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Date : 20050304

Dossier : T-1173-04

Référence : 2005 CF 318

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                               DOROTHEA KNITTING MILLS LTD.

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                          ET L'AGENCE DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                            défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dorothea Knitting Mills Ltd. (Dorothea) sollicite le contrôle judiciaire du refus du ministre du Revenu national et de l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) de donner suite à la demande présentée par Dorothea en vue d'obtenir un crédit pour la recherche scientifique et le développement économique (RSDE) pour l'année d'imposition 2001.

[2]                Dorothea affirme que l'ARC a commis une erreur en limitant de façon inappropriée le pouvoir discrétionnaire que lui attribuent les paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi).

Le contexte

[3]                Dorothea est un fabricant de tricot canadien. Cette société a retenu les services de Consulting Absha pour l'aider à demander des crédits d'impôt RSDE aux termes de la Loi pour les années d'imposition 2001 et 2002. La question en litige en l'espèce porte sur la demande de crédit RSDE présentée pour l'année d'imposition 2001.

[4]                Conformément au paragraphe 37(11) de la Loi, le contribuable qui demande un crédit RSDE doit déposer auprès de l'ARC un formulaire T661, annexe 31, en y joignant les renseignements techniques nécessaires. Ces renseignements doivent être déposés dans les 12 mois de la date de la déclaration d'impôt du contribuable pour l'année en question, à savoir dans un délai de 18 mois de la fin de l'année financière du contribuable.

[5]                En l'espèce, Dorothea a déposé le formulaire T661 pendant la période de 18 mois prévue et demandait un crédit d'impôt d'un montant de 566 495,50 $. Dorothea n'a toutefois pas déposé les renseignements techniques exigés au cours de la période fixée. Les renseignements techniques n'ont été transmis à l'ARC que plus trois mois après la date limite.

[6]                L'ARC a rejeté la demande de crédit RSDE pour le motif que Dorothea n'avait pas respecté les dispositions de la Loi.

[7]                Le 6 janvier 2004, Neyaz Shaheen de Absha Consulting a écrit à l'ARC pour le compte de Dorothea en demandant à l'ARC d'examiner à nouveau sa décision. D'après M. Shaheen, l'ARC avait déjà accepté des demandes de crédit RSDE pour lesquelles les renseignements techniques n'avaient pas été déposés en temps opportun, pourvu que le formulaire T661 ait été déposé dans le délai de 18 mois prescrit. M. Shaheen soutient que la modification qui semble avoir été apportée à la politique administrative de l'ARC sur ce point a entraîné une injustice pour Dorothea.

La décision du délégué du ministre

[8]                Dans une lettre datée du 17 mai 2004, le délégué du ministre a informé Dorothea qu'il n'exercerait pas son pouvoir discrétionnaire et ne réexaminerait pas la demande. La décision énonce :

[TRADUCTION]

Le paragraphe 220(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu accorde au directeur le pouvoir d'exercer une discrétion ministérielle et de réexaminer une demande lorsqu'il existe des circonstances atténuantes expliquant un dépôt tardif, lorsque le demandeur a pris des mesures raisonnables pour respecter la loi ou que celui-ci s'est fondé sur des renseignements écrits inexacts fournis par écrit par l'Agence.

[9]                Le délégué du ministre affirme ensuite :

[TRADUCTION]

Nous avons examiné votre dossier et les faits présentés dans votre courrier du 16 février 2004, et nous avons conclu qu'aucun de ces éléments ne s'appliquait à votre dossier. Par conséquent, votre demande de réexamen est rejetée.

La question en litige

[10]            L'ARC a-t-elle irrégulièrement limité le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

La norme de contrôle

[11]            Les décisions en matière d'équité fiscale sont de nature discrétionnaire. Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à ces décisions discrétionnaires est habituellement celle de la décision manifestement déraisonnable : voir Sharma c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 DTC 5360.

[12]            En l'espèce, la Cour n'est pas invitée à apprécier à nouveau les facteurs pris en compte par le délégué du ministre et à tirer une autre conclusion. La Cour doit plutôt établir si le délégué du ministre a commis une erreur en limitant le pouvoir discrétionnaire que lui attribuent les paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la Loi, en limitant de façon inappropriée les éléments susceptibles de justifier la renonciation à la condition relative au dépôt de documents.

[13]            À mon avis, cette question appelle l'examen des paramètres du pouvoir discrétionnaire confié par les dispositions pertinentes de la Loi. Il s'agit là d'une question de droit. Par conséquent, j'estime que la norme de contrôle appropriée en l'espèce est celle de la décision correcte.

Les dispositions législatives pertinentes

[14]            Les paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la LIR prévoient :


220 (2.1) Le ministre peut renoncer à exiger qu'une personne produise un formulaire prescrit, un reçu ou autre document ou fournisse des renseignements prescrits, aux termes d'une disposition de la présente loi ou de son règlement d'application. La personne est néanmoins tenue de fournir le document ou les renseignements à la demande du ministre.

220 (2.1) Where any provision of this Act or a regulation requires a person to file a prescribed form, receipt or other document, or to provide prescribed information, the Minister may waive the requirement, but the person shall provide the document or information at the Minister's request.

220 (3) Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi. Toutefois, il n'est pas tenu compte de la prorogation pour ce qui est du calcul d'une pénalité prévue à l'article 162 si la personne qui est passible de cette pénalité ne fait pas la déclaration dans le délai prorogé.

220 (3) The Minister may at any time extend the time for making a return under this Act. However, the extension does not apply for the purpose of calculating a penalty that a person is liable to pay under section 162 if the person fails to make the return within the period of the extension.


Analyse

[15]            Le défendeur m'a signalé plusieurs décisions qui permettent de soutenir que le contribuable ne peut invoquer le traitement que l'ARC a accordé à d'autres contribuables pour établir qu'il aurait dû être traité de la même façon : voir, par exemple, Ford Motor Co. of Canada c. Canada (Ministre du Revenu national), [1997] A.C.F. no 505 (C.A.F.) et Sunbeam Corp. (Canada) Ltd. c. Canada, [1993] A.C.F. no 1295 (C.F. 1re inst.).


[16]            À mon avis, cela ne répond pas à l'argument de Dorothea. Dorothea ne prétend pas que d'autres contribuables ont obtenu la prorogation du délai dans lequel ils pouvaient déposer les renseignements scientifiques à l'appui de leurs demandes de crédit RSDE et que, par conséquent, elle devrait également avoir le droit d'obtenir une telle prorogation. Dorothea soutient qu'auparavant, l'ARC autorisait les contribuables qui demandaient un crédit RSDE à déposer plus tard les documents à l'appui, pourvu que le formulaire T661 ait été déposé en temps opportun. Dorothea affirme s'être fiée à cette pratique antérieure, et qu'elle en a subi un préjudice.

[17]            Il ne s'agit pas de savoir ici si les arguments de Dorothea sont fondés. Il s'agit plutôt de savoir si le délégué du ministre a examiné correctement les arguments de Dorothea. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir aux articles de la Loi en litige ici.

[18]            Le paragraphe 220(3) s'applique aux demandes de prorogation du délai accordé pour le dépôt des déclarations aux termes de la Loi. Ce n'est pas l'aspect qui est en litige ici, et, par conséquent, je suis convaincue que le délégué du ministre n'a pas commis d'erreur en omettant de tenir compte de cette disposition dans son examen de la demande.


[19]            Pour ce qui est du paragraphe 220(2.1), si j'ai bien compris la décision du délégué du ministre, celui-ci a estimé qu'une demande de prorogation du délai ne peut être accordée que si le contribuable réussit à démontrer qu'il répond à une des trois conditions suivantes : l'existence de « circonstances atténuantes » , le fait que le contribuable ait pris des « mesures raisonnables » pour respecter la loi ou qu'il ait « agi en fonction de renseignements inexacts fournis par écrit par l'Agence » .

[20]            Il est difficile de savoir d'où viennent ces conditions. L'avocat du défendeur a très justement reconnu que ces conditions ne se trouvaient pas dans la législation applicable. On peut penser qu'il existe des lignes directrices ministérielles qui régissent ce type de demande d'équité mais aucunes lignes directrices de ce genre n'ont été présentées au tribunal.

[21]            Il s'agit donc de savoir si le délégué du ministre a limité de façon irrégulière l'examen de la demande de prorogation de délai présentée par Dorothea en examinant si les circonstances répondaient à une des trois conditions énoncées dans sa décision ou si le délégué du ministre s'est effectivement prononcé de façon indépendante sur le bien-fondé de la demande de Dorothea.

[22]            Le défendeur soutient que le délégué du ministre a examiné les arguments de Dorothea de façon équitable mais qu'il a néanmoins décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de Dorothea. Pour appuyer cet argument, le défendeur mentionne le fait que le délégué du ministre a fait expressément référence à la lettre de M. Shaheen dans sa décision.

[23]            La décision ne contient aucune analyse de l'argument présenté par Dorothea. La seule référence qui est faite à la thèse de Dorothea est la déclaration du délégué du ministre selon laquelle il a considéré les faits mentionnés dans le courrier du 16 février 2004 émanant de Dorothea. En fait, les arguments de Dorothea étaient exposés dans une lettre datée du 6 janvier 2004. Il s'agit peut-être là d'une erreur typographique, mais il est tout au moins possible de se demander si le délégué du ministre a bien examiné la lettre pertinente lorsqu'il a pris sa décision.

[24]            Cet aspect n'a pas été soulevé par Dorothea et n'est apparu qu'à la suite des questions posées par la Cour. Par conséquent, pour rester juste envers le défendeur, j'ai l'intention de procéder en me fondant sur l'hypothèse que le délégué du ministre a effectivement examiné les arguments présentés pour le compte de Dorothea le 6 janvier 2004.

[25]            Dans sa décision, le délégué du ministre affirme que les demandes de prorogation de délai « devraient être » fondées sur une des trois conditions mentionnées. Il ressort clairement de la lettre que la demande a été rejetée pour le motif que le délégué du ministre n'a pas estimé que la demande de Dorothea répondait à une de ces trois conditions. J'estime que cela constitue une erreur, étant donné qu'un examen du paragraphe 220(2.1) n'indique pas que le pouvoir discrétionnaire attribué au ministre est limité de cette façon.

[26]            Comme c'était le cas dans Kutlu c. Canada, [1997] A.C.F. no 197, le délégué du ministre semble avoir lui-même imposé ces conditions et les avoir élevées au statut d'éléments factuels déterminants. Comme le juge Joyal l'a noté dans Kutlu, « il n'y a rien dans la Loi permettant de ce faire et la jurisprudence est à l'encontre de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de cette façon » .

[27]            Il était loisible au délégué du ministre d'examiner l'argument présenté par Dorothea et de l'accepter ou de le rejeter, selon ce qu'il estimait approprié. Il n'était toutefois pas permis au délégué du ministre de rejeter la demande pour la simple raison qu'elle ne répondait pas à des conditions qui ne sont aucunement fondées sur les dispositions habilitantes.

[28]            Comme la Cour l'a noté dans Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national), [1995] A.C.F. no 349 (C.F. 1re inst.) (QL), dans les affaires d'équité fiscale, « chaque cas doit être décidé selon son bien-fondé, de sorte qu'il puisse être tenu compte des circonstances propres à chaque contribuable » .

Conclusion

[29]            Compte tenu du dossier qui m'est présenté, je ne suis pas convaincue que le délégué du ministre ait correctement examiné les arguments avancés par Dorothea. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. L'affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un autre délégué du ministre.

              « Anne L. Mactavish »              

Juge                             

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-1173-04

INTITULÉ :                                                          DOROTHEA KNITTING MILLS LTD.

c.

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

ET L'AGENCE DU REVENU DU CANADA

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 28 FÉVRIER 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                         LE 4 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Albert G. Formosa                                                  POUR LA DEMANDERESSE

(416) 365-1110

Annette Evans                                                         POUR LES DÉFENDEURS

(416) 973-9048

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WeirFoulds LLP                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Bureau 1600, The Exchange Tower

130, rue King ouest

Toronto (Ontario) M4P 1L3

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LES DÉFENDEURS

Ministère de la justice

130, rue King ouest

Bureau 3400, boîte 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6

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