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Date : 20001124


Dossier : IMM-380-00





ENTRE :

     HUA YANG

     alias YANG HUA

     demanderesse

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON


[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Dans cette décision, la SSR a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention en vertu du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR est datée du 23 décembre 1999.

[2]      La demanderesse est semble-t-il citoyenne de la République populaire de Chine. Elle est arrivée, avec plusieurs autres personnes en provenance de la province de Fujian, sur la côte de la Colombie-Britannique à l'été de 1999, à bord d'un navire à l'abandon. Elle revendique le statut de réfugié au sens de la Convention au motif de son appartenance à un groupe social, savoir les femmes qui sont persécutées par suite de la politique de la République populaire de Chine qui prévoit un seul enfant par famille. Elle déclare qu'on l'a forcée à se faire avorter durant le huitième mois de sa deuxième grossesse, que son deuxième enfant est né vivant, qu'elle n'a pu le voir, et qu'elle ne sait pas s'il est encore vivant. De plus, la demanderesse a fait savoir aux agents d'immigration qu'elle s'était sentie obligée de quitter la République populaire de Chine pour des motifs économiques.

[3]      La SSR a fait état de ses « ...graves préoccupations quant à la crédibilité de la revendicatrice et à la plausibilité de son histoire » . Dans ses motifs, la SSR a précisé les difficultés qu'elle avait perçues quant à la crédibilité et à la plausibilité. Elle conclut dans les termes suivants :

[traduction]
     « Vu l'absence de preuve crédible quant à son identité et quant à son allégation qu'elle devait être stérilisée contre son gré, le tribunal s'appuie sur une preuve documentaire qui indique que la tendance actuelle au Fujian va dans le sens d'une gestion professionnelle de la politique de contrôle des naissances. Pour reprendre les mots d'un expert sur cette question, les stérilisations forcées sont "de plus en plus improbables à la fin des années 90".
     Le tribunal ne croit pas que la revendicatrice court un risque raisonnable d'être stérilisée contre son gré si elle est renvoyée en RPC.
     Finalement, la demanderesse a soulevé la question de l'illégalité de son départ. La documentation semble indiquer qu'en de tels cas on peut imposer des amendes et un emprisonnement à court terme.
...
     Il s'agit donc d'une question de poursuites et non de persécution. »

[4]      La SSR n'a pas traité de la possibilité d'un fondement sur place à la revendication de la demanderesse pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Son attention avait été attirée sur cette question suite à l'ajournement de l'audience, mais avant le prononcé de la décision. L'avocat de la demanderesse a écrit au greffier de la SSR le 29 novembre 1999, pour attirer son attention sur le fait que, suite à l'audience devant la SSR, la demanderesse avait été un témoin essentiel pour la Couronne lors d'une enquête préliminaire tenue suite à des accusations d'avoir causé des lésions corporelles par négligence criminelle. Ces accusations auraient été portées contre les personnes qu'on soupçonnaient être les organisateurs de la contrebande d'êtres humains à partir de la province de Fujian jusqu'à la côte de la Colombie-Britannique à l'été de 1999. Il semble que l'enquête préliminaire ait été publique. L'avocat a écrit ceci :

[traduction]
Ceci vient augmenter les risques auxquels elle [la demanderesse] aurait à faire face si elle retourne en République populaire de Chine. La SSR devrait prendre ce facteur en considération puisqu'il a un impact sur sa revendication du statut de réfugié.

[5]      À l'issue de l'audience de cette demande de contrôle judiciaire, j'ai fait savoir tout de suite aux avocats que la requête serait rejetée. Voici un résumé sommaire de mes motifs.

[6]      L'avocat de la demanderesse a soutenu que la SSR avait commis six erreurs ouvrant droit au contrôle. Je vais en traiter dans l'ordre où on me les a présentées.

[7]      Premièrement, l'avocat a soutenu que la SSR avait enfreint les principes applicables de justice fondamentale et de justice naturelle en n'accordant pas à la demanderesse une pleine occasion de présenter sa cause, par suite du fait qu'elle a refusé d'accorder l'ajournement demandé en cours d'audience.

[8]      Quelque temps avant l'audition de sa revendication pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention, la demanderesse a reçu de ses parents, dans la province de Fujian, un [traduction] « avis de stérilisation » qui intimait à la demanderesse de se présenter pour être stérilisée. La demanderesse n'a communiqué cet avis à son avocat que tout juste avant l'audience devant la SSR. À ce moment-là, l'avis n'était pas traduit et la demanderesse n'a rien présenté à la SSR qui ferait foi de l'authenticité de l'avis. La SSR a refusé d'accorder un ajournement. Je suis convaincu que la SSR avait compétence pour ce faire, étant donné le fait que le fardeau à l'audience incombait à la demanderesse et que, pour des raisons non précisées, elle n'a pas attiré l'attention de son avocat sur l'avis à un moment utile. En conséquence, la demanderesse ne pouvait démontrer l'authenticité de l'avis à la SSR, faute qui n'est aucunement imputable à cette dernière. C'est la demanderesse et son avocat qui avaient le fardeau de se présenter devant la SSR bien préparés pour avancer la revendication de la demanderesse. La demanderesse s'est présentée devant la SSR alors qu'elle n'était pas préparée à se décharger de ce fardeau, pour des raisons qu'elle est la seule à connaître.

[9]      Je suis convaincu que ma décision au sujet de l'ajournement peut être distinguée sur les faits d'une décision de cette Cour dans Mangat c. Canada (MCI)2 accordant une demande de contrôle judiciaire par suite du rejet d'une demande d'ajournement.

[10]      Deuxièmement, l'avocat de la demanderesse a soutenu que la SSR a commis une erreur ouvrant droit au contrôle en n'accordant aucun poids à l'avis de stérilisation. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt dans mes motifs, la demanderesse s'est présentée à l'audience devant la SSR avec l'avis de stérilisation qui n'était pas traduit et sans la moindre preuve permettant de vérifier son authenticité. Dans les circonstances, je suis convaincu que la SSR avait tout à fait compétence pour faire état du fait qu'on lui avait présenté l'avis, tout en ne lui accordant aucun poids.

[11]      Troisièmement, l'avocat a soutenu que la SSR avait commis une erreur dans l'établissement du fardeau de la preuve. Après avoir examiné avec soin les prétentions de l'avocat de la demanderesse à ce sujet, je suis convaincu que cet argument n'est pas fondé.

[12]      Quatrièmement, l'avocat de la demanderesse a soutenu que la SSR avait enfreint les principes de la justice naturelle en ne transmettant pas à la demanderesse la preuve documentaire sur laquelle elle s'est appuyée pour arriver à sa décision. Personne n'a contesté devant moi le fait que la SSR avait informé l'avocat de la demanderesse qu'elle aurait en sa possession à l'audience une preuve documentaire abondante liée à la revendication de la demanderesse. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt dans ces motifs, la SSR écrit ceci dans ses propres motifs :

[traduction]
... le tribunal s'appuie sur une preuve documentaire qui indique que la tendance actuelle au Fujian va dans le sens d'une gestion professionnelle de la politique de contrôle des naissances.

À l'appui de cette déclaration, la SSR a fait état de façon générale de toute la documentation dont elle disposait, sans donner de précisions qui auraient permis à la demanderesse de vérifier les allégations de la SSR sans avoir à faire un examen détaillé de toute la preuve documentaire. Bien qu'il eut été préférable que la SSR soit plus spécifique quant à la preuve documentaire sur laquelle elle s'appuyait, je suis convaincu que cette lacune ne constitue pas une erreur ouvrant droit au contrôle.

[13]      Cinquièmement, l'avocat a soutenu que la SSR avait commis une erreur de droit en concluant qu'il existait des contradictions entre les notes faites par les agents d'immigration lors de leurs entrevues avec la demanderesse, la relation qui se trouve dans le formulaire de renseignements personnels de la demanderesse, et son témoignage. Encore une fois, je suis convaincu que la SSR avait compétence pour s'appuyer sur ce qu'elle considérait être des contradictions. En fait, elle a précisé de quelles contradictions il s'agissait.

[14]      Finalement, l'avocat a soutenu que la SSR avait commis une erreur ouvrant droit au contrôle en ne tenant pas compte et en n'analysant pas la supposée revendication sur place suite au témoignage de la demanderesse à l'enquête préliminaire portant sur les accusations de contrebande d'être humains. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt dans ces motifs, pour attirer l'attention de la SSR sur le fait que la demanderesse avait témoigné en public d'une façon qui pourrait occasionner un risque de représailles si elle était renvoyée en RPC, son avocat a tout simplement envoyé une lettre transmettant la lettre du ministère fédéral de la Justice qui l'informait du témoignage de la demanderesse.

[15]      Je suis disposé à considérer que j'ai une connaissance d'office du fait que les personnes qui auraient été responsables de la contrebande d'être humains sur la côte de la Colombie-Britannique à l'été de 1999 sont des gens qui n'ont pas de principes et qui sont potentiellement capables de commettre des actes de violence en guise de représailles. Ceci étant dit, le fardeau de présenter cette question de façon adéquate devant la SSR incombait encore une fois à la demanderesse.

[16]      Dans Salinas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3 la Cour a conclu que lorsqu'après la tenue de l'audience, mais avant le prononcé de la décision, une nouvelle preuve pertinente dans le cadre de la revendication est mise de l'avant, la Section du statut de réfugié n'est pas functus officio. Elle peut reprendre l'audience, pourvu qu'elle donne aux parties la possibilité de se faire entendre à la reprise de l'audience. La demanderesse et son avocat n'ont pas demandé la réouverture de l'audience de la façon appropriée, savoir en présentant une requête en vertu de l'article 28 des Règles de la Section du statut de réfugié4. La demanderesse et son avocat n'ayant pas demandé la réouverture de l'audience conformément aux Règles, je suis convaincu que la SSR pouvait raisonnablement ne pas tenir compte de l'impact que le présumé fondement sur place de la revendication de la demanderesse aurait pu avoir, puisqu'il en avait été fait état après l'ajournement de l'audience.

[17]      Comme je l'ai dit plus tôt, j'ai fait savoir à la toute fin de l'audience que la requête de contrôle judiciaire serait rejetée. Une ordonnance sera délivrée en ce sens.

[18]      L'avocat de la demanderesse a recommandé la certification de la question suivante :

[traduction]
     « La Section du statut de réfugié respecte-t-elle ses obligations de communication lorsque dans la préparation de sa décision elle s'appuie sur une preuve documentaire qui n'a pas été fournie à la demanderesse et qui n'est pas citée de façon précise dans ses motifs, de façon à ce que la demanderesse ou son avocat puissent trouver eux-mêmes la preuve en question et ainsi évaluer si les déductions et les conclusions du tribunal au vu de cette preuve sont raisonnables? »

[19]      L'avocat du défendeur s'est opposé à la certification de la question proposée, au motif qu'il ne s'agissait pas là d'une question grave de portée générale ou d'une question qui permettrait de trancher un appel de ma décision en l'instance. Je partage le point de vue de l'avocat du défendeur à ce sujet. La question ne sera donc pas certifiée.


                             « Frederick E. Gibson »

                                     Juge

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 24 novembre 2000


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




DOSSIER :                  IMM-380-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Hua Yang

                     c.

                     MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 20 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              24 novembre 2000


ONT COMPARU

M. Larry Smeets              pour la demanderesse
M. Mark Sheardown              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Kowarsky & Company

Avocats et procureurs

Vancouver (C.-B.)              pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur

général du Canada              pour le défendeur
__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      [2000] J.C.F. no 1567 (C.F. 1re Inst.).

3      [1992] 3 C.F. 247 (C.A.F.).

4      DORS/93-45.

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