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Date : 20031205

Dossier : DES-3-03

Référence : 2003 CF 1418

Ottawa, Ontario, ce 5ième jour de décembre 2003

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :                     

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat et son dépôt en vertu du paragraphe 77(1)

et des articles 78 à 80 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés,

L.C. 2001, ch. 27 ( « L.I.P.R. » );

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le mandat pour

l'arrestation et la mise en détention ainsi que le contrôle

des motifs justifiant le maintien en détention en vertu

des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la L.I.P.R.

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

la demande de production de documents protégés

(selon l'article 76 de la L.I.P.R.)

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

M. Adil Charkaoui


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 M. Adil Charkaoui (ci-après M. Charkaoui) présente une requête qui comporte quatre volets. Il demande premièrement la communication de tous les renseignements protégés justifiant un certificat l'interdisant de territoire et d'un mandat d'arrestation lancé contre lui en vertu des paragraphes 77(1) et 82(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (ci-après « L.I.P.R. » ). Il demande également d'être libéré et se fonde à cet égard sur les articles 7, 9, 10c) , 11, 12, 15, 24, et 52 de la Charte canadienne - Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. (ci-après « Charte » ) et de la Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, ch. 44 reproduite dans L.R.C. 1985, app. III. (ci-après « Déclaration canadienne » ) ou subsidiairement sur le paragraphe 83(2) de la L.I.P.R.. En troisième lieu, M. Charkaoui réclame ses dépens sur une base avocat-client suite à l'audience concernant le contrôle des motifs du maintien de la détention (article 83(1) de la L.I.P.R.). Quatrièmement, M. Charkaoui estime qu'avant la tenue d'audiences en son absence, ses avocats et lui auraient dû avoir l'occasion de présenter leurs arguments au regard de l'article 7 de la Charte.

[2]                 Comme cela est indiqué dans la requête, les renseignements recherchés sont les suivants :

-           les procès-verbaux de la Cour des audiences tenues en l'absence de M. Charkaoui et de ses avocats;

-           les déclarations écrites ou enregistrées de M. Ahmed Ressam et de M. Abou Zabaida concernant M. Charkaoui;

-           les notes d'entrevues indiquant le lieu, la date et les noms et postes des personnes ayant effectué les entrevues de MM.s Ressam et Zabaida concernant M. Charkaoui;

-           les renseignements protégés portés à l'attention de la Cour;

-           la preuve entière déposée dans la présente affaire;

-           la nature de tous les renseignements scellés ou non divulgués;

-           l'existence des témoins, leur nombre, la nature de leur témoignage, ainsi que leur nom à moins qu'il ne soit démontré que révéler leur nom constituerait un danger à la vie de ceux-ci;

-           les notes d'entrevue et les rapports originaux concernant M. Charkaoui (et non seulement un résumé des éléments de preuve);


[3]                 Je ne traiterai pas ici des aspects de cette demande qui sont fondés sur les principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte, auxquels il serait porté atteinte par les articles 76 et 78 de la L.I.P.R. car ces arguments ont été présentés dans le cadre d'une autre requête dont les motifs ont été signés aujourd'hui et je réfère à cette décision pour disposer de ces arguments (voir paragraphe 20 ci-après).

[4]                 M. Charkaoui demande sa libération en vertu des articles 7, 9, 10c), 11e) 12, 15, 24 et 52 de la Charte et de la Déclaration canadienne ou subsidiairement, en vertu du paragraphe 83(2) de la L.I.P.R. Ces arguments ont été présentés dans le cadre d'une autre requête dont les motifs ont été signés aujourd'hui et je réfère à cette décision pour disposer de ces arguments (voir paragraphe 21ci-après).

[5]                 M. Charkaoui demande aussi ses dépens sur une base avocat-client (25 000,00 $) relativement à l'audience du 2 et 3 juillet 2003 concernant le contrôle des motifs du maintien de la détention. En effet, selon ses avocats, des renseignements supplémentaires transmis le ou vers le 17 juillet et le 14 août 2003 auraient dû être disponible pour l'audience du 2 et 3 juillet 2003.

[6]                 Étant donné la demande de divulgation de certains documents et de l'obligation du soussigné à titre de juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements protégés pour raison de sécurité nationale ou de sécurité d'autrui et des documents obtenus sous le sceau du secret et qui constitueraient le fondement du certificat et du mandat d'arrestation (alinéa 78b) de la L.I.P.R.), je ne voudrais pas par le présent jugement confirmer ou infirmer l'existence de certains documents. À part les procès-verbaux des audiences en l'absence de M. Charkaoui et ses avocats dont je traiterai de façon séparée, j'entends me référer à l'expression


« renseignements protégés » sans plus de détails.

MISE EN CONTEXTE

[7]                 Après le dépôt à la Cour fédérale d'un certificat signé par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et par le solliciteur général du Canada (ci-après « les Ministres » ) et le lancement d'un mandat d'arrestation, M. Charkaoui, un résident permanent du Canada, a été arrêté et mis en détention le 21 mai 2003, conformément aux paragraphes 77(1) et 82(1) de la L.I.P.R.

[8]                 Le certificat et le mandat d'arrestation sont fondés sur des renseignements protégés qui ont permis aux Ministres de conclure que M. Charkaoui a été et est membre du Réseau d'Oussama Ben Laden, une organisation qui a été, est ou sera l'auteur d'actes de terrorisme et qu'à ce titre, M. Charkaoui s'est livré ou se livrera au terrorisme. En conséquence, les Ministres ont conclu que M. Charkaoui a constitué, constitue ou constituera un danger pour la sécurité du Canada (alinéas 34(1)c), d) et f) de la L.I.P.R.).


[9]                 L'un des rôles du juge en chef ou du juge désigné par celui-ci (ci-après « juge désigné » ) est d'examiner les renseignements protégés dans le but de déterminer ceux qui peuvent être communiqués à la personne concernée, M. Charkaoui, tout en s'assurant que cette communication ne mette pas en péril la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui mais qu'elle informe suffisamment M. Charkaoui des circonstances justifiant le certificat et le maintien de la détention (alinéas 78b), d), e), f), g) et h) de la L.I.P.R.).

[10]            À cette fin, le juge désigné procède à l'examen des renseignements protégés et préside une ou des audiences où seuls les représentants des Ministres et leurs procureurs sont présents. Il s'agit d'un exercice méticuleux qui exige la recherche d'un équilibre entre deux intérêts opposés, soit la protection des renseignements protégés et la communication de renseignements pouvant permettre à la personne concernée d'être suffisamment informée des circonstances ayant donné lieu au certificat et/ou mandat d'arrestation.

[11]            Dans la présente affaire, j'ai examiné les renseignements protégés et, le 26 mai 2003, après une audience en présence des représentants des Ministres seulement, j'ai fait transmettre à M. Charkaoui un résumé de la preuve avec des documents en annexe. J'estime que cette communication informe suffisamment M. Charkaoui des circonstances justifiant le certificat et le maintien de la détention.

[12]            Une audience concernant le maintien de la détention a eu lieu les 2 et 3 juillet 2003. Les parties y ont présenté de la preuve sous la forme de témoignages, d'affidavits et de documents.

[13]            Le 7 juillet 2003, j'ai présidé une deuxième audience en présence des représentants des Ministres seulement.


[14]            Le 15 juillet 2003, le soussigné a publié les motifs d'ordonnance concernant le contrôle des motifs de la détention (Charkaoui (Re), [2003] A.C.F. no 1119). Dans cette ordonnance, il est conclu que M. Charkaoui devait être maintenu en détention, conformément au paragraphe 83(3) de la L.I.P.R., jusqu'à ce que le juge désigné statue de nouveau sur le maintien de la détention selon le paragraphe 83(2).

[15]            Dans les motifs, le soussigné a aussi indiqué qu'il gardait à l'esprit la possibilité de remettre à M. Charkaoui des renseignements supplémentaires. J'informais que le soussigné avait reçu avant l'audience du 2 et 3 juillet 2003, de l'information additionnelle et que l'examen des renseignements protégés pourrait amener une divulgation supplémentaire (par. 7 et 9 de la décision Charkaoui précitée).


[16]            Le monde de la sécurité nationale est un milieu dynamique où des événements peuvent à n'importe quel moment amener une toute autre perspective. Le juge désigné doit constamment évaluer le caractère critique des renseignements protégés et l'effet que leur divulgation pourrait avoir à la lumière des circonstances. Il faut noter que la décision de divulguer des renseignements protégés ne dépend pas de l'humeur ni de la préférence personnelle du juge désigné. Une telle décision nécessite de la réflexion, une compréhension de tous les éléments en cause, la participation des Ministres ou de leurs représentants, et dans certains cas, la participation d'autres organismes locaux, nationaux ou internationaux. Souvent la forme même de la divulgation peut avoir une incidence sur la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. Il faut donc y porter une attention particulière. C'est donc dire qu'a la lumière des intérêts en jeu, la divulgation de renseignements anciennement considérés protégés ne peut se faire de façon instantanée. Il faut prendre le temps nécessaire pour évaluer les conséquences de la divulgation ou de la non-divulgation des renseignements protégés.

[17]            À la lumière des commentaires qui précédent, ce n'est que le 17 juillet 2003 que le soussigné a pu autoriser la communication de certains renseignements anciennement protégés, à savoir que M. Abou Zabaida, qualifié de proche collaborateur d'Oussama Ben Laden a reconnu sur une photographie M. Charkaoui (sous le nom de Zubein Al Magherebi) comme étant un individu qu'il avait vu en Afghanistan en 1993 et en 1997/1998.

[18]            Ce n'est que le 14 août 2003 que le soussigné a pu autoriser la communication d'autres renseignements anciennement protégés, à savoir que lors d'entrevues avec des représentants du Service canadien de renseignement de sécurité (ci-après « le Service » ) en janvier 2002, M. Ahmed Ressam a reconnu sur deux photographies M. Charkaoui et l'identifiant sous le nom de Zubein Al Magherebi. M. Ressam a ajouté qu'il l'avait rencontré en Afghanistan à l'été 1998 pendant qu'ils s'entraînaient dans le même camp.


[19]            Dans leur dossier de requête, les procureurs de M. Charkaoui ont reconnu que le soussigné les ont informés qu'il était prêt à accorder une audience dans le but de réviser le maintien de la détention étant donné les renseignements communiquée le 17 juillet et le 14 août 2003. Pour le moment, M. Charkaoui et ses avocats ont déclinés cette offre, car ils attendent la publication des motifs et ordonnances relativement aux audiences des 8, 9 et 21 octobre 2003.

QUESTIONS EN LITIGE

[20]            Est-ce que les renseignements protégés pour raison de sécurité nationale ou de sécurité d'autrui selon l'article 76 et les alinéas 78b) et g) de la L.I.P.R. doivent être divulgués, ces dispositions législatives n'étant pas conformes aux principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte? Le soussigné a répondu à cette question dans l'ordonnance 2003 CF 1419 de la Cour fédérale en date de ce jour (à partir du paragraphe 84).

[21]            M. Charkaoui, détenu sous le régime de l'article 82 et suivants de la L.I.P.R., doit-il être libéré parce que ces dispositions législatives portent atteinte aux articles 7, 9, 10c), 11e) 12, 15, 24, et 52 de la Charte? Le soussigné a répondu à cette question dans l'ordonnance 2003 CF 1419 de la Cour fédérale en date de ce jour (à partir du paragraphe 133).


[22]            Compte tenu du fait que des renseignements additionnels ont été communiqués à M. Charkaoui et à ses avocats le 17 juillet et le 14 août 2003, c'est-à-dire après l'audience sur le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention, M. Charkaoui a-t-il droit à ses dépens sur une base avocat-client évalués à 25 000,00 $?

[23]            Avant chaque audience en présence des représentants des Ministres et de leurs procureurs, M. Charkaoui et ses procureurs auraient-ils dû avoir la possibilité de présenter des arguments fondés sur l'article 7 de la Charte ou les règles de common law?

RENSEIGNEMENTS PROTÉGÉS

[24]            J'ai déjà conclu que les articles 76 et 78 de la L.I.P.R. (y incluant la procédure reconnue pour faire la sélection des renseignements protégés) ne portent pas atteinte aux principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte. De plus, j'ai déjà examiné les renseignements protégés et j'ai déterminé quels renseignements pouvaient être communiqués à M. Charkaoui sans mettre en péril la sécurité nationale ou celle d'autrui tout en m'assurant que ce dernier soit suffisamment informé des circonstances justifiant le certificat et le maintien de la détention.


[25]            Après la communication des renseignements le 26 mai 2003, j'ai autorisé la communication de renseignements supplémentaires à deux reprises, soit le 17 juillet et le 14 août 2003. Comme je l'ai mentionné précédemment, cet exercice doit être effectué de façon périodique car les situations évoluent et les joueurs sont continuellement en action. Ainsi, il se peut qu'un renseignement jusqu'alors protégé n'ait plus à l'être car les circonstances le permettent. Comme la L.I.P.R. oblige le juge désigné à informer suffisamment la personne concernée, je crois qu'il est dans son intérêt d'essayer de divulguer le plus de renseignements possibles tout en tenant compte des intérêts en jeu.

[26]            M. Charkaoui et ses procureurs me demandent de leur remettre le procès-verbal des audiences tenues en la seule présence des représentants des Ministres. Sans aller dans les détails, les noms des témoins, leur poste, les documents auxquels il est fait référence, la durée des témoignages, le sommaire de ces témoignages, etc. sont des renseignements protégés.    Le juge Addy a écrit à ce sujet dans la décision Henri c. Canada, [1989] C.F. 229 (1ère inst.) au par. 27 :

Il existe peu de limites aux sortes de renseignements de sécurité, souvent obtenus à long terme, qui peuvent aider à reconnaître une menace. Celle-ci pourrait se rapporter à n'importe quel aspect de nos activités nationales et elle pourrait être immédiate ou viser délibérément un avenir relativement lointain. Un renseignement, qui en lui-même pourrait sembler anodin, se révélera souvent rapproché d'autres renseignements, extrêmement utile et même vital à la reconnaissance d'une menace. La nature et la source même de renseignement rendant bien souvent irrecevable en preuve devant tout tribunal judiciaire. Certains renseignements sont le résultat d'échanges d'informations entre des pays amis du monde occidental et leur source ou leur mode d'obtention est rarement divulgué par le pays informateur.


[27]            Pour certaines personnes, la communication d'un procès-verbal d'une audience tenue en présence des représentants des Ministres mais en l'absence de la personne concernée et de son avocat, peut paraître anodine mais une telle communication est effectivement importante étant donné la nature des renseignements protégés et des conséquences de leur divulgation. Pour la personne concernée, la connaissance de ce genre de renseignements peut s'avérer très intéressante. À la limite, la confirmation d'une audience en présence des représentants des Ministres à un certain moment pourrait constituer un renseignement utile pour la personne concernée.

[28]            Le juge désigné a l'obligation de « garantir » la confidentialité des renseignements protégés et de « suffisamment » informer la personne concernée des circonstances justifiant le certificat et le maintien de la détention, (alinéas 78b) et 78h) de la L.I.P.R.). J'ai rédigé les motifs de la décision du 15 juillet 2003 concernant le maintien de la détention de M. Charkaoui avec ces deux obligations à l'esprit. Compte tenu des contraintes qui découlent de ces obligations, j'ai dévoilé le plus de renseignements que je pouvais dévoiler à ce moment-là.

[29]            Je rejette donc la requête visant la divulgation de la preuve justifiant le certificat et le maintien de la détention ainsi que des procès-verbaux des audiences en l'absence de M. Charkaoui et ses avocats. Ces renseignements doivent être protégés car il s'agit de renseignements qui sont inclus dans la définition de « renseignements » à l'article 76 de la L.I.P.R. dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

RÉCLAMATION DES DÉPENS


[30]            Quant à la demande de dépens sur une base procureur-client totalisant 25 000,00 $, je souligne en premier lieu que la requête est appuyée d'un affidavit de Me Doyon, procureur de M. Charkaoui. Au paragraphe 8 de son affidavit, Me Doyon affirme que M. Charkaoui n'a pas les moyens de couvrir les frais liés à cette nouvelle révision. À mon avis, la Règle 82 des Règles de la Cour fédérale, L.C. 2002, ch. 8. interdit une telle pratique sauf avec permission de la Cour. M. Charkaoui ou une personne qui connaît en détail la situation financière de ce dernier pourrait faire une telle affirmation.

[31]            De plus, la requête n'indique pas quels éléments de preuve auraient été présentée si des renseignements additionnels avaient pu être communiqués avant l'audience du 2 et 3 juillet 2003. Il s'agit là d'une importante omission puisque le requérant est tenu de démontrer que sa preuve aurait été différente s'il avait eu accès à d'autres renseignements.


[32]            De toute façon, les renseignements additionnels ne pouvaient pas être communiqués avant le 17 juillet 2003 dans le premier cas et le 14 août 2003 dans le deuxième cas et les renseignements communiqués le 26 mai 2003 informaient suffisamment M. Charkaoui pour lui permettre de bien se défendre quant au maintien de la détention. Les renseignements communiqués à M. Chakaoui le 26 mai 2003 faisaient même référence à M. Ressam. Lors de l'audience tenue les 2 et 3 juillet 2003, M. Charkaoui ne m'a pas présenté d'éléments de preuve me permettant d'envisager sa libération. Dans les motifs de la décision écrite datée du 15 juillet 2003, j'ai clairement indiqué les raisons de ma décision et j'ai même indiqué par suggestion où je croyais que de la preuve serait utile (Charkaoui (Re) [2003] A.C.F. no 119). J'ai offert, en vertu du paragraphe 83(2) de la L.I.P.R., de présider une nouvelle audience sur le maintien de la détention mais M. Charkaoui a refusé cette offre. J'ai donc fixé la date de la révision prévue par la L.I.P.R. au 12 janvier 2004.

[33]            Pour les raisons indiquées au paragraphe 32, je rejette la demande de dépens sur la base procureur-client de M. Charkaoui.

[34]            Le dernier volet de la requête porte sur le fait « qu'avant de décider de la restriction du dévoilement des renseignements et autres éléments de preuve, la Cour aurait dû donner l'occasion d'être entendu à l'intéressé et de faire des représentations en regard de l'article 7 de la Charte canadienne ou au regard des règles de la common law » (Avis de requête de M. Charkaoui en date du 24 septembre 2003, par. 27).

[35]            Dès le début, le soussigné a informé les avocats de M. Charkaoui que des audiences n'auraient lieu qu'en présence des représentants des Ministres et dès le début, Me Doyon s'est objectée à la tenue de ces audiences. Toutefois, il a été convenu que la question constitutionnelle que cette situation soulevait serait débattue plus tard et que la priorité serait donnée à la révision du maintien de la détention.


[36]            Les questions constitutionnelles ont été débattues et des motifs ont été signés par le soussigné aujourd'hui même. L'une des questions consistait à savoir si les articles 76 à 85 de la L.I.P.R. portaient atteinte aux principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte. La conclusion du soussigné a été de répondre par la négative à cette question.

[37]            Si je comprends bien l'argument des avocats de M. Charkaoui, il faudrait qu'à chaque fois que le juge désigné décide de tenir une audience seulement en présence des représentants des Ministres, les avocats de M. Charkaoui devraient se voir offrir la possibilité d'être entendu relativement à l'article 7 de la Charte.

[38]            L'arrêt Ruby c. Canada, [2002] C.S.C. 75, a traité d'une situation semblable. Aux paragraphes 51(2) et 51(3) de la Loi sur la Protection des renseignements personnels, L.R.C., 1985 ch. P-21 il est prévu qu'une audience à huis clos de la Cour fédérale qui siège en l'absence de la personne concernée, après un refus de divulgation de renseignements, doit avoir lieu à la demande du responsable de l'institution fédérale si la divulgation de renseignements personnels concernait des documents obtenus à titre confidentiel ou encore si leur divulgation porterait préjudice (articles 19 et 21 de la Loi).

[39]            Au nom de la Cour, la juge Arbour décrit le critère applicable :

Reste la question de savoir si l'obligation qu'a le tribunal, aux termes du par. 51(3), d'entendre sur demande les arguments de l'institution fédérale concernée en l'absence de l'autre partie est contraire aux principes de justice fondamentale. Comme je l'ai signalé précédemment, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'un tribunal entend des arguments en l'absence d'une partie. Les cas dans lesquels un tribunal est tenu de le faire à la demande de l'une des parties sont encore plus rares. La question qui se pose est de savoir si, dans le contexte de la présente affaire, la disposition prescrivant une telle obligation est compatible avec les principes de justice fondamentale. Je crois que oui.


[40]            Je fais un parallèle entre les propos de la juge Arbour et l'alinéa 78e) de la L.I.P.R. qui permet aux Ministres de demander une audience en l'absence de la personne concernée. À la lumière des intérêts opposés, soit la sécurité nationale et le droit de la personne concernée de connaître ce qu'on lui reproche, je conclus que les principes de justice fondamentale prévus à l'article 7 de la Charte sont respectés.

[41]            Sur le plan pratique, je ne vois pas l'avantage de demander la possibilité de présenter des arguments relatifs à l'article 7 de la Charte chaque fois qu'une audience sans la présence de la personne concernée et de son avocat doit avoir lieu. En effet, les renseignements protégés ne peuvent pas être communiqués à M. Charkaoui et à ses procureurs. Je me demande donc en quoi pourrait bénéficier la personne concernée lors de telle plaidoirie le fait de se faire rappeler les principes de justice fondamentale protégés par l'article 7 de la Charte.

[42]            En conclusion, cette partie de la requête est rejetée pour les raisons mentionnées ci-dessus.


[43]            Avant de terminer, je voudrais rappeler que le législateur impose au juge désigné l'obligation de procéder de façon expéditive (alinéa 78c) de la L.I.P.R.). Depuis le début, j'ai informé les parties que cette obligation m'était imposée et que j'entendais la respecter. Toutefois, les parties se sont entendues afin que les questions constitutionnelles soient tranchées avant que l'audience sur le caractère raisonnable du certificat ait lieu. Aujourd'hui même, j'ai signé les motifs répondant aux quarante questions constitutionnelles ainsi que celles portant sur la demande de production de documents. Donc, comme le prévoit l'alinéa 78i) de la L.I.P.R., je donne à M. Charkaoui la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le 12 janvier 2004 à Montréal à 9h30 a.m. au 30, rue McGill à Montréal, (Québec). Je choisis cette date car elle a déjà été réservée pour la révision du maintien de la détention.

EN CONCLUSION, LA COUR ORDONNE QUE :

-           la requête soit rejetée;

-           l'audience concernant l'interdiction de territoire et le certificat soit fixée pour le 12 janvier 2004 à 9h30 a.m. au 30, rue McGill à Montréal (Québec).

                       "Simon Noël"                       

                Juge


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 DES-3-03

INTITULÉ :

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat et son dépôt en vertu du paragraphe 77(1)

et des articles 78 à 80 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés,

L.C. 2001, ch. 27 ( « L.I.P.R. » );

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le mandat pour

l'arrestation et la mise en détention ainsi que le contrôle

des motifs justifiant le maintien en détention en vertu

des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la L.I.P.R.

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

la demande de production de documents protégés

(selon l'article 76 de la L.I.P.R.)

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

M. Adil Charkaoui

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              8, 9 et 21 octobre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

EN DATE DU :         5 décembre 2003

COMPARUTIONS :

Me Johanne Doyon                              Pour Adil Charkaoui

Doyon & Montbriand

6337, rue St-Denis

Montréal (Québec)


H2S 2R8

Tél: (514) 277-4077

Fax: (514) 277-2019

Me Julius Grey

Grey, Casgrain

3410, rue Peel, Suite #2102

Montréal (Québec)

H3A 1W8

Tél: (514) 288-6180

Fax: (514) 288-8908

Me Daniel Roussy (613) 231-0472    Pour le solliciteur général du Canada

Me Luc Cadieux (613) 842-1175      

Ministère de la Justice Canada                           Pour le ministre de la Citoyenneté et de

Services Juridiques                                  l'immigration

Service canadien du renseignement de

sécurité

C.P. 9732, Succursale T

Ottawa (Ontario)

K1G 4G4

fax: (613) 842-1345

Me Daniel Latulippe (514) 283-6484            "                         "

Ministère fédéral de la Justice

Bureau régional du Québec

Complexe Guy-Favreau

200 ouest, boul. René-Lévesque

Tour est, 9e étage

Montréal (Québec)

H2Z 1X4

Fax: (514) 283-3856

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