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Date : 20050210

Dossier : T-1458-04

Référence : 2005 CF 227

Calgary (Alberta), le 10 février 2005.

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

JOHANNES E. MUELLER

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]        M. Johannes Mueller, le défendeur, est citoyen de l'Allemagne. Il est devenu résident permanent au Canada le 14 avril 1995, et il a demandé la citoyenneté canadienne le 10 juin 2003. Dans la décision rendue le 22 juin 2004, la juge de la citoyenneté a approuvé cette demande. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration interjette appel de cette décision en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

[2]        La seule question en litige est la suivante : la juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que M. Mueller avait rempli les conditions d'obtention de la citoyenneté canadienne énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi? Selon cette disposition, la personne qui demande la citoyenneté doit avoir « dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans » .

[3]        Les parties sont d'accord sur les faits, notamment sur le fait que, au cours de la période pertinente, les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, allant du 10 juin 1999 au 10 juin 2003, M. Mueller a été absent du Canada pendant 1146 jours et effectivement présent pendant 314 jours. Selon l'alinéa 5(1)c) de la loi, il aurait dû passer au total 1095 jours au Canada au cours de cette période.

[4]        En ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de la citoyenneté, la jurisprudence récente de la Cour semble adopter la décision raisonnable simpliciter comme norme (Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 2051; 2004 CF 1688 (1re inst.), au paragraphe 4; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Wall, [2005] A.C.F. no 146; 2005 CF 110, au paragraphe 21). J'accepte cette norme. Par conséquent, tant que le juge de la citoyenneté fait preuve d'une bonne compréhension de la jurisprudence, qu'il évalue correctement les faits et qu'il les rattache au critère légal, il faut faire preuve de retenue. Malheureusement, la décision rendue en l'espèce ne satisfait pas à ce critère.

[5]        Lorsque la juge de la citoyenneté a étudié la demande de M. Mueller, elle s'est appuyée sur la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286; [1992] A.C.F. no 1107 (1re inst.). Dans celle-ci, la juge Reed a formulé six facteurs pour déterminer si le Canada est le pays où la personne qui demande la citoyenneté « vit régulièrement, normalement ou habituellement » , ou si le Canada est le pays dans lequel elle a « centralisé son mode d'existence » . Les six facteurs pertinents sont les suivants :

(1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[6]        La juge de la citoyenneté s'est servie d'un formulaire où sont énoncées toutes les questions figurant ci-dessus et qui laisse un espace réservé à ses conclusions pour chaque question. Je dois donc conclure qu'elle appliquait le critère de la décision Re Koo. Pour ce faire, il incombait à la juge de la citoyenneté de répondre à chaque question en se fondant sur la preuve produite devant elle. Comme je vais l'expliquer ci-dessous, elle ne l'a pas fait.

[7]        Elle donne la réponse suivante à la première question :

[TRADUCTION]

A rencontré son épouse à l'étranger, elle est canadienne et en 1995 est venu au Canada et a voyagé avec son épouse et des parents pendant environ 6 mois. L'épouse et le client sont missionnaires. En avril [1997] le client a été employé par Nascor, une compagnie canadienne.

Cela ne répond tout simplement pas à la question de savoir si M. Mueller était effectivement présent au Canada pendant une longue période antérieure à ses absences récentes, qui ont eu lieu immédiatement avant qu'il fasse sa demande de citoyenneté.

[8]        De même, la juge de la citoyenneté a ainsi répondu à la deuxième question :

[TRADUCTION]

L'épouse et les enfants sont citoyens canadiens, nés au Canada. Les beaux-parents sont citoyens canadiens. La famille du client est allemande (parents et frères et soeurs).

La vraie question était la suivante : où résidaient les membres de la famille du défendeur? La question de leur citoyenneté n'était pas pertinente.

[9]        En réponse à la dernière question concernant la qualité des attaches du défendeur avec le Canada, la juge répond « oui » , et décrit ensuite les fonctions de M. Mueller en Allemagne. Je ne vois pas bien de quelle manière cette description nous aide à déterminer si les attaches de M. Mueller avec le Canada sont « plus importantes » que ses attaches avec l'Allemagne.

[10]      Dans la cinquième question, la juge de la citoyenneté doit décider si son absence matérielle constituait une « situation manifestement temporaire » . Elle a donné la réponse suivante :

[TRADUCTION]

Oui, au printemps 97 il a été engagé par Nascor. Sa première absence a eu lieu au printemps 99.

Il n'y a aucune analyse de la nature du poste occupé chez Nascor; on a simplement supposé qu'une compagnie canadienne n'enverrait M. Mueller en Allemagne que temporairement. La juge n'a pas répondu à la question.

[11]      Ces failles dans l'analyse de la juge de la citoyenneté me convainquent qu'elle a fait erreur. Manifestement, elle n'a pas compris la jurisprudence, elle n'a pas correctement apprécié les faits et elle ne les a pas correctement rattachés au critère. Par conséquent, l'appel doit être accueilli.

[12]      On m'a informée que M. Mueller travaille maintenant au Canada depuis janvier 2003. Par conséquent, tous ses problèmes relatifs aux exigences de résidence formulées par la Loi sur la citoyenneté devraient bientôt disparaître et il devrait être admissible sans problèmes à la citoyenneté canadienne.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

L'appel est accueilli et la cause est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvelle décision.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-1458-04

INTITULÉ :                                                 Le Ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

                                                                     c.

                                                                     Johannes E. Mueller

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 9 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                LE 10 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Rick Garvin                                                             POUR LE DEMANDEUR

Johannes E. Mueller                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Johannes E. Mueller                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

                                                                              DÉFENDEUR


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