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Date : 20051104

Dossier : T-2459-03

Référence : 2005 CF 1504

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

ENTRE :

AVENTIS PHARMA INC. et

AVENTIS PHARMA DEUTSCHLAND GmbH

demanderesses

 

 

et

 

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

INTRODUCTION

 

[1]                La présente demande d’Aventis Pharma Inc. et d’Aventis Pharma Deutschland GmbH (appelées collectivement Aventis), présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), sollicite i) une déclaration portant que la lettre d’Apotex Inc. (Apotex) en date du 10 novembre 2003 ne constitue pas un avis d’allégation (AA) au sens du Règlement et ii), subsidiairement, une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (ADC) à Apotex relativement aux capsules de ramipril pour administration orale à des concentrations de 1,25, 2,5, 5 et 10 mg avant l’expiration du brevet canadien no 1,246,457 (le brevet 457).

 

LES FAITS

 

a)                 Instance antérieure se rapportant au brevet 457

 

[2]                Ce n’est pas la première fois qu’Apotex envoie un AA relativement au brevet 457. En août 2003, environ trois mois avant l’envoi de l’avis présumé ayant donné naissance à la présente instance, Apotex a signifié un AA qui est devenu l’objet du dossier de la Cour portant le numéro T-1851-03 qui a été entendu en avril 2005 par la juge Simpson. Cette décision a été publiée le 11 octobre 2005.

 

[3]                Alors que l’instance antérieure était fondée sur l’allégation d’Apotex selon laquelle elle ne contreferait pas les revendications du brevet 457 parce que ses capsules seraient fabriquées, utilisées et vendues uniquement pour le traitement de l’hypertension, utilisation qui ne fait pas partie des revendications du brevet, la présente instance est fondée sur l’allégation d’Apotex selon laquelle les revendications en litige du brevet 457 (utilisation pour le traitement de l’insuffisance cardiaque) sont invalides pour cause d’antériorité, d’évidence et de double brevet.

 

b)                Examen des faits scientifiques

 

[4]                La présente instance concerne deux conditions médicales : l’insuffisance cardiaque et l’hypertension.

 

[5]                On entend par insuffisance cardiaque (et insuffisance cardiaque congestive) l’incapacité du cœur de pomper correctement assez de sang oxygéné pour répondre aux besoins de l’organisme. Il ne s’agit pas d’une entité clinique mais plutôt d’un syndrome dont les origines et les manifestations varient. Les patients dont la pression artérielle est normale peuvent en être atteints de même que ceux qui souffrent d’hypertension.

 

[6]                L’un des systèmes de l’organisme, le système rénine-angiotensine (SRA), joue un rôle important dans le traitement de l’insuffisance cardiaque comme de l’hypertension parce que ce système participe à la régulation du volume liquidien dans l’organisme et au maintien de la volémie, de la pression sanguine et de la pression artérielle.

 

[7]                En termes simples, les reins, en réponse à divers stimuli, produisent de la rénine, une enzyme qui convertit l’angiotensinogène (peptide présent dans l’organisme) en un décapeptide (peptide formé de dix acides aminés), l’angiotensine I (Ang I). Une autre enzyme particulière connue sous le nom d’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) induit la conversion de l’Ang I en angiotensine II (Ang II) (un octapeptide) par clivage de deux acides aminés. L’Ang II entraîne une vasoconstriction ou une réduction du calibre des vaisseaux sanguins, ce qui a pour effet d’élever la pression sanguine. Les inhibiteurs de l’ECA bloquent ou empêchent la conversion de l’Ang I en Ang II.

 

TÉMOIGNAGES D’EXPERTS

 

[8]                Aventis a présenté le témoignage des experts suivants.

 

[9]                Le Dr Gilles Dagenais, cardiologue à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de l’Hôpital Laval à Québec, était auparavant professeur et recteur de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Il était le vice-président des comités de direction des programmes HOPE et HOPE II, des études qui portaient sur les effets du ramipril en matière de prévention des crises cardiaques, des accidents cérébro-vasculaires, des décès causés par une crise cardiaque, de l’insuffisance cardiaque et de la revascularisation.

 

[10]           Le Dr Morris Karmazyn enseigne à l’Université de Western Ontario et est chercheur de carrière pour la Fondation des maladies du cœur de l’Ontario. Il est également directeur du Programme de recherche sur l’insuffisance cardiaque de la Fondation des maladies du cœur de l’Ontario.

 

[11]           Le Dr Reinhard Becker, médecin-pharmacologue, travaille pour Aventis et est l’auteur de la « déclaration Becker » dont il est question plus loin.

 

[12]           Apotex a présenté le témoignage des experts suivants.

 

[13]           Le Dr Robert McClelland est professeur au département de chimie de l’Université de Toronto. Expert respecté internationalement en matière de chimie organique physique et de chimie biologique, il a reçu de nombreux prix prestigieux pour ses réalisations dans ces domaines. Son affidavit a servi de base pour l’établissement de la nomenclature et des compositions chimiques dans la présente instance.

 

[14]           Le Dr Haralambos Gavras est professeur de médecine à l’École de médecine de l’Université de Boston au Massachusetts. Il est également directeur du programme sur l’hypertension et l’athérosclérose du Boston Medical Center, directeur du Centre de recherche spécialisé en génétique moléculaire de l’hypertension et ancien président de l’American Society of Hypertension. Le Dr Gavras a participé à de nombreuses études portant sur l’hypertension, l‘angiotensine, le contrôle de la pression artérielle et les insuffisances cardiaques congestives, et plusieurs prix lui ont été décernés pour ses succès au cours de sa carrière. Il a notamment remporté, en février 2004, le Franz Volhard Award de la International Society of Hypertension pour ses travaux de recherche sur le système rénine-angiotensine, soit la plus haute distinction décernée par cette société. Il est clairement un expert en matière de traitement des maladies cardiovasculaires, notamment le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque chronique, et en matière d’emploi d’inhibiteurs de l’ECA ainsi que de pharmacologie des inhibiteurs de l’ECA.

 

[15]           Le Dr John Parker est professeur émérite de médecine à l’Université Queen’s de Kingston (Ontario), cardiologue à l’Hôpital général de Kingston à Kingston (Ontario) et ancien médecin en chef des résidents en médecine de l’Hôpital général de Kingston. De plus, il a été chercheur universitaire au laboratoire cardio-pulmonaire de la Faculté de médecine de l’Université Columbia à New York (New York) et boursier McLaughlin de l’Hôpital Broussais à Paris (France) et de l’Hôpital National Heart à Londres (Angleterre). En 1995, le Dr Parker a reçu le Research Achievement Award de la Société canadienne de cardiologie pour ses travaux de recherche sur les maladies cardiovasculaires. Il est donc un expert compétent sur tous les aspects de la gestion du traitement de l’insuffisance cardiaque (de l’insuffisance cardiaque ou de l’insuffisance cardiaque congestive).

 

[16]           Aventis et Apotex ont toutes deux tenté de jeter le doute sur la crédibilité des experts de l’autre partie. Toutefois, je suis convaincue qu’ils sont tous des experts dans leurs domaines respectifs et j’ai tenu compte de leur témoignage dans le contexte approprié, sans égard à la relation qu’ils pouvaient avoir avec la partie pour le compte de laquelle ils témoignaient. À mon avis, si le témoignage d’un expert est correctement limité à son domaine d’expertise, il ne convient pas de l’écarter au motif que l’expert est intéressé ou biaisé du seul fait qu’il est un employé de l’une des parties. Bien que les opinions des experts puissent diverger sur certaines questions, leurs témoignages me sont apparus utiles et rien ne me permet de mettre en doute leur crédibilité générale.

 

INTERPRÉTATION DU BREVET

 

[17]           L’interprétation des revendications du brevet est une question de droit (voir Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067). Comme le juge Binnie l’a expliqué dans cet arrêt, la personne versée dans l’art doit interpréter les revendications du brevet de façon éclairée et « téléologique », en le lisant comme le ferait une personne versée dans l’art à la date de la première publication du brevet. Selon cette méthode, la Cour doit identifier ce que l’inventeur estime être les éléments « essentiels » de l’invention (Whirlpool, ibid., au paragraphe 45).

 

[18]           Le brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l’art, que le professeur Harold Fox a décrit comme :

[traduction] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée.

 

(H.G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd. (Toronto : Carswell Co. Ltd., 1969), cité dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 44.)

 

[19]           Un brevet déposé sous le régime de la Loi sur les brevets antérieure à 1989, L.R.C. (1985), ch. P-4 (l’«ancienne Loi sur les brevets »), doit être interprété à la date de sa délivrance : Free World Trust, précité, au paragraphe 54. Le brevet 457 a été délivré le 13 décembre 1988.

 

[20]           Le brevet 457 est intitulé « Méthode de traitement de l’insuffisance cardiaque ». L’invention a trait à des compositions servant à traiter l’insuffisance cardiaque par administration orale ou parentérale d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine énumérés dans une formule générale (formule I).

 

[21]           Le brevet 457 comprend 13 revendications. Les revendications concernent des compositions pharmaceutiques contenant des inhibiteurs de l’ECA choisis dans une classe de composés définis par la formule I pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[22]           Le ramipril est l’un des inhibiteurs de l’ECA appartenant à la classe de composés définis par la formule I, qui sont visés par les revendications 1 à 3 du brevet 457. Ces inhibiteurs de l’ECA sont également visés par les revendications 4 à 10 du brevet, la revendication 8 portant expressément sur des compositions pharmaceutiques contenant du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Les revendications 11 à 13 ont trait aux métabolites correspondants des inhibiteurs de l’ECA décrits dans les revendications 4 à 10 (p. ex. le ramiprilate).

 

[23]           Le problème d’interprétation concerne surtout la revendication 8 du brevet 457, qui se lit comme suit :

[traduction] La composition revendiquée dans la revendication 1 qui contient de l’acide (S,S,S,S,S)-N-(1-carbéthoxy-3-phénylpropyl)-alanyl-2-azabicyclo[3.3.0]octane-3-carboxylique ou un de ces sels pharmaceutiquement acceptables.

 

 

[24]           Bien qu’Aventis allègue que l’invention au cœur du brevet 457 est l’utilisation du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, il est manifeste que le brevet ne s’y limite pas. Le brevet vise plutôt une classe de composés inhibiteurs de l’ECA utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, le ramipril étant l’un des composés favoris de cette classe.

 

[25]           À mon avis, une personne versée dans l’art à la date de la délivrance du brevet 457 l’interpréterait comme ayant trait à un nouvel usage de composés connus, soit l’utilisation d’une classe de composés inhibiteurs de l’ECA, dont le ramipril, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

a)         Abus de procédure

b)         Caractère suffisant de l’AA

c)         Fardeau et norme de preuve

d)         Invalidité du brevet 457

            i)          Antériorité

            ii)         Évidence

            iii)        Double brevet

 

ANALYSE

 

a) Abus de procédure

 

[26]           Aventis fait valoir que l’allégation faite par Apotex concerne le même produit et le même brevet que ceux qui étaient en cause dans une instance devant la juge Simpson, et que la présente instance constitue donc un abus de procédure[1].

 

[27]           La Cour suprême du Canada s’est récemment penchée sur la doctrine de l’abus de procédure (voir Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460; Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77) et notre Cour a fait de même dans le cadre d’une instance engagée en vertu du Règlement (voir AB Hassle et al c. Apotex Inc. et al (2005), 38 C.P.R. (4th) 216 (C.F.)).

 

[28]           Selon la doctrine, la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement. Cette doctrine est souple et « n’est pas alourdie par les exigences précises du principe de l’autorité de la chose jugée » : S.C.F.P., précité, au paragraphe 42. « La doctrine de l'abus de procédure s'articule autour de l'intégrité du processus juridictionnel et non autour des motivations ou de la qualité des parties » comme dans le cas de la préclusion : S.C.F.P., précité, au paragraphe 51. Comme l’indique la juge Layden-Stevenson dans la décision AB Hassle, précitée, au paragraphe 94 :

Ceux qui critiquent cette doctrine font valoir que l'utilisation de l'abus de procédure à la place de la préclusion brouille la vraie question sans rien ajouter d'autre qu'une vague impression de pouvoir discrétionnaire. Je ne partage pas cette vue. Dans tous ses cas d'application, la doctrine de l'abus de procédure vise essentiellement à préserver l'intégrité de la fonction judiciaire. L'accent est mis davantage sur l'intégrité du processus décisionnel judiciaire comme fonction de l'administration de la justice que sur l'intérêt des parties. Lorsque l'accent est correctement mis sur l'intégrité du processus, le mobile de la partie qui cherche à rouvrir le débat ne saurait constituer un facteur décisif. [Non souligné dans l’original.]

 

[29]           L’abus de procédure comporte une forte dimension relative à l’intérêt public. Dans l’arrêt S.C.F.P., précité, la juge Arbour a affirmé que les raisons de principe sur lesquelles sont fondées les questions de préclusion et d’abus de procédure sont essentiellement les mêmes. Aux pages 103 et 104 de sa décision, elle cite un extrait de D.J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada (2000), pages 347 et 348 :

[traduction] Les deux raisons de principe, savoir qu’un litige puisse avoir une fin et que personne ne puisse être tracassé deux fois par la même cause d'action, ont été invoquées comme principes fondant l'application de la doctrine de l'abus de procédure pour remise en cause. D'autres principes ont également été invoqués : la préservation des ressources des tribunaux et des parties, le maintien de l'intégrité du système judiciaire afin d'éviter les résultats contradictoires et la protection du principe du caractère définitif des instances si important pour la bonne administration de la justice.

 

 

[30]           À l’appui de son argument portant que la présente instance constitue un abus de procédure, l’avocat d’Aventis invoque les motifs de la juge Layden-Stevenson dans la décision AB Hassle, précitée. J’estime utile d’examiner avec soin les faits de cette affaire.

 

[31]           Dans cette affaire, Apotex avait informé AstraZeneca Canada, par voie d’avis d’allégation, qu’elle avait déposé auprès du ministre de la Santé une présentation de drogue nouvelle pour les comprimés d'oméprazole magnésien de 10 et 20 mg pour administration orale. Les brevets auxquels Apotex se référait appartenaient à AB Hassle et AstraZeneca (ci-après AstraZeneca). Par un avis de demande, AstraZeneca sollicitait, entre autres choses, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet canadien. Seule la revendication 1 du brevet 693 était en litige.

 

[32]           Cet AA n’était pas le premier d’Apotex portant sur le brevet 693. Apotex a allégué l’absence de contrefaçon pour la première fois en avril 1993. La demande d’AstraZeneca afférente à cette allégation a été rejetée en mai 1996. Le 18 décembre 1997, un AA d’Apotex faisait valoir l’absence de contrefaçon des mêmes brevets canadiens en cause dans l’instance devant la juge Layden-Stevenson. Par ordonnance en date du 18 mai 1999, l’AA a été réputé retiré et la demande a été abandonnée. Enfin, le 1er août 2000, Apotex a présenté un autre AA alléguant la non‑contrefaçon des mêmes brevets canadiens que ceux en cause dans l’instance devant la juge Layden‑Stevenson. Le juge Kelen a déclaré que la lettre d’Apotex ne constituait pas un avis de conformité au sens du Règlement et a rendu une ordonnance qui prohibait la délivrance d’un avis de conformité par le ministre. Apotex a porté cette décision en appel. En rejetant l’appel, le juge Rothstein a interprété la revendication 1 du brevet 693.

 

[33]           Le 26 septembre 2002, Apotex a envoyé à AstraZeneca l’AA en cause dans l’instance devant la juge Layden-Stevenson où elle alléguait à la fois l’absence de contrefaçon et l’invalidité du brevet 693.

 

[34]           AstraZeneca a fait valoir qu’Apotex ne pouvait présenter l’avis en raison du principe de préclusion. AstraZeneca soutenait que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex, indiquée dans son AA en cause dans cette instance, reposait sur l’interprétation de la revendication 1 tout comme son allégation de non-contrefaçon dans l’instance précédente. La Cour d’appel fédérale avait tranché la question de l’interprétation et Apotex n’avait pas le droit de la remettre en question.

 

[35]           Pour ce qui est de savoir si la question de la non-contrefaçon avait été tranchée dans la précédente instance, la juge Layden-Stevenson a conclu qu’Apotex avait déjà soulevé cet argument et ne pouvait le faire de nouveau dans cette instance.

 

[36]           En ce qui concerne l’invalidité, la juge a retenu l’argument d’AstraZeneca qui soutenait qu’Apotex, en alléguant uniquement la non-contrefaçon lors de l’instance précédente, avait nécessairement accepté la validité du brevet 693 – parce que s’il n’était pas tenu pour valide, la préparation d’Apotex ne pouvait le contrefaire. Elle a indiqué qu’il semblait qu’Apotex avait « caché ses intentions » et avait plaidé sa cause en deux parties. Sur cette question, la juge Layden-Stevenson a conclu à l’applicabilité du principe de la préclusion.

 

[37]           En fin de compte, elle a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur d’Apotex, ce qui lui aurait permis d’écarter l’application de la doctrine de la préclusion.

 

[38]           La juge Layden-Stevenson a également déterminé que, si elle faisait erreur en appliquant le principe de préclusion découlant d’une affaire déjà tranchée, elle concluait alors que l’AA d’Apotex constituait un abus de procédure pour essentiellement les mêmes raisons que celles évoquées dans la section de ses motifs consacrée au principe de préclusion.

 

[39]           Avec égards, je ne peux accepter l’argument selon lequel, en alléguant uniquement la non-contrefaçon lors de l’instance précédente, Apotex a nécessairement accepté la validité du brevet 457 parce que, s’il n’était pas tenu pour valide, Apotex ne pourrait le contrefaire.

 

[40]           Le Règlement prévoit que les allégations peuvent être fondées sur plusieurs motifs. Le sous-alinéa 5(1)b)(iv) vise les allégations portant que le brevet ne sera pas contrefait par la seconde personne. Le sous-alinéa 5(1)b)(iii) vise les allégations portant que le brevet n’est pas valide.

 

[41]           Il est bien établi en droit que les allégations multiples sont permises à la condition que le fondement juridique et factuel de chaque allégation soit distinct (voir par exemple : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), demande d’autorisation d’appel rejetée, [1998] 1 R.C.S. viii; Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 77 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 12 à 15; Bayer AG et al c. Apotex Inc. et al (1998), 84 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 27 et 28, conf. par (2001) 14 C.P.R. (4th) 263 (C.A.F.); Bayer Inc. et al c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al (1998), 82 C.P.R. (3d) 359, aux paragraphes 9 à 14 (C.F. 1re inst.); AstraZeneca AB c. Apotex Inc. (2005), 335 N.R. 1 (C.A.F.), au paragraphe 21.).

 

[42]           Aventis soutient que la deuxième allégation – celle relative à l’invalidité – aurait pu et aurait dû être présentée lors de l’instance antérieure et cite la décision Procter and Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2003), 33 C.P.R. (4th) 193 (C.A.F.) à l’appui. Je ne trouve pas cet argument convaincant. On devait déterminer dans cette affaire si un brevet pouvait être inscrit au registre des brevets, tandis qu’en l’espèce la Cour doit statuer sur la validité d’un brevet dans le cadre d’un régime réglementaire où les allégations multiples, et donc les instances multiples sont permises pourvu que le fondement juridique et factuel de chaque allégation soit distinct. De plus, cette affaire a été tranchée sur la base de la doctrine de la préclusion, alors que la présente porte uniquement sur l’abus de procédure.

 

[43]           Bien que la jurisprudence soit claire quant au fait que la seconde personne n’a pas à présenter des allégations distinctes dans le même avis, j’estime que l’intérêt de la fonction juridictionnelle de la Cour serait mieux servi si les parties fonctionnaient de cette façon. Si la seconde personne a l’intention de formuler plusieurs allégations, il serait, à mon avis, plus efficace de faire valoir ces allégations dans un seul et même AA. Bien que le Règlement n’exige pas cette pratique, les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, indiquent que les instances doivent être gérées de façon juste et expéditive. Agir autrement compromet l’efficacité du système judiciaire et de l’administration de la justice.

 

[44]           Toutefois, comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour d’appel fédérale a à maintes reprises conclu que la nature distincte des instances engagées suivant le Règlement n’empêche pas la seconde personne de présenter une allégation subséquente factuellement et juridiquement distincte des allégations antérieures.

 

[45]           L’AA en cause en l’espèce repose‑t‑il alors sur un fondement juridique et factuel distinct de l’AA en cause dans le dossier T-1851-03?

 

[46]           Dans l’instance antérieure (dossier T‑1851-03), l’argument d’invalidité a seulement été soulevé pour faire valoir que, dans la mesure où Aventis ferait valoir l’utilisation du ramipril comme traitement de l’hypertension à titre de revendication du brevet 457, une telle interprétation serait incorrecte parce que le brevet revendiquerait alors un usage ancien et serait du fait invalide. Aventis n’ayant pas adopté cette position, l’allégation conditionnelle d’invalidité n’a pas été poussée plus loin. L’instance antérieure portait donc uniquement sur la question de la contrefaçon du brevet 457. Cette allégation est fondée sur des points juridiques et factuels distincts qui n’ont jamais été tranchés dans une instance antérieure, à savoir que le brevet 457 est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence et de double brevet. Le Règlement prévoit des instances distinctes pour les allégations multiples.

 

[47]           Apotex avait donc le droit de signifier le deuxième AA parce que la deuxième allégation est distincte de la première. La première portait sur l’absence de contrefaçon, tandis que la deuxième porte sur l’invalidité des brevets du fait de l’antériorité, de l’évidence et du double brevet. La Cour est donc saisie à bon droit de la question de l’invalidité du brevet 457 et la doctrine d’abus de procédure n’est pas applicable.

 

b) Caractère suffisant de l’AA

 

[48]           Ainsi qu’il a récemment été formulé, le critère servant à déterminer le caractère suffisant de l’AA consiste à savoir si, dans cet avis, la seconde personne a fourni à la première personne « assez d’information pour lui permettre de comprendre la nature de la preuve à réfuter » : Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., [2005] A.C.F. 1318 (C.A.)(QL), au paragraphe 16. En d’autres termes, « un énoncé détaillé des fondements d'une allégation doit être suffisamment complet pour qu'un titulaire de brevet puisse décider de manière éclairée s'il convient de répliquer à l'allégation en introduisant une instance en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction » : AstraZeneca AB c. Apotex Inc. (2005), 335 N.R. 1 (C.A.F.) au paragraphe 12, citant AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), au paragraphe 21.

 

[49]           La question de savoir si un AA peut être déficient en raison d’un manque de détails sur l’art est possiblement une question irrésolue. Toutefois, la question fondamentale – quant à savoir si la première personne a été informée des arguments qu’elle doit réfuter et n’est pas obligée de deviner les motifs sur lesquels sont fondées les allégations de la seconde personne – demeure inchangée.

 

[50]           Dans la présente instance, comme dans la décision AstraZeneca AB, précitée, rien ne démontre qu’Aventis n’était pas en mesure de répondre à l’AA d’Apotex en raison du manque de détails. Je conclus donc qu’Aventis avait une connaissance suffisante des arguments qu’elle devait réfuter. L’AA n’est pas déficient.

 

c) Fardeau et norme de preuve

 

[51]           Le fardeau de preuve en ce qui concerne la validité dans le cadre des instances engagées en vertu du Règlement a été amplement discuté. Il est bien établi que le fardeau ultime ou la charge de persuasion incombe au demandeur qui doit réfuter les allégations avancées par la seconde personne dans son AA.  Aventis doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations d’Apotex ne sont pas fondées. Toutefois, bien qu’il incombe ultimement à Aventis de démontrer qu’elle a droit à l’ordonnance sollicitée, Apotex a la charge de « mettre en jeu » les allégations de son AA : voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), aux pages 319 et 320, et les récents commentaires sur ce point dans les décisions SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] 4 C.F. 518 (1re inst.), conf. par [2003] 1 C.F. 118 (C.A.F.), et Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd. (2004), 264 F.T.R. 202.

 

[52]           Pour s’acquitter de son fardeau, Aventis bénéficie de la présomption réfutable de validité du brevet : voir l’article 45 de l’ancienne Loi sur les brevets, le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Dans Proctor & Gamble Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] 2 R.C.F. 269, le juge Rothstein, se fondant sur la décision Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285, à titre d’autorité en matière de fardeau et de norme de preuve, a indiqué aux paragraphes 15 et 16 :

[15] […] dans Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.), laquelle fait autorité sur cette question. Dans l'arrêt Bayer, la juge Sharlow, J.C.A. a analysé le fardeau de preuve dont le breveté et le fabricant de produits génériques doivent s'acquitter dans le cadre d'une instance engagée en vertu du Règlement. Elle a expliqué qu'il appartient au breveté, à titre de requérant, d'établir son droit à l'ordonnance demandée. Le paragraphe 43(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée, prévoit que «[u]ne fois délivré le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté». La juge Sharlow, J.C.A. a signalé qu'à cause de cette présomption de validité, c'est au fabricant de produits génériques, en sa qualité de partie intimée à la requête pour ordonnance de prohibition, qu'il incombe de renverser la présomption.

 

[16] À propos de la norme de preuve, elle a écrit ceci au paragraphe 9 :

 

L’application de la présomption légale en présence d’une preuve de l’invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n’est plus pertinente […].

 

Partant, il a été jugé que la norme de preuve applicable pour établir l'invalidité est celle de la prépondérance des probabilités. […]

 

[53]           Aventis reconnaît avoir le fardeau ultime de convaincre la Cour qu’elle a droit à l’ordonnance sollicitée. Toutefois, elle s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, pour soutenir que, dans une instance engagée en vertu du Règlement, la Cour devrait appliquer une norme plus stricte et conclure que le fardeau de démontrer l’invalidité incombe à la personne qui conteste le brevet. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que la norme de contrôle applicable à une conclusion d’invalidité dans une action en contrefaçon de brevet était celle de la décision raisonnable simpliciter, c’est-à-dire que la décision du Commissaire doit pouvoir résister à un examen assez poussé. Aventis soutient que cette norme de contrôle s’applique également aux instances relatives aux avis de conformité.

 

[54]           Dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] A.C.F. no 1607 (C.F.)(QL), la juge Heneghan a rejeté un argument similaire au paragraphe 57 :

¶ 57      À mon avis, les demanderesses ont tort d’invoquer l’arrêt Apotex c. Wellcome, précité, en lien avec la question du fardeau de la preuve. Cette décision a été rendue dans une affaire touchant l’invalidité et la contrefaçon d’un brevet. La présente instance est une procédure sommaire en vertu du Règlement AC et des Règles de la Cour fédérale, précitées, s’appliquant aux demandes de contrôle judiciaire. Encore une fois, une décision quant à l’invalidité ou à la contrefaçon, aux fins de ce type d’instance, n’est déterminante sur ce point dans aucune action subséquente; voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.) à la page 216, où la Cour se prononce ainsi :

 

[...] ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d'un brevet : il s'agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Cette décision doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion, tirée à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité), que la mise en marché du produit générique ne violerait pas le brevet du requérant [...]

 

[55]           Je souscris à ce raisonnement. En conséquence, j’estime qu’il ne serait pas approprié d’appliquer à des instances engagées en vertu du Règlement la même norme que celle qui est applicable dans le cadre d’actions en contrefaçon de brevet.

 

[56]           En conclusion, bien que le fardeau ultime incombe à Aventis, Apotex doit démontrer selon la prépondérance de la preuve, par les éléments de preuve appuyant les allégations de son AA, que le brevet 457 est invalide. Ayant déterminé le fardeau et la norme de preuve applicables, j’examinerai maintenant la question de la validité du brevet 457.

 

d)        Validité du brevet 457

 

i) Antériorité

 

[57]           En alléguant l’invalidité de la revendication pour cause d’antériorité, Apotex fait valoir qu’il existe quatre antériorités opposables à l’invention couverte par le brevet 457 : la demande de brevet européen no 50 800 A1 (la demande 800); le Journal of Cardiovascular Pharmacology (1983) 5 : pages 643 à 654; la demande de brevet européen no 49 658 A1 (la demande 658); une présentation à l’American Society for Pharmacology and Experimental Therapeutics (la présentation ASPET).

 

[58]           En ce qui concerne la demande 800, Apotex souligne la phrase portant que les composés visés par l’invention [traduction] « sont utiles pour le traitement des troubles cardiovasculaires et particulièrement pour le traitement de l’hypertension mammifère ». Apotex allègue qu’une personne versée dans l’art en question au moment pertinent aurait su que l’expression « troubles cardiovasculaires » comprenait l’insuffisance cardiaque. Bien que la demande 800 ne divulgue pas précisément le ramipril en soi, celui-ci est compris dans la classe de composés revendiqués dans cette demande. Telle quelle, la demande 800 enseignait que l’utilisation des composés de l’invention visée, dont le ramipril, pouvait être utile pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[59]           Apotex soutient que les autres documents d’antériorité enseignent et divulguent les composés sur lesquels portent les revendications du brevet 457 et indiquent que les composés inhibiteurs de l’ECA sont utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. La revendication 8 du brevet 457, qui porte particulièrement sur le ramipril, est également anticipée, selon Apotex, en ce qu’il n’est pas nécessaire de faire preuve d’esprit inventif pour savoir que les composés inhibiteurs de l’ECA peuvent être substitués fonctionnellement à l’un ou l’autre des composés faisant partie de la classe de composés de la formule I.

 

[60]           Eu égard à l’absence de données cliniques, Apotex fait valoir que, en exigeant la tenue d’essais cliniques chez l’humain, Aventis tente d’imposer une norme d’approbation réglementaire. Or telle n’est pas la norme applicable en matière de brevetabilité ou d’antériorité, comme l’indique le fait que le brevet 457 lui‑même ne contient pas de référence à des essais cliniques chez l’humain.

 

[61]           Aventis soutient que l’approche d’Apotex en matière d’antériorité est clairement erronée en droit. Apotex appuie sa position sur la théorie des effets de la classe de composés et tente d’assigner au ramipril les effets constatés chez d’autres composés inhibiteurs de l’ECA, tel qu’il appert des antériorités, même si le ramipril n’est ni divulgué ni revendiqué dans ces antériorités (hormis dans la demande 800). De fait, Apotex allègue qu’un autre composé était connu pour cette utilisation, que le ramipril fait partie de cette classe de composés et donc que l’antériorité est établie. Si elle était sanctionnée par la Cour, cette approche permettrait à Apotex d’élargir l’analyse de l’antériorité au point d’en faire une analyse de l’évidence.

 

[62]           En ce qui concerne la demande 800, Aventis soutient que, selon ses témoins experts, une personne versée dans l’art n’entendrait pas l’expression « troubles cardiovasculaires » au sens d’insuffisance cardiaque. De plus, l’argument d’Apotex relatif à ces termes ignore commodément la référence particulière à l’hypertension et le fait que les troubles cardiovasculaires englobent un grand éventail de conditions médicales. En résumé, le ramipril n’est pas expressément divulgué ou revendiqué dans la demande 800 et l’utilisation relative à l’insuffisance cardiaque n’est pas divulguée ou établie par les données.

 

[63]           Enfin, Aventis allègue que la demande 658 et le Journal of Cardiovascular Pharmacology cités par Apotex ne contiennent pas non plus de données cliniques, et que la présentation ASPET portaient sur une étude hémodynamique (un modèle préclinique d’insuffisance cardiaque chez un chien) par opposition à un essai clinique chez l’humain.

 

[64]           Ayant exposé la position des parties, j’examinerai maintenant les principes qui sous-tendent les règles applicables en matière d’antériorité avant de me pencher sur l’application de ces principes aux faits de l’espèce.

 

[65]           L’antériorité est une théorie d’origine législative qui signifie que l’invention revendiquée est dépourvue de nouveauté. Les paragraphes 27(1) et 61(1) de l’ancienne Loi sur les brevets, précitée, sont pertinents quant à la question de l’antériorité, sont ainsi libellés :

27.  (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le "dépôt de la demande", et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas :

 

a)  connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;

 

b)  décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

 

c)  en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

 

61.  (1) Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l'invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d'être faite par l'inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu'il ne soit établi que, selon le cas :

 

a)  cette autre personne avait, avant la date de la demande du brevet, divulgué ou exploité l'invention de telle manière qu'elle était devenue accessible au public;

 

b)  cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait du donner lieu à des procédures en cas de conflit;

 

c)  cette autre personne avait à quelque époque fait au Canada une demande ayant, en vertu de l'article 28, la même force et le même effet que si elle avait été enregistrée au Canada avant la délivrance du brevet et pour laquelle des procédures en cas de conflit auraient dû être régulièrement prises si elle avait été ainsi enregistrée.

 

 

 

27. (1) Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

 

(a)  not known or used by any other person before he invented it,

 

(b)  not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

 

(c)  not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada,

 

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.

 

 

61.  (1) No patent or claim in a patent shall be declared invalid or void on the ground that, before the invention therein defined was made by the inventor by whom the patent was applied for, it had already been known or used by some other person, unless it is established that

 

(a)  that other person had, before the date of the application for the patent, disclosed or used the invention in such manner that it had become available to the public;

 

(b)  that other person had, before the issue of the patent, made an application for patent in Canada on which conflict proceedings should have been directed; or

 

(c)  that other person had at any time made an application in Canada which, by virtue of section 28, had the same force and effect as if it had been filed in Canada before the issue of the patent and on which conflict proceedings should properly have been directed had it been so filed.

 

 

[66]           Il est difficile de satisfaire au critère applicable en matière d’antériorité. Comme l’a rappelé le juge Binnie dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., précité, au paragraphe 26, citant un extrait de General Tire & Rubber Co. c. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.), à la page 486 :

Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté.

 

[67]           La divulgation antérieure doit clairement et indubitablement mener la personne versée dans l’art au brevet en cause, comme l’a indiqué le juge Hugessen au paragraphe 30 de l’arrêt Beloit Canada Ltd. et al c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

 

Ce critère a été cité et approuvé par la Cour suprême dans l’arrêt Free World Trust, précité.

 

[68]           Il ne suffit pas de rassembler différentes parties de différents documents pour former une mosaïque. L’antériorité n’est axée ni sur l’état de la technique ni sur les connaissances générales à la date pertinente (voir Beloit, précité). De plus, on ne peut affirmer qu’une personne versée dans l’art serait parvenue à coup sûr au résultat revendiqué ou à un« résultat certain » lorsque plus d’un résultat est possible (voir Reeves Brothers Inc. c. Toronto Quilting & Embroidery Ltd. (1978), 43 C.P.R. (2d) 145 (C.F.1re inst.)).

 

[69]           En l’espèce, l’une des publications antérieures contient‑elle des instructions d’une clarté telle qu’une personne versée dans l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée?

 

[70]           Comme je l’ai indiqué précédemment, Apotex s’appuie sur quatre documents pour établir l’antériorité : la demande 800; le Journal of Cardiovascular Pharmacology; la demande 658 et la présentation ASPET.

 

[71]           À mon avis, Apotex n’a pas démontré que l’un de ces documents satisfait au critère en matière d’antériorité.

 

[72]           Apotex soutient qu’un autre composé d’une classe déterminée est connu pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, que le ramipril appartient à cette classe de composés, et donc que l’antériorité est établie. Bien que cet argument puisse être soutenu s’agissant du critère de l’évidence, il n’est pas pertinent s’agissant de l’antériorité. Je conviens avec Aventis qu’Apotex ne peut, dans le but de démontrer l’antériorité, s’appuyer sur le Journal of Cardiovascular Pharmacology, la demande 658 et la présentation ASPET parce qu’ils portent tous trois sur des composés différents, bien que de la même classe que le ramipril, soit les inhibiteurs de l’ECA. Le lui permettre équivaudrait de fait à annuler la distinction entre l’antériorité, qui consiste à se demander si une personne versée dans l’art serait en mesure de produire l’invention en se fondant sur une seule publication antérieure, et l’évidence, qui consiste à se demander si une personne versée dans l’art aurait su comment arriver à l’invention en se fondant sur l’état de la technique et les connaissances générales à la date pertinente (voir Beloit, précité).

 

[73]           Accepter l’argument d’antériorité fondé sur ces trois documents présupposerait que la personne versée dans l’art qui lirait ces documents et s’y conformerait isolément, présumerait que le ramipril peut être substitué aux composés qui y sont indiqués. Cette présomption pouvait certes refléter les connaissances générales à la date pertinente (c’est-à-dire au moment de l’examen portant sur l’évidence), mais aucun des trois documents, en soi, ne permettrait à une personne versée dans l’art d’arriver infailliblement à l’invention revendiquée. L’antériorité n’est pas démontrée lorsque plus d’un résultat est possible.

 

[74]           J’ai conclu que les experts d’Apotex avaient fondé leur opinion sur la possibilité de prévoir l’utilité du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque compte tenu de l’état général de la technique, soit un examen portant sur l’évidence, et non sur la question de savoir si une telle utilisation avait été divulguée dans une seule référence. Sur ce point, j’accorde du poids à l’affirmation du Dr Parker portant qu’il a examiné de nombreux documents pour être en mesure de donner son opinion sur l’antériorité. En contre-interrogatoire sur cette question, le Dr Parker a dit :

[traduction] J’ai examiné le dossier important de données antérieures à 1984 relativement à des médicaments tels que le captopril et l’énalapril, et quelques-unes relatives au ramipril, qui démontraient que cette classe de médicaments était efficace pour l’amélioration des symptômes et nous avons également examiné un brevet, le brevet canadien 500, qui date je crois de 1980, ainsi que le brevet européen, et ces documents établissaient le rôle des inhibiteurs de l’ECA en matière d’insuffisance cardiaque.

 

Il m’apparaît, comme non-juriste, y avoir antériorité en raison des données tirées de la documentation et des brevets existants. Il y a antériorité en ce qui a trait aux bénéfices du ramipril et des autres médicaments de cette classe mentionnée dans le brevet 457. Il y a bien antériorité.

 

 

[75]           De plus, le Journal of Cardiovascular Pharmacology a été publié en juillet/août 1983 et ne correspond pas à la définition de l’alinéa 27(1)b) de l’ancienne Loi sur les brevets, qui exige que le document d’antériorité ait été imprimé plus de deux ans avant la date de dépôt de la demande de brevet canadien.

 

[76]           Par ailleurs, la demande 800 indique que les composés de l’invention peuvent être administrés afin de constituer [traduction] « des compositions utiles pour le traitement des troubles cardiovasculaires et particulièrement pour le traitement de l’hypertension mammifère ». Bien que le ramipril appartienne à la classe de composés divulgués par la demande 800, son utilisation pour le traitement de l’insuffisance cardiaque n’est pas expressément divulguée. Apotex fait plutôt valoir que l’expression « troubles cardiovasculaires » comprend l’insuffisance cardiaque.

 

[77]           Pour produire l’invention divulguée dans le brevet  457 sur la foi de ce document, il faudrait que la personne versée dans l’art saisisse que l’expression « troubles cardiovasculaires » désigne infailliblement l’insuffisance cardiaque. Cela équivaut, pour l’essentiel, à affirmer qu’une personne versée dans l’art interprèterait ces termes comme englobant une condition médicale que le document d’antériorité ne mentionne pas expressément. Il convient alors de se demander : le lecteur avisé arriverait-il infailliblement à la production de l’invention revendiquée en se conformant aux instructions contenues dans la demande 800? J’estime que la réponse à cette question est négative.

 

[78]           L’avocat d’Apotex allègue que, en se fondant sur les trois autres documents, l’expression « troubles cardiovasculaires » peut être interprétée comme désignant l’insuffisance cardiaque. Je ne peux accepter l’utilisation de documents externes pour l’interprétation de termes d’un document censé démontrer l’antériorité. Cela équivaut à composer une « mosaïque » d’antériorités, ce qui est inacceptable dans un examen de l’antériorité. Pour qu'une invention puisse faire l’objet d’une antériorité, toutes les caractéristiques essentielles de l'invention doivent être divulguées dans un seul document (voir Beloit, précité).

 

[79]           Une des caractéristiques essentielles du brevet 457 veut que les composés énumérés soient utilisés pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue qu’une personne versée dans l’art arriverait à la conclusion que l’expression « troubles cardiovasculaires » a le sens d’insuffisance cardiaque.

 

[80]           Au cours de l’audience, l’avocat d’Apotex a attiré l’attention de la Cour sur la décision SmithKline, précitée. Dans cette décision, le juge Gibson a déterminé que l’allégation d’invalidité était fondée en raison de l’antériorité. Il a conclu que les « méthodes courantes » de formulation de la paroxétine sous forme de comprimés divulguées dans le premier brevet (le brevet 060) seraient comprises par les personnes expertes dans l'art comme incluant la granulation par voie humide, la granulation par voie sèche et la compression directe. Le juge Gibson a affirmé à la page 546 :

Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un [traduction] « problème de coloration rose », dont l'importance est telle qu'elle pousse une personne au fait de l'art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, je suis persuadé que logiquement, la première étape de toute personne au fait de l'art serait de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l'un ou l'autre ne résoudrait pas, en totalité ou en partie, le problème. Je suis également persuadé que cette recherche n'impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif. Elle mettrait seulement en jeu l'application de l'enseignement du brevet 060.

 

[81]           Le juge Gibson a conclu qu’une personne versée dans l'art, sur la base du brevet 060 et des connaissances courantes aux époques pertinentes, serait arrivée infailliblement à la formulation revendiquée par le deuxième brevet. Cette décision a été confirmée en appel : [2003] 1 C.F. 118, la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada a été rejetée sans motifs le 20 mars 2003 : [2002] S.C.C.A. no 324 (QL).

 

[82]           Apotex a fait valoir que l’expression « troubles cardiovasculaires » est un terme d’art qui serait compris par une personne versée dans l’art comme signifiant l’insuffisance cardiaque. Toutefois, contrairement à la décision SmithKline, je ne suis pas convaincue que, logiquement, la démarche d’une personne versée dans l’art serait d’appliquer l’invention enseignée par la demande 800 dans le but d’arriver à l’utilisation du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Dans SmithKline, précitée, les trois autres procédés de formulation étaient divulgués dans le premier brevet, tandis qu’en l’espèce la demande 800 ne divulgue pas l’utilisation du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, mais pour le traitement des « troubles cardiovasculaires ». Le caractère générique de ce terme contredit l’allégation portant que cette demande constitue un poteau indicateur placé « sur la voie menant à l’invention du breveté ». Bien que l’insuffisance cardiaque constitue un « trouble cardiovasculaire », on ne peut affirmer qu’une personne versée dans l’art arriverait inévitablement à cette invention en se basant sur la demande 800. Je tire cette conclusion du témoignage des experts d’Apotex, les Drs Parker et Gavras, qui ont reconnu que les « troubles cardiovasculaires » englobent de nombreuses conditions médicales. Les experts d’Apotex ont également admis qu’ils ne s’appuieraient pas sur la demande 800 pour soutenir que les composés revendiqués sont utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[83]           Bien que les parties aient toutes deux fait valoir des prétentions relativement au caractère suffisant ainsi qu’à l’exigence possible d’essais et de données cliniques à l’appui de leurs arguments respectifs quant à l’antériorité, je conclus qu’il est plus approprié d’examiner ces prétentions au regard de l’évidence, où elles ont été exposées de façon plus détaillée.

 

[84]           J’estime donc que l’allégation d’invalidité d’Apotex, dans la mesure où elle est fondée sur l’antériorité, n’est pas fondée.

 

ii) Évidence

 

[85]           Apotex soutient qu’à la date de priorité du brevet 457, les personnes versées dans l’art connaissaient le principe et l’efficacité des inhibiteurs de l’ECA utilisés dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. Comme l’ont reconnu les Drs Karmazyn et Dagenais, l’usage des vasodilatateurs dans le traitement et la prise en charge de l’insuffisance cardiaque étaient bien établi et l’on connaissait les propriétés vasodilatatrices des inhibiteurs de l’ECA. L’état antérieur de la technique montre que l’on savait, même si on n’en comprenait pas entièrement le mécanisme, que les inhibiteurs de l’ECA, que ce soit le captopril, l’énalapril ou le ramipril, avaient la même action vasodilatatrice.

 

[86]           Plus précisément, Apotex avance qu’en avril 1984, une personne versée dans l’art aurait su que le ramipril était un puissant inhibiteur de l’enzyme de conversion actif par voie orale et un vasodilatateur, réputé pour améliorer grandement l’action de pompage du cœur chez un mammifère.

 

[87]           Apotex fait également valoir qu’il n’est en aucun cas possible d’affirmer que le ramipril est d’une quelconque façon plus efficace que tout autre inhibiteur de l’ECA connu pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. La documentation démontre que les inhibiteurs de l’ECA ont des propriétés communes et étaient connus pour leur utilité non seulement pour le traitement de l’hypertension, mais aussi pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Aventis n’a pas raison d’affirmer que les réalisations antérieures étaient simplement expérimentales. L’idée d’utiliser les inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’insuffisance cardiaque était bien établie à la date de priorité. De plus, les chercheurs d’Aventis (auparavant Hoechst), dont l’un des inventeurs du brevet 457 et le Dr Becker, avaient eux-mêmes divulgué avant 1984 que le ramipril pouvait agir à titre d’inhibiteur de l’ECA cardiaque, qu’il possédait un effet à long terme et que, comme d’autres inhibiteurs de l’ECA, il serait utile pour le traitement des troubles cardiovasculaires en plus de l’hypertension.

 

[88]           Aventis soutient que l’argument d’Apotex portant que l’utilisation du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque était évidente compte tenu des réalisations antérieures opposées ne peut réussir compte tenu de la preuve. Premièrement, les Drs Gavras et Parker ont tous deux reconnu que les essais cliniques sont nécessaires pour déterminer l’efficacité d’un médicament, quel que soit l’état de la technique. Aventis fait valoir que la nécessité d’essais cliniques est, au surplus, particulièrement évidente compte tenu du fait que, à l’intérieur d’une même classe, l’efficacité des médicaments varie et que les inhibiteurs de l’ECA étaient connus pour varier selon les divers paramètres pharmacologiques.

 

[89]           Deuxièmement, Aventis fait valoir que, rien dans cette preuve n’étaye la théorie de l’effet de classe des inhibiteurs de l’ECA. La nécessité d’effectuer des essais cliniques pour démontrer les bienfaits du ramipril contre l’insuffisance cardiaque fait obstacle à une conclusion d’évidence puisque le ramipril n’avait pas encore été testé en avril 1984. Une personne versée dans l’art aurait peut‑être pu penser que l’utilisation du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque valait la peine d’être tentée, mais en l’absence d’essais cliniques, cela était loin d’être évident.

 

[90]           Aventis allègue qu’en avril 1984, un seul composé (le captopril) avait fait l’objet d’essais cliniques à double insu pour le traitement de l’insuffisance cardiaque et que seulement deux autres composés (l’énalapril et le teprotide) avaient fait l’objet d’essais cliniques dans le passé quant au traitement de l’insuffisance cardiaque. L’unique document cité dans l’AA qui porte sur l’usage du ramipril est le Document 71 d’Apotex dont les auteurs sont notamment les inventeurs du brevet 457. Il importe de souligner que ce document ne divulguait pas l’usage du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque et que ni le Dr Parker ni le Dr Gavras ne l’avaient vu avant leur intervention dans le présent litige. En conséquence, une recherche raisonnablement diligente n’aurait vraisemblablement pas permis de trouver ce document en date d’avril 1984 et à ce titre, on doit lui accorder peu ou pas de poids.

 

[91]           Enfin, Aventis fait valoir que la déclaration Becker démontre clairement que le ramipril comportait plusieurs propriétés inattendues pour le traitement de l’insuffisance cardiaque (comme l’effet de fibrillation ventriculaire) qui n’étaient ni enseignées ni suggérées par l’état antérieur de la technique. Elle allègue qu’elle n’est pas juridiquement tenue de divulguer l’ensemble des propriétés d’une invention dans un brevet ou même de comprendre l’ensemble des propriétés d’une invention.

 

[92]           Ayant exposé les positions des parties, je passerai en revue les dispositions législatives et principes applicables en matière d’évidence avant de procéder à l’examen de la preuve.

 

[93]           « La doctrine de l’évidence implique une décision sur la question de savoir si l’invention alléguée nécessitait l’exercice de l’ingéniosité inventive » : Windsurfing International Inc. et al c. Trilantic Corporation (maintenant Bic Sports Inc.) (1985), 8 C.P.R. (3d) 241. Une simple « parcelle d’invention » est suffisante pour appuyer la validité d’un brevet : Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350.

 

[94]           Le critère le plus fréquemment cité pour déterminer l’évidence demeure celui établi par le juge Hugessen (tel était alors son titre) dans Beloit, précité, au paragraphe 18 :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire. [Non souligné dans l’original.]

 

[95]           Plus récemment, dans Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc. (2005), 39 C.P.R. (4th) 202, au paragraphe 78, le juge Shore a décrit le critère en ces termes :

Un brevet sera qualifié d’évident uniquement si la solution au problème est toute simple. Les suggestions ou les indicateurs figurant dans les antériorités ne sont pas suffisants pour invalider un brevet pour cause d’évidence. La personne versée dans l’art doit être en mesure d’affirmer qu’elle aurait su que l’invention serait utilisable et procurerait les avantages qu’elle est censée procurer à la lumière des renseignements divulgués publiquement. La personne versée dans l’art doit savoir que la solution ou les avantages seraient présents sans devoir se prêter à une expérimentation (exclusion faite, bien entendu, de la simple vérification de renseignements déjà connus). Le critère permettant d’établir l’évidence ne consiste pas à décider si l’invention « valait la peine d’être tentée ».

 

[96]           Comme l’a indiqué le juge Wetston dans Apotex Inc. et Novopharm Ltd. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F.1re inst.), infirmée mais non sur la question de l’évidence, [2001] 1 C.F. 495 (C.A.), confirmée par [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 243 :

Il n'est pas nécessaire de manifester un esprit d'invention pour suivre une voie évidente et bien tracée, en faisant appel à des techniques et procédés connus utilisant des compositions connues, à moins que l'inventeur n'éprouve des difficultés auxquelles ne se serait pas raisonnablement attendue une personne versée dans l'art ou qui n'auraient pas pu être surmontées par le recours à des compétences ordinaires […].

 

[97]           En ce qui concerne l’examen de l’état antérieur de la technique, la Cour peut, contrairement à l’examen de l’antériorité qui commande une description exacte dans une seule source, tenir compte d’une mosaïque d’éléments composant l’état de la technique (par. 79) pour déterminer si une personne versée dans l’art serait arrivée à l’invention : AB Hassle c. Apotex Inc., (2003), 27 C.P.R. (4th) 465. En l’espèce, cela signifie l’examen de l’ensemble des brevets et des autres publications antérieures qu’une personne versée dans l’art aurait pu découvrir en effectuant une « recherche raisonnable et diligente » pour déterminer si leur combinaison mène directement à l’invention : Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie. (2002), 221 F.T.R. 161, confirmée sur cette question, modifiée uniquement quant aux dépens : (2003), 312 N.R. 184 (C.A.F.).

 

[98]           Pour ce qui est de la question de l’évidence en particulier, les parties fondent essentiellement leurs arguments sur les témoignages des experts et leur évaluation des nombreuses références à des réalisations antérieures mises en jeu par l’AA d’Apotex. Le témoignage des experts est indubitablement utile, mais je dois faire preuve de vigilance afin de ne pas entreprendre une analyse rétrospective, en particulier compte tenu de la tendance des experts à faire de telles analyses. Avant de prendre en considération l’affirmation de l’expert qui affirme « j’aurais pu faire cela », le tribunal doit également examiner la question « pourquoi ne l’avez-vous pas fait? » : AB Hassle c. Genpharm (2003) 243 F.T.R. 6, au paragraphe 51, où l’on cite l’arrêt Beloit, précité. Le juge Hugessen y a dit ceci :

 

Bien que, à mon avis, le témoignage d’un expert soit à juste titre recevable même quand il porte sur une question « décisive » comme l’évidence de l’invention, il me semble qu’il doit être considéré avec beaucoup de soins.

 

C’est particulièrement le cas lorsque le témoignage de l’expert constitue une analyse rétrospective.

 

[99]           En conséquence, bien que les témoignages d’experts soient utiles, la décision ultime appartient à la Cour.

 

[100]       Les principes applicables en matière d’évidence étant établis, je procéderai maintenant à l’application de ceux-ci aux faits de l’espèce. Je dois notamment déterminer si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, un technicien qualifié serait directement et facilement arrivé à l’invention divulguée dans le brevet.

 

[101]       Appliquons ce critère aux faits de l’espèce : dès avril 1984, un technicien qualifié serait-il directement et facilement arrivé à la solution d’utiliser les inhibiteurs de l’ECA, dont le ramipril, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque?

 

[102]       Pour les motifs exposés ci-après, je réponds par l’affirmative. À mon avis, il ressort clairement de l’état antérieur de la technique que, à la date revendiquée, une personne versée dans l’art aurait su que les vasodilatateurs étaient utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, que les inhibiteurs de l’ECA agissaient à titre de vasodilatateurs et que les brevets et publications antérieures désignaient les inhibiteurs de l’ECA comme une classe utile pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[103]       Il y avait à ce moment une littérature abondante portant sur l’utilisation des inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Dans son AA, Apotex indique 94 réalisations antérieures. Le Dr Parker en examine un certain nombre en détail dans son affidavit, examen qui, à mon avis, montre clairement qu’une personne versée dans l’art serait « directement et facilement arrivé[e] à la solution que préconise le brevet », à savoir que les inhibiteurs de l’ECA étaient utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. En 1984, plusieurs des composés inhibiteurs de l’ECA visés par les revendications du brevet 457 étaient mentionnés dans la littérature comme étant utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[104]       Le document 51 (1983) d’Apotex divulgue qu’on s’attendait à ce que le composé inhibiteur de l’ECA connu sous le nom de SCH 31846 (décrit comme étant un membre de la même classe de composés que l’énalapril) soit efficace en clinique concernant le traitement de l’insuffisance cardiaque congestive.

 

[105]       Le document 33 (1982) d’Apotex divulgue les résultats d’essais précliniques portant sur le quinapril et le SCH 31846. Les deux composés inhibiteurs de l’ECA ont démontré une bonne efficacité contre l’hypertension expérimentale et procuré des bienfaits hémodynamiques chez les sujets présentant une insuffisance cardiaque aiguë. La personne versée dans l’art savait donc que ces composés comportaient des propriétés bénéfiques chez les sujets-chiens (mammifères) qui souffraient d’insuffisance cardiaque aiguë, ce qui constitue une indication de leur utilisation possible chez les humains.

 

[106]       La demande 658 (1982) (document 34 d’Apotex) a pour objet un groupe dit nouveau de composés inhibiteurs de l’ECA, dont font partie le quinapril, le SCH 31846, le trandlapril et le « quinapril saturé », qui étaient divulgués comme étant utiles à la fois pour le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque.

 

[107]       La demande 800 (1982) (document 36 d’Apotex) a divulgué que le groupe de composés inhibiteurs de l’ECA en question, dont le ramipril, le SCH 31846 et le trandolapril font partie, seraient utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[108]       Apotex a également présenté 29 extraits à titre d’exemple de réalisations antérieures dans son AA. J’estime qu’il est utile d’en examiner un certain nombre.

 

[109]       Le document 1 d’Apotex (1977) intitulé « Angiotension II Inhibition, Treatment of Congestive Cardiac Failure in a High-Renin Hypertension » (Inhibition de l’angiotensine II, traitement de l’insuffisance cardiaque congestive dans une hypertension à rénine élevée) décrit à la page 882 l’inhibition de l’ECA comme étant un traitement rationnel des cas d’insuffisance cardiaque :

[traduction] Pour ces raisons, nous faisons valoir que dans certains cas d’insuffisance cardiaque congestive accompagnée d’une ischémie myocardique et d’une activité rénine plasmatique élevée, l’inhibition de l’angiotensine peut constituer un traitement de choix.

 

[110]       Le document 3 d’Apotex (1978) intitulé « Angiotension II Blockade in Congestive Heart Failure » (Blocage de l’angiotensine II dans l’insuffisance cardiaque congestive) indique à la page 175 :

[traduction] Nos résultats semblent indiquer que l’inhibition spécifique de l’angiotensine peut constituer une nouvelle approche thérapeutique chez certains patients souffrant d’insuffisance cardiaque congestive, particulièrement lorsqu’ils sont traités au moyen de diurétiques.

 

[111]       Le document 7 d’Apotex (1980) porte le titre : « Sustained Effectiveness of Converting-Enzyme Inhibition in Patients with Severe Congestive Heart Failure » (Efficacité soutenue de l’inhibition de l’enzyme de conversion chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque congestive grave). Le paragraphe d’introduction se lit comme suit :

[traduction] Le traitement vasodilatateur chez les patients souffrant d’une insuffisance cardiaque congestive grave est largement accepté, mais on n’a pas encore défini d’agent optimal.

 

[112]       Bien qu’un certain nombre de ces documents parlent expressément du captopril, la majorité font référence aux inhibiteurs de l’ECA comme classe de composés. Par exemple, dans le document 8 intitulé « Treatment of Chronic Congestive Heart Failure with Captopril, an Oral Inhibitor of Angiotensin-Converting Enzyme » (Traitement de l’insuffisance cardiaque congestive chronique au moyen du captopril, inhibiteur oral de l’enzyme de conversion de l’angiotensine), les auteurs déclarent à la page 120 :

[traduction] Nous avons montré que le traitement oral à l’aide du captopril, un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque congestive, entraîne des augmentations substantielles du débit cardiaque et des réductions des pressions auriculaire droite, artérielle pulmonaire et capillaire pulmonaire bloquée.

 

[113]       Le document 12 (1981) intitulé « Effect of captopril on renal function in patients with congestive heart failure » (Effet du captopril sur la fonction rénale des patients souffrant d’une insuffisance cardiaque congestive) mentionne ce qui suit à la page 522 :

[traduction] Nous avons avancé que le système rénine-angiotensine joue un rôle important dans le maintien de la résistance vasculaire périphérique élevée, qui est caractéristique de l’insuffisance cardiaque congestive grave. Cette hypothèse a été corroborée par la démonstration d’une amélioration hémodynamique et clinique lorsque des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine sont utilisés dans le cadre d’un traitement vasodilatateur chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque congestive.

 

[114]       Citons comme autre exemple de document de ce type le document 15 d’Apotex intitulé « Acute Regional Circulatory and Renal Hemodynamic Effects of Converting-enzyme Inhibition in Patients with Congestive Heart Failure » (Effets aigus de l’inhibition de l’enzyme de conversion sur la circulation régionale et l’hémodynamique rénale chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque congestive). Le paragraphe d’introduction se lit comme suit :

[traduction] Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine réduisent la résistance vasculaire systémique et améliorent la fonction myocardique chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque congestive, attirant ainsi l’attention sur le système rénine-angiotensine comme cause de l’impédance vasculaire excessive.

 

[115]       Dans le document 25 d’Apotex (1982) intitulé « Angiotensin-Converting Enzyme Inhibition in Congestive Heart Failure: The Concept » (Inhibition de l’enzyme de conversion de l’angiotensine dans l’insuffisance cardiaque congestive : le concept), les auteurs affirment :

[traduction] Ces données semblent indiquer que l’angiotensine II contribue à la vasoconstriction systémique dans l’insuffisance cardiaque et que l’inhibition chronique du système rénine-angiotensine peut avoir un effet salutaire sur la performance du ventricule gauche chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque.

 

 

[116]       Le document 54 d’Apotex (1983) intitulé « Enalapril: A New Angiotensin-Converting Enzyme Inhibitor in Chronic Heart Failure: Acute and Chronic Hemodynamic Evaluations » (Énalapril : nouvel inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine pour le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique : évaluations de la réponse hémodynamique aiguë et chronique) dit dans son introduction :

[traduction] L’atténuation ou l’inhibition des effets vasoconstricteurs de l’angiotensine est associée à une amélioration de la performance cardiaque chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique. Le rôle d’antagonisme de compétition de l’angiotensine II et la baisse de sa production due à l’inhibition de l’enzyme de conversion peuvent produire cet effet bénéfique.

 

[117]       Le document 71 d’Apotex (mars 1984) fait état d’une série d’expériences menées dans le but de caractériser les effets du Hoe-948 (ramipril), en utilisant la même posologie décrite dans le brevet 457. Il est dit au deuxième paragraphe :

[traduction] Nous concluons que le Hoe-498 est un puissant inhibiteur de l’enzyme de conversion actif par voie orale. Son action inhibitrice locale de l’EC peut avoir une importance physiologique pour la régulation du débit coronarien et de la force de contraction myocardique.

 

[118]       Selon la preuve prépondérante, l’état antérieur de la technique était tel qu’une personne versée dans l’art serait arrivée à l’utilisation des inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[119]       Aventis fait valoir que l’allégation d’évidence ne peut réussir parce qu’il n’y a jamais eu d’« effet de classe » connu des inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Je n’accepte pas l’argument d’Aventis selon lequel la promesse d’autres inhibiteurs de l’ECA en matière de traitement de l’insuffisance cardiaque ne permettrait pas à une personne versée dans l’art de prédire que le ramipril pourrait également être prometteur pour ce traitement. À vrai dire, le contraire me semble refléter la réalité. Je suis convaincue que la littérature est claire et qu’elle démontre que les inhibiteurs de l’ECA ont des propriétés communes et qu’ils étaient connus pour leur utilité en matière de traitement tant de l’hypertension que de l’insuffisance cardiaque. La littérature démontre également que, bien que les recherches aient été effectuées en utilisant un ou plusieurs inhibiteurs de l’ECA précis, les conclusions tirées portaient sur les inhibiteurs de l’ECA à titre de classe.

 

[120]       J’accepte la preuve par affidavit du Dr Parker qui est en désaccord avec les Drs Dagenais et Karmazyn, lesquels soutenaient que les inhibiteurs de l’ECA n’étaient pas considérés comme ayant un « effet de classe ». Dans la section intitulée [traduction] « Effet de classe et ECA cardiaque », le DParker affirme que [traduction] « le ramipril était considéré comme un membre de la classe de composés inhibiteurs de l’ECA et que, comme le captopril et l’énalapril, on s’attendait à ce qu’il soit utile non seulement pour le traitement de l’hypertension, mais également pour le traitement des maladies (troubles) cardiovasculaires que les autres membres de cette classe étaient reconnus pour traiter, telle l’insuffisance cardiaque » (affidavit de Parker, paragraphes 84-85, dossier de la demanderesse, vol. VI, onglet 10). J’accepte également la preuve par affidavit du Dr Gavras qui abonde dans le même sens. Le ramipril, comme le captopril et l’énalapril, était considéré comme un membre de la classe de composés inhibiteurs de l’ECA. Compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient à la date revendiquée de l’invention, une personne versée dans l’art aurait été amenée à penser qu’il était évident d’utiliser le ramipril, à titre de membre de la classe de composés inhibiteurs de l’ECA, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[121]       J’accorde beaucoup de poids à l’admission du Dr Dagenais en contre‑interrogatoire portant que dès avril 1984, compte tenu du fait que le ramipril, comme le captopril et l’énalapril, était un inhibiteur de l’ECA, [traduction] « il était susceptible» d’être utile pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Il a également admis en contre-interrogatoire qu’il ne connaissait pas de composé inhibiteur de l’ECA qui ne soit pas efficace ou utile pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[122]       Le Dr Dagenais a affirmé ce qui suit en contre-interrogatoire :

 

Q.         [La demande 800] date de 1982. Elle a été publiée le 5 mai 1982.

 

R.         Oui.

 

Q.         À ce moment, l’efficacité des inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’hypertension était-elle connue?

 

R.         Oui.

 

Q.         L’efficacité du captopril et de l’énalapril était-elle également connue en matière de traitement de l’insuffisance cardiaque?

 

R.         Oui.

 

[…]

 

Q.         Sans affirmer que tous les composés inhibiteurs de l’ECA sont identiques – et ce n’est pas ce que je tente d’affirmer. Les propriétés d’un inhibiteur de l’ECA, quelle que soit la définition d’un inhibiteur de l’ECA. Une fois qu’on détermine qu’un composé chimique constitue un inhibiteur de l’ECA, convenez-vous du fait qu’il comporte une propriété qui est de plus ou moins grande importance en ce qui concerne le traitement de maladies?

 

R.         Oui.

 

Q.         On s’attend à ce que, s’il s’agit d’un inhibiteur de l’ECA, il soit en mesure de faire baisser la pression artérielle.

 

R.         Cela fera baisser la pression artérielle de votre patient si celui-ci souffre d’hypertension.

 

Q.         Bien sûr, si le patient souffre d’hypertension. C’était connu en 1984?

 

R.         Oui.

 

Q.         De façon similaire, si les inhibiteurs de l’ECA sont connus pour leur efficacité en matière de traitement de l’insuffisance cardiaque, on s’attendrait à ce que cette propriété soit commune à l’ensemble des inhibiteurs de l’ECA?

 

R.         Vous pouvez affirmer ça. Si je me mets à la place d’une personne versée dans l’art, je ne sais pas si la nouvelle molécule découverte, bien qu’elle ait le même effet inhibiteur de l’ECA, se comportera de la même façon.

 

Q.         Ce n’est pas exactement ce que je dis.

 

R.         En général, il est possible qu’elles se comportent de la même façon.

 

Q.         Ce n’est pas seulement possible, on s’y attendrait.

 

R.         Oui, on s’y attendrait, pour employer votre terme.

 

Q.         On s’y attendrait et, c’était le cas en 1984?

 

R.         C’était le cas en 1984, mais quand on ne sait pas comment un composé se comporte, on remet cette affirmation en question. Mais on peut s’y attendre.

 

Q.         Quand vous dites que vous remettez cette affirmation en question, vous voulez dire que vous aimeriez vérifier ça?

 

R.         Oui.

 

Q.         Je présume que vous ne connaissez pas d’inhibiteurs de l’ECA qui, dès l’été 1984, n’étaient pas efficaces ou utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque?

 

R.         Non, je n’en connaissais pas.

 

Q.         L’attente de 1984, dont nous parlions tantôt, les attentes dont nous avons discuté ne constituaient pas seulement votre opinion personnelle, mais aussi, diriez-vous, les attentes d’une personne versée dans l’art à ce moment?

 

R.         Oui.     

 

(Contre-interrogatoire du Dr Dagenais, questions 406 à 418, dossier de la demanderesse vol. IX, onglet 22)

 

[123]       Aventis soutient que les réalisations antérieures étaient de type expérimental et que des essais cliniques additionnels étaient nécessaires. Je ne peux accepter aucune de ces prétentions. Premièrement, les experts s’entendent tous pour affirmer que l’utilisation des vasodilatateurs, qui comprennent les inhibiteurs de l’ECA, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque était bien acceptée dès 1984. Deuxièmement, l’affirmation d’Aventis constitue une tentative pour ériger la norme de brevetabilité et d’inventivité en une norme de présentation réglementaire. La jurisprudence a clairement établi que les essais cliniques exigés pour obtenir l’approbation du ministre de la Santé ne le sont pas pour démontrer l’évidence. Dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Inc., précitée, le juge Wetston a indiqué au paragraphe 104 :

[…] contrairement au ministre de la Santé, mon appréciation ne repose pas sur la question de savoir si le médicament tel qu'il est formulé a été suffisamment testé pour qu'on puisse l'administrer sans danger et efficacement à des êtres humains. Je dois plutôt décider si un inventeur peut revendiquer une invention qui a une utilité, donnant ainsi à la société une juste contrepartie pour le brevet. Cependant, A&N plaident que le critère de l'utilité applicable à l'invention pharmaceutique se définit par l'innocuité et l'efficacité.

 

Il a ensuite cité le Règlement sur les aliments et drogues et conclu au paragraphe 105 :

À mon avis, ces exigences sont excessives lorsqu'il s'agit de la brevetabilité des médicaments et elles créent une norme trop élevée pour le brevet.

 

[124]       En Cour suprême du Canada, [2002] 4 S.C.R. 153, le juge Binnie a appuyé cet argument en affirmant au paragraphe 3 :

[…] il aurait été injuste pour Glaxo/Wellcome qu’il [le commissaire aux brevets] l'oblige à démontrer l'efficacité de l'AZT au moyen des essais cliniques auxquels, selon le ministre de la Santé, un nouveau médicament sur ordonnance doit être soumis avant d'être approuvé.

 

[125]       Plus loin, au paragraphe 77, il a réaffirmé que les conditions préalables en matière de preuve que doit remplir le fabricant qui souhaite commercialiser une drogue nouvelle, selon les exigences en matière de présentation d’une drogue nouvelle (par exemple des essais cliniques antérieurs chez les humains) au ministre de la Santé,  visent un objectif différent de celui visé par le droit des brevets. « Dans le premier cas, dit‑il, on parle d'innocuité et d'efficacité alors que, dans le deuxième cas, il est question d'utilité, mais dans le contexte de l'inventivité ».

 

[126]       Un argument similaire concernant l’expérimentation et les essais à titre d’exigences a été soulevé dans Janssen-Ortho Inc., précité, où le juge Mosley a conclu au paragraphe 54 :

[…] le critère de l’évidence n’exclut pas les essais de routine visant à déterminer les caractéristiques des composés connus non effectués dans un but de « quête d’une nouveauté », mais plutôt dans celui de vérifier les attributs véritables de composés déjà connus lorsque les résultats n’indiquent aucun nouvel usage, ne donnent aucun résultat surprenant ou ne font pas état de propriétés clairement supérieures à celle d’un composé breveté connu.

 

[127]       Dans Sanofi-Synthelabo, précité, Apotex sollicitait l’autorisation de commercialiser une version générique de PLAVIX. Sanofi-Synethelabo était titulaire d’un brevet pour le PLAVIX concernant l’invention de l’isomère dextrogyre du racémate. Un brevet antérieur divulguait que les composés pouvaient exister sous forme de racémates ou d’isomères. Toutefois, le brevet antérieur ne contenait pas de renseignements sur la séparation des isomères optiques constituant les racémates.

 

[128]       Le juge Shore a conclu que le brevet antérieur ne contenait aucune indication quant à la manière de procéder pour séparer les isomères optiques constituant le racémate. La preuve d’expert indiquait que le résultat de la séparation des racémates n’était pas certain et ne pouvait, en conséquence, signifier qu’il était évident. Les réalisations antérieures enseignaient comment se rendre jusqu’à l’étape précédant la séparation. La séparation des isomères constituant le racémate afin d’obtenir l’isomère dextrogyre du racémate constituait une étape additionnelle nécessaire à mettre en oeuvre une fois suivis les renseignements de la technique. La preuve faisait état de cinq techniques de séparation. Rien n’indiquait qu’une personne versée dans l’art aurait su laquelle fonctionnerait. Le juge Shore a conclu que la seule preuve devant la Cour indiquait qu’une personne versée dans l’art finirait par trouver la technique qui convient. Il a conclu qu’il ressortait de cette preuve que, du point de vue juridique, il « valait la peine » de tenter de séparer les isomères constituant le racémate et que ce n’était pas évident.

 

[129]       Cette décision illustre bien à mon avis la distinction entre trouver l’invention divulguée dans le brevet évidente et simplement estimer qu’elle « valait la peine [d’être] tentée ». Les réalisations antérieures invoquées dans l’AA d’Apotex indiquent clairement qu’il était de connaissance générale que les inhibiteurs de l’ECA seraient utiles pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Aucune autre étape n’était nécessaire. Il est manifeste que, pour une personne versée dans l’art, l’utilisation des inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’insuffisance cardiaque aurait bien plus que valu la peine. C’était évident.

 

[130]       Le dernier argument d’Aventis concerne l’étonnante utilité du ramipril pour réduire la durée de la fibrillation ventriculaire. Il n’est pas pertinent en l’espèce en ce que l’utilisation du ramipril pour le traitement de la fibrillation ventriculaire n’est pas une utilisation revendiquée dans le brevet 457 et que, en fait, cette utilisation n’y est même pas mentionnée. Aventis s’appuie sur l’extrait suivant de l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 526 :

Même si (i) le par. 36(1) exige que l'inventeur indique et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu'il réclame comme son invention et si (à) pour être brevetable une invention doit consister en quelque chose de nouveau et d'utile (art. 2) qui n'était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que l'inventeur l'ait faite (al. 28(1)a), je ne donne pas aux derniers mots du par. 36(1) une interprétation qui oblige l'inventeur à décrire, dans sa divulgation ou ses revendications, en quoi l'invention est nouvelle et de quelle manière elle est utile. Il doit dire ce qu'il revendique avoir inventé. Il n'est pas obligé de vanter l'effet ou l'avantage de sa découverte s'il décrit son invention de manière à le produire.

 

Comme le dit le président Thorson dans R. v. American Optical Company et al., (1950), 11 Fox Pat. C. 62, à la p. 85 :

 

[traduction] On ne peut pas opposer non plus au caractère suffisant de la divulgation que les avantages de l'invention énoncés par le professeur Price n'ont pas été mentionnés dans le mémoire descriptif . . .. Si un inventeur a adéquatement décrit son invention, il a droit d'en jouir même s'il n'apprécie ni ne réalise pleinement les avantages qui en découlent ou s'il ne peut fournir l'explication scientifique de ces derniers. Il suffit que le mémoire descriptif décrive de façon complète et correcte l'invention et son emploi ou fonctionnement prévus par l'inventeur de telle sorte que le public, c.-à-d. les personnes versées dans l'art, puisse, en n'ayant que le mémoire descriptif, utiliser l'invention avec le même succès que l'inventeur.

 

[131]       D’après cet extrait, le principe de la divulgation suffisante d’un brevet n’exige pas que l’inventeur mentionne tous les avantages et propriétés qui découlent de son invention. À mon avis, ce principe n’est pas pertinent pour l’appréciation de l’évidence parce que celle-ci n’est pas fondée sur le caractère suffisant de la divulgation en raison des propriétés qui n’y sont pas mentionnées, mais plutôt sur la question de savoir s’il ressortait de l’état antérieur de la technique que l’invention était évidente du point de vue d’une personne versée dans l’art.

 

[132]       En conclusion, il ressortait de l’état antérieur de la technique que, dès avril 1984, une personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la conclusion que le ramipril, à titre de composé de la classe des inhibiteurs de l’ECA, était utile pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.

 

[133]       Le brevet 457 est donc invalide pour cause d’évidence.

 

iii) Double brevet

 

[134]       En plus du brevet 457, Aventis est titulaire du brevet canadien no 1,187,087 (le brevet 087) qui revendique précisément le ramipril et divulgue l’utilisation du composé à titre d’inhibiteur de l’ECA pour le traitement de l’hypertension.

 

[135]       Apotex allègue que la revendication 8 du brevet 457 est invalide pour cause de double brevet. La revendication 6 du brevet 087 revendique le ramipril en soi et décrit celui-ci comme un inhibiteur de l’ECA puissant à effet durable utile pour le traitement de l’hypertension. Apotex fait valoir que, à la date pertinente, savoir avril 1984, l’utilisation d’un composé inhibiteur de l’ECA connu pour le traitement de l’hypertension dans le but de traiter l’insuffisance cardiaque, plus précisément l’insuffisance cardiaque congestive, ne constitue pas une invention distincte, savoir avril 1984.

 

[136]       À titre subsidiaire, Apotex soutient que l’invention divulguée dans la revendication 8 était une variante évidente et non inventive qui ne méritait pas une protection par brevet en sus de l’invention revendiquée par le brevet 087.

 

[137]       Aventis souligne que le brevet 087 ne contient aucune revendication relative au traitement de l’insuffisance cardiaque, laquelle constitue une indication clinique distincte de l’hypertension.

 

[138]       La Cour suprême du Canada a expliqué la question du double brevet dans l’arrêt Whirlpool Corp., précité. L’interdiction du double brevet est rattachée à l’idée selon laquelle un inventeur n’a droit qu’à « un » brevet pour chaque invention. Si un brevet comportant des revendications identiques ou évidentes est délivré ultérieurement, il y a prolongement irrégulier du monopole. Le critère du double brevet comporte deux volets. Le premier volet est appelé le double brevet relatif à la « même invention » et consiste à déterminer s’il y a « identité » des revendications des deux brevets. Plus souple et moins littéral, le deuxième volet, souvent appelé le double brevet relatif à une « évidence », consiste à déterminer si les revendications du deuxième brevet visent un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur.

 

[139]       Comme les Drs Dagenais et Karmazyn l’ont affirmé dans leurs affidavits, l’hypertension et l’insuffisance cardiaque sont des indications cliniques distinctes. Les patients qui souffrent d’insuffisance cardiaque peuvent ou non souffrir également d’hypertension. Les deux experts ont convenu que le traitement de l’insuffisance cardiaque n’est ni identique ni évident compte tenu de la divulgation du brevet 087. En conséquence, j’estime qu’on ne peut affirmer qu’il y a « identité » des revendications du brevet 457 avec celles du brevet 087.

 

[140]       En ce qui concerne le volet « évidence » du critère du double brevet, je dois d’abord souligner qu’une conclusion d’invalidité pour cause d’évidence ne conduit pas automatiquement à une conclusion d’invalidité pour cause de double brevet relatif à une évidence. Les motifs pour soulever chacune de ces allégations peuvent être différents, comme c’est le cas en l’espèce. Apotex fait valoir qu’il aurait été évident pour une personne versée dans l’art d’utiliser pour le traitement de l’insuffisance cardiaque un composé inhibiteur de l’ECA connu pour le traitement de l’hypertension, mais elle n’a présenté aucune preuve à l’appui de cette allégation. Bien que j’aie précédemment déterminé que l’invention visée par le brevet 457 était évidente vu l’état antérieur de la technique, je ne suis pas parvenue à cette conclusion en me fondant sur la connaissance qu’aurait déjà une personne versée dans l’art de l’utilisation possible des inhibiteurs de l’ECA pour le traitement de l’hypertension. Comme je l’ai indiqué, l’hypertension et l’insuffisance cardiaque sont des troubles cliniques distincts et je ne crois pas, à la lumière du brevet 087, qu’il y ait double brevet relatif à une évidence. Tel que déterminé plus haut, ce brevet revendiquait une nouvelle utilisation d’un composé connu, objet pour lequel on peut légitimement obtenir un brevet.

 

[141]       En définitive, la présente demande est rejetée avec dépens.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

 

 

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B. D.D.N.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       T-2459-03

 

INTITULÉ :                                       AVENTIS PHARMA INC ET AL c. APOTEX INC ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :           DU 20 AU 22 SEPTEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE TREMBLAY – LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 4 NOVEMBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis

Kavita Ramamoorthy                                            POUR LES DEMANDERESSES

 

H. B. Radomski

Andrew R. Brodkin

Rick Tuzi                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SMART & BIGGAR LLP

438 University Avenue

Bureau 1500, case postale 111

Toronto (Ontario)

M5G 2K8                                                                POUR LES DEMANDERESSES

 

 

GOODMANS LLP

250 Yonge Street

Bureau 2400

Toronto (Ontario)

M5B 2M6                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

(APOTEX)

 

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

Bureau réginal de l’Ontario

The Exchange Tower

130 King St. W.

Bureau 3400, case postale 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6                                                                POUR LE DÉFENDEUR

(MINISTRE DE LA SANTÉ)

 



[1] Au moment de l’audition de la présente instance, la décision de la juge Simpson dans le dossier no T‑1851‑03 était encore en délibéré. L’ordonnance a été rendue le 6 octobre 2005 et les motifs ont été publiés le 11 octobre 2005.

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