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Date : 20060622

Dossier : T‑1081‑04

Référence : 2005 CF 1297

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE de MONTIGNY

ENTRE :

L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

 

MOTIFS MODIFIÉS D’ORDONNANCE

[1]                           Les présents motifs font suite à l’audition de la demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse, l’Alliance de la fonction publique du Canada (l’AFPC), en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, pour que soit revue et annulée la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) en date du 3 mai 2004. La décision en cause découlait d’une plainte de violation des droits de la personne déposée le 19 décembre 1984, dans laquelle était alléguée une discrimination fondée sur le sexe, contraire aux articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). La plainte se rapportait à la classification et à la rémunération d’employés régis par la catégorie professionnelle de la fonction publique fédérale appelée « commis aux écritures et aux règlements (CR) ».

 

LE CONTEXTE

[2]                           Le 19 décembre 1984, la demanderesse déposait auprès de la Commission une plainte selon laquelle les membres du groupe professionnel CR, un groupe à prédominance féminine employé par le défendeur, le Conseil du Trésor, étaient les victimes d’une discrimination fondée sur le sexe. En fait, la plainte contenait deux allégations : 1) on y affirmait que les membres du groupe CR étaient soumis à une norme de classification discriminatoire qui servait à calculer la valeur de leur travail et de leur rémunération, contrairement aux articles 7, 10 et 11 de la LCDP; et 2) on y affirmait aussi que [traduction] « en séparant le groupe des commis aux écritures et aux règlements et le groupe de la gestion des programmes, et en appliquant des normes différentes pour mesurer la valeur des tâches accomplies par les employés qui sont membres de ces groupes, le Conseil du Trésor exerce une discrimination contre les membres du premier groupe, contrevenant ainsi aux articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

 

[3]                           L’accusation de discrimination salariale contraire à l’article 11 de la LCDP a été renvoyée à une formation du Tribunal des droits de la personne en octobre 1990. Le 29 juillet 1998, le Tribunal jugeait qu’il y avait eu violation de l’article 11 et ordonnait une indemnisation salariale prenant la forme de rajustements salariaux paritaires rétroactifs au 8 mars 1985. Il ordonnait aussi que les rajustements salariaux paritaires pour les périodes postérieures à la décision soient consolidés et deviennent partie intégrante des salaires (A.F.P.C. c. Canada (Conseil du Trésor) (n° 3), (1998), 32 C.H.R.R. D/349). Cette décision du Tribunal fut par la suite confirmée par notre Cour le 19 octobre 1999 : Canada (P.G.) c. A.F.P.C., [2000] 1 C.F. 146 (QL)).

 

[4]                           Durant toute la période où la portion de la plainte relevant de l’article 11 était soumise au Tribunal des droits de la personne pour décision, la Commission a suspendu son enquête relative aux aspects de la plainte relevant des articles 7 et 10. Les aspects de la plainte relevant des articles 7 et 10 concernaient la structure et l’application de la norme de classification CR en tant qu’instrument d’évaluation des tâches. Il fut décidé de laisser les parties continuer de travailler ensemble au développement d’un nouveau système de classification appelé Norme générale de classification (NGC). De 1997 à 2000, la Commission a suivi l’état d’avancement de la NGC, en apportant aide et encadrement sur les questions liées à l’équité salariale, par exemple le caractère non sexiste de la norme, l’évaluation des tâches et la pondération des facteurs.

 

[5]                           Au début de 2000, l’AFPC s’inquiéta de la lenteur de l’enquête sur la plainte. La Commission entreprit donc de voir où en était la NGC pour notamment juger du caractère non sexiste de la norme (alors en cours d’établissement) et mesurer l’incidence de la norme sur les catégories professionnelles de la plaignante. En mai 2001, la Commission terminait son examen technique du caractère non sexiste de la NGC. Elle notait les trois éléments essentiels d’un système exempt de sexisme : il est englobant et équilibré, il est clair et intelligible, enfin il est appliqué avec soin. Plusieurs questions clés étaient également mises en relief dans le rapport, notamment l’observation selon laquelle [traduction] « certaines caractéristiques professionnelles propres aux tâches à prédominance féminine ne semblent pas tout à fait reflétées dans la norme ».

 

[6]                           Le 8 mai 2002, le défendeur annonçait que, dans la réforme de la classification, la NGC ne serait pas menée plus loin au motif qu’elle était « impraticable ». Au lieu d’appliquer une norme unique et une structure unique de rémunération à plus de 150 000 postes de la fonction publique fédérale, le défendeur expliquait qu’il songeait à concevoir [traduction] « une approche, en matière de réforme de la classification, qui puisse répondre aux besoins particuliers de tel ou tel groupe professionnel ». Des mesures de mise en œuvre d’une réforme de la classification furent définies, tandis que le calendrier et la priorité des groupes allaient être débattus avec les ministères et syndicats concernés, avant qu’une décision finale soit arrêtée.

 

[7]                           Ce nouvel exercice de réforme de la classification est censé concerner : a) le développement de normes nouvelles, adaptées et de caractère non sexiste, qui répondent aux besoins particuliers des divers groupes professionnels; b) la mise à jour constante des normes existantes, au gré des besoins, et l’encadrement de leur application; et c) le remodelage des fonctions du système par une surveillance active et par le développement et l’application d’un programme mis à jour de formation à l’usage des conseillers techniques et des cadres hiérarchiques.

 

[8]                           Après réception de cette information, un rapport d’enquête a été rédigé, puis approuvé le 12 janvier 2004. L’enquêteur de la Commission, M.D. Earle, recommandait que [traduction] « conformément à l’alinéa 44(3)b) de la LCDP, […] la Commission ne prenne pas d’autres mesures à l’égard de la plainte déposée en vertu des articles 7 et 10 ».

 

[9]                           Constatant que la NGC n’avait pas été menée à son terme, l’enquêteur entreprenait d’expliquer pourquoi il arrivait à cette recommandation. Dans ce qui semble être les parties les plus décisives de son rapport, il écrivait ce qui suit :

[TRADUCTION]

14. Les changements qui seront apportés par une réforme de la classification révèlent que l’enquête menée par la Commission ne permettra pas de régler les aspects de cette plainte qui relèvent des articles 7 et 10. Les définitions du groupe des services généraux et de ses sous‑groupes, effectives depuis le 21 avril 1993, telles qu’elles ont été publiées dans la partie I de la Gazette du Canada le 8 mai 1993, ont été modifiées et remplacées le 18 mars 1999. Selon la nouvelle structure des groupes professionnels, les groupes CR et PM ont été réunis en un seul groupe – le groupe appelé Services des programmes et de l’administration (PA). Auparavant deux groupes professionnels distincts, les groupes CR et PM, qui sont à l’origine des allégations fondées sur les articles 7 et 10, ne sont plus séparés.

 

15. La partie visée par la plainte a indiqué que, en marge de la réforme de la classification, des plans de classification de caractère non sexiste seront élaborés pour les nouveaux groupes professionnels, dont le groupe PA. Il n’est pas possible de juger du caractère non sexiste d’un nouveau plan de classification tant qu’il n’est pas développé.

 

 

 

[10]                       L’enquêteur recommandait qu’aucune autre mesure ne soit prise concernant la plainte, mais il précisait que la Commission [traduction] « restera à disposition pour offrir conseils et commentaires à propos de l’élaboration de plans de classification exempts de sexisme, notamment d’un plan applicable au groupe PA ».

 

[11]                       Une copie du rapport d’enquête fut remise aux parties, qui étaient invitées à communiquer leurs observations. Par lettre datée du 30 janvier 2004, un représentant du défendeur a répondu, se limitant à dire que le Secrétariat du Conseil du Trésor souscrivait à la recommandation de l’enquêteur selon laquelle la Commission devait s’abstenir de prendre d’autres mesures à propos de la plainte. Quant à l’AFPC, qui envoya ses observations le 26 février 2004, elle faisait savoir qu’elle s’opposait « énergiquement » à la recommandation de l’enquêteur. De l’avis de la demanderesse, la plainte avait été acceptée comme plainte valide par la Commission depuis qu’elle avait été déposée en 1984, et [traduction] « l’unique raison pour laquelle la Commission n’avait pas pris de mesures pour se prononcer formellement sur le bien‑fondé des aspects de la plainte relevant des articles 7 et 10 avait trait aux garanties données au personnel de la Commission à plusieurs reprises, selon lesquelles l’adoption de la Norme générale de classification (NGC) par le Conseil du Trésor réglerait les questions de classification discriminatoire découlant du système général de classification du Conseil du Trésor, notamment les aspects discriminatoires de la norme de classification du groupe CR ». Le projet de la NGC ayant été abandonné, l’AFPC croyait que la Commission se devait d’intervenir, de conclure son enquête et, si l’affaire n’était pas résolue entre‑temps, de renvoyer la plainte au Tribunal. Les observations communiquées par l’AFPC faisaient aussi ressortir que la fusion des groupes CR et PM pour former le nouveau groupe PA ne modifiait pas la manière dont ces employés étaient classifiés, évalués et rémunérés. L’AFPC joignait des barèmes de rémunération extraits de la convention collective la plus récente, qui confirmaient que les employés continuaient d’être rémunérés en tant que CR, et selon l’ancien barème du groupe CR.

 

[12]                       Chacune des parties s’est alors vu donner l’occasion de s’exprimer sur les observations de l’autre, présentées en réponse au rapport d’enquête. Par lettre datée du 24 mars 2004, l’avocat de la demanderesse a présenté des observations en réponse aux observations du défendeur. Étant donné que le défendeur avait simplement souscrit à la conclusion ultime de l’enquêteur, l’AFPC n’avait rien à ajouter à ses observations du 26 février 2004. Par lettre datée du 25 mars 2004, le représentant du défendeur a réagi aux observations de l’AFPC en réitérant l’engagement de l’employeur envers la réforme de la classification, notamment [traduction] « la modernisation des mesures de contenu et d’évaluation des normes existantes de classification de manière à en atténuer les aspects sexistes ». Par ailleurs, le défendeur précisait que l’étude en cours visait à déterminer [traduction] « le meilleur moyen de régler les questions au sein des groupes CR et PM, tout en le faisant dans le contexte global du groupe PA tout entier ».

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[13]                       La plainte, le rapport d’enquête, les observations des parties et une chronologie ont été communiqués le 26 avril 2004 à la Commission pour qu’elle statue sur la plainte. Par lettre datée du 3 mai 2004, la Commission acceptait la recommandation de l’enquêteur et décidait, conformément à l’alinéa 44(3)b) de la LCDP, de rejeter la plainte sans autres formalités. Sa décision n’était pas motivée.

 

[14]                       Après réception de la lettre de la Commission, l’AFPC a demandé formellement à la Commission le 12 mai 2004 de lui communiquer ses motifs. Par lettre datée du 7 juin 2004, l’avocate de la Commission répondait à la demande de motifs présentée par la demanderesse. Elle écrivait que la Commission n’avait pas l’obligation légale de motiver sa décision de rejeter une plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b), ajoutant que, selon la jurisprudence de la Cour fédérale, lorsque des motifs ne sont pas donnés et que la recommandation de l’enquêteur est adoptée par la Commission, le fondement de la décision de la Commission est le rapport d’enquête.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[15]                        

2.   La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

 

2.   The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

 

3. (1)  Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

3. (1)  For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

7.  Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7.  It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

 

10.  Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

 

10.  It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

 

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

 

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

 

40. (1)  Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

 

40. (1)  Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

 

41. (1)  Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1)  Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

Commission may decline to deal with complaint

 

43. (1)  La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte.

 

43. (1)  The Commission may designate a person, in this Part referred to as an "investigator", to investigate a complaint.

 

44. (1)  L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

44. (1)  An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

*****

 

*****

 

(3)  Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(3)  On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

POINTS EN LITIGE

[16]                       La demande de contrôle judiciaire soulève les points suivants :

·        Quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer?

·        La Commission a‑t‑elle commis une erreur sujette à révision quand elle a décidé de rejeter les portions de la plainte relevant des articles 7 et 10, estimant qu’aucune autre mesure ne s’imposait?

·        La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale et commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas examiné et analysé la plainte d’une manière rigoureuse?

·        La Commission a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas motivé suffisamment sa décision?

 

ANALYSE

1)         La norme de contrôle

[17]                       La décision contestée est celle de la Commission, qui a rejeté la plainte de l’AFPC portant sur la violation de droits de la personne. Après réception d’un rapport d’enquête, la Commission peut demander au Tribunal canadien des droits de la personne d’instruire la plainte si elle est convaincue que, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci est justifié ». En revanche, si la Commission est d’avis que, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié », elle rejette la plainte (LCDP, paragraphe 44(3)). Pour rendre cette décision, la Commission doit se demander s’il existe dans la preuve un fondement raisonnable l’autorisant à passer à l’étape suivante, à savoir la constitution d’un tribunal.

 

[18]                       Il convient de se rappeler que, à ce stade, la Commission ne statue pas sur le fond de la plainte ni ne décide si la plainte est bien étayée. Elle doit plutôt se demander si la preuve est suffisante pour justifier le passage à l’étape suivante : Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, [1989] A.C.S. n° 103, au paragraphe 27 (QL) (l’arrêt S.E.P.Q.); Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 891 (QL).

 

[19]                       La Cour suprême du Canada a confirmé qu’il n’existe que trois normes possibles de contrôle d’une décision administrative : la norme de la décision correcte, la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision manifestement déraisonnable. Pour savoir quelle norme est applicable dans un cas donné, il faut recourir à l’analyse pragmatique et fonctionnelle, fondée sur les quatre facteurs contextuels suivants : a) la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi; b) la spécialisation du décideur par rapport à celle de la juridiction de contrôle concernant le point à décider; c) l’objet de la législation, et notamment celui de la disposition concernée; et d) la nature de la question – question de droit, question de fait ou question mixte de droit et de fait.

·                       Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, aux paragraphes 26 à 35;

·                       Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paragraphes 24 à 27 ;

·                       Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté), [1998] 1 R.C.S. 982, aux paragraphes 29 à 38;

·                       Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, aux paragraphes 15 à 18 (QL).

 

[20]                       Procédant à l’analyse pragmatique et fonctionnelle, mon collègue le juge O’Keefe est arrivé à la conclusion que la décision de la Commission de ne pas renvoyer une plainte au Tribunal doit être revue selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (MacLean c. Marine Atlantic Inc., [2003] A.C.F. n° 1854 (QL)). L’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi était considérée comme un facteur neutre, mais la Commission justifie d’une expérience plus étendue que celle de notre Cour en matière d’établissement des faits et en matière de filtrage des plaintes, ce à quoi il faut ajouter le pouvoir discrétionnaire que le législateur fédéral a conféré à la Commission pour savoir s’il convient ou non de rejeter une plainte, et aussi la nature de la question (une question mixte de droit et de fait) : tous ces facteurs commandaient un surcroît de retenue envers la décision de la Commission. Comme bon nombre de mes collègues, je fais mien ce raisonnement et j’arrive à la même conclusion. J’observe en passant que la Cour d’appel fédérale a tout récemment confirmé cette norme de contrôle dans la dernière des affaires mentionnées ci‑après :

·                    Canada (Procureur général) c. Grover, [2004] A.C.F. n° 865; [2004] C.F. 704 (QL);

·                    Wang c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, [2005] C.F. 654, [2005] A.C.F. n° 796 (QL);

·                    Gardner c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n° 616, [2004] C.F. 493 (QL);

·                    Singh c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n° 367; conf. : [2002] A.C.F. n° 885 (QL);

·                    Chopra c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. n° 1082, 2002 CFPI 787 (QL);

·                    Bradley c. Canada (Procureur général), (1999), 238 N.R. 76 (C.A.F.), [1999] A.C.F. n° 370;

·                    Gee c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002), 284 N.R. 321, 2002 CAF 4;

·                    Takmourpour c. Canada (Solliciteur général) (2005), 332 N.R. 60, 2005 CAF 113;

·                    Gardner c. Procureur général du Canada, 2005 CAF 284.

 

[21]                       La Cour devrait donc intervenir « avec circonspection » dans les décisions de la Commission. S’agissant du filtrage des plaintes, le législateur fédéral a conféré un vaste pouvoir discrétionnaire à la Commission, pouvoir qui à son tour oblige la Cour à une certaine réserve. Ainsi que le rappelait le juge Strayer pour la Cour d’appel dans l’arrêt Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), [2002] A.C.F. n° 12; 2002 CAF 4 (QL) :

La présente Cour@ÂAÀ@àØêæÒÊêäæ@äÊàäÒæÊæ@ÒÜÈÒâëÒ@ØÊ@ÈÊÎåÒ@ÈÊ@äÊèÊÜêÊ@ÔêÈÒÆÒÂÒäÊ@ÈÞÜè@ÒØ@ÌÂêè@ÌÂÒäÊ@àäÊêìÊAÀ@Ù%ÒÎÂäÈ@ÈÊ@ØÂ@†ÞÚÚÒææÒÞÜ@ØÞäæâë$ÊØØÊ@ÉÒÆÒÈÊX@ÂàåÐæ@ØÂ@åÒÆÊàèÒÞÜ@É$êÜ@äÂààÞäè@É$ÊÜâëÔèÊX@æÒ@ÊØØÊ@ÈÞÒè@äÊÔÊèÊä@ØÂ@àØÂÒÜèÊ@Þê@ØÂ@äÊÜìÞòÊäAÀ@êÜ@èäÒÄêÜÂØ\@ Âä@ÊðÊÚàØÊX@ÒØ@ÂAÒéÒ@ÉÒÆØÂåÒ@ÈÂÜæ@Ù$ÂäåÔè@„ÊØØ@†ÂÜÂÈÂ@Æ\@¦òÜÈÒÆÂè@ÆÂÜÂÈÒÊÜ@ÈÊæ@ÆÞÚÚêÜÒÆÂèÒÞÜæX@ÈÊ@Ù%ÒÜÊäÎÒÊ@Êè@Èê@àÂàÒÊä@P¶brrrº@b@†\Œ\@bbf@P†\‚\RS@t™$ÊðÊäÆÒÆÊ@Èê@àÞêìÞÒä@ÈÒæÆåÒèÒÞÜÜÂÒäʶfpº@˜Â@˜ÞÒ@ÆÞÜÍÐäÊAÀ@ØÂ@†ÞÚÚÒææÒÞÜ@êÜ@ÈÊÎåÒ@äÊÚÂäâêÂÄØÊ@ÈÊ@ØÂèÒèêÈÊAÀ@Ù$ÊñÒÆêéion de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 42 et 44 regorgent d’expressions comme « à son avis », « devrait », « normalement ouverts », « pourrait avantageusement être instruite », « des circonstances », « estime indiqué dans les circonstances » , qui ne laisse aucun doute quant à l’intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d’opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu’en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

 

Plus récemment, dans l’arrêt Zundel c. Procureur général du Canada et al. ((2000) 267 N.R. 92, au paragraphe 5), la présente Cour a endossé une décision de la Section de première instance ([1999] 4 C.F. 289, aux paragraphes 46 à 49), selon laquelle la norme de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission prise en vertu de l’article 44, c’est‑à‑dire celle de déférer après enquête une question à un tribunal, devait être de savoir si la décision s’appuyait sur un motif rationnel. Dans l’arrêt Bradley c. Procureur général du Canada ((1999) 238 N.R. 76), la présente Cour a statué que la norme de contrôle d’une décision prise par la Commission en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi de rejeter une plainte au lieu de nommer un conciliateur était celle de la décision raisonnable. Avec respect, je suis d’accord avec mes collègues sur ce point et j’accepte que la norme de contrôle relative à l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui est conféré au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de rejeter une plainte est celle de la décision raisonnable.

 

[22]                       La Cour ne devrait donc intervenir que s’il est établi que la décision contestée est déraisonnable. Une décision déraisonnable est une décision qui est sans fondement ou qui n’est pas conforme à la raison. Une cour de justice ne peut intervenir du seul fait qu’elle aurait pu arriver à une conclusion autre. La juridiction de contrôle doit plutôt se demander si la décision est justifiée par le raisonnement du tribunal. La Cour suprême du Canada a dit explicitement que « il y a souvent plus d’une seule bonne réponse aux questions examinées selon la norme de la décision raisonnable », mais que, même dans l’hypothèse où il y aurait une réponse meilleure que les autres, « le rôle de la cour n’est pas de tenter de la découvrir lorsqu’elle doit décider si la décision est déraisonnable » : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 51. Voir aussi Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 61 (QL); Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 41 (QL).

 

[23]                       La demanderesse et le défendeur souscrivent à cette analyse. Cependant, la demanderesse soutient que la norme de contrôle devrait être la décision correcte quand la décision de la Commission ne porte pas carrément et uniquement sur le point de savoir s’il y a dans la preuve un fondement raisonnable autorisant le passage à l’étape suivante, mais fait plutôt intervenir une question de droit ou une question de justice naturelle ou d’équité procédurale.

 

[24]                       Il n’est pas contesté entre les parties que les questions d’équité procédurale et de justice naturelle ne sont pas soumises à la norme de la décision raisonnable, mais plutôt à celle de la décision correcte. Il en serait ainsi pour la question de savoir si l’enquête de la Commission a été neutre et rigoureuse, et si la Commission a motivé suffisamment sa décision. Selon moi, le problème est ici mal posé; mais je reviendrai sur ce point bientôt.

 

[25]                       Quant à l’argument selon lequel une norme de contrôle plus rigoureuse devrait s’appliquer lorsque la décision de la Commission fait intervenir une question de droit, la demanderesse n’a pas étayé cet argument d’une manière raisonnée. Il ne trouve aucun appui dans la jurisprudence, et il est même incompatible avec la qualification de la décision prise par la Commission en vertu du paragraphe 44(3), à savoir une décision qui fait intervenir une question mixte de droit et de fait. Le travail de filtrage qui est fait par la Commission à ce stade, comme nous l’avons vu auparavant, requiert de la Commission qu’elle détermine s’il y a dans la preuve un fondement raisonnable qui pourrait conduire le Tribunal à dire qu’un plaignant a été victime d’un acte discriminatoire illicite. C’est là manifestement un exemple d’une question mixte de droit et de fait, puisqu’elle concerne l’application des principes généraux énoncés dans la LCDP à des circonstances particulières. Autrement dit, la décision de la Commission est intimement liée à des conclusions de fait et à des déductions; c’est le type même de question dont il est admis qu’elle doit être évaluée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[26]                       La demanderesse a aussi prétendu qu’une norme de contrôle plus rigoureuse devrait s’appliquer lorsque la Commission rejette une plainte sans la renvoyer au tribunal, et cela parce qu’il s’agit d’une décision finale au sujet des droits du plaignant concerné. Cette manière de voir serait encore plus justifiée dans le cas présent, étant donné le nombre de personnes qui seront touchées par la décision de la Commission. La demanderesse invoque sur ce point un obiter dictum exprimé dans la décision Larsh c. Canada (Procureur général) (1999), 166 F.T.R. 101, à la page 107, [1999] A.C.F. n° 508 (QL)), où le juge Evans, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, écrivait ce qui suit :

Pour l’examen de cet argument, je suis disposée à présumer que la décision par laquelle la Commission a rejeté les plaintes devrait faire l’objet d’un examen plus attentif que les décisions par lesquelles des plaintes sont déférées au Tribunal. Un débouté est, après tout, une décision définitive qui empêche le plaignant d’obtenir toute réparation prévue par la loi et qui, de par sa nature même, ne saurait favoriser l’atteinte de l’objectif général de la Loi, c’est‑à‑dire protéger les personnes physiques de toute discrimination, mais qui, s’il est erroné, risque de mettre en échec l’objet de la Loi.

 

[27]                       Cette observation du juge Evans doit être mise en contexte. Elle se rapportait à un argument avancé par l’avocat de la demanderesse, pour qui la Commission établirait à un niveau trop élevé la preuve requise si elle devait rejeter une plainte parce que l’agent accusé d’avoir tenu des propos discriminatoires niait les avoir tenus, et parce qu’aucun témoin impartial ne pouvait confirmer les dires de la demanderesse. Néanmoins, nulle part le juge Evans n’a dit que la décision de la Commission de rejeter une plainte devrait toujours être évaluée d’après la norme de la décision correcte. Il a même rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel la Commission doit toujours renvoyer la plainte au Tribunal dès lors qu’elle est saisie de versions contradictoires quant à la conduite qui est l’objet de la plainte. Et il a souligné à de nombreuses reprises que c’est à la Commission que le législateur fédéral a confié la tâche de dire si, selon elle, le renvoi d’une plainte devant le Tribunal est justifié ou non.

 

[28]                       Avant de clore cet argument, il faut souligner encore une fois que les mots employés dans l’article 44 de la LCDP confèrent un large pouvoir discrétionnaire à la Commission dans l’examen préalable des plaintes, et que les mêmes mots sont employés pour le rejet d’une plainte ou pour son renvoi au Tribunal, c’est‑à‑dire « compte tenu des circonstances relatives à la plainte… » L’énoncé le plus clair de la norme de contrôle applicable à de telles décisions se trouve dans l’arrêt Bourgeois c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [2000] A.C.F. 1655 (C.A.F.) (QL), où le juge Décary écrivait ce qui suit :

Le juge MacKay était d’avis, avec raison, que la norme de contrôle applicable au rejet d’une plainte par la Commission exige que la Cour fasse preuve d’un très haut degré de retenue à l’égard de la décision de la Commission, à moins qu’il y ait eu violation des principes de justice naturelle ou absence d’équité procédurale, ou à moins que la décision ne soit pas étayée par les éléments de preuve dont disposait la Commission.

 

 

[29]                       Cela dit, et bien que la décision de rejeter une plainte soit soumise à la même norme de contrôle que la décision de renvoyer une plainte au Tribunal, l’observation du juge Evans n’est pas dépourvue d’intérêt et ne saurait être simplement laissée de côté. Sans aller jusqu’à dire que chaque norme de contrôle est elle‑même une échelle mobile, position qui à ce jour a été rejetée par la Cour suprême du Canada, il peut être légitime de considérer les conséquences de la décision prise par la Commission en évaluant la pertinence des motifs qui l’appuient.

 

[30]                       Revenant maintenant à la présumée violation des principes d’équité procédurale, je crois qu’une certaine confusion doit d’entrée de jeu être dissipée. Ainsi que le clarifiait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 102 (QL), « l’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations ». Cette distinction a été reprise par la Cour fédérale à plusieurs reprises, notamment dans les décisions Gardner c. Canada (Procureur général), précité, Canada (Procureur général) c. Grover, [2004] A.C.F. n° 865, 2004 CF 704 (QL), Canada (Procureur général) c. Cherrier, 2005 CF 505 (QL), Marchand Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), [2004] A.C.F. n° 1926 (QL) et A.F.P.C. c. Canada (Procureur général), 2005 CF 401 (QL).

 

[31]                       Cette confusion vient de ce que certains des facteurs qui servent à déterminer les exigences d’équité procédurale sont les mêmes que les facteurs qui servent à déterminer la norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire (la nature de la décision prise, la spécialisation du décideur, le régime législatif). Mais notre Cour, suivant en cela la position adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249 (QL), a dit à maintes reprises que l’obligation d’équité procédurale ne requiert pas de déterminer la norme de contrôle : tout manquement à l’équité procédurale annulera en général, par le fait même, la décision contestée.

 

[32]                       Si la distinction entre les tribunaux administratifs selon qu’ils exercent leurs fonctions d’une manière dite « administrative » plutôt que d’une manière « judiciaire » ou « quasi judiciaire » était auparavant déterminante pour savoir si les règles de justice naturelle s’appliquaient, tel n’est plus le cas depuis un arrêt de la Cour suprême du Canada, Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311 (QL). Les décisions de nature administrative ou exécutive devaient dès lors être sujettes à une obligation générale d’équité. Comme cette obligation et les règles de justice naturelle étaient considérées comme des concepts répondant à des normes variables, le juge Sopinka a reconnu dans l’arrêt S.E.P.Q. que « la distinction entre [ces règles] s’estompe donc lorsqu’on approche du bas de l’échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l’échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs ». Le contenu de ces deux ensembles de règles est donc maintenant déterminé non pas tant d’après la nature des décisions rendues par ce tribunal, mais d’après les circonstances de chaque cas : Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602 (QL); S.E.P.Q. c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (QL); Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3, [1994] A.C.F. n° 361 (QL); Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, [1994] A.C.F. n° 181 (QL).

 

[33]                       Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour suprême s’est attardée sur les facteurs qui permettent de définir l’obligation d’équité procédurale dans un ensemble donné de circonstances. S’exprimant pour la majorité, la juge L’Heureux‑Dubé a énuméré cinq facteurs (qui ne sont pas censés constituer une liste limitative) à prendre en compte : la nature de la décision qui est prise et la procédure suivie pour y parvenir; la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; l’importance de la décision pour les personnes visées; les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; enfin les choix procéduraux faits par l’organisme lui‑même, en particulier lorsque la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou lorsque l’organisme a la spécialisation requise pour déterminer quelles procédures s’imposent compte tenu des circonstances.

 

[34]                       On peut lire dans l’arrêt S.E.P.Q., précité, que la Commission doit observer l’obligation d’équité procédurale lorsqu’elle décide si le rapport d’enquête sera adopté ou rejeté en application de l’article 44 de la LCDP. Dans un obiter dictum, le juge Sopinka écrivait que la Commission avait donc les obligations suivantes :

 

[…] il incombait à la Commission d’informer les parties de la substance de la preuve réunie par l’enquêteur et produite devant la Commission. Celle‑ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s’y rapportant. La Commission pouvait prendre en considération le rapport de l’enquêteur, les autres données de base qu’elle jugeait nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle était alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements (page 902).

 

[35]                       Naturellement, toutes ces exigences supposent que la preuve recueillie par l’enquêteur, ainsi que son rapport, donnent à la Commission l’information nécessaire à l’accomplissement de sa fonction de filtrage en application de l’article 44 de la LCDP. Si la décision de la Commission devait être fondée sur une enquête laissant à désirer, elle ne pourrait pas être jugée raisonnable puisqu’elle s’appuierait sur une preuve insuffisante. Ce point a été très clairement énoncé par le juge Nadon, aujourd’hui juge de la Cour d’appel fédérale, dans la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), précitée, où il écrivait ce qui suit :

Il semblerait à première vue qu’en remettant à la requérante une copie du rapport de l’enquêteuse et en lui permettant de répondre au rapport, la CCDP se soit conformée à la lettre des exigences établies dans les arrêts susmentionnés. Toutefois, à la base de ces exigences se trouve la présomption de l’existence d’un autre aspect de l’équité procédurale – le fait que la CCDP disposait d’un fondement adéquat et juste pour évaluer s’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la constitution d’un tribunal.

 

Pour qu’il existe un fondement juste pour que la CCDP estime qu’il y a lieu de constituer un tribunal en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi, je crois que l’enquête menée avant cette décision doit satisfaire à au moins deux conditions : la neutralité et la rigueur (page 598).

 

[36]                       Par conséquent, je réorganiserai l’ordre des questions suivantes et examinerai d’abord le rapport d’enquête pour savoir s’il était impartial et rigoureux. Je passerai ensuite à la décision de la Commission de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal, afin de déterminer si elle était raisonnable, compte tenu de toute l’information soumise à la Commission. Finalement, j’examinerai si les motifs donnés par la Commission à l’appui de sa décision contrevenaient ou non à son obligation d’équité procédurale.

 

2)         L’enquête a‑t‑elle été neutre et rigoureuse?

[37]                       Comme je l’ai dit plus haut, l’obligation de mener une enquête neutre et rigoureuse constitue un volet de l’obligation d’équité procédurale. La rigueur est une notion abstraite qui ne se prête pas à une liste aisément vérifiable de choses à faire ou à ne pas faire. Dans la décision Slattery c. Canada (C.D.P.), précitée, le juge Nadon énonçait les paramètres qui sous‑tendent l’obligation de rigueur, dans le contexte d’une enquête menée par la Commission des droits de la personne :

Pour déterminer le degré de rigueur de l’enquête qui doit correspondre aux règles d’équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu : les intérêts respectifs du plaignant et de l’intimé à l’égard de l’équité procédurale, et l’intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. (page 600)

 

 

[38]                       Selon la demanderesse, le rapport d’enquête ne répond pas aux allégations de l’AFPC et n’analyse pas leur bien‑fondé. (L’essentiel de l’analyse de l’enquêteur se trouve au paragraphe 9 des présents motifs.) Ces allégations, rappelons‑le, se ramenaient pour l’essentiel à l’argument selon lequel le Conseil du Trésor exerce une discrimination contre le groupe CR en séparant ce groupe et le groupe PM et en appliquant des normes différentes pour mesurer la valeur des tâches exécutées dans ces deux groupes.

 

[39]                       Dans son rapport, l’enquêteur s’est intéressé uniquement au fait que les groupes CR et PM n’étaient plus séparés, mais ne formaient maintenant qu’un seul groupe – le groupe PA. Cependant, le rapport passait sous silence un fait essentiel : on n’avait jamais véritablement modifié ou transformé le système de classification pour en éliminer les aspects discriminatoires qui existaient bel et bien. C’était là l’objet de l’initiative appelée NGC, mais celle‑ci avait été abandonnée par le défendeur parce qu’elle était semble‑t‑il « impraticable ». En conséquence, et même si les groupes CR et PM ont officiellement été fusionnés pour former un groupe plus large, il reste que les anciennes normes de classification continuent de s’appliquer, ainsi qu’en témoignent les barèmes de rémunération provenant de la plus récente convention collective conclue entre l’AFPC et le Conseil du Trésor.

 

[40]                       Non seulement le rapport ne tient‑il aucun compte de cette information capitale, mais on peut y lire ensuite que [traduction] « [i]l n’est pas possible de juger du caractère non sexiste d’un nouveau plan de classification tant qu’il n’est pas développé ». Dans l’intervalle, les postes occupés par les membres du groupe CR continueront d’être mesurés selon des normes qui sont censément discriminatoires et à propos desquelles la question de la conformité aux articles 7 et 10 de la Loi sur les droits de la personne n’a pas été véritablement étudiée, encore moins tranchée d’une façon définitive.

 

[41]                       Le fait d’affirmer que [traduction] « la Commission restera à disposition pour offrir conseils et commentaires à propos de l’élaboration de plans de classification exempts de sexisme, notamment d’un plan applicable au groupe PA » ne répond pas au problème. Il s’agit là d’un intéressant engagement pour l’avenir, mais il ne répond en aucune façon à la plainte qui a été déposée il y a plus de 20 ans. Et il ne peut y avoir aucune garantie qu’un nouveau système de classification, conforme aux exigences de la Loi sur les droits de la personne, sera effectivement mis en place dans un avenir rapproché.

 

[42]                       Bref, je suis d’avis que l’Alliance de la fonction publique du Canada avait droit, au nom de ses membres du groupe CR, à un examen rigoureux de ses allégations de discrimination. Comme il n’a pas été répondu à l’un des arguments essentiels de l’AFPC – voulant que les groupes CR et PM soient encore, à toutes fins utiles, séparés – l’enquêteur, et finalement la Commission, ont manqué à leur obligation d’équité procédurale. L’enquêteur aurait sans doute eu des raisons d’agir ainsi si les allégations avaient été théoriques, mais ce n’était certainement pas le cas lorsqu’il a présenté son rapport.

 

[43]                       Cela dit et, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission n’a jamais reconnu la plainte comme une plainte valide. Cela équivaudrait à dire que, dès lors qu’une plainte est acceptée pour examen, la Commission doit constituer un tribunal, ou que, dès lors qu’un enquêteur juge au départ qu’un examen complémentaire est justifié, il ne peut pas changer d’avis sur la foi de preuves ultérieures.

 

[44]                       Dans le meme sens, le défendeur n’a jamais admis que la norme de classification du groupe CR est discriminatoire. Il n’existe tout simplement aucun élément de preuve permettant d’affirmer que les moyens pris par l’employeur pour instituer la NGC ou pour engager toute autre réforme de la classification reviennent à admettre que la norme actuelle est effectivement discriminatoire. Il en va de même pour la décision de fusionner les groupes CR et PM pour en faire le nouveau groupe PA : il n’est dit nulle part que par cette fusion l’employeur reconnaissait que la séparation antérieure des groupes CR et PM était discriminatoire.

 

[45]                       C’est précisément parce qu’il y a désaccord sur le caractère discriminatoire du régime actuel que la Commission aurait dû examiner cette affaire plus attentivement.

 

3)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur sujette à révision quand elle a décidé de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal?

[46]                       La décision de la Commission de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal sur la foi du rapport d’enquête ne saurait être considérée comme une décision équitable, dans la mesure où le rapport lui‑même présentait des lacunes. Cela pourrait suffire à disposer de la question.

 

[47]                       Lorsque, comme en l’espèce, les parties ont le droit formel de présenter des observations en réponse à un rapport d’enquête, elles peuvent faire rectifier les omissions ou erreurs d’un caractère mineur en les portant, par leurs observations, à l’attention du décideur. Ce n’est que lorsque les omissions ne peuvent être corrigées qu’un contrôle judiciaire s’impose, par exemple lorsque l’omission est d’une nature si fondamentale que le simple fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne permettra pas d’y remédier : Slattery c. CCDP, précité; Schut c. Canada (P.G.) et al. (1996), 120 F.T.R. 60, [1996] A.C.F. n° 1255 (QL).

 

[48]                       Le défendeur fait valoir que la Commission a pris sa décision après avoir examiné non seulement le rapport d’enquête, mais également les observations des parties à propos de ce rapport, ainsi que les remarques de chacune d’elles sur les observations de l’autre. La Commission a donc examiné toutes les circonstances entourant la plainte, et la demanderesse aurait pu signaler les omissions et erreurs du rapport d’enquête.

 

[49]                       L’AFPC a effectivement attiré l’attention de la Commission sur les lacunes apparentes du rapport d’enquête. Elle s’est énergiquement opposée à la recommandation de l’enquêteur pour qui la Commission devait s’abstenir de prendre d’autres mesures à l’égard de cette plainte; elle a réaffirmé son opinion selon laquelle la norme de classification du groupe CR est discriminatoire; elle a rappelé à la Commission que, si le bien‑fondé de cette plainte n’avait jamais été officiellement étudié, c’était en raison des garanties du Conseil du Trésor, qui affirmait que la NGC réglerait le problème; et elle a fait remarquer que tous les employés du groupe professionnel PA continuaient d’être classifiés selon l’ancienne structure CR‑PM.

 

[50]                       Je suis d’avis qu’en l’espèce l’omission était d’un caractère si fondamental que la réponse donnée par l’AFPC au rapport d’enquête ne pouvait pas y remédier. Non seulement le rapport était‑il extrêmement bref sur cet aspect, mais il n’était pas suffisamment informatif pour qu’il fût possible d’évaluer véritablement les objections de l’AFPC. En tout état de cause, la Commission n’a pas examiné ces aspects et elle n’a pour l’essentiel fait aucun cas de la position de l’AFPC.

 

[51]                       Finalement, le défendeur a fait valoir que [traduction] « la Commission fait un bien meilleur usage de ses ressources en intervenant par des conseils et des commentaires dans le développement d’une nouvelle norme de classification pour le groupe PA, plutôt qu’en nommant un tribunal pour qu’il instruise une plainte qui deviendra théorique avec la mise en place de nouvelles normes de classification ». Cet argument, à mon humble avis, traduit un malentendu et il est totalement hors de propos. L’alinéa 44(3)b) de la LCDP ordonne à la Commission de rejeter une plainte si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de la plainte n’est pas justifié. Les considérations administratives ou budgétaires ne devraient pas intervenir dans la décision. Ainsi que l’écrivait le juge Nadon dans la décision Slattery, précitée :

Je ne puis conclure que le paragraphe 44(3) de la Loi permet à la CCDP de rendre des décisions en ne tenant absolument pas compte du bien‑fondé de la plainte. Si l’on permettait que des considérations purement administratives (comme les coûts, le temps) soient déterminantes, on pourrait concevoir des situations où le droit d’une personne à un recours sous le régime d’une loi relative aux droits de la personne dépendrait de la facilité avec laquelle l’on peut prouver qu’il y a eu violation des droits de la personne. Une telle façon de faire serait clairement en contradiction avec l’objectif de justice visé par la Loi, tel qu’il est énoncé à l’article 2, de donner effet au principe de l’égalité des chances.

 

[52]                       Il existe aussi un argument selon lequel il peut se révéler plus utile pour les parties de faire juger l’affaire par le Tribunal. En jugeant si la classification actuelle est ou non discriminatoire, le Tribunal pourrait exposer des motifs et énoncer des paramètres susceptibles d’aider les architectes d’un nouveau système de classification. Comme c’est si souvent le cas, les retombées à court terme ne devraient pas nous faire oublier les avantages à plus long terme.

 

[53]                       Pour tous les motifs susmentionnés, j’arrive à la conclusion que la décision de la Commission est déraisonnable car elle n’était pas appuyée par une enquête suffisante, et que l’on ne pourrait donc dire qu’elle est fondée sur un raisonnement convaincant.

 

4) La Commission a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas motivé suffisamment sa décision?

[54]                       L’argument final avancé par la demanderesse est le fait que la Commission n’a pas motivé sa décision. L’AFPC a demandé formellement à la Commission d’exposer des motifs à l’appui de sa décision, mais la Commission a exprimé l’avis qu’elle n’avait pas l’obligation légale d’exposer des motifs, ajoutant que le fondement de sa décision était le rapport d’enquête. La demanderesse admet que, de façon générale, la Commission n’a pas l’obligation légale de donner des motifs. Mais elle fait valoir que dans le cas présent, vu les lacunes de l’enquête, l’importance des intérêts en jeu et l’ancienneté de cette plainte, la Commission a commis une erreur en n’expliquant pas sa décision.

 

[55]                       Le défendeur affirme quant à lui que l’argument de la demanderesse n’est pas appuyé par la jurisprudence. Bien au contraire, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une décision non motivée ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale parce que la Loi n’en fait pas une obligation : Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3, au paragraphe 23, [1994] A.C.F. n° 361 (QL). Finalement, le défendeur invoque aussi l’arrêt de la Cour suprême du Canada, S.E.P.Q. c. Commission canadienne des droits de la personne, précité, pour dire que le rapport d’enquête constitue les motifs de la Commission quand ce rapport est adopté par la Commission.

 

[56]                       Il ne fait aucun doute que, en règle générale, l’obligation d’équité ne requiert pas que les décisions administratives soient motivées, même si l’utilité de motifs pour assurer des décisions équitables et transparentes a souvent été mise en évidence. Mais la Cour suprême a reconnu, dans l’arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), précité, au paragraphe 43, qu’il peut en être autrement dans certains cas :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise.

 

[57]                       Cela dit, l’obligation d’exposer des motifs dans certains cas peut être remplie si la décision se fonde sur un rapport ou sur les notes d’un subordonné. Cette possibilité a été explicitement reconnue dans l’arrêt Baker, précité, pour tenir compte de la souplesse qu’il convient de montrer dans l’évaluation des exigences de l’équité procédurale. Et c’est précisément la raison pour laquelle la Cour suprême, présumant, sans en décider, que l’absence de motifs justifie en elle‑même une révision, a décidé qu’il n’y avait pas déni de justice naturelle ou d’équité procédurale quand la Commission rejetait une plainte en se fondant sur la recommandation contenue dans le rapport d’enquête : S.E.P.Q. c. Canada (Commission des droits de la personne), précité.

 

[58]                       Je n’ignore pas non plus que le législateur a imposé l’obligation d’exposer des motifs dans certains cas précis, par exemple quand la Commission a décidé qu’une plainte est irrecevable pour les raisons exposées dans l’article 41 (voir le paragraphe 42(1) de la LCDP). C’est le signe que les cours de justice devraient hésiter à recourir aux règles de l’équité procédurale pour imposer un fardeau que le législateur a choisi d’imposer dans des circonstances très précises : Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne), précité; Gardner c. Canada (P.G.), précité).

 

[59]                       Tout bien considéré, et gardant à l’esprit que la plupart de ces précédents sont antérieurs à l’arrêt Baker, je suis néanmoins d’avis que nous avons ici affaire à l’un de ces cas particuliers où la Commission aurait dû faire davantage que s’en remettre au rapport d’enquête et aurait dû motiver sa décision de ne pas renvoyer la plainte au Tribunal. Il est facile d’imaginer que le rejet d’une telle plainte aura de profondes répercussions sur les employés de la fonction publique fédérale qui sont encore classifiés et évalués selon une classification qui remonte à près de 40 ans et dont on dit qu’elle est discriminatoire. En rejetant cette plainte, la Commission a rendu une décision qui disposait des droits de la plaignante sans même considérer ses principaux arguments, et cela sur la foi d’un rapport qui n’analyse même pas les accusations de discrimination; ce faisant, la Commission donne prise à l’idée qu’elle fait fi du principe de l’égalité des chances dont parle l’article 2 de la LCDP.

 

[60]                       L’importance d’une décision motivée est amplifiée ici au vu du délai de 20 ans et du grand nombre d’employés concernés. Ce sont là à mon avis des considérations importantes qu’il faut garder à l’esprit quand on évalue la portée de la décision. Si l’issue d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire peut, dans le contexte de l’immigration, avoir une incidence considérable sur une personne, on peut certainement en dire autant d’une décision qui est susceptible d’influer sur la dignité, l’estime de soi et les possibilités de carrière de milliers de gens. Dans ces circonstances très particulières, je crois que la Commission avait le devoir de faire plus que de simplement se référer au rapport d’enquête, et le devoir d’expliquer sa décision ultime pour mettre un point final à cette plainte.

 

[61]                       Se fondant sur l’arrêt Baker, précité, de la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale écrivait ce qui suit, dans son arrêt le plus récent sur la question :

L’obligation de donner des motifs est fondée sur l’intérêt qu’ont les individus de savoir comment ont été prises les décisions les visant [...]. Si, par suite d’une participation étroite au processus de décision, une personne comprend, ou a la capacité de comprendre le motif de la décision, l’obligation de la motiver variera en conséquence.

 

 

[62]      Je comprends tout à fait que ce sera sans doute plus souvent le cas lorsque la Commission ne suit pas la recommandation de l’enquêteur, en particulier si elle rejette la plainte. Mais, en l’espèce, pour les motifs susmentionnés, je crois que la demanderesse ne pouvait pas véritablement saisir la signification de la décision de la Commission et ne pouvait pas, en l’absence de motifs cohérents et explicites, comprendre pourquoi les arguments avancés en réponse au rapport d’enquête avaient été rejetés.

 

DISPOSITIF

 

[63]      En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision. Les dépens sont accordés à la demanderesse.

 

« Yves de Montigny »

JUGE

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1081‑04

 

 

INTITULÉ :                                       L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 AVRIL 2005

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE de MONTIGNY

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 JUIN 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

ANDREW RAVEN                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

 

ANNE TURLEY                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RAVEN, ALLEN, CAMERON,                                              POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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