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Date : 19980820


Dossiers : T-35-96 et T-591-96

    

ENTRE :

     BAYER AG et BAYER INC.,

     demanderesses,

ET :

     APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Dans les dossiers T-35-96 et T-591-96, Apotex a présenté une requête en vue d'obtenir la radiation d'un affidavit de remplacement en réponse déposé par Bayer. À l'appui de sa requête, Apotex soutient que son consentement au dépôt de l'affidavit et l'ordonnance par consentement rendue par la Cour afin d'autoriser ce dépôt ont été obtenus grâce à des fausses déclarations1.

[2]      Voici les faits pertinents. Il s'agit de demandes d'interdiction présentées sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) à l'égard du médicament ciprofloxacine. Apotex allègue notamment que le brevet de Bayer est invalide parce qu'il a été obtenu sans que le Bureau canadien des brevets n'ait été informé de l'instance chilienne préalablement engagée relativement à un brevet touchant la ciprofloxacine, et parce que la demande de brevet présentée dans ce pays a été déposée plus d'un an avant la demande de brevet au Canada. Sur ce point, Bayer a déposé un affidavit de Ramon Leiva, un avocat chilien qui exerce dans le domaine des brevets. En réponse, Apotex a déposé un affidavit de Vladimir Garcia Huidoboro, autre avocat chilien exerçant dans ce domaine.

[3]      Or, il semble que M. Leiva ne souhaitait plus participer à l'instance même s'il était nécessaire de le contre-interroger sur son affidavit et de lui demander de déposer un autre affidavit en réponse à celui de M. Huidoboro. Bayer a été informée par son agent chilien du fait que M. Leiva ne voulait plus participer à l'instance en raison d'une grave maladie du coeur survenue en juin 1996 après le dépôt de son affidavit initial. Bayer a ensuite transmis ce renseignement à Apotex. Comme M. Leiva ne pouvait plus participer à l'instance pour des raisons de santé, Apotex a consenti à ce que l'affidavit de ce dernier soit retiré et à ce qu'un affidavit en réponse signé par Santiago Larraguibel Zavala, avocat chilien exerçant dans le domaine des brevets, soit utilisé par Bayer tant en réponse qu'en remplacement de l'affidavit de M. Leiva. L'affidavit de M. Zavala servirait à la fois à remplacer l'affidavit de M. Leiva et à répondre à l'affidavit de M. Huidoboro. Le juge Nadon a accueilli la requête par consentement présentée par Bayer en vue de déposer l'affidavit de M. Zavala2.

[4]      Grâce à ses relations au Chili, Apotex a subséquemment appris que le récit des problèmes de santé subis par M. Leiva en juin 1996 était peut-être inexact. Apotex a donc mené une enquête et découvert que M. Leiva n'était pas malade à ce moment. De fait, Apotex a obtenu un affidavit en ce sens de M. Leiva lui-même. Dans cet affidavit, M. Leiva affirme avoir avisé Bayer lors de la signature de son premier affidavit qu'il ne souhaitait pas participer davantage à l'instance et que son refus de fournir un affidavit en réponse se fondait sur cette déclaration initiale et non sur des problèmes de santé subséquents.

[5]      Apotex fait maintenant valoir qu'elle n'aurait jamais consenti au dépôt de l'affidavit Zavala en l'absence de déclarations concernant les problèmes de santé de M. Leiva et qu'elle aurait simplement déposé une requête en vue de faire radier l'affidavit initial de M. Leiva si ce dernier ne s'était pas présenté pour le contre-interrogatoire. Compte tenu du refus de M. Leiva de continuer à participer à l'instance et des fausses déclarations ayant donné lieu au dépôt de l'affidavit de M. Zavala en remplacement de celui de M. Leiva, Apotex soutient que ces deux affidavits devraient être radiés.

[6]      Bien qu'il ressorte de la preuve par affidavits et des contre-interrogatoires que les parties ne s'entendent pas en tout point sur qui a dit quoi à qui et quand, j'arrive à la conclusion que, dans les faits, selon la prépondérance des probabilités, M. Leiva a effectivement déclaré à l'agent chilien de Bayer qu'il ne souhaitait pas poursuivre sa participation à l'instance en raison de problèmes de santé et que cette déclaration n'a été faite qu'après qu'on lui eut demandé de déposer un affidavit en réponse. L'autre possibilité, savoir que le représentant de Bayer au Chili ait inventé une histoire au sujet de l'état de santé de M. Leiva est peu vraisemblable. En effet, le récit touchant les problèmes de santé de M. Leiva se fonde sur une maladie du coeur qui est admise par ce dernier, quoiqu'il ait précisé avoir été victime d'une crise cardiaque quelques années plus tôt et avoir été en bonne santé au mois de juin 1996. Il serait vraiment étrange que l'agent de Bayer ait eu connaissance des problèmes de santé de M. Leiva sans que celui-ci ne lui en ait parlé. De plus, la correspondance échangée à l'époque pertinente entre l'agent chilien de Bayer et M. Leiva ne peut s'expliquer que dans le cadre d'une participation continue de ce dernier à l'instance ou, à tout le moins, que si Bayer croyait honnêtement que M. Leiva agirait ainsi. Si M. Leiva avait refusé de participer immédiatement après avoir signé son premier affidavit, cette correspondance ultérieure ne pourrait être justifiée.

[7]      Bien qu'Apotex ait signalé que le contre-interrogatoire de l'agent chilien de Bayer comportait certaines lacunes et contradictions, je n'estime pas que celles-ci soient importantes. Dans les circonstances, je suis convaincu de l'exactitude du compte rendu des faits donné par Bayer.

[8]      Il n'en demeure pas moins que Bayer a présenté ce que je qualifierais de déclarations inexactes faites de bonne foi et que celles-ci ont incité Apotex à consentir à ce que l'affidavit de M. Zavala remplace celui de M. Leiva. Même si l'établissement d'analogies exige une grande prudence, la situation en l'espèce me fait penser aux déclarations inexactes faites de bonne foi qui, dans le contexte du droit des contrats, permettraient de demander la résiliation d'une convention. Dans la présente affaire, comme Apotex a consenti tant au retrait de l'affidavit de M. Leiva parce que ce dernier ne s'est pas présenté au contre-interrogatoire qu'au remplacement de cet affidavit par celui de M. Zavala en raison de fausses déclarations faites de bonne foi par Bayer, elle pourrait s'appuyer sur cette analogie pour prétendre que l'affidavit de M. Leiva, l'affidavit de remplacement de M. Zavala ainsi que le témoignage qu'elle a déposé en réponse à l'affidavit de M. Zavala devraient être radiés. Cette solution tiendrait compte du défaut de M. Leiva de s'être présenté pour le contre-interrogatoire ainsi que des fausses déclarations ayant donné lieu à l'affidavit de remplacement de M. Zavala. En d'autres termes, seul le témoignage de M. Huidoboro, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une réponse à l'affidavit initial de M. Leiva ni à celui de M. Zavala, et uniquement dans la mesure où il répond au strict témoignage de M. Huidoboro, devrait demeurer.

[9]      Or, cette solution pose deux difficultés. En premier lieu, Apotex refuse de retirer des portions de l'affidavit de M. Huidoboro, c.-à-d. tant la partie dans laquelle l'auteur répond à l'affidavit de M. Leiva que celle n'ayant aucun lien avec ce témoignage. Il paraît plutôt contradictoire qu'Apotex insiste pour faire radier l'affidavit initial et l'affidavit de remplacement déposés par Bayer tout en demandant que le témoignage qu'elle a rendu en réponse à la preuve radiée soit conservé. Mais, point plus important, il y a le problème pratique que soulève le fait de séparer le strict témoignage en réponse de M. Huidoboro et le témoignage de remplacement en réponse de M. Zavala. En effet, les contre-interrogatoires portant sur ces deux affidavits ont déjà eu lieu et il paraît irréaliste de tenter de séparer les parties des contre-interrogatoires qui devraient être radiées de celles qui devraient être conservées. L'audience sur le bien-fondé de la demande d'interdiction a été fixée au 5 octobre 1998; le dépôt de nouveaux affidavits et l'obligation de procéder à de nouveaux contre-interrogatoires des affiants au Chili ne constituent pas une solution pratique.

[10]      Compte tenu de la situation, l'affidavit de M. Leiva devrait être radié puisque ce dernier ne s'est pas présenté pour le contre-interrogatoire et, comme l'affidavit de M. Huidoboro demeurera dans sa totalité, il devrait en être de même pour le témoignage de M. Zavala. Bien qu'Apotex ait été victime de déclarations inexactes faites de bonne foi, j'estime que ce fait atténue les conséquences du préjudice, s'il en est, ainsi que de l'interruption causés dans la présente instance limitée dans le temps. Apotex a eu l'occasion de contre-interroger M. Zavala et elle a toute latitude pour débattre du bien-fondé de la thèse avancée par Bayer en ce qui concerne le droit en matière de brevet au Chili et l'instance engagée dans ce pays de manière à étayer son allégation voulant que le brevet canadien de Bayer relatif à la ciprofloxacine soit invalide. Je suis convaincu que, même si le résultat n'est pas parfait, il est adéquat.

[11]      Dans les litiges qui touchent la procédure " comme c'est le cas dans la présente affaire " et où la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour veiller à l'équité et à la rapidité de l'instance, chaque cas est un cas d'espèce. Cependant, il importe de signaler qu'en règle générale les affidavits ne sont radiés que si leur auteur omet de se présenter pour le contre-interrogatoire et que les affidavits de remplacement ne seront autorisés que s'il existe des raisons valables justifiant cette mesure.

[12]      La requête d'Apotex visant la radiation de l'affidavit initial de M. Leiva est accueillie. Sa requête en vue de faire radier l'affidavit de M. Zavala et le contre-interrogatoire de ce dernier est rejetée. La mesure de redressement subsidiaire demandée par Apotex, savoir que le second affidavit de M. Leiva relatif à ses problèmes de santé soit admis comme faisant partie du dossier, est rejetée. En effet, l'utilité de ce témoignage dans le cadre de l'instance sur le bien-fondé de l'affaire n'a pas été établie.

[13]      Ce sont les déclarations inexactes faites de bonne foi par Bayer qui ont donné lieu à l'introduction de la présente instance. Bien que la requête déposée par Bayer ait été accueillie, il n'y aura aucune adjudication de dépens.

     " Marshall Rothstein "

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-35-96 et T-591-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      BAYER AG et BAYER INC.
                     c.
                     APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE VENDREDI 21 AOÛT 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS LE VENDREDI 21 AOÛT 1998 PAR LE JUGE ROTHSTEIN.

ONT COMPARU :              M. Neil Belmore
                     REPRÉSENTANT BAYER AG et al.
                     M. Harry Radomski
                     M. Andrew Brodkin
                     REPRÉSENTANT APOTEX INC. et al.

PROCUREURS INSCRITS

AU DOSSIER :              Gowling, Strathy et Henderson
                     4900, Commerce Court West
                     B.P. 438
                     Succ. Commerce Court
                     Toronto (Ontario)
                     M5L 1J3
                     POUR BAYER AG et al.
                     Goodman, Phillips et Vineburg
                     Boîte 24, 2400-250 rue Yonge
                     Toronto (Ontario)
                     M5B 2M6
                     POUR APOTEX INC. et al.
__________________

     1 Comme il n'existe aucun droit permettant de déposer un affidavit en réponse ou de remplacement, il est nécessaire d'obtenir une ordonnance à cet effet.

     2 Dans les faits, les événements se sont déroulés de la façon suivante : Bayer a présenté une demande pour déposer un affidavit en réponse. L'affidavit consistait en un témoignage visant à remplacer celui de M. Leiva. En raison des déclarations qui lui ont été présentées au sujet de M. Leiva, Apotex ne s'est pas opposée, après le dépôt de l'affidavit en réponse, au fait que ce document serve à remplacer un autre affidavit.

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