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Date : 20020718

Dossier : IMM-3300-01

Référence neutre : 2002 CFPI 802

Ottawa (Ontario), le jeudi 18 juillet 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

                       HORACIO MILTON ABREU ROJAS

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]    J'exposerai ci-dessous les motifs pour lesquels j'ai accueilli la demande présentée par le ministre en vue d'obtenir une ordonnance d'annulation de la décision dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a rouvert l'instruction relative à la revendication du statut de réfugié de M. Rojas après conclu à son abandon.


LES FAITS

[2]    Le 18 avril 2001, la SSR a déclaré que M. Rojas avait abandonné sa revendication. Par la suite, le 15 juin 2001 ou le 18 juin 2001 (la preuve n'est pas claire à cet égard), l'avocat de M. Rojas a déposé auprès de la SSR un avis de requête avec documents à l'appui dans laquelle il sollicite une ordonnance de réouverture de l'instruction relative à la revendication de son client. Dans la lettre d'accompagnement envoyée à la SSR, on disait que les documents avaient été signifiés à la représentante du ministre et on demandait qu'une attention prioritaire soit accordée à la question de M. Rojas parce que des mesures avaient été prises en vue de son renvoi le 26 juin 2001.

[3]    Les documents à l'appui de la requête ont été signifiés à la représentante du ministre à 13 h 57 le 18 juin 2001. Ces documents ne font pas état de la demande pour que la SSR rende d'urgence sa décision en raison du renvoi imminent de M. Rojas.

[4]    La représentante du ministre avait sept jours à compter de la date de la signification pour répondre aux documents que M. Rojas avait soumis à l'appui de sa requête. Le 21 juin 2001, bien avant l'expiration du délai de sept jours, la représentante du ministre a signifié et déposé auprès de la SSR des éléments de preuve et des observations s'opposant à la requête en réouverture.

[5]    La SSR a fait droit à la requête en réouverture le 20 juin 2001, et un avis de décision en ce sens a été émis le 21 juin 2001.


[6]                 La représentante du ministre n'a jamais reçu l'avis de décision du 21 juin 2001.

[7]                 Le 21 juin 2001, la représentante du ministre a reçu un coup de fil de l'assistant de l'avocat de M. Rojas dans lequel celui-ci l'informait que la SSR avait déjà accueilli la requête en réouverture.

[8]                 La représentante du ministre a donc demandé à la SSR une copie de l'avis de décision du 21 juin 2001. Le 3 juillet 2001, elle a réitéré cette demande et elle a sollicité les motifs de la décision de la SSR.

[9]                 Le 5 juillet 2001, le ministre a déposé la présente demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SSR de rouvrir l'instruction.

[10]            Le 12 juillet 2001, la SSR a signifié à la représentante du ministre un avis de décision relatif à la requête en réouverture, avis daté du 12 juillet 2001. La représentante du ministre a également reçu signification d'un avis de convocation à une audience concernant le statut de réfugié de M. Rojas, fixée au 13 septembre 2001.

[11]            Le 13 septembre 2001, la représentante du ministre a reçu une copie des motifs écrits datés du 4 septembre 2001 qu'a donnés la SSR à l'appui de sa décision d'accueillir la requête en réouverture.


LA DÉCISION DE LA SSR

[12]       Dans ses motifs écrits, après avoir dit qu'elle avait conclu que la non-réception alléguée par M. Rojas de l'avis de convocation pour l'audience sur l'abandon de sa revendication constitue un déni de justice naturelle, la SSR a écrit :

Depuis l'accueil de la requête en réouverture, Mme Heathfield, agente d'audience, a, au nom du ministre, déposé auprès du tribunal un exposé du droit et des arguments, accompagné de la déclaration de Dale Munro en réponse à l'avis de requête déposé par le requérant. Le 12 juillet 2001, sous la direction du tribunal, on a fait parvenir, par télécopieur, une copie de l'avis de décision concernant une requête en réouverture à Mme Heathfield. Le tribunal a examiné tous les susdits documents, déposés au nom du ministre, et est d'avis qu'il aurait tout de même accueilli la requête en réouverture du requérant. Tout doute quant à la crédibilité, y compris toute préoccupation soulevée par les événements qui se sont produits au moment de l'arrivée au Canada du requérant, sera abordé à l'occasion de l'audience de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. À cet égard, le tribunal note que le requérant a fourni sa pleine collaboration lors de l'audience préliminaire sur le désistement du 11 juillet 2001, en déposant son formulaire de renseignements personnels et en fournissant une liste des dates de disponibilité du conseil. La question a été mise au rôle pour l'audience du 13 septembre 2001, à 13 h. [note en bas de page omise, non souligné dans l'original.]

L'ANALYSE

[13]       Le paragraphe 69(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et l'article 28 desRègles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, reconnaissent le droit du ministre de soumettre des éléments de preuve et de faire des observations en tant que partie dans le cadre de toute affaire dont connaît la SSR.

[14]       La SSR est tenue de respecter les règles de l'équité procédurale à l'égard du ministre lorsqu'il exerce ce droit. Le respect des règles de l'équité procédurale exige de la SSR qu'elle donne au ministre une occasion valable de présenter des éléments de preuve et des observations pertinentes et qu'elle évalue ceux-ci de façon complète et équitable.


[15]       Lorsqu'elle a rendu sa décision avant d'avoir reçu les éléments de preuve et les observations du ministre et avant l'expiration du délai prévu pour la production de ces documents, la SSR a manqué à son obligation d'équité procédurale en privant le ministre de la possibilité d'être entendu. Le manquement en l'espèce est suffisamment important pour que la Cour intervienne et annule de la décision de la SSR.

[16]       Toutefois, on a prétendu pour le compte de M. Rojas que la SSR avait remédié à son manquement en examinant par la suite les documents soumis par le ministre à l'appui de sa requête et en décidant qu'elle aurait néanmoins fait droit à la requête en réouverture.

[17]       Dans la décision Ke c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 46 (1re inst.), le juge McKeown a examiné un cas où la SSR avait commis un manquement à la justice naturelle en exposant ses motifs avant d'entendre les observations d'un avocat. Le juge McKeown devait déterminer si la SSR avait remédié à son manquement en examinant les observations du demandeur après avoir rendu sa décision et en ajoutant un supplément à celle-ci. Au paragraphe 12 de son analyse, le juge McKeown a écrit :


À mon avis, l'erreur que le tribunal a commise en rendant une décision sans tenir compte des observations de l'avocat a entaché la totalité des procédures de manière à exiger du tribunal qu'il recommence tout. La Commission n'a pas tout recommencé en prenant simplement connaissance des observations après le fait qui avaient été formulées relativement à l'audition, et dont la Commission s'est simplement servie pour déterminer si sa propre décision devait être modifiée. Les circonstances de l'espèce exigeaient certainement que la Commission propose une façon de réexaminer la question dans son entier ou de discuter avec l'avocat de la possibilité de recommencer la totalité des procédures afin de voir si une méthode convenable pourrait être trouvée pour trancher la question. L'avocat de l'intimé soutient que dans les circonstances de l'espèce, la Commission n'ayant pas tiré de conclusions de non-crédibilité contre le requérant, elle a satisfait aux conditions posées par l'affaire Chandler en examinant les observations avant d'ajouter un supplément à la décision. Je ne suis pas d'accord. Dans le processus judiciaire, il est essentiel que les avocats soient autorisés à faire des observations, et que les observations ne soient pas considérées comme étant de moindre valeur lorsqu'il n'existe pas de conclusions de non-crédibilité. Par exemple, les avocats peuvent désirer que la Commission tire certaines conclusions de fait pour aider le client dans un contrôle judiciaire ultérieur lorsque cela est approprié ou dans un appel ultérieur. Je ne considère pas les observations des avocats comme étant moins importantes dans les cas où il n'est pas question de crédibilité que dans les cas où il en est question. Ce n'est pas réexaminer la question dans son entier que d'examiner les observations qui ont été faites avec l'intention d'influer sur la décision et qui sont plutôt utilisées pour déterminer s'il y a lieu d'apporter des modifications à la décision. Il s'agit là de deux questions entièrement différentes. [Non souligné dans l'original.]

[18]       J'adopte cette analyse et, à mon avis, il s'agit de circonstances analogues en l'espèce. Selon moi, rien n'indique que la SSR a réexaminé l'affaire dans son entier à la lumière des éléments de preuve et des observations du ministre. L'exigence selon laquelle la SSR doit évaluer de façon complète et équitable les documents soumis pour le compte du ministre n'est pas remplie si la SSR prend connaissance de ces documents uniquement pour déterminer s'ils justifient une modification de la décision initiale.

[19]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la SSR autrement constitué pour qu'il rende une nouvelle décision. Il est souhaitable que le commissaire de la SSR qui a rendu la décision contestée ne s'occupe plus de la présente affaire.

[20]       Les avocats n'ont soulevé aucune question à certifier et aucune question n'est certifiée.


ORDONNANCE

[21]             LA COUR ORDONNE :

1.    La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de rouvrir l'instruction relative à la revendication du demandeur est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal de la SSR autrement constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 IMM-3300-01

INTITULÉ :                                MCI c. Horacio Milton Abreu Rojas

LIEU DE L'AUDIENCE :         Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 20 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE : madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS : Le 18 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Mme Amina Riaz                                                               POUR LE DEMANDEUR

M. Daniel Fine                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

M. Daniel Fine                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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