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Date : 20000412

T-701-99

E n t r e :

WILLIAM ROWAT

                                                                                                                                        demandeur

                                                                         - et -

COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

et SOUS-COMMISSAIRE À L'INFORMATION

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                            

LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

[1]                 Le 7 octobre 1998, le Commissaire à l'information a été saisi de plaintes portées contre les responsables de deux institutions fédérales (le Bureau du Conseil privé et le ministère des Pêches et des Océans du Canada). Une des plaintes en question portait sur la présumée divulgation de renseignements confidentiels au cours de l'examen, par l'Administration, d'une demande d'accès à des renseignements concernant l'identité de l'auteur d'une demande.


[2]                 Le demandeur, M. Rowat, est conseiller principal au Bureau du Conseil privé. Il était sous-ministre des Pêches et Océans du Canada jusqu'au 25 août 1997, date à laquelle il a été détaché à Terre-Neuve. La divulgation de renseignements confidentiels aurait eu lieu au cours de l'examen d'une demande portant sur le détachement de M. Rowat et sur les demandes de remboursement de frais professionnels qu'il avait présentées entre le 25 août 1997 et le mois d'octobre 1997.

[3]                 Le Commissaire à l'information a, en vertu de l'article 32 de la Loi sur l'accès à l'information, avisé M. Rowat de son intention d'enquêter sur la plainte. Par la suite, le demandeur a comparu devant le sous-commissaire à l'information, M. Leadbeater, les 17 et 22 mars 1999, pour témoigner dans le cadre de l'enquête du Commissaire. Lors de sa comparution du 22 mars 1999, M. Rowat a refusé de répondre aux questions que lui posait M. Leadbeater au sujet de la façon dont il avait appris l'identité de l'auteur de la demande d'accès aux renseignements. Devant ce refus, M. Leadbeater a suspendu l'audience afin de fixer une date d'audience pour permettre à M. Rowat d'exposer les raisons pour lesquelles il ne devait pas être déclaré coupable d'outrage au Commissaire à l'information.


[4]                 En date du 26 mars 1999, il y avait eu des échanges et des discussions entre Me Daniel Brunet, avocat du Commissaire, et Me M. Pierce, directeur des opérations juridiques au Bureau du Conseil privé, qui avait comparu en compagnie de M. Rowat devant le sous-commisaire, mais aucune date n'avait encore été fixée pour la tenue de l'audience de justification. De fait, l'avocat du Commissaire a écrit le 26 mars 1999 à Me Pierce pour l'informer que la question était exceptionnelle et que le Commissaire n'avait pas encore décidé quelle mesure prendre face au refus de M. Rowat de répondre aux questions que M. Leadbeater lui avait posées.

[5]                 Le 23 avril 1999, Me Peter K. Doody, dont M. Rowat avait retenu les services comme avocat, a écrit la lettre suivante à M. Leadbeater :

[TRADUCTION]

La présente a pour objet de vous signaler en toute déférence que vous n'êtes pas compétent pour présider une audience au cours de laquelle M. Rowat serait tenu d'exposer les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être déclaré coupable d'outrage ou, en supposant que vous en arriviez à la conclusion qu'il devrait être jugé coupable d'outrage, de lui infliger toute sanction en conséquence. À notre avis, vous n'avez pas ce pouvoir pour les deux raisons suivantes :

a)             Le cadre administratif et législatif en vertu duquel vous prétendez exercer ce pouvoir fait en sorte que vous n'êtes pas un « tribunal indépendant et impartial » , que la procédure suivie n'est pas conforme aux « principes de justice fondamentale » et qu'il existe une crainte raisonnable que la procédure que vous vous proposez de suivre soit entachée de partialité. En conséquence, la procédure violerait les droits garantis à M. Rowat :

(i)            en vertu des principes de justice naturelle reconnus en common law;

(ii)           en vertu de l'alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés en tant qu' « inculpé » qui doit être présumé innocent tant qu'il n'a pas été déclaré coupable, conformément à la loi, « par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable » ;

(iii)          en vertu de l'article 7 de la Charte, qui dispose qu'il ne peut être porté atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne qu' « en conformité avec les principes de justice fondamentale » ;

(iv)          aux termes de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, qui reconnaît son droit à « à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations » .

b)             Eu égard aux circonstances de l'espèce, votre déclaration du 22 mars 1999 suivant laquelle M. Rowat serait coupable d'outrage s'il refusait de répondre à vos questions soulève une crainte raisonnable de partialité si vous deviez présider l'audience de justification proposée [...]

[6]                 À cette lettre était jointe une copie de la présente demande de contrôle judiciaire reprenant essentiellement les moyens invoqués dans la lettre.

[7]                 Plusieurs mesures préliminaires ont par la suite été prises. Ainsi, la Cour a rendu une ordonnance de confidentialité et une ordonnance fixant l'échéancier à suivre pour les étapes ultérieures de la présente instance. En octobre 1999, deux dates avaient été réservées pour l'audition de la demande de contrôle judiciaire. La première de ces dates était le 5 juin 2000. En novembre 1999, le demandeur a fait parvenir aux défendeurs une copie du dossier de la présente requête. Le demandeur cherche en l'espèce à faire radier certains extraits de l'affidavit souscrit par M. John W. Grace et à modifier son avis de requête notamment pour demander à la Cour de déclarer que l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'accès à l'information contrevient à la Déclaration canadienne des droits et à la Charte des droits et libertés (la Charte) et à demander à la Cour de constituer le procureur général défendeur à la présente instance.

[8]                 Les défendeurs contestent la requête et ont présenté une requête incidente pour demander à la Cour d'instruire séparément la « question constitutionnelle » et la « question juridictionnelle » en vertu de l'article 107 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles). J'examinerai chacune de ces questions à tour de rôle.


L'affidavit du docteur John W. Grace

[9]                 Les défendeurs invoquent l'affidavit souscrit le 15 octobre 1999 par M. John W. Grace. Le docteur Grace, un ancien Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, a en outre été Commissaire à l'information du Canada de 1990 à avril 1998. Ainsi que l'exigent les Règles, son affidavit se limite aux faits dont le déclarant avait une connaissance personnelle.

[10]            L'affidavit compte au total dix paragraphes. Le demandeur sollicite la radiation des paragraphes 5, 6, 7 et 9 de l'affidavit reproduit ci-après au motif que le déclarant y exprime sans droit des opinions juridiques et y invoque des arguments et que ces opinions et arguments équivalent à un avis d'expert alors que le déclarant n'est pas un expert et que ces opinions et arguments sont, par conséquent, inadmissibles.

[TRADUCTION]

5.             Selon mon expérience, la divulgation inutile de l'identité de l'auteur d'une demande d'accès, qu'il s'agisse d'un particulier ou d'une personne morale, est une question « portant sur toute autre question relative à la demande ou à l'obtention de documents en vertu de la présente loi » au sens de l'al. 30(1)f) de la Loi. Une divulgation inutile aurait (1) un effet paralysant sur les personnes qui voudraient éventuellement chercher à obtenir des renseignements de l'Administration et qui pourraient craindre de faire l'objet de mesures de représailles par suite de la présentation d'une demande; (2) permettrait de craindre que l'auteur de la demande ne soit pas traité équitablement en conformité avec la Loi soit par le biais de mesures dilatoires, soit par un refus de communiquer injustifié.


6.             J'estime qu'il existe un lien évident entre la divulgation inutile de l'identité de l'auteur d'une demande et la procédure générale à suivre pour demander et obtenir l'accès à des documents en vertu de la Loi. Cette opinion est partagée par le ministère chargé en vertu de l'article 70 de la Loi de surveiller la mise en oeuvre de la Loi. À cet égard, je suis au courant du fait que le Conseil du Trésor a publié des rapports de mise en oeuvre qui mettent les institutions fédérales en garde en ce qui concerne l'identité des auteurs de demandes d'accès. Des copies de ces rapports sont annexées aux présentes sous la pièce 1.

7.             L'actuel Commissaire à la protection de la vie privée partage lui aussi mon avis. Il a lui aussi mis en garde les institutions fédérales contre la divulgation inutile de l'identité des auteurs de demandes dans le rapport annuel 1996-1997 qu'il a soumis au Parlement. Une copie de l'extrait pertinent de ce rapport est jointe aux présentes sous la pièce 2.

[...]

9.             Suivant mon expérience, la divulgation inutile de l'identité des auteurs de demandes a, dans certains cas, causé à ceux-ci les effets préjudiciables mentionnés au paragraphe 5. Ainsi que j'en ai fait état dans mes rapports annuels de 1995-96, 1996-1997 et 1997-1998 au Parlement, j'ai porté ces questions à l'attention des responsables d'institutions fédérales compétents et des mesures correctives ont été prises. Le Bureau du Conseil privé en est un exemple (voir mon rapport annuel 1997-1998, à la page 6). Une copie d'extraits pertinents de ces rapports annuels est jointe aux présentes sous la pièce 3.

[11]            Les principes juridiques applicables ne sont pas contestés, ainsi qu'il ressort à l'évidence de la jurisprudence que les deux parties m'ont citée, notamment les décisions Home Juice Co. c. Orange Maison Ltd. (1968), 1 R.C. de l'Éch. 163, Dupuis c. Canada (1998), 152 F.T.R. 82, Bank of Scotland c. Nel (Le), [1998] A.C.F. no 1499 (C.F. 1re inst.).


[12]            De façon générale, voici ce que les tribunaux ont déclaré. Compte tenu du caractère sommaire des instances en contrôle judiciaire et de l'opportunité de ne pas entraver leur déroulement, les parties ne devraient pas contester les affidavits produits au soutien d'une demande présentée dans le cadre d'une procédure interlocutoire, mais devraient plutôt invoquer les lacunes de la preuve lors de l'audition de la demande de contrôle judiciaire au cours de laquelle le juge qui entend la demande au fond est la personne la mieux placée pour évaluer la valeur et l'admissibilité de la preuve. Les exceptions à cette règle sont résumées de façon succincte dans le jugement Bank of Scotland, précité, aux pages 1 et 2 :

Cette règle générale comporte une exception dans le cas où un affidavit est abusif ou est manifestement dénué de pertinence, ou encore lorsqu'une partie a obtenu l'autorisation d'admettre un élément de preuve qui s'avère de toute évidence inadmissible, ou encore lorsque le tribunal est convaincu que la question de l'admissibilité devrait être tranchée dès le départ de manière à ce que l'éventuelle audience se déroule dans l'ordre [...] Bien sûr, les conjectures, les spéculations et les opinions juridiques n'ont pas leur place dans un affidavit [...]

[13]            Le question en litige entre les parties est celle de savoir si les déclarations contestées constituent effectivement des opinions juridiques, des conjectures ou du ouï-dire de sorte que cette partie du témoignage de M. Grace est manifestement inadmissible, et celle de savoir si l'admissibilité de la preuve devrait être tranchée à ce moment-ci pour s'assurer que l'audience se déroule dans l'ordre.

[14]            En ce qui concerne le paragraphe 5 de l'affidavit, le demandeur soutient qu'en affirmant que, d'après son expérience, la divulgation de l'identité d'une personne est une question « portant sur toute autre question relative à la demande ou à l'obtention de documents en vertu de la présente loi au sens de l'alinéa 30(1)f) de la Loi » , M. Grace formule une opinion juridique sur la question de droit précise que le tribunal devra trancher sur le fond. Tout le reste du paragraphe sur l' « effet paralysant » d'une telle divulgation n'est qu'un argument juridique visant à étayer son opinion et est de surcroît purement conjectural.


[15]            Quant au « lien évident » dont il est question au paragraphe 6, il s'agit d'une opinion sur une question de droit et, suivant le demandeur, d'une déclaration spéculative qui est, en conséquence, inadmissible. Le demandeur conteste l'allusion à l'avis du Commissaire à la protection de la vie privée que l'on trouve au paragraphe 7 au motif qu'elle constitue du ouï-dire et qu'elle est inadmissible. Bien qu'il reconnaisse que le ouï-dire peut être admissible lorsqu'il est digne de foi et qu'il est nécessaire (voir l'arrêt R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915), le demandeur affirme que ce renseignement ne peut être d'aucune utilité pour les défendeurs, étant donné que le Commissaire à la protection de la vie privée peut lui-même souscrire un affidavit, à Ottawa, et que c'est lui qu'il faut contre-interroger au sujet de ses propres vues.

[16]            Suivant le demandeur, le paragraphe 9 est un argument visant à appuyer une opinion juridique et il est spéculatif. D'ailleurs, le demandeur soutient que les opinions et les arguments juridiques que M. Grace exprime aux paragraphes 5, 6, 7 et 9 constituent un avis d'expert qui, compte tenu de l'inutilité d'une telle preuve, est inadmissible et doit être radié. À cet égard, le demandeur invoque les décisions suivantes dans lesquelles les tribunaux ont traité à fond la question des opinions d'experts et ont conclu essentiellement que ces opinions ne sont admissibles que lorsque la Cour demande l'avis d'experts pour être en mesure de rendre sa décision (R c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, Vancouver Island Peace Society c. Canada (procureur général), [1994] 1 C.F. 102, à la page 138 (C.F. 1re inst.), Première nation Fairford c. Canada, (1998), 145 F.T.R. 115 (C.F. 1re inst.) et Regina v. AK and N.K. (1999), 45 O.R. (3d) 641 (C.A. Ont.)).


[17]            Il n'est pas nécessaire que j'examine en détail le plaidoyer tout aussi éloquent et exhaustif de l'avocat des défendeurs. Qu'il suffise de dire qu'après avoir entendu les observations de chacune des parties, je ne suis pas convaincu que je doive m'écarter du principe général suivant lequel il vaut mieux laisser au juge qui entendra l'affaire au fond le soin de se prononcer sur la preuve en question en lui accordant la valeur qu'il jugera bon de lui reconnaître.

[18]            D'ailleurs, on pourrait soutenir que l' « opinion juridique » exprimée par M. Grace ne doit pas être considérée comme une preuve de l'état du droit, mais plutôt comme un moyen de situer dans leur contexte les inférences qu'il tire de son expérience personnelle en tant qu'ancien administrateur chargé de veiller à l'application de la Loi sur l'accès à l'information, ainsi que les considérations de principe qu'il évoque en parlant de l' « effet paralysant » de la divulgation (voir les jugements Lominadze c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1992), 143 F.T.R. 310 (C.F. 1re inst.) et Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), [1999] A.C.F. no 1418 (C.F. 1re inst.)).


[19]            Quant aux rapports soumis par le Conseil du Trésor, le Commissaire à la protection de la vie privée ou le Commissaire à l'information, la Cour peut en tenir compte, dans certains cas, en les considérant comme une interprétation administrative pertinente des dispositions législatives applicables par les personnes ou organismes chargés de leur application (voir les arrêts Norwegijick c. R.,[1983] 1 R.C.S. 29 (C.S.C.) et Matabi Mines Ltd. c. Ontario (ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175)).

[20]            De plus, le rapport du Commissaire à la protection de la vie privée est invoqué comme fondement factuel justifiant l'argument de M. Grace suivant lequel le Commissaire à la protection de la vie privée est du même avis que lui. Si, comme l'affirme le demandeur, l'un de ces rapports contredit effectivement les déclarations ou opinions de M. Grace, le demandeur aura amplement l'occasion de mettre ces contradictions au jour lors du contre-interrogatoire.

[21]            Notre Cour a récemment réitéré sa répugnance à intervenir pour radier des affidavits ou pour se prononcer sur leur admissibilité lorsqu'elle est saisie d'une requête interlocutoire. On retrouve une illustration de ce principe dans le jugement Ginter c. Canada (procureur général), [1999] A.C.F. no 1725, à la page 2.

La Cour consacre du temps et des efforts disproportionnés par rapport aux résultats obtenus dans la plupart des cas où elle doit traiter de différends préliminaires concernant le contenu d'affidavits dont le juge traitera, selon toute probabilité, de manière expéditive et appropriée à l'audition [...]


[22]            Tout récemment, dans l'affaire L'Hirondelle c. Canada, [2000] A.C.F. no 192, le juge Hugessen a eu l'occasion d'examiner une demande de radiation de certaines parties d'un affidavit qui avait été présenté à l'appui d'une requête qui devait être examinée plus tard. Il a conclu que l'affidavit était truffé d'opinions juridiques, de conjectures et d'arguments exprimés par un déclarant qui ne possédait vraisemblablement pas les qualités requises pour avancer de telles opinions. Le juge Hugessen a toutefois fait remarquer ce qui suit, à la page 4 :

Selon moi, dans une procédure moderne saine, les irrégularités dans les actes de procédure ne doivent pas faire l'objet d'une requête et ne doivent pas commander que la Cour prononce des ordonnances radiant ou corrigeant de telles irrégularités à moins que la partie qui soulève l'irrégularité puisse démontrer qu'elle lui cause un préjudice quelconque [...] [Non souligné dans l'original.]

Plus loin, à la page 5, le juge conclut :

Par conséquent, en l'absence de la preuve d'un préjudice et même si presque tout l'affidavit est irrégulier et n'aurait pas dû être présenté à la Cour, aucun motif ne justifierait que je radie l'affidavit. [...]


[23]            L'affidavit de M. Grace est bref. Le demandeur souhaite radier quatre des dix paragraphes de cet affidavit. Cette radiation aura pour effet de vider l'affidavit et la preuve des demandeurs de leur substance. Le demandeur n'a déposé en l'espèce aucun affidavit tendant à démontrer qu'il subirait un préjudice. Le demandeur ne prétend pas non plus que le contre-interrogatoire que M. Grace subirait au sujet de son affidavit, dans sa forme actuelle, occasionnerait des retards ou un gaspillage de ressources ou qu'il rendrait les contre-interrogatoires futiles ou en prolongerait la durée. Le demandeur soutient essentiellement, en ce qui concerne le préjudice, qu'il est nécessaire de radier l'affidavit pour assurer le bon déroulement de l'audience, étant donné que les parties et la Cour doivent savoir à l'avance quels éléments de preuve seront admissibles. L'avocat du demandeur soutient que, si le demandeur ne sait pas à l'avance si la preuve est inadmissible, il ne lui sera plus possible d'en demander la radiation à l'audience, étant donné qu'il aura déjà contre-interrogé le déclarant au sujet de son affidavit. Ces arguments ne me permettent pas de conclure que le demandeur subira un préjudice ou que la mesure demandée comporterait des avantages évidents en ce qui a trait au déroulement de l'instance. D'ailleurs, le demandeur ne subira aucun préjudice. Il ne sera pas empêché de contester la preuve à l'audience et il sera libre de faire valoir son point de vue lors du débat qui se tiendra devant le juge du fond au sujet de la pertinence et de la valeur à accorder à la preuve des défendeurs. Je vais par conséquent rejeter la requête.

Modifications de l'avis de demande

[24]              Dans son avis de demande initial, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de l'ordonnance du sous-commissaire en date du 22 mars 1999 et [TRADUCTION] « des mesures que le sous-commissaire a alors déclaré qu'il prendrait plus tard » . Le demandeur invoque l'article 7 et l'alinéa 11d) de la Charte, ainsi que l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits et il sollicite les réparations suivantes :

a)             un jugement déclarant que les défendeurs n'ont pas compétence pour faire enquête sur la présumée divulgation de renseignements confidentiels qui se serait produite au cours de l'examen d'une demande d'accès à l'information;

b)           un jugement déclarant que les défendeurs n'ont pas compétence, que ce soit un fonctionnaire public ou une autre personne qui ait révélé l'identité de la personne qui a présenté une demande d'accès à l'information en vertu de la Loi sur l'accès à l'information;

c)             un jugement déclarant que le demandeur n'est pas tenu de répondre aux questions posées par les défendeurs au sujet du nom de la personne qui a informé le demandeur qu'une ou plusieurs personnes recueillaient à son sujet des renseignements personnels qui ne tombaient pas sous le coup de la Loi sur l'accès à l'information.


d)            une ordonnance interdisant aux défendeurs de faire enquête sur la question de savoir si des renseignements personnels auraient été divulgués au cours de l'examen de la demande d'accès à l'information;

e)             une ordonnance interdisant aux défendeurs d'obliger le demandeur à répondre aux questions posées par les défendeurs au sujet du nom de la personne qui a informé le demandeur qu'une ou plusieurs personnes recueillaient à son sujet des renseignements personnels qui ne tombaient pas sous le coup de la Loi sur l'accès à l'information;

f)             une ordonnance interdisant aux défendeurs de déclarer le demandeur coupable d'outrage;

g)            une ordonnance interdisant aux défendeurs d'infliger toute sanction au demandeur après avoir déclaré celui-ci coupable d'outrage;

h)            une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari annulant l'ordonnance par laquelle le sous-commissaire à l'information a obligé le demandeur à révéler le nom de la personne qui l'avait informé du fait qu'un groupe déterminé recueillait des renseignements à son sujet.

[25]            Le demandeur cherche maintenant à modifier l'avis de demande en demandant une réparation supplémentaire en insérant l'alinéa i) et en invoquant de nouveaux moyens en ajoutant l'alinéa l) qui suivent :

Réparation :

i)              un jugement déclaratoire portant que l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'access à l'information est inopérant et qu'il contrevient à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits et/ou à l'alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés.

Moyens :

(1)           La Loi sur l'accès à l'information, est censée conférer aux défendeurs, notamment à son alinéa 36(1)a), le pouvoir d'agir comme enquêteurs, poursuivants et juges en ce qui concerne la question de savoir si le demandeur a commis un outrage. Elle porte ainsi atteinte aux droits garantis à l'appelant :

(i)            en vertu de l'alinéa 11d) de la Charte des droits et libertés d'être présumé innocent tant qu'il n'a pas été déclaré coupable, conformément à la loi, « par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable » ;


(ii)           en vertu de l'article 7 de la Charte, qui dispose qu'il ne peut être porté atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne qu' « en conformité avec les principes de justice fondamentale » ;

(iii)          aux termes de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, qui reconnaît son droit à « à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations » .

[26]            Le demandeur soutient que les modifications qu'il désire apporter aux moyens qu'il invoque visent simplement à préciser les raisons pour lesquelles il se fonde sur les articles de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits qu'il a déjà invoqués. Comme il a déjà invoqué la Charte, le demandeur a déjà engagé le débat sur l'argument constitutionnel. Les modifications ne peuvent donc être considérées comme l'ajout d'une nouvelle question constitutionnelle. Suivant le demandeur, cette modification, qui repose sur les mêmes faits que ceux qui sont articulés dans la demande, a simplement pour effet de renforcer le pouvoir discrétionnaire de la Cour en lui permettant, en plus d'accorder la nouvelle réparation demandée, d'aller au besoin jusqu'à déclarer l'article en question invalide, si cette mesure est appropriée.

[27]            Je rappelle qu'il est acquis aux débats que les principes de droit applicables sont ceux que la Cour d'appel a énoncés dans l'arrêt Francoeur c. Canada, [1992] 2 C.F. 333 (C.A.F.) puis, par la suite, dans l'arrêt Canderel Ltd. c. Canada (C.A.), [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), dans lequel la Cour a déclaré ce qui suit, à la page 3 sous la plume du juge Décary :

En ce qui concerne les modifications, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer [...]

[28]            Les défendeurs invoquent une correspondance abondante qui appuierait leur opinion que l'avocat du demandeur a déjà pris une décision stratégique, aussi récemment qu'en octobre 1999, en décidant de renoncer au moyen qu'il invoque maintenant. Ils n'invoquent pas de fin de non-recevoir et ne prétendent pas que le demandeur a de ce fait renoncé à ses droits. Ils me demandent tout simplement de décider s'ils ont de ce fait subi un préjudice.

[29]            Les défendeurs soutiennent en outre que les modifications demandées auraient les conséquences suivantes : la participation du procureur général et la formulation de demandes d'intervention par d'autres offices dotés de pouvoirs semblables à ceux que possède le Commissaire en vertu du paragraphe 36(1) de la Loi sur l'accèsà l'information dont le demandeur réclame l'invalidation et, surtout, le fait que les défendeurs doivent présenter des éléments de preuve complémentaires principalement en ce qui concerne l'article premier de la Charte. Toutes ces mesures retarderaient encore plus le déroulement de l'instance et entraîneraient la destruction ou la disparition d'éléments de preuve, ce qui compromettrait l'enquête du Commissaire qui accuse déjà un retard d'un an.


[30]            Le demandeur estime que, faute d'affidavits se rapportant à l'une quelconque des prétentions des défendeurs, les observations en question ne constituent que de pures spéculations au sujet desquelles il lui est impossible de tenir un contre-interrogatoire. Je suis d'accord avec le demandeur pour dire qu'il n'est pas évident que la modification demandée aura pour effet de retarder le déroulement de l'instance et je suis également d'accord pour dire que le demandeur a le droit de changer d'avis au cours du procès et de demander d'être autorisé à modifier ses actes de procédure en tout temps pourvu que cette autorisation ne cause pas à l'autre partie une injustice que des dépens ne pourraient réparer.

[31]            Il n'est pas nécessaire que j'examine la correspondance qui a légitimement pu amener les défendeurs à ne pas prévoir la modification demandée en octobre 1999, époque à laquelle la date d'audition de la demande de contrôle judiciaire avait été fixée et où la Cour avait établi l'échéancier des autres mesures à prendre dans le cadre de l'instance. Le demandeur a peut-être effectivement changé d'avis ou de stratégie, mais il n'en demeure pas moins que le demandeur a donné avis dès le 17 novembre 1999 de son intention de solliciter la modification, bien avant la date prévue de l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Les modifications sont par ailleurs légitimes et rien ne me permet de conclure que les défendeurs subissent un préjudice au sens de la jurisprudence. Il est difficile d'accepter que les défendeurs ne se soient pas encore fait une idée en ce qui concerne la nature ou la portée de la preuve factuelle fondée sur l'article premier qu'ils voudront peut-être présenter alors que la probabilité que la Cour autorise le demandeur à modifier ses actes de procédure était prévisible depuis le mois de novembre. Dans ces conditions, je suis conforté dans mon opinion par l'énoncé suivant de la Cour d'appel dans l'arrêt Scottish and York Insurance Co. c. Canada (1999), 239 N.R. 131 (C.A.F.) :


Dans les circonstances, nous croyons que le juge des requêtes aurait dû accorder beaucoup plus de poids au principe selon lequel, en l'absence de préjudice causé à la partie adverse, une modification doit être accordée si elle est par ailleurs appropriée. Il a également accordé trop d'importance au retard à demander cette modification pour justifier son refus.

[32]            Je vais autoriser les modifications demandées.

Constitution du procureur général comme partie à l'instance

[33]            Le demandeur affirme qu'il signifiera au procureur général l'avis de question constitutionnelle exigé par l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale au moins dix jours avant la date fixée pour la tenue du débat sur la question. D'ailleurs, l'avocat affirme que, comme la Charte a été invoquée dès le début de l'instance, il aurait de toute façon fallu donner cet avis, même avant la modification. Il n'est pas nécessaire que j'examine ce moyen dans ce contexte et je n'ai pas l'intention de m'y attarder.

[34]            Malgré l'avis prévu à l'article 57 et par mesure de prudence et de crainte que l'instance puisse autrement être invalidée, le demandeur désire que le procureur général soit constitué partie à l'instance en se fondant sur l'énoncé suivant du juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel), dans le jugement Gratton c. Canada (Conseil canadien de la magistrature), [1994], 2 C.F. 769 (C.F. 1re inst.) :

Bien entendu, le procureur général du Canada a été à juste titre constitué partie parce qu'on demande notamment un jugement déclarant invalide une loi fédérale.

[35]            Le demandeur a signifié un avis de la présente requête au procureur général, qui, à la date de l'audience, ne lui avait pas encore répondu.

[36]            Les défendeurs ne sont pas d'avis que le procureur général doit nécessairement être constitué partie à la présente instance et ils ne contestent pas l'instance au motif qu'elle est irrégulière en raison du fait que le procureur général n'y a pas été constitué partie.

[37]            Voici ce qui préoccupe les défendeurs. Lors de sa comparution devant le sous-commissaire les 19 et 22 mai 1999, M. Rowat était représenté par le directeur des opérations juridiques au Bureau du Conseil privé, Me Pierce. À cette occasion, ce dernier avait, au nom de la Couronne, adopté un point de vue contraire à celui du Commissaire. Les défendeurs maintiennent par conséquent que le procureur général n'est pas en mesure de bien défendre la constitutionnalité de l'article 36 de la Loi sur l'accès à l'information. À l'audition de la requête, l'avocat des défendeurs a affirmé que ceux-ci soulèveraient la question de savoir qui pourrait agir pour le procureur général, advenant le cas où le procureur général serait constitué partie ou se verrait signifié un avis de question constitutionnelle.

[38]            Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que le procureur général devrait être constitué partie à la présente instance.

[39]            L'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale dispose :


Questions constitutionnelles

57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2).

Constitutional questions

57. (1) Where the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of any province, or of regulations thereunder, is in question before the Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be adjudged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

Formule et délai de l'avis

(2) L'avis est, sauf ordonnance contraire de la Cour ou de l'office fédéral en cause, signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l'objet doit être débattue.

Time of notice

(2) Except where otherwise ordered by the Court or the federal board, commission or other tribunal, the notice referred to in subsection (1) shall be served at least ten days before the day on which the constitutional question described in that subsection is to be argued

Appel et contrôle judiciaire

(3) Les avis d'appel et de demande de contrôle judiciaire portant sur une question constitutionnelle sont à signifier au procureur général du Canada et à ceux des provinces.

Notice of appeal or application for judicial review

(3) The Attorney General of Canada and the attorney general of each province are entitled to notice of any appeal or application for judicial review made in respect of the constitutional question described in subsection (1).

Droit des procureurs généraux d'être entendus

(4) Le procureur général à qui un avis visé aux paragraphes (1) ou (3) est signifié peut présenter une preuve et des observations à la Cour, et à l'office fédéral en cause, à l'égard de la question constitutionnelle en litige.

Droit d'appel

(5) Le procureur général qui présente des observations est réputé partie à l'instance aux fins d'un appel portant sur la question constitutionnelle.

Right to be heard

(4) The Attorney General of Canada and the attorney general of each province are entitled to adduce evidence and make submissions to the Court or federal board, commission or other tribunal in respect of the constitutional question described

in subsection (1).

Appeal

(5) Where the Attorney General of Canada or the attorney general of a province makes submissions under subsection (4), that attorney general shall be deemed to be a party to the proceedings for the purposes of any appeal in respect of the constitutional question described in subsection (1).

[40]                         Il résulte du rapprochement de ces paragraphes que la Cour ne peut invalider une disposition législative ou la déclarer inopérante que si un avis de la question constitutionnelle en litige est signifié au procureur général qui a par la suite le droit, s'il le désire, de présenter des éléments de preuve et des observations devant la Cour. En pareil cas, le procureur général est réputé partie à l'instance aux fins de tout appel portant sur la question constitutionnelle.

[41]                         Le demandeur cherche à constituer le procureur général partie à la présente instance en vertu de l'alinéa 104(1)b) des Règles de la Cour fédérale (1998). L'article 104 est ainsi libellé :


104. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

a) qu'une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n'est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause;

b) que soit constituée comme partie à l'instance toute personne qui aurait dû l'être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

104. (1) At any time, the Court may

(a) order that a person who is not a proper or necessary party shall cease to be a party; or

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

[42]                         La Cour d'appel a interprété l'alinéa 104(1)b) dans l'affaire Parker c. Stevens,[1998] 4 C.F. 125 (C.A.F.), dans laquelle elle a conclu que cet alinéa exigeait la constitution de parties à l'instance non seulement parce que leur témoignage pouvait être utile, mais aussi pour qu'elles soient liées par la décision de la Cour et pour trancher une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement si ces personnes ne sont pas constituées partie à l'instance.


[43]            Le demandeur ne sollicite aucune réparation contre le procureur général en l'espèce. En outre, bien que l'envoi d'un avis de question constitutionnelle constitue une condition préalable nécessaire à respecter pour que la Cour puisse trancher la question constitutionnelle, la Cour n'a pas besoin de la présence du procureur général pour statuer sur le fond de la question et pour déclarer une disposition législative inopérante.

[44]            À cet égard, dans l'affaire Gratton, précitée, la Cour n'était pas saisie de cette question. L'extrait précité des propos du juge Strayer est la seule allusion à cette question que l'on trouve dans ce jugement et il ne constitue de surcroît qu'une opinion incidente. À mon avis, dans ce jugement, la Cour n'a pas tranché la question de savoir si le procureur général est une partie nécessaire à l'instance lorsqu'un avis de question constitutionnelle a été envoyé et ce n'est pas ainsi que j'interprète cette décision.

[45]            Eu égard aux circonstances de la présente affaire, je ne vois pas la nécessité de constituer le procureur général partie à l'instance. Si, après avoir été avisé, le procureur général désire intervenir, il pourra exercer ses pleins droits lors du débat sur la question constitutionnelle. Ceci étant dit, il est dans l'intérêt de tous que l'avis soit envoyé sans délai.

Instruction distincte des questions en litige


[46]            Pour le cas où la requête présentée par le demandeur en vue de modifier son avis de demande sera accueilli, les défendeurs présentent, en vertu des articles 3 et 107 des Règles de la Cour fédérale (1998), une requête incidente en vue de faire instruire la « question juridictionnelle » séparément de la « question constitutionnelle » . Ainsi, les défendeurs désirent que la Cour se prononce séparément et en premier lieu sur la question de la compétence du Commissaire pour enquêter sur une plainte de présumée divulgation de renseignements personnels concernant l'identité de l'auteur de la demande d'accès, avant d'aborder la question de la constitutionnalité du paragraphe 36(1) de la Loi sur l'accès à l'information.

[47]            Les défendeurs soutiennent que l'instruction séparée des deux questions en litige permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique.

[48]            Le demandeur affirme pour sa part que l'instruction distincte de ces deux questions de droit servira uniquement à retarder et à compliquer le règlement ultime des questions en litige dans la demande de contrôle judiciaire.


[49]            Voici les arguments que les défendeurs invoquent au soutien de la séparation. Ils rappellent qu'à la date de l'audition, le Commissaire n'avait encore introduit aucune procédure pour outrage contre le demandeur et que celui-ci n'avait fait l'objet d'aucune ordonnance de justification. Ils font par conséquent valoir que l'examen par la Cour de la question de l'outrage est prématuré. Comme la question principale est celle de la compétence du Commissaire pour enquêter sur la divulgation de renseignements personnels et celle de sa capacité de poser à M. Rowat les questions auxquelles il a refusé de répondre, cette question devrait être traitée avant que ne soient examinés les moyens tirés de la Constitution pour contester le pouvoir que lui confère l'article 36 de la Loi sur l'accès à l'information de citer le demandeur pour outrage. Si la Cour devait conclure que le Commissaire à l'information n'a pas le pouvoir d'enquêter et de poser les questions en litige, le demandeur ne sera plus obligé de répondre aux questions relatives à l'enquête et le différend qui existe entre les parties disparaîtra, rendant la question constitutionnelle sans objet.

[50]            Le demandeur soutient que, peu importe la façon dont elle est tranchée, la question constitutionnelle n'aura pas pour effet de mettre fin au différend qui oppose les parties. La citation pour outrage est soulevée non seulement en ce qui concerne l'inconstitutionnalité de l'article 36, mais aussi en ce qui concerne la violation de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits. Il n'y a par ailleurs aucune raison de penser que le Commissaire n'interjeterait pas appel de toute conclusion défavorable que la Cour pourrait rendre au sujet de sa compétence, compliquant et retardant ainsi le règlement des questions de fond.

[51]            L'article 107 des Règles dispose :


107. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner l'instruction d'une question soulevée ou ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément.

(2) La Cour peut assortir l'ordonnance visée au paragraphe (1) de directives concernant les procédures à suivre, notamment pour la tenue d'un interrogatoire préalable et la communication de documents.

107. (1) The Court may, at any time, order the trial of an issue or that issues in a proceeding be determined separately.

(2) In an order under subsection (1), the Court may give directions regarding the procedures to be followed, including those applicable to examinations for discovery and the discovery of documents.

[52]                         La jurisprudence relative à l'article 480, le prédécesseur de l'article 107, précisait bien que l'instruction séparée étant une mesure exceptionnelle et qu'elle nécessitait le consentement des parties ou la démonstration de « raisons se rapportant au déroulement de l'action dans son ensemble » (Verrerie Cristallerie D'Arques c. Modern Housewares Imports Inc. (1993), 70 F.T.R. 194 (C.F. 1re inst.)).

[53]                         Ayant examiné la jurisprudence, le juge Evans a, dans le jugement Illva Saronno S.p.a v. Privilegiata Fabbrica Maraschino "Excelsior", (1998), 155 F.T.R. 319 (C.F. 1re inst.), à la page 5, formulé le critère à appliquer sous le régime de l'article 107 des Règles. Ainsi, la Cour doit autoriser l'instruction séparée des questions en litige :

[...] si elle est convaincue selon la prépondérance des probabilités que, compte tenu de la preuve et de toutes les circonstances de l'affaire (y compris la nature de la demande, le déroulement de l'instance, les questions en litige et les redressements demandés), la disjonction permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.


[54]            La jurisprudence applicable porte presque exclusivement sur l'instruction distincte dans le contexte d'une action et plus particulièrement sur l'instruction séparée de la question de la responsabilité des dommages. Très récemment, dans le jugement Barlow c. Canada (T-1876-99) rendu le 3 mars 2000 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a refusé d'instruire séparément les questions de droits constitutionnels et issus de traités et les questions de fait soulevées dans la demande dont il était saisi. Voici la conclusion à laquelle il en est arrivé, à la page 13 :

Les défendeurs soutiennent que la première question soulevée dans la demande, savoir la question de fait de savoir si les représentants du ministre des Pêches et Océans ont saisi les cages à homard de Ken Barlow, demandeur, devrait être traitée avant les questions de droits constitutionnels et issus de traités, qui sont de portée plus large. Cet argument se fonde sur l'hypothèse que si l'on répond par la négative à la première question, alors il ne sera pas nécessaire que la Cour traite de la deuxième question.

Avant d'aborder ce point, il est important de noter qu'aucune règle de la présente Cour ne m'autorise à intervertir les questions. Les défendeurs soulignent que la Cour a compétence inhérente pour contrôler sa propre procédure et que, par souci d'économie des ressources judiciaires, la question de fait devrait être entendue séparément des questions constitutionnelles et de celles qui concernent les droits issus de traités.

En toute déférence pour les défendeurs, je ne vois pas pourquoi il serait nécessaire d'intervertir les deux questions avant l'audition de la demande. Le contrôle judiciaire a été conçu comme un recours expéditif et le fait de séparer les questions ne ferait qu'allonger la procédure.


[55]            Dans l'affaire Barlow, précitée, l'avocat n'avait pas invoqué l'article 107 des Règles et n'avait pas attiré l'attention du juge sur cette disposition. À mon humble avis, le libellé de l'article 107 envisage de toute évidence l'instruction distincte des questions en litige dans le contexte d'un contrôle judiciaire. Malgré le texte du paragraphe 107(2), qui parle exclusivement de l' « interrogatoire préalable » et de la « communication de documents » , le paragraphe 107(1) dispose que la Cour peut ordonner qu'une question ou « des questions en litige dans une instance » soit jugées séparément. Il n'y a pas de doute qu'une demande peut être considérée comme une instance. Ceci étant dit, et considérant que le critère applicable est celui que le juge Evans a posé dans le jugement Illva Sorrono, précité, c'est à la partie qui demande l'instruction distincte d'une question qu'il incombe de démontrer que la disjonction permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit efficace, expéditive et économique.

[56]            À mon avis, ce fardeau est indubitablement plus lourd dans le cas d'un contrôle judiciaire où le rôle et la préférence de la Cour est d'examiner sommairement toutes les questions visées par la demande (Pharmacia Inc. c. David Bull Laboratories (Canada) Inc., (1994) 182 N.R. 158 (C.A.F.)).


[57]            Dans toute demande présentée en vertu de l'article 107 des Règles, on doit à tout le moins établir une nette distinction entre les questions de droit et de preuve que l'on veut faire instruire séparément des questions de fond que soulève la demande. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, où la question de l'outrage imprègne toute la demande et où des violations de la Charte sont par ailleurs alléguées. En l'espèce, les défendeurs n'ont pas réussi à démontrer, comme ils devaient le faire, que l'instruction séparée permettra fort probablement d'apporter à toutes les questions en litige soulevées par la demande, et pas à une seule d'entre elles, une solution expéditive et économique. Il est loin d'être évident qu'en se prononçant sur la « question constitutionnelle » , la Cour tranchera tout le litige et que cette mesure ne se traduira pas par deux instances distinctes qui se chevaucheront, avec tous les retards qu'entraînera ainsi la multiplication des procédures, empêchant ainsi la Cour de statuer sommairement sur la demande. Je vais donc rejeter la demande des défendeurs.

Prorogation des délais

[58]            Le demandeur sollicite une prorogation des délais que la Cour a fixés dans son ordonnance du 7 octobre 1999. Après avoir entendu les observations des avocats, j'en arrive à la conclusion que l'échéancier établi dans l'ordonnance distincte rendue ce jour convient dans les circonstances.

[59]            La Cour rendra une ordonnance distincte pour accompagner les présents motifs.

« Roza Aronovitch »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL. B.


                                                                                       Date : 20000412

                                                                                                    T-701-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 12 AVRIL 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH

E n t r e :

WILLIAM ROWAT

                                                                                                 demandeur

                                                    - et -

COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

et SOUS-COMMISSAIRE À L'INFORMATION

                                                                                                 défendeurs

ORDONNANCE

LA COUR, STATUANT SUR la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir une ordonnance :

1)                    radiant les paragraphes 5, 6, 7 et 9 de l'affidavit souscrit le                     15 octobre 1999 par M. John W. Grace;

b)          modifiant l'avis de demande selon la formule jointe à l'annexe A de                     l'avis de requête;

c)          constituant le procureur général du Canada défendeur à l'instance;


4)                    modifiant rétroactivement l'échéancier établi par le protonotaire Aronovitch le 7 octobre 1999;

VU la requête présentée par les défendeurs en vertu de l'article 107 des Règles       de la Cour fédérale (1998) :

1.                    REJETTE la requête en radiation des paragraphes 5, 6, 7 et 9 de l'affidavit de M. John W. Grace;

2.    REJETTE la requête présentée par le demandeur en vue de constituer le                         procureur général défendeur;

3.    ACCUEILLE la requête présentée par le demandeur en vue de modifier                         son avis de demande en conformité avec l'annexe A jointe à l'avis de                         requête;

4.                    ORDONNE au demandeur de signifier et de déposer sa demande modifiée dans les quatre (4) jours de la date de la présente ordonnance;

5.    REJETTE la requête incidente présentée par les défendeurs en vertu de                          l'article 107 des Règles de la Cour fédérale (1998);


6.          MODIFIE de la façon suivante l'ordonnance rendue le 7 octobre 1999                          par la soussignée :

a)         Les défendeurs devront signifier et déposer leurs affidavits au plus tard le 28 avril 2000;

b)         Tous les contre-interrogatoires devront être terminés au plus tard le 12 mai 2000;

c)         Le demandeur devra signifier et déposer son dossier de demande au plus tard le 16 mai 2000;

d)          Les défendeurs devront déposer et signifier leur dossier de défense au plus tard le 26 mai 2000;

7.          Aucuns dépens n'ont été demandés et aucuns ne sont adjugés.

    « Roza Aronovitch »    

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL. B.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                            

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                   T-701-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :         WILLIAM ROWAT c. COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA ET SOUS-COMMISSAIRE À L'INFORMATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 3 AVRIL 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR LE JUGE ARONOVITCH

EN DATE DU :                                       12 AVRIL 2000

ONT COMPARU :

PETER K. DOODY ET                                                   POUR LE DEMANDEUR

LAWRENCE A. ELLIOT

DANIEL BRUNET                                                           POUR LES DÉFENDEURS

MARLYS EDWARDH                                                    POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BORDNER LADNER GERVAIS LLP                          POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

LE COMMISSAIRE À L'INFORMATION                      POUR LES DÉFENDEURS

DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

RUBY & EDWARDH                                        POUR LES DÉFENDEURS

TORONTO (ONTARIO)

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