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                                                                                                                               Date :    20050531

                                                                                                                   Dossier : IMM-8489-04

                                                                                                                Référence :    2005 CF 769

OTTAWA (ONTARIO), LE 31 MAI 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                             MARYLOU ROSARIO QUINDIAGAN

                                                                             

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]         La demanderesse, Marylou Rosario Quindiagan, demande le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 3 septembre 2004, par laquelle Mona Beauchemin, commissaire de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel), a rejeté sa demande de parrainage à l'appui de l'établissement de son époux, Raoul Quindiagan.


[2]         En guise de réparation, la demanderesse demande à la Cour d'annuler la décision et de renvoyer l'affaire à la Section d'appel en vue d'une nouvelle audition.

CONTEXTE

[3]         La demanderesse et son époux, Raul Quindiagan, sont nés aux Philippines, où ils se sont mariés pour la première fois en 1994. Ils ont quatre enfants, nés avant leur premier mariage.

[4]         Le 28 juin 1994, la demanderesse est venue au Canada pour y vivre et y travailler à titre de soignante d'un ami de sa tante. Elle a obtenu le droit d'établissement le 4 décembre 1997.

[5]         En 1998, la demanderesse est retournée aux Philippines pour se marier avec son époux une deuxième fois. Le 27 octobre 1999, elle a présenté une demande de parrainage en vue d'appuyer la demande d'établissement de son époux au Canada. Dans une lettre en date du 7 novembre 2002, l'agent des visas a informé la demanderesse que la demande était rejetée. Cette décision a fait l'objet d'un appel devant la Section d'appel et l'audience s'est tenue le 6 juillet 2004. L'appel a été rejeté le 3 septembre 2004.

[6]         L'autorisation d'introduire la présente demande a été accordée le 21 janvier 2005.

LA DÉCISION CONTESTÉE


[7]         Devant la Section d'appel, l'avocat de la demanderesse a sollicité la remise de l'audience parce qu'il voulait soulever une question constitutionnelle, mais n'avait pu établir et signifier l'avis de question constitutionnelle dans le délai fixé par l'article 52 des Règles de la section d'appel de l'immigration, DORS/2002-230 (les Règles). Le Section d'appel a rejeté cette demande.

[8]         La demanderesse a interjeté appel, aux termes du paragraphe 63(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision par laquelle l'agent des visas a rejeté sa demande de parrainage à l'appui de l'établissement de son époux. L'agent des visas a conclu que l'époux de la demanderesse n'avait pas fait l'objet d'un contrôle au moment où la demanderesse avait présenté sa demande de résidence permanente et qu'il ne faisait donc pas partie de la catégorie de la famille, en vertu de l'alinéa 117(9)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[9]         La Section d'appel a noté que, d'après le témoignage de la demanderesse, son premier mariage s'était déroulé secrètement et avait eu lieu dans une autre province en raison de l'opposition de sa famille, particulièrement celle de sa grand-mère. La demanderesse a également témoigné que son oncle, qui s'était marié dans des circonstances similaires, n'avait pu parrainer son épouse au Canada, ce qui l'avait poussée à retourner aux Philippines où un deuxième mariage avait été célébré en 1998.


[10]       La Section d'appel a constaté que, lorsque l'époux de la demanderesse avait demandé son certificat de mariage, on lui avait remis deux certificats, un certificat pour chaque mariage. La Section d'appel a conclu qu'aucune preuve additionnelle n'avait été présentée concernant la légitimité du premier mariage; par conséquent, elle a conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve fiable lui permettant de conclure que la demanderesse n'était pas légalement mariée en 1994 aux Philippines.

[11]       Ainsi, la Section d'appel s'est demandée pourquoi la demanderesse avait déclaré qu'elle était célibataire dans sa demande d'établissement du 4 décembre 1997, et pourquoi elle avait indiqué qu'elle ne s'était jamais mariée et n'avait pas de personnes à charge dans sa demande de résidence permanente du 7 février 1997. La demanderesse a reconnu que, au moment où elle avait signé ces documents, elle était mariée et avait quatre enfants. Elle a également expliqué avoir dit à un agent de l'immigration à Montréal, le 17 mai 2002, qu'on l'avait mal conseillée pendant qu'elle remplissait les documents et qu'elle croyait que reconnaître son mariage et ses enfants pouvait compromettre sa propre demande.

[12]       La Section d'appel a indiqué qu'elle n'avait aucune raison de douter de l'authenticité de la relation entre la demanderesse et son époux. Toutefois, la Section d'appel a conclu que la preuve se rapportant à l'état d'esprit de la demanderesse, que cette dernière cherchait à présenter, n'était pas pertinente en l'espèce, car la Section d'appel n'avait pas à trancher une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. La Section d'appel a indiqué que la question en litige était d'ordre juridictionnel et qu'elle ne pouvait tenir compte de considérations d'ordre humanitaire en raison de l'application de l'article 65 de la LIPR.


[13]       La Section d'appel a conclu qu'elle devait rejeter l'appel en raison d'un défaut de compétence, en vertu de l'alinéa 117(9)d) du Règlement. La raison fournie par la demanderesse pour avoir omis de signaler son époux dans sa demande, c'est-à-dire sa crainte que ce signalement compromettrait sa propre demande, est précisément le genre de comportement que vise la disposition d'exclusion. La Section d'appel a conclu, en fin de compte, que les modifications de l'alinéa 117(9)d) du Règlement, qui sont entrées en vigueur après l'audience, avaient été prises en délibération et qu'on avait jugé qu'elles ne s'appliquaient pas dans la présente affaire.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]       Une seule question est soulevée en l'espèce : la Section d'appel a-t-elle enfreint les principes de l'équité et de la justice naturelle en refusant d'accorder un ajournement pour permettre à la demanderesse de signifier et présenter un avis de question constitutionnelle?

ANALYSE

[15]       La partie qui désire soulever une question constitutionnelle devant la Section d'appel doit signaler son intention d'agir ainsi au moins 10 jours avant de présenter son argumentation, conformément à l'article 52 des Règles.



52. Avis de question constitutionnelle

(1) La partie qui veut constester la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une disposition législative établit un avis de question constitutionnelle.

Délai

(4) Les documents transmis selon la présente règle doivent être reçus par leurs destinataires au plus tard dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle doit être débattue.

52. Notice of constitutional question

(1) A party who wants to challenge the constitutional validity, applicability or operability of a legislative provision must complete a notice of constitutional question.

Time limit


[16]       En l'espèce, le délai fixé au paragraphe 52(4) des Règles n'a pas été respecté et l'avocat de la demanderesse a demandé un ajournement de l'appel afin d'établir et de signifier l'avis de question constitutionnelle. Avant de décider d'accorder ou non un ajournement, la Section d'appel doit tenir compte des éléments pertinents, y compris ceux exposés expressément au paragraphe 48(4) des Règles, qui est rédigé comme suit :



48. Éléments à considérer

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) dans le cas où elle a fixé la date et l'heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

b) le moment auquel la demande a été faite;

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

d) les efforts qu'elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

e) dans le cas où la partie a besoin d'un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d'aller de l'avant en l'absence de ces renseignements sans causer une injustice;

f) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l'expérience de son conseil;

g) tout report antérieur et sa justification;

h) si la date et l'heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

I) si le fait d'accueillir la demande ralentirait l'affaire de manière déraisonnable;

j) la nature et la complexité de l'affaire.

48. Factors

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

(b) when the party made the application;

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party's arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

(f) the knowledge and experience of any counsel who represents the party;

(g) any previous delays and the reasons for them;

(h) whether the time and date fixed for the proceeding were peremptory;

(I) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings; and

(j) the nature and complexity of the matter to be heard.


[17]       En rendant des décisions sur des questions de procédure, la Section d'appel doit également garder à l'esprit le paragraphe 162(2) de la LIPR, qui impose une obligation de célérité. Il est reconnu en droit que les tribunaux administratifs sont autorisés à contrôler leur procédure et à décider d'accorder ou non un ajournement. (Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 10, en ligne : QL.) La seule exigence est que leurs décisions soient conformes à l'équité et à la justice naturelle.

[18]       En l'espèce, la Section d'appel a conclu que, au moment de l'audience, l'affaire était en cours depuis près de deux ans et que la demanderesse n'avait jamais indiqué auparavant qu'elle envisageait de soulever une question constitutionnelle. La Section d'appel a noté que plusieurs demandes de remise avaient été accueillies et que la demanderesse avait eu plusieurs occasions de soulever une question constitutionnelle devant le tribunal.

[19]       La demanderesse ne conteste pas les conclusions de fait tirées par la Section d'appel. Toutefois, elle s'oppose à la décision de lui refuser une remise pour permettre à son avocat d'établir et de signifier l'avis de question constitutionnelle dans le délai fixé. Elle fait valoir que les questions en litige dans la présente affaire sont de nature constitutionnelle et n'ont pu être débattues en raison du refus de la Commission d'accorder une remise.


[20]       D'après la demanderesse, la Section d'appel a omis de mettre en application le principe, exposé dans la décision Phui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 791, selon lequel il ne faut pas priver un demandeur de ses droits en raison d'une erreur commise par son propre avocat, si l'erreur peut être corrigée sans causer de préjudice à l'autre partie. Selon la demanderesse, la Section d'appel a omis de tenir compte du préjudice grave qu'elle subirait, de la gravité des questions constitutionnelles et de l'absence de préjudice à l'égard du défendeur.

[21]       La demanderesse a eu de nombreuses occasions de soulever les questions qu'elle juge pertinentes. Son affaire a été remise plusieurs fois pour diverses raisons et elle savait depuis environ deux ans que son audience aurait lieu. La seule justification mise de l'avant par la demanderesse pour avoir omis de respecter les exigences réglementaires est l'inadvertance et le défaut d'avoir pensé aux arguments constitutionnels auparavant. Ces explications n'établissent aucunement le bien-fondé de l'argument de la demanderesse selon lequel la Section d'appel a agi de manière inéquitable et contraire aux principes de la justice naturelle. Il incombe à la demanderesse de préparer sa cause adéquatement et, en l'espèce, elle a tout simplement omis de le faire sans justification. (Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1941, en ligne : QL.)


[22]       La Section d'appel est maître de sa propre procédure. Les faits et circonstances de l'espèce n'appuient pas l'affirmation de la demanderesse selon laquelle la Section d'appel a ignoré les principes de l'équité et de la justice naturelle en rendant sa décision. Il est clair que, en l'espèce, la demanderesse n'a pas respecté les exigences établies dans les Règles. Je suis convaincu que la Section d'appel a examiné et apprécié tous les éléments pertinents avant de trancher. Le dossier ne justifie aucune autre conclusion de ma part.

[23]       La demanderesse prétend également qu'elle ne devrait pas avoir à subir les conséquences d'une erreur de procédure imputable uniquement à son avocat et que l'équité exige qu'on lui accorde un ajournement.

[24]       Dans la décision Moutisheva c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 988, en ligne : QL, paragraphe 12, la Cour d'appel fédérale a clairement affirmé que, en règle générale, il n'y a pas lieu de dissocier le comportement de l'avocat de celui de son client.

Enfin, le procureur d'une partie à un litige est son mandataire. Il agit en son nom et à ce titre il assume un certain nombre d'obligations dont celles de la conduite des procédures ainsi que de la réception et de la délivrance des actes requis par les procédures.

[25]       Le seul cas où un tribunal pourrait annuler la décision d'un tribunal administratif en raison des erreurs commises par un avocat est celui où il est établi que l'avocat a fait preuve d'une « incompétence extraordinaire » qui a donné lieu à une entorse à la justice naturelle (Gogol c. Canada, [1999] A.C.F. no 2021, paragraphe 3).

Bien que le travail ait été en partie fait de façon négligente, la preuve ne donne pas à penser qu'il y ait eu « incompétence extraordinaire » , selon le terme utilisé par le juge Rothstein dans l'affaire Huynh, ce qui justifierait notre intervention [...] Les erreurs qu'aurait faites l'avocat, qui avait été choisi par la demanderesse, étaient principalement techniques, et aucune de ces erreurs n'a empêché la demanderesse d'obtenir une audition équitable, de témoigner pour son propre compte et de faire entendre un témoin en sa faveur.


[26]       En l'espèce, il n'a pas été établi que l'avocat de la demanderesse avait fait preuve d'incompétence extraordinaire. La Section d'appel n'a pas commis d'erreur en rejetant l'argument invoqué par l'avocat, à savoir qu'il s'agissait de son premier argument constitutionnel en 20 ans d'exercice. Il incombe à l'avocat de se préparer adéquatement. Les motifs de la juge Reed dans la décision Jouzichin, [1994] A.C.F. no 1886, paragraphe 2, s'avèrent particulièrement pertinents sur ce point :

Il est par ailleurs difficile de dissocier le comportement de l'avocat de celui de son client. Je sais bien que dans certaines affaires en matière d'immigration où l'avocat a manifestement fait preuve d'incompétence, certains de mes collègues ont affirmé que cette incompétence était telle que les règles de justice naturelle avaient été violées. Mais, en règle générale, il ne faut pas dissocier le comportement de l'avocat de celui de son client. L'avocat est le mandataire de son client et, aussi sévère que cela puisse paraître, si le client a retenu les services d'un avocat médiocre, il doit en subir les conséquences.

[27]       Les erreurs commises par l'avocat de la demanderesse ne justifient pas, en l'espèce, une intervention de la Cour.

[28]       À la lumière du dossier, l'avocat de la demanderesse a eu assez de temps pour préparer sa cause et consulter la LIPR et les Règles en vue de s'assurer qu'il respectait les exigences procédurales. La Section d'appel a conclu que l'avocat de la demanderesse avait eu amplement l'occasion de présenter sa cause et de formuler les arguments qu'il jugeait pertinents. En tirant sa conclusion, la Section d'appel n'a pas porté atteinte aux règles de l'équité et de la justice naturelle et, par conséquent, n'a pas commis d'erreur donnant lieu à une révision.

CONCLUSION


[29]       Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[30]       Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale, tel que prévu à l'alinéa 74d) de la LIPR, mais n'en ont soulevé aucune. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.        La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »          

                                                                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-8489-04

INTITULÉ :                                           MARYLOU ROSARIO QUINDIAGAN c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 21 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                          LE 31 MAI 2005

COMPARUTIONS :                            

Mark G. Gruszczynski                                                POUR LA DEMANDERESSE

Sherry Rafai Far                                                         POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :               

Gruszczynski, Romoff                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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