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Date : 20020207

Dossier : IMM-348-01

Référence neutre : 2002 CFPI 140

ENTRE :

                                                              LAKHWINDER KAUR

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 La demanderesse sollicite l'annulation d'une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, en date du 28 décembre 2000, de lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse, qui est née le 1er avril 1971, est citoyenne de l'Inde. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée en raison des opinions politiques qui lui sont attribuées et de son appartenance à un groupe social.

[3]                 Elle est arrivée à Toronto, en Ontario, le 19 juillet 1999 et elle a revendiqué le statut de réfugié à Montréal, le 26 juillet 1999. Sa situation est résumée dans les paragraphes qui suivent.

[4]                 Elle a épousé Parsem Singh en mars 1988. Entre mai 1988 et décembre 1991, la demanderesse et son époux ont été harcelés et maltraités par la police indienne parce qu'ils étaient suspectés d'aider des militants. Par surcroît, le beau-père de la demanderesse est décédé en août 1990 [traduction] « parce que la police l'avait torturé » et, en décembre 1991, son mari a été tué par la police [traduction] « dans un faux affrontement » . Au cours de cette même période, la demanderesse, son mari et d'autres membres de la famille ont été battus et maltraités par la police.

[5]                 En février 1992, la demanderesse est entrée à l'Institut médical de formation en soins infirmiers du Pendjab. Après ce programme d'étude d'une durée de 18 mois, elle a commencé à chercher du travail et elle a terminé ses études secondaires. De juin 1994 à avril 1996, elle a travaillé comme infirmière à l'hôpital Chitra. En mai 1996, elle est allée travailler à l'hôpital Baath à Jalandhar.


[6]                 Selon la demanderesse, la police continuait de harceler ses proches et, dans les mêmes circonstances, de s'enquérir à son sujet apparemment. La demanderesse a changé d'emploi et commencé à travailler à l'hôpital Chawla, toujours comme infirmière. Pendant qu'elle travaillait à cet endroit, un homme du village de Sansarpur, qui était un de ses patients, lui a demandé si elle voulait épouser son fils, Sukhjit Singh. Celui-ci venait parfois visiter son père et la demanderesse avait eu l'occasion de le rencontrer et de discuter avec lui de la possibilité d'un mariage. Après en avoir discuté avec ses parents, qui ont consenti au mariage, la demanderesse a ensuite informé Sukhjit Singh qu'elle acceptait de l'épouser. Le mariage a lieu le 16 avril 1997.

[7]                 Selon la demanderesse, en août 1998, une personne de passage à l'hôpital pour visiter un ami ou un proche l'a reconnue et savait qu'elle avait déjà été mariée à un homme soupçonné de militantisme. Peu de temps après, au dire de la demanderesse, la police a fait irruption à l'aube dans sa résidence, située à Sansarpur, le 19 août 1998. Elle prétend qu'elle et son mari ont été torturés et que la police l'a accusée d'avoir vécu [traduction] « dans la clandestinité » en vue d'aider les militants. La demanderesse est d'avis que la police la recherchait [traduction] « depuis longtemps » . Son mari, selon ce qu'elle prétend, a également été torturé et la police l'a accusé d'avoir marié la femme d'un militant. Elle a ensuite perdu son emploi parce que son employeur a été mis au courant de son passé. Le 2 juin 1999, la police est revenue chez elle pour l'arrêter avec son mari et son beau-père. Elle et son mari ont été torturés et libérés après sept jours. Apparemment, son beau-père a été libéré le jour suivant son arrestation.


[8]                 Pour ces raisons, la demanderesse et son mari ont décidé de quitter l'Inde et ont pris des arrangements à cet effet avec un agent. Le plan consistait à envoyer d'abord la demanderesse au Canada, puis son mari peu de temps après. Le 19 juillet 1999, la demanderesse a pris un vol en partance de New Delhi, accompagnée de son agent. Elle est arrivée le même jour à Toronto et, le 26 juillet, elle a demandé le statut de réfugié à Montréal. Elle dit avoir cherché à savoir ce qu'il était advenu de son mari. On l'a informée que la police avait [traduction] « fait une descente » chez l'agent à New Delhi et que son mari avait été arrêté. La demanderesse affirme ne pas avoir eu de nouvelles de son mari depuis.

[9]                 Après avoir examiné la preuve, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas droit au statut de réfugié principalement parce que « des éléments essentiels » de son récit n'étaient pas vraisemblables. Aux pages 2 et 3 de ses motifs, la Commission a fait état de ce qui suit :

Après avoir analysé toute la preuve, tant orale qu'écrite, le tribunal en arrive à la conclusion que la revendicatrice n'est pas une réfugiée au sens de la Convention pour les motifs suivants.

Le tribunal a fait l'appréciation de la preuve et estime que ce qui en constitue l'élément central est invraisemblable. La revendicatrice, après la mort de son premier conjoint, a mené une vie somme toute normale. Les difficultés inhérentes à son état de veuve ont été décrites dans son témoignage et par la preuve. Elle a néanmoins réussi à refaire sa vie en obtenant un diplôme d'infirmière et un emploi et en se remariant. Elle a prétendu qu'elle est devenue la cible de la police après les événements d'août 1998 : ce sont là des allégations qu'il est impossible de croire tant elles paraissent farfelues. La preuve montre qu'après la mort de son premier conjoint, elle n'a pas eu à subir de harcèlement de la part de la police et qu'après 1992 la police s'est contentée d'interroger ses parents à son sujet, rien de plus. Le tribunal juge invraisemblable que la police, au moment où l'activisme était à son maximum, se soit contentée de s'informer au sujet de la revendicatrice, rien d'autre, pour ensuite, en 1998, tout à coup, en faire une véritable cible, l'arrêter et lui faire subir des sévices. Le récit de la revendicatrice ne concorde pas avec la réalité que décrit la preuve documentaire portant sur la situation qui prévaut dans le Pendjab aujourd'hui. La preuve documentaire montre qu'en 1992 la police avait écrasé les militants activistes et que son action, après cette date, visait les militants notoires. Selon la revendication présentée, le premier conjoint de la revendicatrice, un activiste présumé, a été tué en 1991. La revendicatrice ne fait pas partie de la catégorie des personnes en danger.

[10]            La Commission a ensuite étayé ses conclusions en faisant référence à la preuve documentaire se rapportant au Pendjab, ce qui l'a amenée à faire l'observation suivante à la page 4 :

Le tribunal n'a aucune raison de mettre en doute l'opinion de ces experts et constate que la revendicatrice ne correspond à aucun des profils qui la rendraient suspecte aux yeux de la police si elle devait retourner en Inde.

[11]            Mme Rochester, avocate de la demanderesse, soutient que la Commission a commis un certain nombre d'erreurs en concluant que sa cliente n'avait pas droit au statut de réfugié. Elle allègue particulièrement que la Commission a commis les erreurs suivantes : (1) elle n'a pas considéré l'intégralité de la preuve dont elle disposait; (2) elle n'a pas tenu compte du rapport médical, daté du 11 novembre 2000, préparé par le Dr Donghier (pièce P-15), ni des documents personnels de la revendicatrice (pièces P-1 à P-12); (3) elle a conclu que le profil de la revendicatrice n'était pas susceptible d'attirer l'attention de la police si elle retournait en Inde.

[12]            Mme Rafai Far, avocate du défendeur, prétend que la conclusion selon laquelle une partie importante du récit de la demanderesse n'était pas vraisemblable est entièrement soutenue par la preuve au dossier. Par conséquent, elle soutient que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


[13]            Le point de départ, en ce qui a trait au manque de vraisemblance, est l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, de la Cour d'appel fédérale, dans lequel M. le juge Décary a fait les observations suivantes, au nom de la Cour, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité le caractère déraisonnable d'une décision peut-être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau. [Non souligné dans l'original.]

[14]            Les conclusions et les inférences tirées par la Commission dans la présente affaire sont-elles déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour? À mon avis, ce n'est pas le cas.

[15]            La Commission n'a pas cru que la police aurait pu soudainement, en 1998, après n'avoir rien fait pendant plusieurs années, s'intéresser activement au cas de la demanderesse. La Commission était de cet avis parce que, depuis le décès du mari de la demanderesse, en décembre 1991, la police n'avait démontré aucun intérêt, de quelque nature que ce soit, à son égard. Après avoir tiré cette conclusion, la Commission a jugé que le récit de la demanderesse « ne concorde pas avec la réalité que décrit la preuve documentaire portant sur la situation qui prévaut dans le Pendjab aujourd'hui » .

[16]            Que l'opinion selon laquelle le récit de la demanderesse ne concorde pas avec la réalité soit soutenue ou non par la preuve documentaire, je suis néanmoins d'avis, compte tenu de la preuve, que la conclusion de la Commission quant au manque de vraisemblance de l'intérêt manifesté par la police envers la demanderesse en 1998 n'est certainement pas déraisonnable.

[17]            En tirant cette conclusion, la Commission semble avoir accepté, ou du moins ne pas avoir contesté, l'allégation selon laquelle, entre 1988 et 1991, la demanderesse avait été maltraitée par la police parce que son premier mari était soupçonné d'être un militant. La Commission a cependant rejeté la partie de son récit commençant en août 1998.

[18]            Mme Rochester soutient que la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas fait état du rapport médical rédigé par le Dr Donghier (pièce P-15) et qu'elle ne lui a accordé aucune importance. Comme le médecin n'a pas indiqué à quel moment, dans le temps, la demanderesse avait subi des blessures, il est possible de supposer qu'elle les ait subies en 1998 ou en 1991, ou durant ces deux périodes. Comme la Commission n'a pas mis en doute le récit de la demanderesse concernant la période antérieure à 1992, le rapport du Dr Donghier peut être invoqué pour prouver les blessures subies à cette époque. Toutefois, il ne peut être utilisé pour faire la preuve pure et simple des mauvais traitements qui auraient été infligés à la demanderesse en 1998.


[19]            Puisque, à mon avis, la conclusion à laquelle la Commission en est venue concernant le manque de vraisemblance des événements de 1998 n'est pas déraisonnable, je ne peux lui reprocher de ne pas avoir fait allusion au rapport du Dr Donghier ou de ne pas lui avoir accordé d'importance. Par conséquent, dans les circonstances de l'espèce, la Commission n'a pas commis d'erreur en ne faisant pas référence au rapport du Dr Donghier.

[20]            En ce qui a trait à l'argument selon lequel la Commission avait omis de considérer ou d'analyser les pièces P-1 à P-12, je ne suis pas convaincu qu'il s'agit d'une erreur. Il est désormais reconnu comme règle élémentaire de droit que la Commission n'a pas, en principe, l'obligation de considérer chacune des questions factuelles ou d'analyser chacun des éléments de preuve présentés. Ce sont les circonstances particulières d'une affaire qui permettent de déterminer si un élément de preuve particulier doit être pris en compte et analysé. Dans la présente affaire, j'estime que les circonstances n'imposaient pas à la Commission qu'elle analyse quelque élément de preuve en particulier, y compris des pièces P-1 à P-12. Je dois mentionner que la Commission a précisé dans ses motifs que la preuve dont elle disposait incluait un rapport médical et certains documents personnels de la demanderesse. Ainsi, la Commission avait certainement pris acte de ces documents. M. le juge Hugessen a fait l'observation suivante dans l'arrêt Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598, no du greffe A-1307-91, en date du 11 juin 1993 :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.

[21]            Finalement, en ce qui a trait à la conclusion de la Commission au sujet du profil de la demanderesse, je dois avec regret conclure que l'argument de Mme Rochester n'a aucun fondement. À mon avis, son argument revient à dire qu'il est possible que sa cliente ait pu être soupçonnée et, par suite, arrêtée par la police. Ni moi ni la Commission ne pouvons être en désaccord avec cet argument. Cependant, ce n'est pas de cette question dont la Commission avait été saisie. Elle devait plutôt trancher si, à la lumière de toute la preuve, y compris la preuve documentaire, il était plausible que la demanderesse attire l'attention de la police et qu'elle soit, par conséquent, arrêtée. La Commission a conclu que cette situation n'était pas plausible. M. le juge Lutfy (maintenant juge en chef adjoint) a mentionné ce qui suit au paragraphe 9 de la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 25, no du greffe IMM-2803-95, en date du 10 janvier 1997 :

[9]            Le Tribunal, à mon avis, a reçu une preuve suffisante pour y appuyer sa décision concernant le changement de situation en Inde. Le dossier comporte aussi des éléments de preuve contraire sur la même question, y compris des lettres de la famille du requérant l'avertissant de ne pas retourner en Inde. Cependant, il n'appartient pas à la Cour de déterminer si une conclusion différente pouvait être tirée de l'analyse de cette même preuve. À mon avis, il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire dans la façon dont le Tribunal en est venu à sa décision.


[22]            En l'espèce, la preuve documentaire à laquelle la Commission a fait référence pour étayer sa conclusion n'appuie pas entièrement cette conclusion. Toutefois, l'essentiel s'y trouve et, à mon avis, cette preuve était certainement suffisante pour justifier la conclusion selon laquelle la demanderesse, à la lumière de toutes les circonstances, n'avait pas un profil susceptible d'attirer l'attention de la police. L'argument selon lequel certains éléments de la preuve documentaire auraient pu conduire à une conclusion différente n'est pas suffisant pour me permettre de conclure que la Commission a commis une erreur importante qui justifierait une intervention de la Cour.

[23]            Pour ces motifs, malgré les puissants arguments de Mme Rochester, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

   

« Marc Nadon »

ligne

                                                                                                                                              Juge

  

O T T A W A (Ontario)

Le 7 février 2002

   

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 20020207

Dossier : IMM-348-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 FÉVRIER 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE :

                                    LAKHWINDER KAUR

                                                                                          demanderesse

                                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est par les présentes rejetée.

                                                                                         « Marc Nadon »                

Juge                     

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER             

DOSSIER :                                                     IMM-348-01         

INTITULÉ :                          LAKHWINDER KAUER c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)   

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 30 JANVIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                  LE 7 FÉVRIER 2002

COMPARUTIONS :                 

Mme Vonnie E. Rochester              POUR LA DEMANDERESSE

Mme Sherry Rafai Far                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Vonnie E. Rochester              POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada           

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