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Date : 20040812

Dossiers : IMM-10144-03

IMM-10145-03

Référence : 2004 CF 1126

EDMONTON (ALBERTA), LE 12 AOÛT 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                             SIN LOCK LEONG

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit de deux demandes qu'on a instruites conjointement. Dans le dossier IMM-10144-03, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'agent d'immigration Cobb d'établir à son endroit, en vertu du paragraphe 44.(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27 (la Loi), un rapport d'interdiction de territoire. Dans le dossier IMM-10145-03, il demande le contrôle judiciaire de la décision prise par l'agente d'immigration Fanny Ho, au nom du ministre, d'admettre ce rapport et de déférer l'affaire pour enquête en vertu du paragraphe 44.(2) de la Loi.

[2]                Le demandeur est un citoyen de Singapour âgé de 32 ans. En 1992, il a obtenu le statut de résident permanent au Canada. Il a épousé Christine Chiu, une citoyenne canadienne, en février 2000. Le couple n'a pas d'enfant.

[3]                Le 22 avril 2003, le demandeur a été reconnu coupable de trafic d'une substance désignée, une infraction visée au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.R.C. 1999, ch. 1; on l'a condamné à quatre années d'emprisonnement. Le demandeur sera admissible à la libération d'office le 21 décembre 2005.

[4]                Le 26 mai 2003, l'agent d'immigration Michael Cobb a établi un rapport visé au paragraphe 44.(1) où il disait estimer que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour motif de grande criminalité. Ce rapport a été transmis à l'agente d'immigration Fanny Ho, qui l'a elle-même déféré pour enquête à la Section de l'immigration le 4 septembre 2003.


[5]                Le 4 décembre 2003, l'unité des audiences de Citoyenneté et Immigration Canada, à Edmonton, a informé le demandeur du fait que l'enquête serait tenue le 16 décembre 2003. Le 11 décembre 2003, l'avocate du demandeur a demandé à l'unité, au moyen d'observations écrites, que l'enquête n'ait pas lieu. L'enquête s'est bel et bien déroulée le 16 décembre 2003. Immédiatement avant sa tenue, l'avocate du demandeur a présenté des observations verbales à l'agente d'audience, à qui elle demandait une fois encore qu'on ne procède pas à l'enquête. L'agente d'audience Rapaj a déclaré, malgré l'argumentation soumise, qu'elle mènerait à bien l'enquête. Le demandeur et son avocate ont comparu à l'enquête et ils n'ont soulevé aucune objection quant à la procédure suivie ni demandé d'ajournement. L'agente Rapaj a ensuite prononcé l'expulsion du demandeur.

[6]                Par les présentes demandes, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision prise par l'agent Cobb d'établir un rapport visé au paragraphe 44(1), et de la décision prise par l'agente Ho d'admettre ce rapport et de déférer l'affaire pour enquête.

QUESTIONS EN LITIGE

Les deux questions qui suivent sont en litige dans le cadre des présentes demandes.

1.          L'agent d'audience Cobb a-t-il enfreint des règles d'équité procédurale en n'informant pas le demandeur qu'un rapport visé au paragraphe 44(1) était établi et en ne lui fournissant pas l'occasion de présenter des observations écrites à ce sujet?

2.          L'agente d'immigration Ho a-t-elle enfreint des règles d'équité procédurale en n'informant pas le demandeur que son affaire était déférée pour enquête et en ne lui fournissant pas l'occasion de présenter des observations écrites avant que soit prise la décision de déférer?


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.R.C. 2001, ch. 27


36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

c) commettre, à l'extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for


a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence;b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions qui ne découlent pas des mêmes faits et qui, commises au Canada, constitueraient des infractions à des lois fédérales;

(b) having been convicted outside Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, or of two offences not arising out of a single occurrence that, if committed in Canada, would constitute offences under an Act of Parliament;

c) commettre, à l'extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation;

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament; or

d) commettre, à son entrée au Canada, une infraction qui constitue une infraction à une loi fédérale précisée par règlement.

(d) committing, on entering Canada, an offence under an Act of Parliament prescribed by regulations.

(3) Les dispositions suivantes régissent l'application des paragraphes (1) et (2) :

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

a) l'infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l'infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

(a) an offence that may be prosecuted either summarily or by way of indictment is deemed to be an indictable offence, even if it has been prosecuted summarily;


b) la déclaration de culpabilité n'emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d'acquittement rendu en dernier ressort ou de réhabilitation -- sauf cas de révocation ou de nullité -- au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

(b) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on a conviction in respect of which a pardon has been granted and has not ceased to have effect or been revoked under the Criminal Records Act, or in respect of which there has been a final determination of an acquittal;c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui, à l'expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

(c) the matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

d) la preuve du fait visé à l'alinéa (1)c) est, s'agissant du résident permanent, fondée sur la prépondérance des probabilités;

(d) a determination of whether a permanent resident has committed an act described in paragraph (1)(c) must be based on a balance of probabilities; and

e) l'interdiction de territoire ne peut être fondée sur une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions ni sur une infraction à la Loi sur les jeunes contrevenants.

(e) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on an offence designated as a contravention under the Contraventions Act or an offence under the Young Offenders Act.

44. (1) S'il estime que le résident permanent ou l'étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l'agent peut établir un rapport circonstancié, qu'il transmet au ministre.

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.


(2) S'il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête, sauf s'il s'agit d'un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu'il n'a pas respecté l'obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d'un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.(3) L'agent ou la Section de l'immigration peut imposer les conditions qu'il estime nécessaires, notamment la remise d'une garantie d'exécution, au résident permanent ou à l'étranger qui fait l'objet d'un rapport ou d'une enquête ou, étant au Canada, d'une mesure de renvoi.

(3) An officer or the Immigration Division may impose any conditions, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions, that the officer or the Division considers necessary on a permanent resident or a foreign national who is the subject of a report, an admissibility hearing or, being in Canada, a removal order.

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l'immigration rend telle des décisions suivantes :

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

a) reconnaître le droit d'entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

(a) recognize the right to enter Canada of a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act, a person registered as an Indian under the Indian Act or a permanent resident;

b) octroyer à l'étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu'il se conforme à la présente loi;

(b) grant permanent resident status or temporary resident status to a foreign national if it is satisfied that the foreign national meets the requirements of this Act;

c) autoriser le résident permanent ou l'étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

(c) authorize a permanent resident or a foreign national, with or without conditions, to enter Canada for further examination; or

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l'étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n'est pas prouvé qu'il n'est pas interdit de territoire, ou contre l'étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu'il est interdit de territoire.

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.


[7]                La lecture de l'alinéa 36(1)a) de la Loi révèle qu'emporte interdiction de territoire pour grande criminalité la déclaration de culpabilité d'un résident permanent quant à une infraction punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans, ou à une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois a été infligée.

[8]                Aux termes du paragraphe 44.(1) de la Loi, s'il estime qu'un résident permanent est interdit de territoire, l'agent d'immigration peut établir un rapport circonstancié, qu'il transmet au ministre. S'il estime le rapport bien fondé, le ministre ou son représentant a alors le pouvoir discrétionnaire de décider ou non, en vertu du paragraphe 44.(2) de la Loi, de déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête. Dans le cadre d'une enquête, l'agent d'audience doit prendre une mesure de renvoi contre le résident permanent s'il l'estime interdit de territoire, tel que le prévoit l'article 45 de la Loi.

[9]                Alors qu'en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, le résident permanent avait le droit d'en appeler d'une décision d'interdiction de territoire, l'article 64 de la nouvelle Loi prévoit, pour sa part, que le résident permanent ne peut interjeter appel de la décision de la Section de l'immigration si lui a été infligée une peine d'au moins deux années d'emprisonnement. La personne visée par une mesure de renvoi peut, malgré tout, présenter au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration une demande d'examen des risques avant renvoi. Elle peut en outre, en vertu de l'article 25 de la Loi, demander au ministre la prise de mesures d'exception en raison de circonstances d'ordre humanitaire.


[10]            1re question en litige -    L'agent d'audience Cobb a-t-il enfreint des règles d'équité procédurales n'informant pas le demandeur qu'un rapport visé au paragraphe 44(1) était établi et en ne lui fournissant pas l'occasion de présenter des observations écrites à ce sujet?

[11]            Le juge Phelan a examiné cette question dans Correia c. Canada (M.C.I.), [2004] F.C.J. n ° 964, aux paragraphes 19 à 27 :

19 Le paragraphe 44(1) touche deux actions différentes de l'agent. Premièrement, l'agent peut prendre une décision à l'égard de l'interdiction de territoire puis, deuxièmement, il peut décider s'il établit un rapport.

20 La décision d'établir un rapport doit être évaluée en prenant en compte la toile de fond de la section de la Loi qui a comme but le renvoi de certaines personnes du Canada. Le pouvoir discrétionnaire qui consiste à ne pas préparer un rapport doit être extrêmement limité et rare sans quoi il donnerait aux fonctionnaires un pouvoir discrétionnaire d'un niveau que même le ministre responsable n'a pas.

21 Peu importe l'étendue de ce pouvoir discrétionnaire dans un cas particulier quant à différents motifs d'interdiction, à l'égard de la grande criminalité, il n'appartient pas à l'agent, par son refus d'émettre son avis, d'effectivement conclure qu'une personne est « admissible » pour un motif qui n'est pas relié à de la grande criminalité.

22 Aux fins du rapport établi suivant le paragraphe 44(1), il s'agit d'un rapport réservé aux cas de rapport « circonstancié » . Dans le cas de grande criminalité, ce rapport circonstancié touche aux circonstances qui ont entraîné la déclaration de culpabilité.

23 La nature de l'enquête ne touche pas les questions d'ordre humanitaire, de réhabilitation ou d'autres facteurs semblables. Il s'agit d'une enquête très limitée qui est essentiellement une confirmation que la déclaration de culpabilité a effectivement été prononcée. Par la suite, le processus de renvoi est entamé.

24 Il peut être fait une distinction entre l'enquête à l'égard de la grande criminalité et celle se rapportant à la criminalité organisée, aux motifs sanitaires ou à une fausse déclaration. Relativement à ces autres motifs d'interdiction de territoire, les fonctionnaires sont tenus de faire une appréciation tant à l'égard des faits qu'à l'égard du droit. Par conséquent, la nature de ces enquêtes est passablement différente de l'enquête très directe à l'égard de la grande criminalité.

25 Bien que l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Kindles c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34, soit un peu moins pertinent compte tenu de la nouvelle disposition de la Loi, l'analyse de base du processus demeure pertinente dans le contexte de la grande criminalité. Comme la Cour d'appel fédérale a mentionné, l'enquête est purement factuelle et administrative par sa nature.


26 Une comparaison des dispositions pertinentes de l'ancienne Loi sur l'immigration et de celles de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés révèle encore plus que le législateur avait l'intention de réduire le nombre de questions devant être examinées par des fonctionnaires et de limiter les domaines pour lesquels le résident permanent peut demander réparation.

27 Étant donné que l'interdiction de territoire pour raison de grande criminalité suivant le paragraphe 44(1) est fondée sur la déclaration de culpabilité et sur la sentence elle-même, l'opinion de l'agent est de la même façon limitée à l'obtention des renseignements démontrant que la déclaration de culpabilité et la sentence ont été prononcées. Les faits du « rapport circonstancié » dans le contexte du rapport au ministre ou au représentant sont l'existence de la déclaration de culpabilité et la durée de la sentence.         

                                                                                                                                                          [Non souligné dans l'original.]                         

[12]            Dans Baker c. Canada (M.C.I.) (1999), 177 D.L.R. (4th) 1, la juge L'Heureux-Dubé fait état de plusieurs facteurs pertinents aux fins de déterminer, dans un contexte particulier, le contenu de l'obligation d'équité procédurale :

- la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

- la nature du régime législatif;

- l'importance de la décision pour la personne visée;

- les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

- le choix de procédure que l'organisme fait lui-même.


[13]            Bien que la décision dont il s'agit soit de première importance pour l'intéressé, il faut également remarquer que le libellé de la Loi ne justifie en rien l'attente légitime que tout un éventail de garanties procédurales soient fournies. Si l'on applique les critères énoncés dans Baker (précitée), tout en ayant présente à l'esprit la nature de la décision concernée, tel que le juge Phelan l'a si bien circonscrite dans Correia (précitée) - elle est liée à la question de savoir si une déclaration de culpabilité a été prononcée et quelle sentence a été infligée -, on doit manifestement déduire que l'obligation d'équité procédurale est peu contraignante dans le cadre de l'établissement du rapport initial prévu au paragraphe 44.(1). L'agent Cobb n'a donc pas commis d'erreur en n'informant pas le demandeur qu'on envisageait d'établir un rapport; le demandeur n'était pas non plus investi du droit de présenter des observations écrites avant que la décision ne soit prise.

[14]            2e question en litige - L'agente d'immigration Ho a-t-elle enfreint des règles d'équité procédurale en n'informant pas le demandeur que son affaire était déférée pour enquête et en ne lui fournissant pas l'occasion de présenter des observations écrites avant que soit prise la décision de déférer?

[15]            La décision que l'on prend en vertu du paragraphe 44(2) de déférer une affaire pour enquête à la Section de l'immigration est très semblable à celle qui pouvait être prise en vertu de l'article 27 de l'ancienne Loi sur l'immigration. Or, au sujet de la nature de la décision de déférer, le juge MacGuigan a formulé les observations suivantes dans Canada c. Kindler, [1987] 3 C.F. 34, à la page 39 :

8 Il est de droit bien établi au Canada, à tout le moins depuis l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S. 602, aux pages 626 à 629, que, sauf en ce qui a trait aux décisions purement législatives, il existe, selon les termes du juge Dickson (c'était alors son titre), une « obligation générale d'agir avec équité qui incombe à toutes les instances décisionnelles publiques » , mais qu'il y a « un élément d'équité dans la procédure dont l'intensité variera suivant sa situation dans le spectre administratif » . Avant la Charte canadienne des droits et libertés, à l'extrémité la plus purement administrative de ce spectre, l'objet de l'obligation d'équité se trouvait donc réduit au minimum.


9 La décision visée en l'espèce me semble appartenir précisément à cette catégorie. Selon moi, que l'on considère la décision du sous-ministre d'adresser une directive prévoyant la tenue d'une enquête à un agent d'immigration supérieur conformément au paragraphe 27(3), ou la décision subséquente prise par un agent d'immigration supérieur conformément au paragraphe 27(4) de faire tenir cette enquête, ou la décision parallèle prise par un tel agent conformément à l'article 28 de faire tenir une enquête, la décision examinée a un caractère purement administratif. L'agent d'immigration supérieur n'a même pas à réfléchir au sujet de la question en jeu; il est simplement l'intermédiaire qui, selon la Loi, déclenche la tenue de l'enquête. Le sous-ministre a seulement à décider que la tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire sur le fondement d'une preuve prima facie. Sa décision est analogue à celle d'un procureur de la poursuite concluant qu'il poursuivra une accusation devant les tribunaux.                                                                                  [Non souligné dans l'original.]               

[16]            Le juge MacGuigan a ajouté ce qui suit, à la page 40, relativement à l'obligation d'équité procédurale :

12 À l'égard, il m'apparaît des plus importants que les décisions visées constituent simplement des décisions prises au sujet de (with respect to) l'intimé, et non contre celui-ci. En fait, on pourrait dire que de telles décisions favorisent ce dernier, puisque celui-ci non seulement a droit à une audition mais, en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi, peut être représenté par un avocat. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une décision privant l'intimé de sa vie, de sa liberté, de la sécurité de sa personne ou même de ses biens, de sorte qu'elle n'est pas visée par le principe selon lequel « une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne » , dont l'application était confirmée par la Cour suprême dans l'arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653 (les soulignements sont ajoutés).

13 En fait, j'estime qu'il serait ridicule d'exiger même que, dans de telles circonstances, il soit permis à l'intimé de présenter des arguments par écrit concernant la décision d'accorder une audition. Si telle était la loi, pourquoi une audition antérieure ne serait-elle pas tenue relativement à cette décision de tenir une audition, et ainsi de suite, en reculant à l'infini? Pourvu que les décisions officielles aient été prises de bonne foi, je ne vois par comment elles pourraient porter atteinte à l'équité, et le juge de première instance a conclu que la preuve ne révèle aucune mauvaise foi.

[17]            Ces principes s'appliquent également à la décision de l'agente Ho de déférer l'affaire en vertu du paragraphe 44(2). L'agente a décidé que l'affaire du demandeur devait être déférée pour enquête. Sa décision ne touchait pas les droits du demandeur, et elle a été prise « au sujet (with respect to) [du demandeur], et non contre celui-ci » . L'enquête visait à établir si le demandeur était ou non interdit de territoire. À l'enquête, le demandeur disposait du droit d'être représenté par un avocat. On n'a enfreint aucune règle d'équité en ne fournissant pas à l'avocat l'occasion de présenter des observations que l'affaire ne soit déférée.

[18]            Le régime de la Loi est clair. Le paragraphe 44(1) prévoit l'établissement d'un rapport au sujet d'un résident permanent estimé interdit de territoire. Le paragraphe 44(2), pour sa part, prévoit qu'on peut déférer le rapport pour enquête. L'article 45, enfin, traite de l'enquête et des décisions pouvant être prises après qu'on y a procédé. Malgré le recours au mot « peut » aussi bien au paragraphe 44(1) que 44(2), le pouvoir alors conféré à l'agent d'immigration est de portée très étroite. Je souscris à la description que le juge Phelan donne, dans Correia (précitée), aux fonctions exercées en vertu des paragraphes 44(1) et 44(2) :

20 La décision d'établir un rapport doit être évaluée en prenant en compte la toile de fond de la section de la Loi qui a comme but le renvoi de certaines personnes du Canada. Le pouvoir discrétionnaire qui consiste à ne pas préparer un rapport doit être extrêmement limité et rare sans quoi il donnerait aux fonctionnaires un pouvoir discrétionnaire d'un niveau que même le ministre responsable n'a pas.

21 Peu importe l'étendue de ce pouvoir discrétionnaire dans un cas particulier quant à différents motifs d'interdiction, à l'égard de la grande criminalité, il n'appartient pas à l'agent, par son refus d'émettre son avis, d'effectivement conclure qu'une personne est « admissible » pour un motif qui n'est pas relié à de la grande criminalité.

22 Aux fins du rapport établi suivant le paragraphe 44(1), il s'agit d'un rapport réservé aux cas de rapport « circonstancié » . Dans le cas de grande criminalité, ce rapport circonstancié touche aux circonstances qui ont entraîné la déclaration de culpabilité.

...........

29 De la même façon, le représentant, lorsqu'il détermine si le rapport est « bien fondé » , est limité dans son examen aux faits pertinents de la déclaration de culpabilité et de la sentence.

30 Il n'a été invoqué aucun motif qui aurait justifié que le ministre ou le représentant n'ait pas déféré le rapport à la Section de l'immigration. L'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre n'a pas pour effet que soit effectué un examen des raisons d'ordre humanitaire, comme l'a confirmé la Cour d'appel fédérale.


[19]            Ce n'est que dans des cas vraiment exceptionnels que ce pouvoir serait exercé. Ce pourrait être le cas, par exemple, lorsqu'un résident permanent a déjà été déclaré coupable d'un crime grave, qu'une mesure d'expulsion a été prise puis qu'il y a eu récidive. L'un ou l'autre agent pourrait alors exercer le pouvoir discrétionnaire dont il dispose de ne pas établir de rapport ou de ne pas déférer l'affaire puisqu'il pourrait alors y avoir double emploi. Mis à part de telles situations de nature exceptionnelle, les décisions en vertu des paragraphes 44(1) et 44(2) constituent des décisions administratives courantes. Les questions liées à des considérations humanitaires ou à la sécurité du demandeur ont manifestement pour lui un caractère essentiel. Ces questions sont cependant hors de propos dans le cadre de procédures administratives courantes. On prévoit plutôt pour ces questions des mécanismes spécifiques dans la Loi, la première à l'article 25, la seconde à l'article 112.

[20]            Pour résumer, comme les décisions prises en vertu des paragraphes 44(1) et 44(2) sont de nature administrative et courante et comme il n'y a pas eu mauvaise foi ou irrégularité d'un autre ordre, je ne vois pas comment ne pas donner à l'avocate du demandeur l'occasion de présenter des observations avant que l'une ou l'autre décision ne soit prise pourrait constituer la violation d'une obligation d'équité procédurale. Cela vaut, quelle que soit la norme de contrôle applicable (les parties étaient d'avis contraire à ce sujet, l'une favorisant la norme de la décision raisonnable simpliciter et l'autre celle de la décision manifestement déraisonnable). Il n'y a aucun motif, par conséquent, pour accueillir l'une ou l'autre des demandes sous examen.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que soient rejetées les demandes IMM-10144-03 et IMM-10145-03.

                                                                                                          _ Konrad W. von Finckenstein _           

                                                                                                                                                     Juge                                   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   IMM-10144-03

IMM-10145-03

INTITULÉ :                                                    SIN LOCK LEONG c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DE L'ORDONNANCE :                    LE 11 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Wendy Bouwman Oake                                                            POUR LE DEMANDEUR

R. Keith Reimer                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew March & Oake                                                            POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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