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Date : 20040614

Dossier : T-879-02

Référence : 2004 CF 863

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                             HORST KROLL ET

                                                 KROLL'S AUTO SERVICE LTD.

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                                             REVENU CANADA

                              ACCISE, DOUANES ET IMPÔT, DIVISION DE LA TPS

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un représentant du ministre du Revenu national (le ministre), datée du 9 mai 2002. Dans cette décision, le directeur du bureau des services fiscaux de Toronto-Est de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) a déterminé que M. Kroll ne devait pas être libéré de l'obligation de payer les pénalités imposées sur la taxe sur les produits et services (la TPS) due pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2001. Les demandeurs demandent que l'affaire soit renvoyée au défendeur pour nouvel examen et demandent également les dépens sur une base indemnitaire substantielle.

LE CONTEXTE

[2]                M. Horst Kroll est le principal propriétaire et exploitant de Kroll's Auto Service Ltd. (Kroll Auto), un atelier de vente, de service et de réparation d'automobiles. M. Kroll, de même qu'un certain Dan Barnabe, décrit comme un actionnaire de l'entreprise, ont comparu en tant que plaideurs non représentés lors de l'audition de la présente affaire.

[3]                À l'époque où la TPS a été introduite, Mme Beadle, une employée de Kroll Auto, avait la charge de préparer et de produire les déclarations de taxe pour l'entreprise. Mme Beadle et M. Horst avaient des liens personnels étroits. Le ou vers le 30 avril 1991, Mme Beadle a produit la déclaration de TPS initiale pour Kroll Auto, rapportant un crédit de 13 025,80 $, ce qui a occasionné un remboursement de 9 937,32 $.

[4]                Mme Beadle est décédée dans un accident d'automobile le 26 mai 1991. M. Horst a déclaré dans son affidavit déposé en l'instance qu'il avait été atterré par la mort subite de Mme Beadle et que, du fait de son absence, il avait été débordé de travail avec la gestion de certains aspects de l'entreprise. M. Kroll a reçu le remboursement de 9 937,32 $.

[5]                Après le décès de Mme Beadle, l'ADRC a demandé que le demandeur fournisse des documents pour étayer les chiffres contenus dans cette déclaration de TPS. M. Kroll n'a pas répondu à la correspondance de l'ADRC et, en raison de l'omission du demandeur, l'ADRC a refusé d'accorder le crédit de TPS. Un comptable engagé par M. Kroll pour remplacer Mme Beadle a tenté de s'opposer au refus mais son opposition a été rejetée par l'ADRC parce qu'elle avait été déposée en retard.

[6]                En 1995, un autre comptable engagé par M. Horst a tenté de déclarer le remboursement en tant que crédit de taxe sur les intrants (CTI) sur la déclaration de Kroll Auto pour la période se terminant le 31 décembre 1995. Suite à une vérification, l'ARDC a refusé la demande de CTI. Le demandeur a alors déposé une opposition à l'égard de ce refus. Lors d'une rencontre avec le comptable du demandeur, un agent de l'ADRC l'a avisé que le montant aurait dû être réclamé à titre de remboursement de la taxe de vente fédérale d'une manière particulière, la date limite étant le 31 décembre 1991. L'ADR a confirmé le refus du CTI. L'affaire a ensuite été acheminée au « comité d'équité » de l'ADRC pour examen.

[7]                Dans une lettre datée du 11 janvier 2001, l'ADRC a refusé de libérer le demandeur de l'obligation de payer les pénalités et les intérêts imposés sur son compte TPS. Le demandeur a alors demandé un examen administratif de cette décision, lequel a donné lieu à la décision faisant l'objet du présent contrôle.


La décision faisant l'objet du contrôle

[8]                La décision d' « équité » faisant l'objet du contrôle a complètement libéré M. Kroll de l'obligation de payer les intérêts imposés sur son compte TPS pour la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 2001 ainsi que les pénalités imposées sur son compte TPS pour la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1994. Toutefois, l'ADRC ne l'a pas libéré de l'obligation de payer les pénalités imposées sur son compte TPS pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2001.

[9]                Après avoir examiné un rapport du Comité d'examen de l'équité/TPS daté du 15 janvier 2002, l'ADRC a décidé que, en raison des difficultés financières auxquelles le demandeur faisait face, de même que de la perturbation causée par le décès de Mme Beadle, tant à lui-même personnellement qu'à sa société, la libération décrite ci-dessus était justifiée. Toutefois, comme le demandeur n'avait pas expliqué pourquoi il avait omis de produire 17 des 27 déclarations de TPS exigibles pour la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2001 aux dates fixées qui leur étaient applicables, alors qu'il avait retenu les services d'un nouveau comptable à compter de 1995, aucun ajustement n'a été accordé à l'égard des pénalités imposées pour la période de 1995 à 2001.


LA QUESTION EN LITIGE

[10]            Le représentant du ministre a-t-il violé un principe d'équité procédurale ou a-t-il commis une erreur de droit en rendant la décision faisant l'objet du contrôle?

ANALYSE DES ARGUMENTS DES PARTIES

[11]            Le demandeur fait valoir que le [traduction] « flot de pénalités » imposées par l'ADRC sur son compte TPS découlait en totalité de son omission originale de produire les déclarations en temps utile en 1991 en raison du décès de Mme Beadle et que les pénalités et les intérêts à compter de 1995 sont tous directement liés à cette erreur. Par conséquent, le demandeur fait valoir que le défendeur aurait dû renoncer à l'ensemble des pénalités et des intérêts, compte tenu de la grande épreuve qu'il a endurée, à savoir un grave trouble émotionnel résultant du décès de Mme Beadle. Il fait référence à une note de service explicative émise par le ministère défendeur qui mentionne que le ministère examinerait la possibilité d'annuler les intérêts ou la pénalité payables, ou d'y renoncer, dans les cas où, en raison de circonstances exceptionnelles hors du contrôle d'une personne, celle-ci se serait vue empêchée de satisfaire aux exigences relatives au paiement de la TPS.


[12]            Le défendeur fait toutefois valoir qu'aucune erreur susceptible de révision justifiant l'intervention de la Cour n'a été commise en l'espèce. Rien n'indique que le représentant du ministre a violé les principes d'équité procédurale ou qu'il a commis une erreur de droit en rendant cette décision essentiellement discrétionnaire. Après avoir examiné tous les documents dont je dispose, je souscris à l'opinion du défendeur.

[13]            L'article 281.1 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d'annuler les pénalités ou les intérêts dus en vertu de la Loi, ou d'y renoncer. Toutefois, cet article ne lui donne pas le pouvoir discrétionnaire de renoncer au principal de la taxe payable en vertu de la Loi :


281.1 (1) Le ministre peut annuler les intérêts payables par une personne en application de l'article 280, ou y renoncer.

281.1 (1) The Minister may waive or cancel interest payable by a person under section 280.

(2) Le ministre peut annuler la pénalité payable par une personne en application de l'article 280, ou y renoncer.

(2) The Minister may waive or cancel penalties payable by a person under section 280.


[14]            Il est bien établi dans la jurisprudence que les décisions d' « équité » rendues dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), de même que dans le cadre de la loi en cause en l'espèce, la Loi sur la taxe d'accise, sont assujetties à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable : Sharma c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2001] 3 C.T.C. 169 (C.F. 1re inst.), Cheng c. Canada, [2001] 4 C.T.C. 190 (C.F. 1re inst.), Miller c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2004] A.C.F. no 32 (C.F.) (QL) et Nail Centre and Esthetics Salon c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2004] A.C.F. no 685 (C.F.) (QL).


[15]            Dans la décision Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1995] A.C.F. no 349 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 8, 10 et 11, le juge Rouleau a décrit le but visé par les examens fondés sur l'équité dans le stratagème fiscal fédéral :

L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de circonstances échappant à leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées [...]

[...]

Je suis incapable de conclure, d'après les faits en cause, que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire irrégulièrement en l'espèce. Le requérant a eu la possibilité de faire des observations sur les motifs pour lesquels il devrait y avoir renonciation aux intérêts et le ministre disposait, étant donné la longueur de l'affaire, de tous les faits pertinents qui lui étaient nécessaires pour étayer une décision motivée et objective. [...] Lorsque le ministre n'a pas agi de mauvaise foi, qu'il n'a violé aucun principe de justice naturelle ni pris en considération des facteurs étrangers ou inappropriés, rien ne justifie la Cour d'intervenir dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Je suis incapable de conclure à l'existence d'aucune de ces situations en l'espèce.

[...] Chaque cas doit être décidé selon son bien-fondé, de sorte qu'il puisse être tenu compte des circonstances propres à chaque contribuable. Le fait que l'intimé ait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon différente à l'égard de divers contribuables n'indique pas la mauvaise foi de sa part. [...]

Bien que la décision Kaiser, précitée, traite de la disposition d'équité dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce raisonnement s'applique également au but de l'article 281.1 de la Loi sur la taxe d'accise.


[16]            Le dossier dont la Cour est saisie comprend un affidavit du directeur du bureau des services fiscaux de Toronto-Est de l'ADRC, le décideur en l'espèce. Je suis convaincu que le directeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, qu'il n'a tenu compte que des considérations pertinentes et que sa décision définitive n'est pas manifestement déraisonnable, étant étayée par le fait que le demandeur a continuellement produit de nombreuses déclarations de TPS en retard après avoir engagé un nouveau comptable en 1995, soit presque quatre ans après le décès de Mme Beadle. Il n'y a pas non plus d'allégation ou d'indication comme quoi l'ADRC a violé les principes d'équité procédurale en traitant le cas du demandeur. Il est survenu une suite d'événements malheureux mais il n'y a aucun motif d'intervention de la part de la Cour en l'espèce.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

                                                                         _ Richard G. Mosley _            

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-879-02

INTITULÉ :                                           HORST KROLL ET KROLL'S AUTO SERVICE LTD.

c.

REVENU CANADA

ACCISE, DOUANES ET IMPÔT, DIVISION DE LA TPS

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 10 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 14 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Horst Kroll                                              POUR LES DEMANDEURS

Dan Barnabic                                           (Pour leur propre compte)

Suzanne Bruce                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Horst Kroll                                              POUR LES DEMANDEURS

Dan Barnabic                                           (Pour leur propre compte)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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