Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010723

Dossier : IMM-4486-00

Référence neutre : 2001 CFPI 817

ENTRE :

                                                          PEDRO JORGE OLIVEIRA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Heneghan

INTRODUCTION

[1]                 M. Pedro Jorge Oliveira, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel) signée le 8 août 2000. La Section d'appel a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'appel déposé par le demandeur.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est résident permanent du Canada depuis 1971. Il est citoyen du Portugal et est entré au Canada à l'âge de deux ans. Il vit au Canada depuis environ trente ans et n'a pas de proche famille au Portugal.

[3]                 Le 25 janvier 1999, le demandeur a été reconnu coupable d'homicide involontaire et a été condamné à trois ans de prison.

[4]                 Le 19 juillet 1999, on a signifié au demandeur un avis d'intention l'informant qu'on demanderait au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, le défendeur, d'émettre un avis suivant le paragraphe 70(5) et le sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et modifications, qu'il constitue un danger pour le public. Le demandeur a déposé des représentations écrites en réponse à l'avis d'intention.

[5]                 Le 10 janvier 2000, l'avocat du demandeur a reçu une lettre d'un certain H. N. Long, agent d'immigration, datée du 5 janvier 2000, qui contenait les affirmations suivantes :

[TRADUCTION]

La présente lettre fait suite à celle datée du 13 juillet 1999 qui vous a été remise en main propre à l'établissement Matsqui le 19 juillet 1999. Après une étude complète des documents soumis, le représentant du ministre est d'avis que vous ne constituez pas un danger pour le public au Canada.


Votre dossier sera maintenant transmis à la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour la mise au rôle d'une enquête. Vous et votre avocat, M. Elgin, serez informés de la date de l'enquête. Dans l'éventualité où une mesure d'expulsion serait prise à votre égard, vous conserverez votre droit d'interjeter appel à la Section d'appel[1].

[6]                 Une enquête a eu lieu le 3 février 2000 à l'établissement Matsqui afin d'établir si le demandeur était une personne décrite dans le rapport daté du 13 janvier 1999 qui a été fait suivant l'article 27 de la Loi. À l'audition de l'enquête, l'avocat du défendeur a ouvertement déclaré que le demandeur avait le droit d'interjeter appel de toute mesure d'expulsion prise à son égard. Se fiant apparemment à cette déclaration, le demandeur, par son avocat, a admis qu'il avait été reconnu coupable de l'infraction énoncée dans le rapport[2]. L'arbitre qui menait l'enquête a alors fait les commentaires suivants :

[TRADUCTION]

ARBITRE :                         Bon, les faits de votre cause semblent en effet assez clairs et je suis d'avis, en raison des aveux faits en votre nom par M. Elgin, que l'allégation faite suivant l'alinéa 27(1)d) a été prouvée parce qu'il a été reconnu que vous avez obtenu le droit d'établissement le 13 novembre 1971 et que vous n'avez pas encore obtenu la citoyenneté canadienne. Vous êtes alors encore, par définition, un résident permanent du Canada.

Il a été aussi admis, selon ce qui a été allégué dans le rapport, que vous avez été reconnu coupable le 25 janvier 1999. Il s'agissait d'une condamnation pour homicide involontaire coupable, suivant l'article 236 du Code criminel du Canada, et le Code criminel est, évidemment, une loi fédérale.

La peine qui vous a été imposée était une période d'emprisonnement de trois ans, période qui dépasse à coup sûr la période de six mois prévue à l'alinéa 27(1)d). L'emprisonnement à vie étant la période d'emprisonnement possible pour un homicide involontaire dépasse aussi la période de cinq ans ou plus en matière de peine possible.

Ainsi, les deux facettes de l'allégation ont été prouvées et par conséquent, je dois ordonner, et j'ordonne, votre expulsion du Canada.


[7]                 Une mesure d'expulsion a été prise le 3 février 2000. Un avis d'appel de cette mesure a été déposé le 3 février 2000 et, au moment opportun, l'appel a été mis au rôle pour une audience le 10 août 2000.

[8]                 Toutefois, avant l'audience, l'agent principal H. N. Long a envoyé une autre lettre au demandeur. Cette lettre datée du 18 mai 2000 brosse un tableau très différent de l'avis du ministre à l'égard du demandeur. La lettre contient ce qui suit :

[TRADUCTION]                        

Cette lettre fait suite à celle datée du 5 janvier 2000 que je vous ai envoyée. J'en inclus une copie afin que vous puissiez vous y référer plus facilement. Je dois vous informer que c'est par erreur que la lettre du 5 janvier 2000 vous a été envoyée et que le 29 décembre 1999 le représentant du ministre a en fait émis l'avis que vous constituez un danger pour le public au Canada. J'inclus des copies des avis suivant le paragraphe 70(5) et l'article 46.01 afin que vous puissiez vous y référer. L'erreur résultait d'une confusion due au grand nombre de dossiers à notre administration centrale. Cette erreur a eu pour conséquence que nous vous avons communiqué de l'information erronée quant à votre droit d'appel et nous nous en excusons sincèrement.

Des copies des avis ont été transmises à notre service des audiences et appels de Vancouver qui communiquera avec la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié relativement votre appel en instance. La Section d'appel de l'immigration vous informera de sa décision quant à votre cause[3].

[9]                 Une copie de la lettre précédemment mentionnée a été envoyée à la Section d'appel et a été traitée comme une requête visant la compétence de la Section d'appel à entendre l'appel du demandeur à l'égard de la mesure d'expulsion prise le 3 février 2000.   

[10]            Le demandeur a eu la possibilité de faire des représentations auprès de la Section d'appel sur la question de la compétence et son avocat a présenté une plaidoirie écrite. Le 8 août 2000, la Section d'appel a rejeté l'appel du demandeur au motif qu'elle n'avait pas compétence pour entendre cet appel. Le dispositif de la décision est rédigé comme suit :

[TRADUCTION]

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est d'avis que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada et un arbitre a décidé qu'il est une personne visée par l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration, soit une personne qui a été reconnue coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale pour laquelle une peine d'emprisonnement de dix ans ou plus peut être imposée. Par conséquent, la requête du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration demandant que l'appel soit rejeté pour défaut de compétence est accueillie.

LA SECTION D'APPEL ORDONNE, en conformité avec l'alinéa 70(5)c) de la Loi sur l'immigration, que l'appel soit rejeté pour défaut de compétence[4].

[11]            Le demandeur a alors déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel.

QUESTION EN LITIGE

[12]            La question en litige est de savoir si la Section d'appel a porté atteinte à son devoir d'agir équitablement ou aux attentes légitimes du demandeur.


Les prétentions du demandeur

[13]            Le demandeur allègue que, étant donné les faits de sa cause et les déclarations contradictoires des agents et des employés du défendeur, il avait des attentes légitimes que son appel de la mesure d'expulsion prise à son égard soit entendu. Il allègue que ses attentes légitimes résultaient de l'avis qu'il avait reçu par lettre datée du 5 janvier 2000 selon lequel le ministre avait conclu qu'il ne constituait pas un danger pour le public. La livraison de l'avis contraire transmis par la lettre datée du 18 mai 2000 qui mentionnait l'avis de danger public signé par W. Sheppit en date du 29 décembre 1999 ne devrait pas avoir d'incidence sur les attentes légitimes du demandeur quant à son appel.

[14]            Le demandeur se fonde sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C. ), pour appuyer sa prétention selon laquelle la conséquence importante pour lui de la décision de la Section d'appel, soit la perte du droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion datée du 3 janvier 2000, amène à la conclusion que la Section d'appel a l'obligation de lui fournir l'équité en matière de procédure et d'entendre son appel.

Les prétentions du défendeur


[15]            Le défendeur allègue qu'il est clairement établi en droit que la doctrine des attentes légitimes ne s'applique qu'aux droits procéduraux et ne s'étend pas aux droits substantiels. Le défendeur fait la différence, en l'espèce, entre le droit substantiel d'une personne d'interjeter un appel suivant la Loi et le droit procédural qui donne à une telle personne le droit de faire des représentations et d'autrement présenter sa cause lorsqu'il n'existe pas de défaut de compétence à l'exercice des droits procéduraux.

[16]            Le défendeur allègue que l'avis de danger que le représentant du ministre avait émis le 29 décembre 1999 enlevait la compétence à la Section d'appel. Les erreurs commises par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration en communiquant dans son entier au demandeur la véritable situation ne peuvent appuyer la conclusion que la Section d'appel a compétence alors que la Loi stipule expressément qu'elle ne l'a pas.

ANALYSE

[17]            La situation malheureuse dans laquelle se trouve le demandeur résulte des actes inexplicables du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration lorsqu'il lui a directement transmis des renseignements contradictoires. L'erreur principale, pour laquelle aucune explication n'a été donnée, se trouve dans la lettre datée du 5 janvier 2000 par laquelle le demandeur a été informé que, à la suite de l'avis d'intention daté du 13 juillet 1999 d'obtenir un avis qu'il constituait un danger, il avait été décidé qu'il ne constituait pas un danger pour le public.

[18]            Cette erreur était plus compliquée à cause du fait que, lors de l'enquête tenue le 3 février 2000, l'avocat du ministre a confirmé que le demandeur avait effectivement le droit d'interjeter appel de la décision à la Section d'appel.


[19]            Les deux faits précédemment mentionnés pouvaient raisonnablement appuyer l'idée qu'avait le demandeur quant à son droit d'interjeter appel de la mesure d'expulsion prise à son égard. Toutefois, il appert que la lettre du 5 janvier 2000 et les déclarations du 3 février 2000 avaient apparemment été respectivement écrite et faites dans l'ignorance de l'avis signé par W. Sheppit, le représentant du ministre, le 29 décembre 1999. Aucune explication n'a été donnée quant aux circonstances qui ont entraîné la diffusion de renseignements erronés. Aucune explication n'a été donnée, mais il ressort de façon évidente qu'il y a eu un manque de communication à l'intérieur même du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration de même qu'avec ses conseillers juridiques.

[20]            Suivant le paragraphe 70(5) de la Loi, le fait qu'il existe un avis de danger prive une personne visée du droit d'interjeter appel à la Section d'appel. Le paragraphe 70(5) est rédigé comme suit :




Restriction

(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

Where limited right of appeal

(5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or

(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.

[21]            Il ressort clairement du dossier du demandeur qu'il est une personne décrite au paragraphe 70(5). Il est résident permanent du Canada, donc il est une personne décrite au paragraphe 70(1) de la Loi; il fait l'objet d'une mesure d'expulsion; il fait l'objet d'un avis de danger; on a jugé qu'il était une personne décrite à l'alinéa 27(1)d) de la Loi.

[22]            Le demandeur invoque la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.F.), au soutien de la doctrine des attentes légitimes. Il allègue que, dans sa cause, le droit d'interjeter appel est à la fois un droit procédural et un droit substantiel. Respectueusement, je ne suis pas de cet avis.

[23]            Le droit d'interjeter appel à la Section d'appel est limité par le Parlement aux personnes qui ne font pas l'objet des exceptions prévues au paragraphe 70(5). Malheureusement, le demandeur fait l'objet d'un avis de danger. Le fait qu'il n'était pas au courant de cet avis de danger de façon opportune ne peut justifier une conclusion que la Section d'appel a compétence alors qu'elle ne l'a pas.

[24]            La Cour a conclu que le fait que le ministre ait émis un avis de danger, même après que l'audition d'un appel a commencé, enlève à la Section d'appel sa compétence. Voir les décisions Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996) 107 F.T.R. 214 et Gonsalves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1997] A.C.F. no 588.

[25]            Je dois suivre la jurisprudence établie par la Cour pour l'interprétation du paragraphe 70(5) de la Loi. Compte tenu qu'il existe un avis de danger daté du 29 décembre 1999, il est évident que la Section d'appel n'avait pas compétence pour entendre l'appel du demandeur. Elle a tiré la seule conclusion possible lorsqu'elle a accueilli la requête présentée par le défendeur dans le but d'obtenir le rejet de l'appel pour défaut de compétence. La Section d'appel n'a pas commis d'erreur de droit lorsqu'elle a pris sa décision.

[26]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'avocat du défendeur a demandé qu'une période de sept jours suivant la réception des présents motifs lui soit accordée afin qu'il puisse, suivant l'article 83 de la Loi, soumettre aux fins de la certification une question grave de portée générale. Ce délai de grâce est accordé.


[27]            En dernier lieu, je remarque que, jusqu'à maintenant, le demandeur n'a pas sollicité le contrôle judiciaire de l'avis de danger pour le public qu'il a reçu en mai 2000. Si une telle demande était présentée maintenant, accompagnée d'une requête pour prorogation de délai, elle devrait être favorablement accueillie par le ministre compte tenu des circonstances en l'espèce et de la jurisprudence actuelle en matière d'avis de danger.

                                                                                                                                  « Elizabeth Heneghan »             

Juge                      

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 23 juillet 2001

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


Notes en fin de texte


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-4486-00

INTITULÉ :                                           Pedro Jorge Oliveira c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 17 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                        Le 23 juillet 2001

COMPARUTIONS :

Sandra Broudy                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Brenda Carbonell                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates                                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

[1].          Dossier de demande du demandeur, page 30.

[2].          Dossier de la Cour, page 28.

[3].          Dossier de demande du demandeur, page 39.

[4].          Dossier de demande du demandeur, page 5.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.