Commission a simplement conclu que le gouvernement mexicain avait entériné diverses mesures théoriques juridiques dans la lutte à la violence faite aux femmes. Les demandeurs allèguent que la Commission n'a pas évalué adéquatement le défaut du Mexique d'avoir mis en oeuvre les mesures qu'il a adoptées. Les demandeurs allèguent que le fait que des lois soient adoptées ne constitue pas une preuve de la capacité ou de la volonté de l'État d'accorder sa protection. L'arrêt Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.F.), est soumis au soutien de cette prétention.


Les prétentions du défendeur

[21]            La crédibilité

Le défendeur allègue que la Cour devrait être réticente à intervenir à l'égard des conclusions de la Commission étant donné sa capacité à évaluer la crédibilité des témoins lors des témoignages verbaux qu'elle entend.

[22]            Le défendeur allègue que les décisions défavorables quant à la crédibilité d'un revendicateur sont adéquatement rendues en autant que le tribunal donne des motifs de sa décision en des termes clairs et non équivoques. Dans l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.), M. le juge Heald a déclaré à la page 201 :

L'évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l'appelant est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l'appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l'insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir des détails sur l'incapacité de l'appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.


[23]            Le défendeur allègue que la Commission, en l'espèce, a clairement et catégoriquement décidé que les demandeurs n'étaient pas des témoins crédibles et a donné des motifs détaillés de sa décision en citant de nombreux éléments peu vraisemblables du témoignage des demandeurs. Dans son exposé des faits et du droit, le défendeur, afin de montrer que la Commission a donné des motifs détaillés de ses conclusions quant à la crédibilité, énonce vingt-six points mentionnés par la Commission.

[24]            La décision quant à la crédibilité rendue par la Commission, qui était fondée sur des conclusions quant à des éléments peu vraisemblables, ne devrait pas faire l'objet d'un contrôle à moins que cette décision soit entachée d'une erreur manifeste. Le défendeur allègue qu'il était raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité et soumet l'extrait suivant de l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), contenu aux pages 316 et 317 :

Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.

[25]            Le défendeur allègue que les conclusions de la Commission quant aux éléments peu vraisemblables du témoignage de Roman Cortes étaient des conclusions qu'elle pouvait tirer étant donné que selon le témoignage du demandeur il était intéressé à ce que Maria Hernandez quitte le Mexique. Le défendeur prétend qu'il n'était pas raisonnable pour Roman Cortes de refuser de dire à tout le moins que sa mère avait quitté le Mexique lorsqu'on l'a questionné au sujet de ses allées et venues.


[26]            L'omission ou la mauvaise interprétation d'éléments de preuve

Le défendeur allègue que rien dans le dossier des demandeurs n'indique que la Commission a omis des éléments de preuve, et qu'il n'existe aucune obligation pour la Commission d'énumérer ou de mentionner expressément tous les éléments de preuve. Les arrêts Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.), et Woolaston c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] R.C.S. 102, sont soumis au soutien de sa prétention.

[27]            Le défendeur prétend qu'il ressort clairement de la transcription de l'audience que le rapport de la psychologue a été soumis à la Commission et que l'avocat des demandeurs a fait des représentations à cet égard. Par conséquent, le défendeur allègue qu'aucune preuve n'appuie l'allégation des demandeurs selon laquelle la Commission n'a pas tenu compte du rapport. En outre, le défendeur allègue qu'une étude attentive du rapport n'amène pas forcément à conclure que Maria Hernandez confondait les dates à cause du « syndrome de la femme battue » . Le rapport n'explique pas les « difficultés » qu'avait Maria Hernandez à témoigner.

[28]            La protection de l'État


La Commission a de façon subsidiaire conclu que même si elle avait jugé que les demandeurs étaient crédibles, ils n'avaient pas, de toute manière, efficacement sollicité la protection de l'État qui était à leur disposition. Le défendeur invoque l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, qui a énoncé les principes du droit en matière de protection de l'État. Selon la prétention du défendeur, la Commission pouvait conclure que les demandeurs n'avaient pas démontré de façon claire et convaincante que l'État ne pouvait pas les protéger.

[29]            La possibilité de refuge intérieur (PRI)

Le défendeur allègue que la persécution qui existe dans une certaine région d'un pays ne constitue pas de la persécution au sens de la Convention si le gouvernement est en mesure d'offrir la protection nécessaire ailleurs sur son territoire. On peut aussi raisonnablement s'attendre, en tenant compte de toutes les circonstances, que des victimes de violence déménagent dans une région du territoire où ils pourront obtenir la protection de l'État.

[30]            Compte tenu des principes énoncés dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), le défendeur allègue que la Commission a adéquatement tranché que les demandeurs avait une PRI au Mexique. La Commission a analysé le témoignage des demandeurs et n'a pas cru que Raul Nunez Ricarte était une personne qui pourrait avoir accès aux installations de l'État pour pourchasser au Mexique les demandeurs, étant donné notamment que Maria Hernandez ne travaillait plus chez PEMEX.


[31]            Pour conclure, le défendeur allègue que les demandeurs n'ont pas réussi pas à s'acquitter du fardeau consistant à fournir une preuve claire et convaincante du bien-fondé de leur revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Les demandeurs n'ont pas réussi à fournir suffisamment d'éléments de preuve crédibles.

Dispositions pertinentes de la Loi

[32]            La définition de « réfugié au sens de la Convention » suivant la Loi sur l'immigration est rédigée comme suit :



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

2(1) "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


Analyse et décision

[33]            J'examinerai la décision de la Commission en utilisant la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[34]            Première question en litige

Les membres du tribunal ont commis une erreur de droit lorsqu'ils n'ont pas tenu compte d'une expertise psychologique soumise en preuve et qui expliquait les problèmes de Maria Cortes Hernandez à témoigner d'une manière logique quant à ses expériences traumatisantes de violence familiale.


La Commission a décidé que les témoignages des demandeurs manquaient de crédibilité. Dans l'énoncé de ses motifs, la Commission a été attentive aux détails et a énuméré les éléments qui manquaient de crédibilité. La Commission a donné des motifs détaillés de sa décision et a mentionné de nombreux éléments peu vraisemblables dans le témoignage des demandeurs. Je suis d'accord avec le défendeur que [TRADUCTION] « les décisions défavorables quant à la crédibilité d'un revendicateur sont adéquatement rendues en autant que le tribunal donne des motifs de sa décision dans des termes clairs et non équivoques » .

[35]            En l'espèce, la Commission a, à mon avis, rendu une décision très claire et détaillée. La Cour ne devrait pas s'empresser d'intervenir relativement à une décision quant à la crédibilité adéquatement rendue par la Commission. À cet égard, voir l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1991) 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.). Je ne suis pas disposé à intervenir relativement à la décision quant à la crédibilité des témoins.

[36]            La demanderesse, Maria Cortes Hernandez, a allégué que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle n'a pas tenu compte de l'expertise psychologique. J'admets que la Commission doit tenir compte d'une telle preuve, mais j'ai lu le rapport de Maria S. Undurraga et j'ai remarqué que les faits sous-jacents au rapport sont les mêmes éléments de preuve que la Commission jugeait ne pas être crédibles. Même si j'admettais que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en ne référant pas expressément au rapport, je suis d'avis qu'il ne s'agit pas d'une erreur déterminante. Selon moi, même si la Commission avait expressément référé au rapport, elle aurait rejeté ce rapport parce qu'elle n'en croyait pas les faits sous-jacents. Mme le juge Simpson dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 14 décembre 1995, dossier IMM-2382-94 (C.F. 1re inst.), a déclaré aux paragraphes 4 et 5 :


Je conclus que la Commission a commis une erreur en ne se référant pas au rapport. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, je suis persuadée que l'erreur n'était pas essentielle.    Je suis certaine que, si la Commission avait fait état du rapport, elle l'aurait rejeté en raison du comportement évasif du requérant à l'audience. La Commission n'a simplement pas cru les faits fondamentaux sur lesquels reposait le rapport, et elle n'aurait pas accepté la perception du docteur au-delà de sa propre perception de la question du comportement.

La situation de l'espèce doit être distinguée de celle devant laquelle se trouvait le juge Gibson dans Sanghera c. M.E.I. (1994), 73 F.T.R. 155. Dans cette affaire, les conclusions du tribunal n'étaient pas fermes. Ce dernier se préoccupait simplement du témoignage [TRADUCTION] « quelque peu évasif et confus » du requérant. Dans cette affaire, le juge Gibson a conclu que l'omission de faire état d'un rapport psychiatrique était une erreur qui justifiait une nouvelle audition. Je présume qu'il a tiré cette conclusion en raison de la nature provisoire de la conclusion de crédibilité tirée par la Commission.

Je conclus que la Commission n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle.

[37]            Deuxième question en litige

Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas respecté ce que la Commission du statut de réfugié a établi dans ses « Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » et lorsque, dans ses motifs quant à la crédibilité, il ne s'est pas montré attentif à ce qui est connu au sujet des femmes qui, telles que la demanderesse Maria Cortes Hernandez, subissent de la violence familiale.


Le tribunal a déclaré à la page 2 de sa décision qu'il avait pris en compte les « Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe » . La décision de la Commission établit clairement qu'elle ne croyait pas la description faite par la demanderesse, Maria Trinidad Cortes Hernandez, de ce qui lui était arrivé à Mexico. Tel que je l'ai déjà mentionné précédemment dans la présente décision, la Commission peut tirer ce type de conclusion quant à la crédibilité dans la mesure où elle le fait d'une manière claire et détaillée. Le seul document qui m'a été soumis montre que la Commission a tenu compte des Directives. Par conséquent, aucune erreur susceptible de contrôle n'a été commise en l'espèce.

[38]            Troisième question en litige

Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que les demandeurs, Roman Lopez Cortes et Karina Ivonne Sanchez Gonzalez, ne pouvaient fournir aucune explication satisfaisante quant à leur omission d'avoir dit aux individus qui les harcelaient que la demanderesse, Maria Cortes Hernandez, avait quitté le Mexique.

Étant donné que Raul Nunez Ricarte avait dit à Maria, avant qu'elle quitte le Mexique, de quitter le Mexique ou qu'elle aurait des problèmes, il n'y avait aucune raison pour Roman Cortes et Karina Gonzalez de ne pas dire à ceux qui les harcelaient que Maria Cortes Hernandez était partie pour le Canada. La Commission n'a tout simplement pas cru le récit des demandeurs. La Commission pouvait tirer une telle conclusion étant donné qu'elle a le mandat de trancher les questions de crédibilité. Je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en concluant comme elle l'a fait.


[39]            Quatrième question en litige

De la même façon, le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a tiré plusieurs inférences et conclusions déraisonnables en se fondant sur des probabilités sur lesquelles il ne pouvait pas raisonnablement se fonder.

Les conclusions du tribunal qui se rapportent à cette question incluent ce qui suit :

1.          Roman Cortes qui a été frappé au visage d'un coup d'arme à feu sans que des marques paraissent. La Commission n'a pas cru son explication selon laquelle les marques de coups ne paraissaient pas facilement sur son corps. La Commission a remarqué qu'il n'avait pas signalé l'incident à la police avant le lendemain et qu'il n'avait alors pas dit qui était responsable de l'incident. De plus, même si la demanderesse, Maria Cortes Hernandez, avait des communications avec sa famille avant que son FRP ait été complété, elle n'a pas mentionné l'incident dans son FRP.

2.          La conclusion que Raul Nunez Ricarte n'était pas alors un dirigeant important de PEMEX. Les demandeurs ont déclaré que la lettre ne faisait que mentionner qu'il n'était pas présentement employé. Cependant, un examen de la lettre montre que la signataire a déclaré qu' [TRADUCTION] « au cours de ses 14 années de travail chez PEMEX, elle n'a connu personne portant ce nom qui ait travaillé pour la société » .

3.          Aucune indication que la demanderesse, Maria Cortes Hernandez, et Raul Nunez Ricarte avaient vécu ensemble, parce qu'elle ne l'avait pas désigné à titre de bénéficiaire des avantages sociaux de la société.


[40]            Il est loisible à la Commission de tirer des inférences et des conclusions. La Cour ne devrait pas intervenir quant à la décision en l'espèce simplement parce qu'elle aurait tranché différemment. La Commission n'a pas commis d'erreur de droit lorsqu'elle a conclu comme elle l'a fait.

[41]            Cinquième question en litige

Le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas analysé le caractère raisonnable de la possibilité pour Maria Cortes Hernandez d'avoir recours à un refuge intérieur et de sa capacité en tant que femme, en raison de son sexe, à voyager de façon sécuritaire vers un lieu représentant une possibilité de refuge intérieur (PRI) et à y demeurer sans avoir à subir des difficultés excessives.

J'ai lu l'analyse de la Commission quant à la possibilité de refuge intérieur et je suis d'avis que la Commission a tiré une conclusion raisonnable.

[42]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[43]            Aucune des parties n'a soumis à mon examen une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

[44]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

Juge                      

Ottawa (Ontario)

Le 13 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                  IMM-2248-00                                       

INTITULÉ :                                            MARIA TRINIDAD CORTES HERNANDEZ et autres c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 26 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                          Le 13 juin 2001

COMPARUTIONS :

Samuel Hyman                                                    POUR LES DEMANDEURS

Mandana Namazi                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        

Samuel D. Hyman Law Corporation                                           

Vancouver (Colombie-Britannique)                                POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                 POUR LE DÉFENDEUR

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