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Date : 20050526

 

Dossier : T-884-03

 

Référence : 2005 CF 755

 

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2005

 

Monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

                                                           MERCK & CO., INC.

et

MERCK FROSST CANADA & CO.

 

demanderesses

– et –

 

 

APOTEX INC.

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               L’ostéoporose est une maladie qui entraîne la fragilité des os et augmente le risque de fractures. Les fractures sont la principale conséquence clinique de la maladie et leur incidence s’accroît avec l’âge. L’ostéoporose affecte davantage les femmes que les hommes. La femme qui atteint le cap de la cinquantaine voit son risque fracturaire s’accroître de 50 % jusqu’à la fin de ses jours.


 

[2]               Les fractures ostéoporotiques causent de sévères douleurs chroniques, la difformité rachidienne, une diminution de la taille, l’incapacité et une diminution importante de la qualité de vie. Les femmes qui ont subi une fracture ostéoporotique vivent souvent dans la crainte d’en subir une autre. En outre, les fractures ostéoporotiques contribuent à l’augmentation du taux de mortalité. L’incidence répandue et la gravité de l’ostéoporose incitent fortement les entreprises pharmaceutiques à élaborer des thérapies nouvelles et efficaces visant à en atténuer et à en éliminer les effets.

 

[3]               La société canadienne, par le biais de la protection des brevets, a choisi une politique pragmatique en octroyant un monopole sur leurs inventions aux individus et aux entreprises pharmaceutiques qui acceptent les risques associés au développement de nouvelles thérapies, dans la mesure où ces inventions sont véritablement inventives. Si l’on considère toutefois le coût élevé que l’octroi d’un tel monopole entraîne pour les consommateurs, la société canadienne a également un intérêt marqué à limiter la durée de l’exclusivité du marché dont l’inventeur peut bénéficier. Comme le juge Binnie le faisait remarquer dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 37:

Il est reconnu que le marché conclu entre le breveté et le public est dans l'intérêt des deux parties seulement si le titulaire du brevet acquiert une protection réelle en échange de la divulgation de son invention et que, de son côté, le public ne lui accorde pas un monopole excédant la période légale de 17 ans à partir de la date de délivrance du brevet (qui est désormais de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet). Un breveté qui peut «renouveler à perpétuité» une seule invention, grâce à des brevets successifs obtenus pour des ajouts évidents ou non inventifs, prolonge son monopole au-delà de ce qui a été convenu par le public.

  


[1]        Il s'agit essentiellement de savoir si le breveté s’est vu attribuer un monopole prolongé injustifié à l’égard d’un traitement contre l’ostéoporose, nul doute très efficace, par le biais d’une modification du régime posologique dépourvue d’inventivité.

 

Nature de la procédure

[2]        La présente demande fondée sur l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), DORS/93-133, a été déposée le 29 mai 2003 par Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada & Co. (désignées collectivement sous le nom de « Merck ») en réponse à un avis d’allégation signifié par Apotex (Apotex) en date du 25 février 2003. Le ministre de la Santé (le ministre) est partie à l’instance étant donné qu’il aurait pu délivrer un avis de conformité (AC) qui aurait permis à Apotex de commercialiser son médicament générique si Merck n’avait pas contesté l'avis d'allégation par le dépôt de la présente demande. Le ministre n’a déposé aucune observation écrite ou verbale.

 

[3]        Merck demande à la Cour d’enjoindre au ministre de la Santé de s’abstenir de délivrer un AC avant l’expiration du brevet canadien no 2 294 595 (le brevet 595). L’introduction de la demande d’interdiction entraîne un sursis prévu par la loi de 24 mois qui empêche le ministre de délivrer un AC tant que la Cour n'aura pas disposé de la demande : alinéa 7(1)e) et paragraphe 7(4) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité). En l'espèce, l'audience a eu lieu au cours du vingt‑troisième mois. 


[4]        Le brevet 595 intitulé « Méthode d’inhibition de la résorption osseuse » a été délivré à Merck pour l’alendronate monosodique trihydraté (l'alendronate), un membre de la classe bisphosphonate des inhibiteurs de résorption osseuse, un médicament contre l’ostéoporose. L’alendronate est commercialisé par Merck sous le nom commercial de FOSAMAX® pour, entre autres formulations, des comprimés de 70 mg à administration hebdomadaire. Apotex désire commercialiser une version générique de l’alendronate à administration hebdomadaire de 70 mg.

 

[5]        Apotex ne conteste pas que la formulation de son médicament contreferait le brevet de Merck, à supposer que ce brevet soit valide. Toutefois, Apotex soutient que Merck n’aurait jamais dû se voir délivrer un brevet pour le comprimé d’alendronate à administration hebdomadaire. Apotex soutient que le brevet est invalide pour cause d’antériorité, qu'il est évident, vu l’antériorité, aux yeux des personnes versées dans l’art, qu'il est inutile ou insuffisant et ambigu et qu'il porte sur une méthode de traitement médical. Si une seule de ces allégations est étayée par la preuve, le brevet 595 est invalide.

 

L’ostéoporose et le problème de la résorption osseuse

[6]        Je me suis fondé sur mon interprétation de la preuve soumise par les témoins experts des deux parties pour les descriptions non contestées de la nature de l’ostéoporose, le problème de la résorption osseuse et l’opération des bisphosphonates énoncés aux présents motifs.

 


[7]        Le tissu osseux est renouvelé continuellement par un processus cyclique de remodelage osseux. Ce remodelage est assuré par les unités multicellulaires fondamentales constituées d’ostéoclastes et d’ostéoblastes, tous issus de la moelle osseuse. Les ostéoclastes creusent une cavité dans le vieux tissu osseux suivant un processus appelé résorption osseuse. Les ostéoclastes forment, pour leur part, une nouvelle matrice organique au site de résorption, qui par la suite se minéralise ou se calcifie; c’est le processus de formation osseuse. Normalement, la vitesse de résorption osseuse est égale à celle de la formation de nouveau tissu osseux, mais dans certaines situations, il y a un déséquilibre entre les phases de résorption et de formation qui entraîne diverses pathologies.

 

[8]        L’ostéoporose est causée par un déséquilibre entre résorption et formation osseuses. La résorption est accélérée par rapport à la formation, ce qui entraîne une diminution nette de la masse osseuse et la destruction de l’architecture des os. Chez la femme, cette perte osseuse est due en partie à l’augmentation de la résorption induite par la carence œstrogénique survenant à la ménopause. Si les activités ostéodestructrices des ostéoclastes peuvent être freinées par un moyen quelconque (sans inhiber de façon importante l’activité d’ostéoformation des ostéoblastes), la progression de la maladie peut être ralentie. L’alendronate s’est avéré un médicament efficace pour inhiber l’activité destructrice des ostéoclastes.

 


[9]        L’alendronate s’est également révélé efficace dans le traitement d’une autre maladie du squelette, la maladie osseuse de Paget. Cette maladie intéresse un ou plusieurs os. Elle progresse lentement et entraîne des changements dans la forme et la taille des os touchés ainsi que des complications squelettiques, articulaires et vasculaires. On observe dans la maladie osseuse de Paget une augmentation du nombre et de la taille des ostéoclastes dans les sites atteints alors que le reste du squelette demeure normal. Les ostéoclastes anormaux, habituellement très volumineux, provoquent une résorption osseuse excessive qui est associée à une hyperactivité ostéoblastique au niveau des sites de remodelage. Une trop grande quantité d’os est ainsi formée, et la vitesse du remodelage osseux est accélérée.

 

Bisphosphonates et régimes posologiques

[10]      Les bisphosphonates sont une classe de composés capables d’inhiber la résorption osseuse. On ne les retrouve pas dans la nature. Les premiers bisphosphonates ont été synthétisés au XIXe siècle par des chimistes allemands. Ils ont d’abord été utilisés dans l’industrie et dans d’autres milieux non médicaux – notamment comme agents pour adoucir l’eau et comme désincrustants – car ils aident à inhiber la formation de cristaux. On a également découvert dans les années 1970 que les bisphosphonates tels que le clodronate, le pamidronate et l’étidronate pouvaient servir à inhiber la résorption osseuse et à traiter les maladies qui y sont associées, telle la maladie osseuse de Paget.

 


[11]      À cause de la faible biodisponibilité des bisphosphonates, il faut en prendre une quantité beaucoup plus grande que ce qui sera réellement absorbé par le tube digestif. Une fois absorbés, cependant, les bisphosphonates demeurent dans l’organisme pendant une période assez longue – jusqu’à deux semaines. Ils ont donc une demi-vie relativement longue et ne se dégradent pas rapidement dans le corps humain. Les composés de bisphosphonates sont par nature corrosifs et leur administration par voie orale a depuis longtemps été associée à des effets gastro-intestinaux indésirables.

 

[12]      Un certain nombre de brevets ont été délivrés, tant au Canada qu’à l’étranger, à la suite de la découverte des effets sur la résorption osseuse des bisphosphonates et, plus précisément, de l’alendronate. La demande de brevet « de base », divulguant l’utilisation thérapeutique de l’acide alendronique en vue d’inhiber la résorption osseuse, a été déposée en 1983 (revendiquant une priorité rétroactive à 1982) par l’Instituto Gentili SpA, société plus tard acquise par Merck. Cette dernière a par la suite mis au point l’alendronate sodique, une forme efficace du composé qui comporte moins d’effets secondaires.

 

[13]      Le brevet canadien no 2 018 477 (le brevet 477) a été publié par Merck en 1990 pour viser une forme d’alendronate sodique dont la posologie quotidienne administrée par voie orale est de 10 mg pour le traitement de l’ostéoporose et de 40 mg pour la maladie de Paget. Toujours en 1990 et 1991, l’acide alendronique et l’alendronate ont fait l'objet de brevets délivrés aux États-Unis (brevets américains 4,922,007 et 5,019,651). Des demandes de brevets similaires ont été déposées dans d’autres juridictions. L’alendronate en comprimés est décrit au brevet américain 5,358,941, délivré en 1994.


[14]      En 1995, Merck s’est vu délivrer un AC par le ministre et a commencé à commercialiser des comprimés d’alendronate au Canada pour le traitement de l’ostéoporose à raison d’une posologie quotidienne de 10 mg. Afin d’éviter les effets secondaires gastro-intestinaux, le régime posologique était des plus rigoureux. Le patient devait prendre les comprimés quotidiens au moins une demi‑heure avant l'ingestion du premier repas, liquide ou médicament du jour, avec un verre d’eau pure, et par la suite demeurer en position verticale pendant au moins 30 minutes.

 

[15]      Les parties s’accordent pour dire que le non-respect de la posologie de Merck relativement à la prise d’alendronate était une des principales causes d’effets secondaires importants chez un petit nombre de patients. Leurs opinions divergent quant à savoir si les effets les plus courants étaient l’« œsophagite médicamenteuse », atteinte locale de l’œsophage causée par un contact prolongé du comprimé avec la muqueuse, ou le « reflux acide », phénomène qui se produit lorsque le contenu de l’estomac remonte dans l’œsophage, ce qui peut provoquer une maladie appelée « reflux gastro-œsophagien » ou « RGO ».

 

[16]      Ces problèmes ayant été signalés, Merck a fait parvenir en 1996 une lettre adressée aux médecins prescrivant de l’alendronate leur conseillant d’insister auprès de leurs patients sur l’importance de suivre la posologie et de les informer d’un changement dans les instructions : les patients ne devraient pas s’allonger après la prise du médicament avant d’avoir pris les premiers aliments de la journée.   


[17]      En 1997, les comprimés étaient abondamment prescrits au Canada et à l’étranger et bien que la lettre aux médecins ait entraîné une réduction importante des effets secondaires GI, certains patients continuaient à éprouver ce problème. Des chercheurs cliniques et d’autres chercheurs avancèrent des suggestions afin de remédier à ce problème. La solution retenue par Merck, et pour laquelle elle a reçu la protection énoncée au brevet 595, est l’objet du présent litige.

 

[18]      Merck soutient qu’il ne s’agit pas d’un cas de « renouvellement à perpétuité » d’un brevet sur le point d’expirer. Merck n’a pas créé le problème des effets secondaires GI. Elle a dû y faire face lorsqu’il est ressorti des rapports d’études cliniques et y a remédié en trouvant une solution inventive pour laquelle un brevet lui a été à juste titre délivré.

 

Le brevet en litige

[19]      Merck a déposé sa demande au Canada le 17 juillet 1998. Le brevet 595 revendique la priorité sur les demandes de brevets provisoires des États‑Unis portant les numéros 60/053, 351 et 60/053, 535, déposées les 22 et 23 juillet 1997, et sur les demandes de brevets du Royaume‑Uni portant les numéros 9717590.5 et 9717850.3, déposées toutes deux en août 1997. Les deux parties conviennent que la date de priorité est le 22 juillet 1997. Le brevet 595 a été délivré le 21 août 2001. Merck a reçu en 1997 l’autorisation de Santé Canada lui permettant de commercialiser le FOSAMAX® en comprimés de 70 mg.

 


[20]      Le brevet américain no 5,994,329 (le brevet 329 É‑U), le brevet du Royaume-Uni no 0 998 292 (le brevet 292 R‑U), le brevet australien no 741818 (le brevet 818 australien) et le brevet européen no EP-B-998292 portent sensiblement sur le même objet que le brevet 595. Ces brevets ont tous été jugés invalides dans ces ressorts : Merck & Co., Inc. c. Teva Pharmaceuticals USA, Inc. 395 F.3d 1364 (2005 US App.), inf. 288 F.Supp. 2d 601 (2003 U.S. Dist. Del.); Teva Pharmaceutical Industries Ltd. et al. c. Istituto Gentili SpA et al., [2003] All E.R. (D) 153 (H.C.J.), conf. par [2003] All E.R. (D) 62 (C.A.); Arrow Pharmaceuticals Ltd. c. Merck & Co., Inc. 2004 FCA 1282 (F.C.A. - N.S.W.).

 

[21]      La Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral a jugé invalides les revendications du brevet sous étude pour cause d’évidence au vu de l’antériorité. Des demandes de nouvelles audiences par la formation plénière du tribunal ont été rejetées le 21 avril 2005. Merck a signifié un avis portant qu’elle s’adressera à la Cour suprême des États-Unis pour obtenir la délivrance d’un certiorari. En Angleterre, la Cour d’appel a confirmé une décision de première instance ayant invalidé un brevet comparable pour la Grande-Bretagne en raison de l'antériorité, de l'évidence et du fait qu'il portait sur une méthode de traitement. Le brevet de base antérieur a lui aussi été jugé invalide. La Cour fédérale d’Australie a estimé que le brevet australien de Merck n’était pas inventif, étant donné qu’il ne faisait que modifier le régime posologique et qu'il avait été antériorisé par plusieurs éléments d’antériorité visés en l'espèce.

 


[22]      Ces décisions ne me lient d'aucune façon et j’ai été attentif aux différences importantes en matière de lois sur les brevets qui séparent ces pays. Je les ai toutefois trouvées utiles, surtout les instances en révocation au Royaume-Uni et en Australie, pour l’éclairage qu'elles apportent sur l’histoire et la chronologie des événements quant aux brevets de Merck relatifs à l’alendronate. Bien que les questions ne soient pas identiques, eu égard aux différents régimes légaux en cause, les éléments de preuve de fond étaient essentiellement les mêmes dans chacune de ces causes. 

 

Les revendications


[23]      Dans Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) 2005 CF 9, au paragraphe 15, le juge Harrington a résumé les principes tirés de deux décisions récentes rendues en matière d’interprétation des revendications de brevet par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Électro‑Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., précitée. Le brevet s’adresse en théorie à une personne versée dans l’art ou la science dont relève l'invention et doit recevoir l'interprétation que cette personne lui aurait donnée lorsqu’il a été rendu public. Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l'objet pour assurer le respect de l’équité et la prévisibilité et pour cerner les limites du monopole. Seules les caractéristiques nouvelles que l’inventeur prétend être essentielles constituent l’« essence » de la revendication. « L'interprétation téléologique repose donc sur l'identification par la cour, avec l'aide du lecteur versé dans l'art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les éléments "essentiels" de son invention » (Whirlpool, précitée, paragraphe 45).

 

[24]      Les revendications en cause portent sur le comprimé de 70 mg d’alendronate à administration hebdomadaire par voie orale pour le traitement de l’ostéoporose. Les deux parties admettent que ni le traitement à l’alendronate par voie orale ni son utilisation dans le traitement de l’ostéoporose ne sont nouveaux. Ce qui est revendiqué comme étant novateur est le fait que l'administration hebdomadaire d'une quantité importante d’alendronate présente moins d’effets secondaires indésirables que l'administration quotidienne de la même quantité répartie sur une semaine. Merck soutient qu'en plus d'être étonnant et inventif, cela n’était pas évident ni antériorisé.

 

[25]      Merck soutient aujourd'hui – ce que ne conteste pas Apotex – que dans le brevet 177, les revendications pertinentes sont les revendications 35, 87 et 139.

[traduction]

Revendication 35 :

Emploi d’un bisphosphonate conformément à l’une ou l’autre des revendications 19 à 34 où ledit mammifère est un humain.

 

Revendication 87 :

Composition pharmaceutique conforme à l’une ou l’autre des revendications 71 à 86 où ledit mammifère est un humain.

 

Revendication 139 :

Bisphosphonate conforme à l’une ou l’autre des revendications 123 à 138 où ledit mammifère est un humain.

 

Présentons maintenant ces passages dans le contexte des revendications dont elles dépendent :

 

[traduction]


Revendication 35 :

Emploi d’alendronate monosodique trihydraté dans la fabrication d’un médicament pour le traitement de l’ostéoporose humaine, ledit médicament ayant été adapté pour administration orale sous une forme posologique unitaire d’environ 70 mg sur une base active d’acide alendronique conformément à un schéma posologique continu prévoyant la prise d’un comprimé une fois par semaine.

 

Revendication 87 :

Composition pharmaceutique utile dans le traitement de l’ostéoporose humaine qui contient une quantité pharmaceutiquement efficace d’alendronate monosodique trihydraté en association avec un véhicule pharmaceutiquement acceptable, l’alendronate monosodique trihydraté ayant été adapté pour être administré par voie orale sous une forme posologique unitaire d’environ 70 mg sur une base active d’acide alendronique conformément à un schéma posologique continu prévoyant la prise d’un comprimé une fois par semaine.

 

Revendication 139 :

Alendronate monosodique trihydraté se présentant sous une forme posologique administrable par voie orale d’environ 70 mg sur une base active d’acide alendronique qui est utilisé pour traiter l’ostéoporose humaine conformément à un schéma posologique continu prévoyant la prise d’un comprimé une fois par semaine.

 

 

[26]      Chacune de ces revendications porte sur une unité de 70 mg d’alendronate monosodique trihydraté à administration orale pour le traitement de l’ostéoporose humaine. La revendication 35 porte sur l’utilisation de l’alendronate dans la fabrication de la dose, la revendication 87 porte sur la forme posologique en soi et la revendication 139 traite de l’alendronate pour utilisation dans sa forme posologique. 

 

[27]      Bien qu’Apotex fasse valoir que la portée des revendications formulées puisse avoir une acception plus large que celle proposée par Merck, il est admis aux présentes qu’elles comprennent le produit FOSAMAX® de Merck ou qu’elles comprendraient le produit qu’Apotex souhaite commercialiser et qui est décrit comme suit à l’avis d’allégation :

 

 

 

 


[traduction]

 

...comprimés pour administration orale composés d’alendronate monosodique trihydraté (AMT) sous forme posologique unitaire de 70 mg (sur une base active d’acide alendronique) servant au traitement et à la prévention de l’ostéoporose et au traitement de la maladie de Paget, conformément à un schéma posologique continu prévoyant la prise orale d’un comprimé de 70 mg une fois par semaine pour le traitement et la prévention de l’ostéoporose.

 

 

[28]    Dans Biovail, précitée, le juge Harrington a fait remarquer :

 

Il est fatal de revendiquer plus que nécessaire. Par ailleurs, si les revendications de l'inventeur sont d'une portée trop limitée, le tribunal ne pourra pas accroître l'étendue du monopole en invoquant « l'esprit de l'invention » . Cela se produit souvent, comme c'est le cas en l'espèce, lorsque l'inventeur recourt à différents niveaux de revendications dont les restrictions sont destinées à servir d'éventuels filets protecteurs de sorte que, si une revendication plus large devait être rejetée, le monopole puisse en partie subsister sur la base d'une autre revendication de moins grande portée.

 

 

Le brevet 595 comporte lui aussi différents niveaux de revendications. Ce ne sont toutefois pas les revendications plus larges qui font l’objet du présent litige, mais bien les revendications plus limitées et précises, plus particulièrement celles qui décrivent le comprimé d’alendronate de 70 mg administré une fois par semaine. Dans la présente instance relative à la délivrance d'un avis de conformité, Apotex n'entreprend pas de contester chaque revendication contenue au brevet 595, mais uniquement celles qui l’empêchent de commercialiser un produit générique qui autrement contreferait certaines des revendications.   

 

[29]      Les parties conviennent qu’il n’y a rien de novateur dans l’utilisation des bisphosphonates à administration orale, y compris l’alendronate, dans le traitement de l’ostéoporose. Seules la dose proportionnellement plus élevée, soit 70 mg, et la fréquence à laquelle elle est administrée, soit une fois par semaine, en vue d'atténuer les effets secondaires GI indésirables, sont alléguées à titre d’objet brevetable.


 

 

Fardeau de la preuve

 

[30]      Les demandes présentées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) sont une procédure administrative visant à déterminer si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Merck est tenue d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que les allégations contenues à l’avis d’allégation d’Apotex ne sont pas justifiées. Pour ce faire, les demanderesses peuvent se fonder sur la présomption de validité énoncée au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4; Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 206, à la p. 216 (C.F. 1re inst.), conf. par (1996), 66 C.P.R. (3d) 329 (C.A.F.); Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.).

 

[31]      Ayant formulé les allégations contenues à l'avis d'allégation, Apotex a le fardeau de présenter une preuve suffisante afin de soumettre ces questions à l’examen de la Cour : Eli Lilly & Co. c. Nu-Pharm Inc., [1996] A.C.F. no 904 (C.A.F.); (1996), 69 C.P.R. (3d) 1.

 

[32]      Tel que réitéré par la Cour d’appel fédérale dans Procter & Gamble Pharmaceutical Canada Inc. et al c. Genpharm Inc. et al, 2004 CAF 393 (C.A.F.), le fabricant de produits génériques qui allègue l’invalidité d'un brevet dans le cadre d'une demande d’interdiction doit établir sa preuve suivant la prépondérance des probabilités.

 


[33]      Si la Cour conclut que les allégations contenues à l’avis d’allégation ne sont pas justifiées, elle doit délivrer une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet 595 : Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), paragraphe 6(2).

 

Éléments de preuve

[34]      Plusieurs cahiers de preuve ont été déposés par les parties à l'instance. Au soutien de sa demande, Merck a initialement soumis des affidavits souscrits par les personnes suivantes :

Prof. Socrates E. Papapoulos, professeur de médecine, médecin-conseil et directeur de la recherche osseuse et minéralogique au département d’endocrinologie et de maladies métaboliques du Centre médical de l’Université de Leiden en Hollande, présenté comme témoin qualifié pour interpréter le brevet 595 et commenter la connaissance du praticien versé dans l’art (ou à titre d’expert des bisphosphonates et du traitement l’ostéoporose clinique – comme l'a conclu la Cour de district aux É.‑U.).

 

Dr M. Brian Fennerty, professeur de médecine et chef de la section de gastroentérologie du département de médecine interne, section de gastroentérologie de la Oregon Health & Science University, à Portland (Oregon), présenté comme gastroentérologue expert; 

 

W.H. Guy Saheb, directeur des affaires réglementaires auprès de Merck Frosst Canada & Co. qui a joint plusieurs documents relatifs au statut de l’alendronate au Canada.

 

[35]      Apotex a soumis les affidavits des personnes suivantes : 

Prof. Juliet Elizabeth Compston, professeure de médecine des os au département de médecine de la University of Cambridge School of Medicine et médecin consultant honoraire auprès de l’hôpital Addenbrooke, à Cambridge, présentée comme experte de la physiologie et de la maladie des os;  

 


Dr Richard B. Mazess, professeur émérite de physique médicale à l’Université du Wisconsin, à Madison (retraité), et jusqu’à 2000, président et président directeur général de Lunar Corporation, Inc., décrit comme le principal fournisseur de système de diagnostics médicaux pour l’évaluation de l’ostéoporose et des maladies métaboliques des os et pour les applications orthopédiques. Également consultant auprès de l’industrie pharmaceutique relativement aux médicaments utilisés dans le traitement de l’ostéoporose, et auteur et directeur de la rédaction de la publication de Lunar, Lunar News. Présenté comme expert dans le diagnostic et le traitement des maladies des os, plus particulièrement l’ostéoporose et l’ostéodystrophie rénale, et pour déposer une preuve directe des événements survenus en 1996 et 1997;  

 

Dr David Markowitz, médecin spécialisé en gastroentérologie et assistant professeur de médecine clinique à l’Université Columbia, à New York, présenté comme expert en gastroentérologie;  

 

Dr Michael Mayersohn, professeur de sciences pharmaceutiques auprès du College of Pharmacy de l’Université de l’Arizona, présenté comme expert en pharmacocinétique, biopharmacie et pharmacie;

 

Dr Robert S. Langer, professeur de génie chimique et biochimique titulaire de la chaire Kenneth J. Germeshausen à la MIT; Département de génie chimique, Whitaker College of Health Sciences, Technology and Management; et de la Harvard-MIT Division of Health Sciences and Technology, présenté comme expert en pharmacie et en technologie des formulations pharmaceutiques, y compris la formulation des drogues bisphosphonates;

 

David Weissburg, consultant en entreprise indépendant, ancien employé du service du marketing et des ventes de Lunar Corporation de juillet 1994 à février 2001; 

 

Franco A. Tassone, employé de Parcels Inc., le service de copie de la cour de district des États-Unis pour le district du Delaware. On lui a demandé d’obtenir des copies accessibles au public des documents se rapportant au procès aux É.‑U. dans l'affaire Merck & Co., Inc. c. Teva Pharmaceuticals USA, Inc., précitée, et il les a jointes à son affidavit.

 

[36]      Merck a reçu la permission de déposer une contre‑preuve, ce qu'elle a fait en déposant l’affidavit suivant : 


Gerald Devlin, avocat principal en propriété intellectuelle et litige auprès de Merck & Co. Inc., a pour principale responsabilité la coordination des litiges concernant Merck liés à l’alendronate dans le monde entier. Il a joint plusieurs affidavits et transcriptions de contre‑interrogatoires provenant du procès en Australie dans l'affaire Arrow Pharmaceuticals Ltd. c. Merck & Co., Inc., précitée; des extraits des transcriptions du procès au Royaume-Uni dans l'affaire Teva Pharmaceuticals Industries Ltd. c. Istituto Gentili SpA, précitée, et du procès aux É.‑U. dans l'affaire Merck & Co., Inc. c. Teva Pharmaceuticals USA, Inc., précitée; ainsi que la transcription d’un témoignage rendu au cours de ce procès.

 

La requête en radiation des affidavits d’Apotex présentée par Merck 

 

[37]      Au début de l'audition de la présente demande, Merck a présenté une nouvelle fois une requête en radiation des affidavits d’Apotex. Une première requête visant à radier les affidavits de MM. Tassone, Weissburg et Mazess a été tranchée par le protonotaire Lafrenière le 21 juin 2004. Celui‑ci a jugé que les conclusions recherchées étaient hâtives, en l’absence de circonstances spéciales, et que l'appréciation de la preuve devait être laissée au juge des demandes. La requête a été rejetée sous réserve du droit de Merck de demander la permission de produire une contre-preuve. La permission de produire une contre-preuve a été accordée dans une ordonnance subséquente du protonotaire rendue le 13 juillet 2004 et donnant ouverture au dépôt de l’affidavit de M. Devlin décrit ci-haut.

 

[41]           Merck a déposé une nouvelle requête le 6 avril 2005 qui visait à faire radier, outre les trois affidavits visés dans sa requête de juin 2004, les affidavits des Drs Langer et Mayersohn. J’ai rendu un jugement oralement sur la requête avant de procéder à l’audition de la demande quant au fond.


 

[42]           Merck a soutenu que la preuve par affidavit qu’elle conteste ne devrait pas être admise essentiellement pour les motifs suivants : 

1.         les affiants d’Apotex ne possédaient pas les qualifications requises pour rendre un témoignage d’opinion sur les divers domaines de connaissance sur lesquels ils ont témoigné. 

2.         La preuve déposée n’était pas pertinente à la disposition des questions dont la Cour est saisie dans la présente instance relative à l'AC.

 

 

[43]           Appliquant les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, au paragraphe 17, soit : (a) la pertinence; (b) la nécessité daider le juge des faits; (c) labsence de toute règle dexclusion; et (d) la qualification suffisante de lexpert, jai conclu que la preuve dopinion offerte par Apotex était admissible.

 

[44]           La pertinence est une exigence liminaire pour toute preuve. La preuve logiquement pertinente peut être exclue si sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable, si elle exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec sa valeur ou si son effet sur le juge des faits est disproportionné par rapport à sa fiabilité (Mohan, au paragraphe 18).

 


[45]           Pour être nécessaire, la preuve d'expert doit, selon toute vraisemblance, dépasser l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury et être évaluée à la lumière de la possibilité qu'elle fausse le processus de recherche des faits. La nécessité ne devrait pas être jugée selon une norme trop stricte. La preuve d'expert peut être exclue si elle contrevient à une règle d'exclusion de la preuve, distincte de la règle applicable à l'opinion elle‑même, telle la règle du ouï‑dire (Mohan, paragraphes 21 à 23).

 

[46]      Les experts potentiels ne sont pas tenus de posséder de titres de compétence particuliers afin de pouvoir être entendus comme experts par la Cour. Un témoignage dopinion peut être rendu par un expert « dont on démontre qu'il ou elle a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage » (Mohan, paragraphe 27). Cela fait écho aux affirmations de la cour dans R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, au paragraphe 35, citant R. c. Beland, [1987] 2 R.C.S. 398, au paragraphe 16, à savoir que la seule condition est que « le témoin expert possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits ».

 

[47]      Comme l'ont dit Sopinka, Lederman et Bryant dans The Law of Evidence in Canada (1992) aux pages 536 et 537 :

[traduction] L'admissibilité du témoignage [d'expert] ne dépend pas des moyens grâce auxquels cette compétence a été acquise. Tant qu'elle est convaincue que le témoin possède une expérience suffisante dans le domaine en question, la cour ne se demandera pas si cette compétence a été acquise à l'aide d'études spécifiques ou d'une formation pratique, bien que cela puisse avoir un effet sur le poids à accorder au témoignage.

 

 


[48]           En ce qui a trait aux Drs Langer et Mayersohn, Merck ne s’est pas opposée à leurs affidavits dans sa première requête. Merck soutient que l’insuffisance de leurs qualifications relativement aux questions en l'instance n'est devenue apparente que lors du contre‑interrogatoire. Merck soppose maintenant à ladmissibilité de leur témoignage au motif quils ne sont pas des médecins et soutient que les questions sur lesquelles ils ont été appelés à témoigner comme experts, tel que Merck le décrit, portent uniquement sur les spécialités médicales de la gastroentérologie et de l’endocrinologie.  

 

[49]           Je ne souscris pas à la thèse de Merck portant que l’on ait demandé à ces deux témoins de commenter des questions qui allaient au‑delà de leur expertise. Les qualification pertinentes et impressionnantes du Dr Langer en font un expert de la technologie pharmaceutique relativement à la formulation de drogues, y compris le bisphosphonate. Son témoignage porte sur les questions de formulation et ne dépasse pas par conséquent son expertise en pharmacie.

 

[50]           Les qualifications du Dr Mayersohn sont à titre d’expert de la pharmacocinétique, la biopharmacie et la pharmacie. Son témoignage sur l’équivalence des doses de 70 et 80 mg d’alendronate en raison de la faible biodisponibilité du médicament n’a pas été soulevé lors du contre‑interrogatoire. Apotex s’est opposée à ce que Merck remette cette preuve en cause lors des représentations verbales au motif que cela contrevenait à la règle énoncée dans Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.). J’ai été convaincu que ledit témoignage était tout à fait pertinent, non contredit et admissible.   

 


[51]           L’affidavit du Dr Mazess décrit surtout des événements entourant la publication de son opinion sur l’alendronate dans le bulletin Lunar News produit par la société qu’il a fondée, laquelle fabrique et distribue des appareils servant à mesurer la densité minérale des os et qui sont employés pour le diagnostic et le traitement des maladies du squelette. Merck s’oppose à ce que le Dr Mazess puisse commenter le témoignage des Drs Papapoulos et Fennerty, vu qu’il n’est pas un médecin. Merck s’oppose également à la pertinence de son témoignage relativement aux rencontres et à la correspondance entre le Dr Mazess et les représentants de Merck portant sur les régimes posologiques des bisphosphonates. Enfin, elle soumet que ses écrits parus dans Lunar News parlent d'eux‑mêmes et qu’il ne devrait pas lui être permis d’en expliquer le sens.

 

[52]           Tout au long de sa carrière universitaire et dans le cadre de son entreprise, le Dr Mazess a acquis de vastes connaissances sur les maladies osseuses, notamment l’ostéoporose. Bien qu’il ne soit pas qualifié pour traiter les patients, cela ne l’empêche pas, selon moi, de commenter les thérapies applicables aux maladies osseuses. Il ressort du dossier que ses propos publiés dans Lunar News ont eu une influence importante dans le domaine tant pharmaceutique que clinique. Les Drs Papapoulos et Fennerty ont abondamment commenté ses écrits au cours de leurs témoignages. Il y a tout à fait lieu de croire, à mon avis, que les commentaires formulés par le Dr Mazess à l’égard de leurs témoignages pourraient aider à trancher les questions en litige.

 


[53]           En ce qui concerne le témoignage du docteur Mazess sur la correspondance et les rencontres avec le personnel de Merck, je suis convaincu qu’il était pertinent et admissible. Merck a raison de dire que ses écrits parus dans Lunar News doivent, en leur qualité d’éventuelles références d’antériorité, parler d'eux-mêmes. Toutefois, je suis également convaincu qu’il pouvait témoigner sur l’historique et le contexte de ces écrits. Par conséquent, son témoignage était admissible sous réserve de l'importance qu'il convient de lui accorder.

 

[54]           L’affidavit de M. Weissburg ne contient pas d’opinion d’expert mais décrit plutôt des événements et des déclarations relatées émanant d’autrui. Apotex se fonde sur ces déclarations non pas en raison de leur véracité mais parce qu’elles ont été faites. Comme la Cour suprême du Canada l’a décidé dans R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, et comme nombre de tribunaux l’ont appliqué par la suite aux affaires civiles, le ouï-dire n’est pas inadmissible lorsqu’il est considéré crédible et digne de foi : ex., Dye c. Morehouse (1999), 45 C.P.C. (4th) 329 (C.S. C.-B.), E.S. c. D.M. (1996), 143 Nfld.&P.E.I.R. 192 (C.S.T.‑N.). J'ai admis cette preuve dans le but précis d’établir que certains événements se sont produits et que des déclarations ont été faites et non pour la véracité de leur contenu.

 


[55]           Des copies de documents déposés par la défenderesse dans l’instance qui s’est déroulée devant la cour de district des États-Unis ont été jointes à l’affidavit de M. Tassone. Apotex cherchait ainsi en partie à réfuter les témoignages des Drs Papapoulos et Fennerty suivant lesquels les antériorités incluses dans l’avis d’allégation n'auraient pu servir à démontrer le caractère sécuritaire de l’administration de doses élevées d’alendronate aux patients ostéoporotiques. On retrouve, jointe à l’affidavit de M. Tassone, la demande déposée par Merck auprès de la United States Federal Drug Administration (la FDA) visant à obtenir l’approbation de la posologie de 70 mg de FOSAMAX®, ce qui signifie que Merck s’est fondée sur les mêmes antériorités pour démontrer qu’une telle dose était sûre et efficace. 

 

[56]           Merck s’est opposée à l’admissibilité desdits documents au motif qu’ils n’ont pas été prouvés ni authentifiés pour les fins de la présente instance conformément aux exigences canadiennes en matière de preuve applicables aux documents provenant de tribunaux étrangers : article 23, Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (la LPC). En outre, Merck a soutenu que le dépôt de quelques six cahiers de preuve provenant de l’instance américaine était une façon détournée d'élargir la portée des allégations contenues à l’avis d’allégation. Merck a admis que si l’affidavit de M. Tassone était inadmissible, il en allait de même des pièces jointes à l’affidavit de M. Devlin qui comportait, pareillement, des éléments de preuve provenant d’une instance étrangère. 

 


[57]           Le Dr Yates, principal inventeur nommé au brevet 595, n’était plus à l’emploi de Merck lors du dépôt de la présente demande et a refusé de témoigner, si l'on se fie à l’affidavit de M. Devlin. Merck cherche à produire des parties du témoignage qu’il a rendu devant les instances qui se sont déroulées en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, par l'entremise de l’affidavit de M. Devlin, pour répondre aux témoignages du Dr Mazess et de M. Weissburg au sujet d’une rencontre qu’ils ont eue le 21 mai 1997 avec les dirigeants de Merck et à laquelle le Dr Yates assistait. Les témoignages de MM. Mazess et Weissburg portant sur cette rencontre dans le cadre de l’instance australienne sont semblables à ceux qu'ils ont rendus dans la présente affaire. Selon M. Devlin, les autres représentants de Merck ayant assisté à ladite rencontre ne se souvenaient pas de la discussion ou n’étaient pas disponibles pour témoigner. Aussi, Merck soutient que les passages pertinents (paragraphes 94-116) de l’affidavit du Dr Yates, portant la date du 22 mars 2004 et déposé dans le cadre de l’instance australienne, constituent la meilleure preuve dont elle dispose pour contester les témoignages du Dr Mazess et de M. Weissburg en ce qui a trait aux propos tenus lors de la réunion de mai 1997.

 

[58]           Le Dr Yates a été contre-interrogé sur son affidavit déposé dans l’instance australienne et ce témoignage a lui aussi été joint à l’affidavit de M. Devlin. Je remarque qu’aux paragraphes 70-73 des motifs de son jugement, le juge Gyles de la Cour fédérale d’Australie a accepté les témoignages du Dr Mazess et de M. Weissburg au sujet de ce qui s'est passé lors de la rencontre de mai 1997, ce qui a également fait l'objet d'un contre-interrogatoire, et rejeté comme peu vraisemblable celui du Dr Yates. Le témoignage du Dr Yates a été admis dans l’instance devant la cour de district des États-Unis, et il a été considéré « juste » par le juge Jacob qui présidait l’instance du Royaume-Uni. Néanmoins, le juge Jacob a conclu que les propres documents contemporains de Merck constituaient un relevé plus significatif de ce que le personnel de Merck, y compris le Dr Yates, savait en 1996 et en 1997. Ces documents, y compris les courriels internes et la correspondance, sont reproduits en détail dans le cadre des motifs du juge Gyles et ont mené celui‑ci à conclure qu'il était [traduction] « exagéré » de prétendre que le Dr Yates ignorait le contenu des articles de Lunar News qui ont été déposés lors de cette rencontre.


 

[59]           Je ne suis pas convaincu en l’instance que je pourrais accorder plus d'importance au témoignage du Dr Yates que ne l'a fait le juge Gyles.   

 

[60]           En ce qui a trait à l’affidavit de M. Tassone, j'estime qu'il était inapproprié de la part d’Apotex d'y recourir pour verser en preuve, en l'instance, une preuve déposée devant une instance étrangère. L’authentification par un commis à l’emploi d’un service de photocopie ne répond pas aux exigences de l’article 23 de la LPC. Les pièces jointes à l’affidavit représentaient six cahiers de documents. Apotex n’a pas fait de véritable effort pour expliquer en quoi la plupart de cette documentation serait pertinente et admissible. Même si elle avait été certifiée en bonne et due forme, sa pertinence et son admissibilité devaient être établies : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [1998] 3 C.F. 400 (1re inst.).

 

[61]           Je conviens que l’article 23 n’est pas la seule procédure par laquelle une preuve provenant d’une juridiction étrangère peut être déposée en preuve. La pertinence et l’admissibilité peuvent être établies par d’autres moyens, particulièrement lorsque l’authenticité de la preuve ainsi déposée ne soulève aucun doute : Suchon c. Canada (2002), 291 N.R. 250. Le caractère authentique des documents en l'espèce ne soulevait aucun doute. Je crois toutefois qu’il était inutile, voire excessif, de déverser en l'instance les éléments de preuve déposés dans le cadre du procès américain, comme ce fut le cas, et j'ai donc conclu en grande partie à leur inadmissibilité. Je ne saurais décourager plus vigoureusement la répétition d’une telle pratique.


 

[62]           Plusieurs documents joints aux affidavits de MM. Tassone et Devlin ont été identifiés au cours de l’interrogatoire des autres affiants dans la présente instance. Je suis d’avis que leur authenticité a été établie de façon satisfaisante. Par conséquent, j’ai permis aux deux parties d'invoquer en l'espèce tous les documents identifiés de la sorte. Un seul de ces documents s’est avéré pertinent : la présentation de drogue nouvelle soumise par Merck à la FDA en ce qui a trait à la formulation de 70 mg.

 

[63]           Apotex remet en question la crédibilité et la fiabilité des principaux témoins de Merck, les Drs Papapoulos et Fennerty, et soutient qu’ils ont tous deux examiné les antériorités de façon sélective en faisant ressortir l’information utile à la cause de Merck, tout en écartant celle qui la desservait. Apotex souligne la quasi‑identité de l'essentiel de leurs affidavits, leurs longs états de service à titre de consultants de Merck, et soutient que ni l’un ni l’autre ne possède l’indépendance à laquelle on doit s’attendre d’un témoin expert. Pour ces motifs, Apotex affirme qu'une moins grande importance devrait être accordée à leurs témoignages.

 


[64]           La preuve d’expert présentée à la Cour devrait être – et perçue comme telle – le produit indépendant de l’expert ne subissant aucune influence de forme ou de fond dictée par les exigences du déroulement de l'instance : Whitehouse c. Jordan [1981] 1 All ER 267 (H.L.), à la p. 276. Je n’ai peine à conclure, à la lecture de la preuve soumise, qu'il faut préférer la preuve d’Apotex dans la mesure où les témoins de Merck et ceux d’Apotex se contredisent. Bien que le Dr Papapoulos soit une sommité dans son domaine, son témoignage m'est apparu, pour reprendre les termes du juge Jacob lors du procès au Royaume-Uni, [traduction] « rigide » et « extrême » lorsqu’on l'a confronté lors du contre-interrogatoire à des antériorités incompatibles avec la thèse de Merck. En ce qui a trait au Dr Fennerty, il est ressorti de la truculence avec laquelle il a répondu aux questions lors du contre-interrogatoire qu’il avait franchi le pas entre l’indépendance et la ligne partisane. J’ai accordé peu de poids à son témoignage. 

 

[65]           Merck soutient que les témoignages de ceux qui étaient directement versés dans l’art à l’époque pertinente devraient être préférés. En l'occurrence, soutient-elle, il s'agit du traitement médical de l’ostéoporose et des conditions GI et, de ce fait, la Cour devrait accorder plus d'importance au témoignage de ceux qui ont exercé dans ces domaines à l’époque pertinente. Au soutien de cet argument, Merck se fonde sur Windsurfing International Inc. c. Trilantic CwT. (1985), 8 C.P.R. (3d) 241, aux pages 259‑260 (C.A.F.).

 


[66]           L'affaire Windsurfing portait sur une action en contrefaçon de brevet assortie d'une demande reconventionnelle pour cause d’invalidité dans laquelle les témoins experts des deux parties de même que M. Darby, l’inventeur d’une planche à voile dont l’invention reposait sur l’antériorité, ont témoigné. La Cour d’appel fédérale a statué, au vu de la preuve, qu'elle ne pouvait conclure à l'évidence étant donné que l’invention en question n’était pas évidente pour M. Darby, qui aurait pu y penser, après la date de priorité. Le fait qu’aucun des médecins praticiens ayant témoigné à titre d’experts dans la présente affaire n’ait songé à administrer 70 mg d’alendronate une fois par semaine doit être pris en compte, mais ne tranche pas à mon sens la question de savoir s’il existe une preuve suffisante d’évidence ou d’antériorité. De plus, aucun des témoins experts en l'espèce ne pourrait être considéré comme un inventeur concurrent, contrairement à M. Darby.

 

Questions en litige

 

[67]           Les parties ne contestent pas vraiment le fait que si le brevet est valide, le produit pour lequel Apotex cherche à obtenir un avis de conformité contrefera le brevet. Il ne s’agit pas ici de l'interprétation des revendications. Les questions soulevées par la présente demande portent entièrement sur la validité du brevet.  

 

[68]           Apotex attaque la validité du brevet aux motifs qu’il était évident à la lumière de l’antériorité; qu’il avait été antériorisé; qu’il était invalide en raison de son défaut de démontrer son utilité ou de faire une prédiction valable de son utilité; que la divulgation était insuffisante ou ambiguë; et parce qu’il s’agit d’une tentative de breveter une méthode de traitement et, à ce titre, ce ne peut être une invention au sens de la Loi sur les brevets.

 

[69]           Au vu de mes conclusions sur l’évidence, je consacrerai la plus grande partie de l’analyse qui suit à cette question et ne m’attarderai que brièvement aux autres.

 


ANALYSE

 

ÉVIDENCE

 

Principes de droit      

 

[70]      La norme d’évidence vise à déterminer si le breveté a vraiment « inventé » quelque chose en différenciant l’éclair de génie du triomphe de la méthode : Apotex Inc. c. Welcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193, à la p. 269 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 10 C.P.R. (40) 65 (C.A.F.); conf. par (2002), 21 C.P.R. (4th) 499 (C.S.C.) 40. Si l’étape inventive alléguée « vient spontanément à l’esprit d’une personne ordinaire, versée dans l’art ou la science en cause, qui cherche quelque chose de nouveau sans se livrer à des réflexions, recherches ou expérimentations sérieuses », « l’invention » qui en résulterait serait évidente. Il faut se demander si le destinataire, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances courantes, « serait directement et facilement arriv[é] à la solution que préconise le brevet » : Beecham Canada Ltd c. Procter and Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1 (C.A.F.).

 

[71]      La règle de l’évidence, telle qu’énoncée dans Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 à 297 (C.A.F.), à la page 294, est un critère auquel il est difficile de satisfaire :


Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

 

[72]      La Cour d’appel fait également une mise en garde dans Beloit, à la p. 295 :

 

Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue: « j'aurais pu faire cela »; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question: « Pourquoi ne l'avez‑vous pas fait? »   

 

En outre, l’inventivité peut exister en l’absence de difficulté à mettre une idée en pratique une fois conçue : Diversified Products Corp. c. Tye‑Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 à 370 (C.A.F.).

 

[73]      Lorsque la preuve d’expert est contradictoire sur la question de l’évidence, une preuve portant que l’invention n’est pas venue à l’esprit de toute personne versée dans l’art dont relève l’invention devrait être concluante, ou du moins très convaincante pour établir que l’invention n’aurait pas été évidente au technicien fictif versé dans l’art et dépourvu d’imagination : Windsurfing International Inc., précité, pages 259‑260.

 

L’application des principes à la preuve

 

[74]      Aux pages 3 et 4 de l’avis d’allégation, Apotex allègue:

 

[traduction]

 


Il ne peut y avoir contrefaçon des revendications 1 à 12 inclusivement, 15, 18 à 29 inclusivement, 32, 35 à 46 inclusivement, 49, 52 à 64 inclusivement, 67, 70 à 81 inclusivement, 84, 87 à 98 inclusivement, 101, 104 à 116 inclusivement, 119, 122 à 133 inclusivement, 136, 139 à 150 inclusivement, 153, 156 à 168 inclusivement et 171 à 175 inclusivement (ou de toute autre revendication) du brevet 595 si l’objet desdites revendications est démontré et divulgué à l’antériorité tel que le comprendraient des personnes versées dans l’art étant donné qu’aucun brevet valide ne peut monopoliser ce qui est vieux et public. 

 

 

[75]      Apotex soutient aux pages 12 à 14 de l’avis d’allégation que l’enseignement tiré du brevet (énuméré à l’Annexe 3) sur [traduction] « l’administration de bisphosphonates tels que [l’alendronate] suivant diverses posologies à différentes fréquences est efficace à l’égard des mammifères pour l’inhibition de la résorption osseuse, y compris l’ostéoporose, la maladie de Paget et l’hypercalcémie maligne » était bien compris par des personnes versées dans l’art à la date du dépôt de la demande du brevet 595 en 1997. L’antériorité dont il est plus particulièrement question concerne deux demandes de brevets internationaux, WO 95/28936 et WO 96/38156, respectivement publiés en 1995 et 1996 en vertu du Traité de coopération en matière de brevets, trois articles du Lunar News et des articles de journaux médicaux signés Khan et al (1997), Thompson et al (1992) et Reddy et al (1995).

 

[76]           Dans son argumentation, Apotex affirme qu’en date du 22 juillet 1997, les renseignements suivants auraient été bien connus des personnes versées dans l’art :

[traduction]

 

 

1. Les bisphosphonates comme classe de médicaments ayant des propriétés thérapeutiques.

 

 

2. L’utilisation des bisphosphonates dans le traitement des troubles osseux.

 

 

3. La relation entre une anomalie de la résorption osseuse, la maladie osseuse de Paget et l’ostéoporose.

 

 

4. Les bisphosphonates ont été utiles dans le traitement de l’ostéoporose et de la maladie osseuse de Paget.

 

 

5. Plus précisément, l’alendronate a été utile dans le traitement de l’ostéoporose et de la maladie osseuse de Paget.


 

6. L’alendronate a été efficace chez les mammifères, y compris les humains.

 

 

7. L’administration chronique d’alendronate s’est avérée sûre et efficace pour contrer une résorption osseuse anormale.

 

 

8. Les propriétés pharmacologiques des bisphosphonates, notamment de l’alendronate, étaient les suivantes :

 

 

a. la biodisponibilité orale était faible, soit 1 %,

 

 

b. la biodisponibilité était grandement diminuée si le produit était ingéré avec des aliments;

 

 

c. le produit avait une longue durée d’action, c.-à-d. une longue demi-vie.

 

 

9. L’alendronate a été administré sous diverses formes posologiques pour traiter l’ostéoporose chez les animaux et les humains.

 

 

10. L’alendronate a été administré par voie orale sous forme de comprimé pour contrer la résorption osseuse, notamment l’ostéoporose.

 

 

11. L’alendronate a été administré selon divers régimes posologiques, y compris des régimes intermittents qui réduisent au minimum les effets secondaires.

 

 

12. L’alendronate a été administré en doses variées, notamment 40 mg et 80 mg, dans un essai pour la maladie osseuse de Paget.

 

 

13. Des trousses contenant des bisphosphonates, plus particulièrement des comprimés, ont été utilisées selon des schémas posologiques spécifiques.

 

 

14. L’alendronate était en général bien toléré bien que des effets secondaires aient été associés à l’administration par voie orale. On estimait qu’il était mieux toléré que d’autres bisphosphonates, comme l’étidronate.

 

 

15. Les problèmes d’administration, p. ex. le respect des exigences strictes relatives à la posologie, ont été les principales causes d’effets GI secondaires.

 

 

16. Les effets secondaires étaient réduits, éliminés ou minimaux lorsque le patient suivait les instructions relatives à la posologie.

 

 

 

[77]           Les parties reconnaissent que l’efficacité de l’administration d’une plus forte dose d’alendronate dans le traitement de l’ostéoporose ou de la maladie osseuse de Paget n’a pas été contestée avant la date de priorité.

 

[78]           Il ne reste qu’à savoir si une augmentation substantielle de la concentration prise en une seule dose serait sûre du point de vue des effets secondaires indésirables possibles. Merck soutient qu’il faut une véritable invention pour trouver la réponse à cette question. À la lumière de l’expérience clinique d’utilisation des bisphosphonates, y compris l’alendronate, les personnes versées dans l’art seraient d’avis que les effets secondaires indésirables seraient « proportionnels à la dose » : autrement dit, plus la dose est forte, plus les effets indésirables sont importants. Apotex soutient que, suivant l’antériorité, la réponse était évidente : si l’on réduit la fréquence d’administration tout en augmentant la dose, on réduit les effets secondaires.

 

[79]           Ce débat repose en partie sur la question de savoir si les effets GI secondaires ont été causés par une œsophagite médicamenteuse ou un reflux acide. Plusieurs antériorités sur lesquelles s’appuie Apotex tendent à démontrer que les effets GI ont été causés principalement par l’adhérence des comprimés à la muqueuse œsophagienne après leur ingestion. Si la fréquence d’administration était réduite, l’incidence de l’œsophagite médicamenteuse serait donc aussi abaissée. Apotex signale que le témoin de Merck, le Dr Fennerty, a admis en contre-interrogatoire (p. 5252 du dossier de la demanderesse) que la fréquence jouait un rôle tant pour l’œsophagite médicamenteuse que pour le reflux acide.

 


[80]           Merck soutient qu’il est devenu évident, d’après les études contrôlées qu’elle a effectuées chez les chiens en 1996 et 1997, que le problème était davantage dû au reflux acide du contenu de l’estomac dans l’œsophage et que les lésions ainsi causées pouvaient être atténuées par l’administration hebdomadaire d’une seule dose plus importante. Les études sur les chiens ont servi de fondement à l’approbation par la FDA de la commercialisation du comprimé de 70 mg de FOSAMAX® et sont mentionnées dans le mémoire descriptif du brevet 595.

 

[81]           Les études sur les chiens effectuées par Merck ne confirment pas, à mon avis, que le reflux gastrique était la principale cause des irritations œsophagiennes découlant de l’administration orale de l’alendronate, bien que cela puisse être vrai. Les études ont plutôt présumé que le reflux était le problème et ont simulé une réaction de reflux en mélangeant de l’alendronate à du suc gastrique simulé qui a été perfusé dans l’œsophage des chiens. La solution a été administrée en plusieurs concentrations dans l’œsophage pour des périodes variées, et un examen a été effectué chez les chiens euthanasiés à différents intervalles.

 

[82]           Il y a des différences dans la description des conclusions des études sur les chiens dans le mémoire descriptif du brevet. Les études démontrent toutefois que la présence d’une solution d’alendronate dans l’oesophage peut causer des blessures et que ces blessures peuvent être minimisées en réduisant la fréquence de l’administration. Cela semble résulter soit de la diminution des effets corrosifs pouvant causer des blessures, soit de la diminution de la fréquence d’administration, ce qui donne plus de temps aux tissus oesophagiques irrités pour récupérer entre deux administrations de la solution irritante. Dans un cas comme dans l’autre, les études sur les chiens étayent la conclusion suivant laquelle la fréquence d’administration est plus importante que la quantité de la dose dans la diminution des effets GI indésirables.


 

[83]           Selon Merck, la réponse clinique intuitive aux effets secondaires indésirables des produits pharmaceutiques est de réduire la dose et non pas de l’augmenter. Ainsi, sa conclusion suivant laquelle une dose plus élevée administrée de façon moins fréquente pouvait réduire ces effets était contre‑intuitive et inventive. 

 

[84]           Toutefois, l’alendronate avait déjà été administré à doses plus élevées sur une base quotidienne pour de longues durées sans causer d’augmentation apparente des effets secondaires GI.   

 


[85]           Lorsque Merck a obtenu l’approbation pour commercialiser les comprimés de 10 mg de FOSAMAX® pour les patients atteints d’ostéoporose, l’administration aux patients atteints de la maladie de Paget sous forme de comprimés de 40 mg a également été approuvée. Une étude menée par S.A. Khan et al. publiée dans le numéro de mars 1997 de la revue Bone, citée dans l’avis d’allégation de la défenderesse, faisait rapport de l’administration quotidienne de doses de 40 mg et 80 mg d’alendronate aux patients atteints de la maladie de Paget pour des périodes de trois et six mois. Aucune différence dans le taux d’effets secondaires GI n’a été notée entre les deux doses. Khan conclut qu’il n’y avait pas de lien apparent entre ces événements et les dosages. Il ne s’agit que d’une des nombreuses études citées par Apotex au soutien de son argument suivant lequel des doses plus élevées d’alendronate étaient administrées aux patients sans entraîner d’augmentation importante des effets secondaires et que cela relevait des connaissances générales des personnes versées dans l’art avant le dépôt de la demande de brevet de Merck.

 

[86]           Merck s’est fondée sur l’étude Khan pour les fins de sa demande d’approbation par la FDA des comprimés de 70 mg.

 

[87]           Merck soutient que les patients atteints de la maladie de Paget sont beaucoup plus tolérants aux niveaux de douleur plus élevés en raison des symptômes associés à cette maladie, dont la déformation des os. Par conséquent, une personne versée dans l’art avant la divulgation de la demande de brevet en 1997 n’aurait pu extrapoler les conclusions d’études contrôlées menées sur des patients atteints de la maladie de Paget aux patients âgés atteints d’ostéoporose auxquels l’alendronate a été prescrit à plus petites doses. Je n’accepte pas cet argument. 

 


[88]           Aucune preuve convaincante au dossier ne démontre que les patients atteints de la maladie de Paget toléreraient un degré plus élevé d’irritation GI avant de le rapporter comme un effet secondaire indésirable, ou qu’ils ont une plus grande tolérance face à la douleur en général. Bien que les patients atteints de la maladie de Paget puissent être plus enclins à poursuivre la thérapie à base d’alendronate en présence d’effets secondaires indésirables, aucune explication logique n’a été avancée pour justifier l’omission de rapporter de tels effets si ou quand ils se sont produits. En outre, la prétention de Merck ne tient pas compte de la grande douleur et du risque de décès qui sont associés aux fractures ostéoporotiques. On peut difficilement soutenir que les patients atteints d’ostéoporose n’ont pas de motivation importante pour poursuivre la thérapie à base d’alendronate, même en présence d’effets secondaires indésirables.  

 

[89]           Apotex cite plusieurs antériorités au soutien de sa prétention suivant laquelle il était notoire qu’une vaste gamme de doses d’alendronate pouvait être administrée de façon sûre sur une base quotidienne et intermittente, y compris hebdomadaire. Je n’ai pas pour autant l’intention de toutes les examiner. Toutefois, après avoir examiné attentivement celles dont il est question et pris en compte les commentaires de Merck sur la signification et l’importance à accorder à chacune d’elles, je suis convaincu que bien avant la date de priorité des brevets en question, l’expérimentation d’une vaste gamme de doses et de fréquences d’administration de bisphosphonates, dont l’alendronate, avait cours. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans plusieurs journaux scientifiques dont l’évaluation est effectuée par des pairs et dans les divulgations de demandes de brevet et auraient été connus de la personne ordinaire versée dans l’art à l’époque s’y rapportant.  

 

[90]           Les études Liberman (1995), Black (1996), Harris (1993) de même que l’étude Khan (1997) dont il est fait mention précédemment, sont, je crois, particulièrement importantes.

 


[91]           Dans le numéro du 30 novembre 1995 du New England Journal of Medicine (le NEJM), Liberman et al. ont publié un article intitulé Effect of oral alendronate on bone mineral density and the incidence of fractures in postmenopausal osteoporosis. L’étude en question portait sur 994 femmes réparties au hasard en groupes avec des doses quotidiennes de 5, 10 et 20 mg d’alendronate, et un groupe placebo. L’étude s’est échelonnée sur trois ans et a donc commencé, selon toute vraisemblance, au plus tard en 1992. Dans la troisième année, les participantes qui prenaient la dose quotidienne de 20 mg passèrent à une dose quotidienne de 5 mg, non pas en raison de plaintes relatives aux effets secondaires, mais parce qu’une [traduction] « autre étude avait démontré que la dose quotidienne de 20 mg était plus que nécessaire pour obtenir une augmentation maximale de la densité minérale osseuse » (p. 1438). Les auteurs ont fait observer relativement aux effets secondaires : 

[traduction] L’alendronate a été généralement bien toléré, sans preuve clinique ou laboratoire d’effets secondaires plus élevés qu’avec le placebo. À l’échelle du groupe, 16,3 pour cent des femmes ont interrompu la thérapie, avec des fréquences similaires dans le groupe placebo et les trois groupes utilisant l’alendronate (tableau 4). L’interruption était due à des effets cliniques indésirables chez 6,0 pour cent des femmes qui recevaient le placebo, 5,4 pour cent de celles qui recevaient 50 mg d’alendronate, 4,1 pour cent de celles recevant 10 mg, et 8,0 pour cent de celles recevant 20 mg pendant deux ans suivie d’une dose de 5 mg la troisième année. L’irritation oeso-gastro-duodénale est le principal effet secondaire associé à de nombreux autres bisphosphonates, qui sont administrés à doses plus élevées. Les femmes du groupe placebo et des trois groupes d’alendronate avaient des taux similaires d’effets secondaires oeso-gastro-duodénaux, ayant conduit à l’interruption du traitement chez seulement 2,0 pour cent des femmes qui recevaient le placebo, 3,5 pour cent de celles recevant 10 mg, et 2,0 pour cent de celles recevant 20 mg suivi d’une dose de 5 mg. [Non souligné dans l’original.]

 

 


[92]           De Groen et al. ont publié dans le numéro du 3 octobre 1996 du NEJM des rapports de cas mettant en cause trois femmes et ont résumé les rapports de surveillance post‑commercialisation reçus par Merck jusqu’au 5 mars 1996. Jusqu’à ladite date, environ 470 000 personnes s’étaient vu prescrire une dose quotidienne de 10 mg d’alendronate pour le traitement de l’ostéoporose et 5 000 s’étaient vu prescrire une dose quotidienne de 40 mg pour le traitement de la maladie de Paget, à l’échelle internationale. Merck avait reçu 1 213 rapports d’effets secondaires indésirables, dont 199 cas sont relatifs à l’oesophage et 51 cas ont été classés sévères, ayant causé des ulcères oesophagiques et des oesophagites. De Groen conclut (à la p. 1 020) que la majorité de ces patients n’avaient pas pris les comprimés avec une quantité suffisante d’eau ou n’étaient pas demeurés en position debout par la suite ou les deux. Le rapport mentionne que ces facteurs sont connus pour accroître le risque de rétention oesophagique des comprimés avalés. On savait que la prise des médicaments en position couchée ou le fait de s’étendre peu après les avoir pris exacerbait le reflux.

 

[93]           Dans une lettre de suivi parue dans le même numéro du 3 octobre 1996 du NEJM, Liberman a fait remarquer a fait remarquer que parmi les effets secondaires indésirables décrits dans son étude, les cas considérés graves représentaient environ 1,5 % des patients des quatre groupes réunis. Les différences entre les résultats sur les effets secondaires indésirables dans l’article de Groen et sa propre étude ont été attribuées au fait que les effets secondaires indésirables surviennent uniquement chez un petit nombre de patients et les patients de son étude étaient soumis à un suivi régulier et recevaient des rappels fréquents sur les instructions posologiques.

 

[94]           Cette analyse de la surveillance post-commercialisation sur laquelle de Groen a fait rapport a donné lieu à la lettre aux médecins diffusée par Merck en 1996 pour encourager le respect des instructions posologiques. 

 

[95]           Black et al. ont publié les résultats d’une étude sur échantillon aléatoire à double insu de l’alendronate dans le numéro du 7 décembre 1996 de Lancet. L’étude rassemblait plus de 2 000 patients. Environ la moitié d’entre eux étaient traités avec une dose de 5 mg sur une période de deux ans, puis une dose de 10 mg d’alendronate, et l’autre moitié avec un placebo. Il n’y avait pas de différence statistique sur l’incidence des effets secondaires GI entre les deux groupes. Les auteurs de l’étude ont conclu que l’alendronate était bien toléré, mais ils ont aussi insisté sur le fait que les participants à leur étude avaient reçu des instructions posologiques précises.

 

[96]           Dans une étude antérieure menée par Harris et al., publiée dans le Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism en 1993, on avait utilisé des doses quotidiennes de 5, 20 ou 40 mg d’alendronate pendant six semaines dans le cadre d’une étude à double insu. Harris conclut ce qui suit :

[traduction] L’alendronate a été bien toléré sur toute la gamme de doses. Aucun sujet n’a mis fin au traitement en raison d’une expérience indésirable. [...] Bien que le traitement à base de bisphosphonates puisse être accompagné d’intolérance GI, il n’y a pas de différence dans la fréquence d’une telle intolérance d’un groupe à l’autre.

 

 


[97]           Je suis convaincu que ces études ainsi que les autres antériorités soumises par Apotex démontrent que les personnes versées dans l’art avant la date de priorité du 22 juillet 1997 savaient fort bien que des doses plus élevées d’alendronate pouvaient être administrées en toute sécurité. Une question demeurait en suspens, savoir comment encourager les patients à suivre les instructions posologiques de façon à réduire l’incidence de l’adhérence du comprimé ou des reflux acides. La solution qui est devenue apparente a été d’accroître la dose, le caractère sûr de la procédure ayant déjà été démontré, et de réduire la fréquence de l’administration afin que les patients, souvent âgés, soient plus susceptibles de suivre les instructions posologiques et de résorber l’irritation oesophagique, le cas échéant, avant la dose suivante. 

 

[98]           Les principales antériorités sur lesquelles se fonde Apotex sont trois articles du Lunar News. Tel que noté précédemment, il s’agissait là d’une publication produite et rédigée en grande partie par le Dr Richard Mazess dans le cadre de son entreprise de fourniture d’équipements de diagnostic aux médecins et à d’autres personnes se consacrant au diagnostic et au traitement de l’ostéoporose et d’autres maladies squelettiques. Il ressort clairement de la preuve que même si le Lunar News n’était pas une revue scientifique avec comité de lecture, le Dr Mazess s’efforçait d’y offrir de l’information scientifique fiable et d’actualité, et son bulletin d’information jouissait d’une large diffusion chez les chercheurs et les médecins préoccupés par les maladies des os, ces derniers en constituant le lectorat. Le Dr Mazess siégeait aux comités de rédaction des grandes revues scientifiques dans le domaine, y compris, cela a été admis, des revues dans lesquelles le Dr Papapoulos (principal témoin expert de Merck) a publié. 

 


[99]           Il ressort également clairement de la preuve que le personnel de Merck s’intéressait au contenu du Lunar News lorsque celui‑ci traitait des produits de la société. Une réunion a même été organisée le 21 mai 1997 entre le Dr Mazess et les dirigeants de Merck pour discuter des objections qu’avait Merck relativement à certains propos publiés dans Lunar News critiquant sa commercialisation de l’alendronate et recommandant des régimes posologiques « hors étiquette », comme nous le verrons plus loin. La preuve démontre que le Dr Yates, le principal inventeur inscrit au brevet 595, a assisté à cette réunion et que des copies du Lunar News de 1996 et du début 1997 ont fait l’objet de discussions et été rendues disponibles pour examen (affidavit du Dr Mazess, au paragraphe 35).

 

[100]       Comme ces articles ont été scrutés à la loupe dans le cadre de la présente demande, nous reproduisons ci-dessous des extraits pertinents des articles publiés en avril 1996, juillet 1996 et avril 1997. En avril 1996, le Lunar News a fait paraître ce qui suit :

[traduction]

Une des difficultés que pose l’alendronate est sa faible biodisponibilité. Lorsqu’il est pris avec de l’eau à jeun, seulement environ 0,8 % de la dose orale est biodisponible. Même le café ou le jus réduit cette biodisponibilité de 60 %, et un repas l’abaisse de _85 %. L’alendronate doit être pris après avoir jeûné toute la nuit, 30 à 60 minutes avant le petit-déjeuner. Les sujets devraient demeurer assis ou debout; un très petit groupe de patients ont signalé des troubles des voies digestives supérieures lorsque ces instructions n’étaient pas suivies. Il peut être difficile pour les personnes âgées de maintenir sur une longue période un tel régime thérapeutique. Un programme de traitement intermittent (par exemple, une fois par semaine, ou une semaine tous les trois mois), comportant des doses orales plus élevées, doit être mis à l’essai. Une réponse prolongée à l’administration intraveineuse d’une forte dose d’alendronate a été démontrée. [Citations omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

En juillet 1996, on pouvait y lire :

 

[traduction]


Certains médecins américains hésitent à administrer un traitement à cause : a) des effets secondaires, b) de la difficulté d’établir la posologie et c) des coûts élevés (700 $/année). Signalons premièrement que Merck a envoyé récemment une lettre aux médecins les mettant en garde contre le risque d’œsophagite. Certains médecins signalent que 5 à 15 % des patients souffrent de troubles gastriques ou œsophagiens, mais la plupart n’ont observé aucun effet secondaire. Certains effets secondaires graves comme l’ulcération et la sténose semblent rares. Deuxièmement, certains patients cessent également de prendre l’alendronate à cause des difficultés liées à la posologie. En raison de sa biodisponibilité limitée (0,8 %), l’alendronate doit être pris à jeun, au réveil, avec un grand verre d’eau (pas de thé, de café ni de jus), et le patient doit demeurer en position verticale pendant 30 ou 60 minutes. Quelques femmes âgées peuvent tolérer ce régime pendant une ou deux semaines seulement. Troisièmement, certains patients américains, dont la police d’assurance ne couvre pas le coût du médicament, trouvent l’alendronate coûteux. Certaines organisations dans le domaine de la santé recommandent même l’utilisation de l’étidronate cyclique, qui coûte moins cher. Chez les 85 % des patients qui poursuivent le traitement, l’alendronate est le premier médicament à être efficace et satisfaisant. Merck tente d’atteindre un groupe même plus nombreux de femmes en faisant la promotion de la densitométrie de la main et de l’avant-bras. La promotion de cette méthode périmée a suscité l’animosité d’éminents médecins (qui ont recours à la densitométrie axiale). Cette animosité pourrait peut-être jouer un rôle dans la fréquence étonnamment élevée des effets secondaires et les difficultés liées à la posologie. Il est surprenant qu’on utilise la mesure de la DMO de l’avant-bras en parallèle avec l’administration de bisphosphonates, vu qu’un tel traitement ne produit pas d’augmentation au niveau de l’avant-bras.

 

Les difficultés associées aux bisphosphonates oraux peuvent militer en faveur de leur administration épisodique (une fois par semaine) ou cyclique (une semaine chaque mois). Même l’alendronate oral pourrait éventuellement être administré en dose de 40 ou 80 mg une fois par semaine pour éviter les problèmes liés à la posologie et réduire les coûts. L’administration intraveineuse est également une possibilité. L’ibandronate (Boehringer Manheim) semble le candidat le plus probable, vu qu’il peut être administré en simple injection tous les trois mois plutôt que par perfusion. [Citations omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

 

Enfin, en avril 1997, le Lunar News a publié ce qui suit :

 

 

[traduction]

Le traitement oral aux bisphosphonates chez les sujets de plus de 70 ans s’accompagne plus souvent de problèmes gastro-œsophagiens et intestinaux que chez les patients plus jeunes. [...] Une façon de réduire le coût relativement élevé, et les effets secondaires potentiels, de bisphosphonates oraux puissants pourrait être d’administrer une dose uniquement deux ou trois fois par semaine plutôt que chaque jour. Chez les porcs, la dose de bisphosphonates peut être réduite sans effet secondaire sur la réponse osseuse par l’administration d’une « dose quotidienne » standard tous les quatre jours, ou cinq jours sur 20. Chez l’humain, il y a peu de différences entre les doses de 5 et de 10 mg/jour d’alendronate, de sorte que la dose de 10 mg pourrait en théorie être administrée seulement trois fois par semaine ou celle de 40 mg une fois par semaine. On pourrait utiliser des marqueurs biochimiques sériques pour réduire la dose. Si le taux de renouvellement demeure faible après trois mois de traitement trois fois par semaine, la dose pourrait être réduite à deux fois par semaine ou moins. Ces nouvelles approches cliniques de la posologie doivent être évaluées à tout le moins dans le cadre d’essais de courte durée. [Citations omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

 


[101]       Apotex soutient que les articles du Lunar News citent certaines études antérieures dans l’examen de l’antériorité et devraient être considérés comme faisant autorité en la matière. L’article d’avril 1996 démontrait spécifiquement qu’un programme de traitement intermittent aiderait à surmonter la difficulté associée au respect par le patient du régime posologique strict. L’article de juillet 1996 recommande plus particulièrement une dose hebdomadaire élevée d’alendronate (40 ou 80 mg) comme moyen de réduire les problèmes reliés à la posologie. Il était clair pour l’auteur que l’administration hebdomadaire d’une dose d’alendronate était sécuritaire et qu’en agissant ainsi, on favorisait le respect du traitement par le patient et on diminuait le coût de la thérapie. L’article d’avril 1997 laisse également entendre qu’on peut réduire le coût relativement élevé et les effets secondaires potentiels en cessant d’administrer la dose de façon quotidienne, avec la possibilité de réduire la fréquence du dosage à deux fois par semaine ou moins.

 

[102]       Merck insiste sur le fait qu’en dépit de l’opinion collective des experts d’Apotex suivant laquelle une dose de 70 mg une fois par semaine était une évidence, aucun d’entre eux n’a adopté cette façon de faire ni traité leurs patients de la façon qu’ils disent être préconisée par le Lunar News. Donc, en appliquant l’analyse de Whirlpool, précitée, la Cour devrait conclure que la solution n’était pas évidente.

 


[103]       Apotex prétend que chaque article du Lunar News (lu en conjonction avec les articles mentionnés en note de bas de page) identifiait les problèmes associés à la posologie quotidienne (les complications et les effets secondaires connexes résultant du non‑respect de la posologie) pour ensuite proposer l’augmentation de la fréquence posologique, dont l’administration sur une base hebdomadaire, pour éviter ces difficultés. Les articles confirmaient le sujet de conversation des personnes versées dans l’art à l’époque. De plus, ils révèlent précisément ce que le brevet 595 enseigne. La seule différence réside dans la posologie suggérée de 80 mg plutôt que 70 mg. Cela peut s’expliquer facilement par le fait qu’aucun comprimé de 70 mg n’était disponible à l’époque, alors que le comprimé de 40 mg l’était. En outre, le témoignage du Dr Mayersohn, suivant lequel il n’existe aucune différence notable entre les doses de 80 mg et de 70 mg en raison de la biodisponibilité limitée de l’alendronate, est clair et non contredit.   

 

[104]       Merck soutient qu’aucun élément d’antériorité, y compris les trois articles du Lunar News, n’aurait, directement et facilement, conduit une personne versée dans l’art à une forme d’alendronate constituée d’une unité de 70 mg administrée hebdomadairement par voie orale pour le traitement de l’ostéoporose humaine. Ils ne font pas échec à la croyance de la personne versée dans l’art suivant laquelle un tel produit exacerberait les effets secondaires GI connus de l’alendronate à des doses moins élevées. L’état de la technique en juillet 1997 démontrait que des lésions de l’oesophage étaient associées à l’administration du produit en doses de 10 mg et qu’une augmentation de la dose entraînerait une augmentation des éventuelles lésions de l’oesophage. On se serait attendu à ce qu’un comprimé contenant une dose plus élevée s’accompagne d’un taux accru d’effets secondaires. Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne suis pas d’avis que les études scientifiques soutiennent cet argument.

 


[105]       Merck a insisté au cours de ses plaidoiries sur le fait qu’aucun des articles du Lunar News ne mentionne que le régime posologique suggéré réduit les effets secondaires ou ne traite par ailleurs de la question de la sécurité. L’article d’avril 1996, prétend‑elle n’aborde que les problèmes liés à la posologie et à la réduction des coûts. En guise de réponse, Apotex a affirmé que puisque l’article de juillet 1996 du Lunar News est paru après l’article de M. de Groen et après la lettre adressée aux médecins par Merck, il ressort du contexte que lorsque le Dr Mazess a mentionné les problèmes liés à la posologie, il tenait précisément compte de la question de la sécurité.

 

[106]       Merck fait valoir qu’en mentionnant séparément les [traduction] « effets secondaires » et les « difficultés posologiques » dans l’article de juillet 1996, le Dr Mazess faisait une distinction entre les deux et ses recommandations devraient, par conséquent, être interprétées comme portant sur le respect du traitement plutôt que sur la sécurité. Je n’accepte pas cet argument. La preuve établit que la principale préoccupation en ce qui a trait au non‑respect de la posologie était que cela entraînait des effets secondaires GI comme ceux dont certains patients ont souffert. Une autre préoccupation concernait la possibilité que l’absorption limitée et la biodisponibilité de l’alendronate soient compromises. Il ne fait toutefois aucun doute selon moi que les articles du Lunar News abordaient la question de la sécurité des patients comme en témoignent les mentions relatives aux [traduction] « troubles des voies digestives supérieures » et aux « troubles gastriques ou oesophagiens » dans les articles d’avril et de juillet 1996. C’était le problème qui préoccupait les chercheurs et les médecins traitant les patients atteints d’ostéoporose depuis la mise en marché du produit sous forme de doses de 10 mg.

 

[107]       Le Dr Papapoulos a témoigné que l’article d’avril 1996 ne faisait pas de distinction entre le traitement une fois par semaine et le traitement une semaine aux trois mois et n’a nullement tenu compte du [traduction] « lien de dépendance connu entre la dose et les effets secondaires ». La suggestion d’une dose hebdomadaire plus élevée ne répondrait pas, selon lui, aux préoccupations du lecteur versé dans l’art. Ce faisant, le Dr Papapoulos s’est fondé sur une étude de Chesnut et al. (1995) qui, a-t-il soutenu, démontrait que les patients atteints d’ostéoporose ne pouvaient tolérer une dose quotidienne de 40 mg. Il a abandonné cette thèse lors du contre‑interrogatoire et a admis qu’il ressortait de l’étude de Chesnut que c’était la fréquence de l’administration qui causait les pires effets secondaires. En outre, il a concédé que l’article de 1996 du Lunar News comportait une affirmation claire et sans ambiguïté concernant l’administration de l’alendronate une fois par semaine en doses de 40 ou 80 mg.

 

[108]       Le Dr Papapoulos a également été d’avis que l’article d’avril 1997 du Lunar News n’a pas rendu évidentes les revendications du brevet 595, étant donné qu’il n’a pu dissiper les réserves en matière de sécurité entourant l’administration moins fréquente de doses plus élevées de bisphosphonates. Invoquant l’absence de preuve à cet égard, il a rejeté l’affirmation du Dr Mazess contenue audit article et suivant laquelle un tel régime posologique réduirait les effets secondaires GI causés par des doses plus élevées. 

 


[109]       Le Dr Fennerty a également écarté les articles du Lunar News, les qualifiant de [traduction] « banales suggestions » en des termes remarquablement similaires à ceux utilisés par le Dr Papapoulos dans son affidavit. Selon moi, ces suggestions n’avaient rien de banal. Compte tenu de son expérience et de ses connaissances sur la maladie, de l’état de la science et des thérapies disponibles, le Dr Mazess a formulé des recommandations constructives pour régler les problèmes auxquels certains patients étaient confrontés. Il n’était pas un simple « chroniqueur » comme l’avocat de Merck l’a constamment rappelé au cours des plaidoiries. Je soupçonne qu’il était plutôt comme le mythique « monsieur tout-le-monde du domaine des brevets » baptisé par le juge Hugessen dans Beloit, précité. Il connaissait le contexte scientifique généralement admis et est apparu avec la réponse évidente.

 

[110]       Tel que mentionné précédemment, j’ai préféré la version des témoins d’Apotex. Aux paragraphes 95 et 96 de son affidavit, le Dr Compston affirme :

[traduction]

Les articles d’avril 1996 et juillet 1996 du Lunar News enseignent l’utilisation de doses orales plus élevées de bisphosphonates oraux administrés par intermittence, la principale justification étant les difficultés éprouvées avec le régime posologique, plus particulièrement par les personnes âgées. L’administration hebdomadaire est explicitement mentionnée dans l’article d’avril 1996 bien qu’aucune dose ne soit mentionnée, et l’article de Vasikaran et al. est cité au soutien de l’efficacité des régimes intermittents. Le Lunar News de juillet 1996 va plus loin en avançant une dose hebdomadaire de 40 ou 80 mg pour le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique. Il va de soi que ces doses précises ont été choisies parce que le comprimé de 40 mg était déjà disponible pour le traitement de la maladie de Paget et qu’un ou deux de ces comprimés seraient beaucoup plus faciles à prendre par le patient que 7 comprimés de 10 mg. Bien qu’une dose hebdomadaire de 70 mg ne soit pas explicitement mentionnée, la dose hebdomadaire de 80 mg serait considérée bioéquivalente par la United States Pharmacopeia, que je joins à mon affidavit comme pièce 12. La United States Pharmacopeia mentionne qu’un écart de "20% de n’importe quelle dose répond au critère d’équivalence d’une vaste gamme de médicaments. Ainsi, les écarts considérés bioéquivalents à 40 mg et à 130 mg d’alendronate seraient 32-48 mg et 64-96 mg respectivement.

 


Il est vrai que les articles du Lunar News ne fournissent pas de données spécifiques portant que de telles doses seraient sûres pour le patient; toutefois, de façon plus importante, ils ne suggèrent pas que des doses plus élevées se traduiraient par plus d’effets secondaires GI. Cela reflète vraisemblablement la connaissance que la dose quotidienne de 40 mg était largement employée dans le traitement de la maladie de Paget et était bien tolérée et sûre. En effet, Khan et al. rapportèrent que des doses quotidiennes de 80 mg étaient bien tolérées. En outre, chez les femmes atteintes d’ostéoporose post-ménopausique, aucune augmentation des effets secondaires oeso-gastro-duodénaux liée à la dose n’a été notée dans les importants essais cliniques au hasard de Liberman et al. dans lesquels des doses quotidiennes allant jusqu’à 20 mg étaient administrées, ou dans l’étude de Harris et al. effectuée chez des femmes post-ménopausiques en santé auxquelles des doses quotidiennes pouvant atteindre 40 mg étaient administrées. Ainsi, non seulement les effets oeso-gastro-duodénaux indésirables ne devraient pas survenir à des doses plus élevées, mais l’administration intermittente tend à démontrer une diminution de ces effets étant donné que la muqueuse oesophagique aurait plus de temps pour récupérer entre les doses. L’enseignement suivant lequel une dose hebdomadaire de 40 mg réduit les effets secondaires des bisphosphonates oraux puissants, dont l’alendronate est un exemple, est explicitement mentionné dans le Lunar News d’avril 1997 (voir paragraphe 126 de l’affidavit du Dr Fennerty), contrairement à l’affirmation du Dr  Fennerty au paragraphe 128 suivant laquelle « il n’y a aucune preuve dans l’article portant que le régime suggéré puisse aider à surmonter les problèmes GI ». La suggestion portant que « ces nouvelles façons cliniques d’aborder le dosage doivent au moins faire l’objet d’essais dans le cadre d’études à court terme » n’est pas une admission de préoccupation en matière de sécurité comme le soutient le Dr  Fennerty au paragraphe 127, mais reflète simplement la reconnaissance que l’essai de différents régimes sur toute drogue serait systématiquement requis, pour des raisons d’efficacité et de sécurité, avant l’obtention de l’approbation réglementaire de leur utilisation. Je remarque également des documents obtenus dans Merck & Co., Inc. c. Teva Pharmaceutical UIA, Inc., action civile no 01‑048JJF, document numéro DTX 24, à la page 4, que Merck admet que les lacunes de sa demande de brevet portent sur la dose hebdomadaire de 35/70 mg pour laquelle le Lunar News d’avril 1997 prescrit une dose intermittente. Merck a par la suite tenté de trouver des documents antérieurs afin d’établir qu’elle a été la première à inventer la dose hebdomadaire. Le document no DTX 24 est joint à mon affidavit comme pièce 13.

 

 

[111]       Après avoir résumé les articles du Lunar News et pris connaissance de l’étude de Khan et al., le Dr Mayersohn affirme ce qui suit au paragraphe 16 de son affidavit :

[traduction]

 

 

Prise dans son ensemble, la preuve provenant des publications citées ci-dessus établit et présente un enseignement clair et convaincant sur la tolérance de grandes doses quotidiennes orales d’alendronate. Étant donné que ces doses orales élevées d’alendronate sont tellement bien tolérées sur une base quotidienne à long terme, il s’ensuit, selon moi, que ces mêmes doses seraient également sinon mieux tolérées si elles étaient administrées sous une forme posologique moins fréquente d’une fois par semaine.      

 

 

 


[112]       Ayant considéré toute la preuve et les observations des parties, je suis convaincu que compte tenu de l’état de la technique et des connaissances courantes, une personne ordinaire, versée dans l’art ou la science en cause, qui cherche quelque chose de nouveau – sans se livrer à des réflexions, recherches ou expérimentations sérieuses – serait « directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet » : Beecham Canada Ltd. c. Procter and Gamble Co., précitée. Apotex a satisfait au critère rigoureux décrit dans Beloit, précitée. Par conséquent, « l’invention » revendiquée est évidente et le brevet est invalide. 

 

[113]       Ayant conclu que l’invention revendiquée était évidente, je n’ai pas à aborder les autres questions soulevées en l’espèce. Toutefois, s’il est établi que mes conclusions sur la question de l’évidence sont erronées, j’exposerai brièvement mes conclusions sur les autres questions.

 

ANTÉRIORITÉ

[114]    Dans une allégation d’antériorité, on soutient qu’un brevet est invalide étant donné que l’invention revendiquée n’est pas nouvelle en raison d’une publication antérieure. Le fardeau de preuve qui incombe à la partie qui tente de le démontrer est lourd. Le critère exige qu’une seule publication antérieure pertinente renferme suffisamment de renseignements sur l’invention qui soient, en termes d’utilité pratique, les mêmes que ceux du brevet. La partie qui conteste la validité du brevet doit établir qu’il existe une divulgation antérieure qui renferme suffisamment d’information pour permettre à une personne ayant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans avoir accès au brevet en question, la nature de l’invention de façon à la rendre utilisable en pratique sans l’aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique : Free World Trust, précitée.

 


[115]    Pour invalider un brevet sur le fondement de l’antériorité, une divulgation antérieure doit être une divulgation habilitante. Elle doit être telle qu’elle permette au public de faire ou d’obtenir l’invention : Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro‑Industries Ltd. (2002), 17 C.P.R. (4th) 478, à la p. 497 (C.A.F.). En outre, pour revendiquer une antériorité, il ne suffit pas que la publication antérieure ne fasse que suggérer une chose à partir de laquelle le brevet en question a pu se développer : Rosedale Associated Manufacturers Ltd. c. Carlton Tyre Saving Co. Ltd., [1960] R.P.C. 59, à la p. 73 (C.A.). Au contraire, comme le juge Hugessen a conclu dans Beloit, précitée :

Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée.

 

 

 

[116]    Il n’est que trop facile, après la divulgation d’une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur. Il faut peu d’ingéniosité pour constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire : The King c. Uhlemann Optical Co. (1949), 11 C.P.R. 26, à la p. 41 (Cour de l’Échiquier), conf. par (1951), 15 C.P.R. 99 (C.S.C.).

 

[117]    Pour anticiper la revendication du breveté, la publication antérieure doit contenir des instructions claires et non équivoques pour réaliser l’invention que le breveté revendique. Aussi clair soit‑il, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas; il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté : Mahurkar c. Vas‑Cath of Canada Ltd. (1988), 18 C.P.R (3d) 417, à la p. 430 (C.F. 1re inst.), conf. par (1990), 32 C.P.R. (3d) 409 (C.A.F.).


[118]    Dans son avis d’allégation, Apotex allègue que le brevet 595 a été antériorisé par seize exemples précis d’antériorité. Au cours de l’audience de la présente demande, l’avocat d’Apotex a ramené ce nombre à huit éléments que voici, énumérés tels qu’ils apparaissent à l’avis :

     [Traduction]

v.             EP‑A‑O 600 834 (publié le 8 juin 1994)

 

 

vi.            EP‑A‑O 617 624 (publié le 5 octobre 1994)

 

 

vii.           Brevet américain no 5,366,965 (publié le 22 novembre 1994)

 

 

x.             WO‑A‑95/030 421 (publié le 16 novembre 1995)

 

 

xi.            EP‑A‑O 758 241 (publié le 16 novembre 1995)

 

 

xii.           "Update: Bisphosphonate", Lunar News, (avril 1996), p. 31

 

 

xiii.          "Update: Bisphosphonate", Lunar News, (juillet 1996), p. 23‑24

 

 

xiv.          "Update: Bisphosphonate", Lunar News, (avril 1997), p. 30‑32

 

 

 

Apotex fait valoir que si ces documents étaient lus par une personne versée dans l’art, cette dernière comprendrait qu’ils enseignent l’objet du brevet 595. Apotex se fonde plus particulièrement sur les articles du Lunar News décrits précédemment.

 


[119]       Dans la présente affaire, bien que je considère que les publications du Lunar News constituent individuellement et collectivement un poteau indicateur ou des poteaux indicateurs, je ne suis pas convaincu qu’elles ont pris possession de la destination précise en y laissant leur marque. Aucun des articles n’aborde directement la question de la sécurité de doses plus élevées de bisphosphonates, plus particulièrement l’alendronate, bien que cela puisse s’inférer de leur texte et de leurs renvois en notes de bas de page. Il est fait mention dans ces articles que des hypothèses sont posées et que ces idées exigent des essais plus poussés. Le Dr Mazess n’est pas médecin, il n’était donc pas en mesure de vérifier ces hypothèses. Il a témoigné après coup, dans le cadre de la présente instance, qu’il connaissait des médecins qui avaient vérifié ses hypothèses en mettant en pratique ces régimes posologiques; toutefois, les articles eux‑mêmes n’en font pas mention. 

 

[120]       Je conclus qu’aucune des huit antériorités sur lesquelles se fonde la défenderesse ne satisfait aux critères d’antériorité. Par conséquent, le brevet n’est pas invalide pour ce motif.

 

 

AUTRES ALLÉGATIONS D’INVALIDITÉ

 

Inutilité

 

[121]       L’invention revendiquée dans un brevet doit être utile. L’inventeur doit être en mesure d’en démontrer l’utilité à la date de demande de brevet, au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précitée, à la p. 526, la règle de la prédiction valable comporte trois éléments :


1.             Il doit y avoir un fondement factuel à la prédiction. La suffisance du fondement factuel dépendra de la nature de l’invention.           

2.             À la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et «valable» qui permette d’inférer du raisonnement factuel le résultat souhaité. La partie du raisonnement qui sera légitime dépendra de l’objet.

3.             Il doit y avoir divulgation suffisante. Il n’est généralement pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne; le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique.  

 

[122]       Le mémoire descriptif du brevet 595 ne contient aucune preuve clinique provenant d’études contrôlées auprès de patients humains. La base factuelle sur laquelle Merck se fonde pour prédire que l’invention revendiquée serait utile est dérivée d’études, décrites précédemment, menées sur des chiens. Merck soutient qu’il aurait été contraire à la déontologie de mener des études contrôlées sur des sujets humains sans une garantie que les doses plus élevées mises à l’essai sont sécuritaires. Tel que mentionné précédemment, Merck disposait d’une preuve abondante, au moment de mener ses études sur les chiens, portant que des doses plus élevées d’alendronate avaient été administrées à des humains et à d’autres mammifères pendant de longues périodes sans augmentation importante d’effets GI sérieux.  

 


[123]       Aux pages 16-17 de son avis d’allégation, à la rubrique « Inutilité », Apotex soutient qu’il ressort clairement du mémoire descriptif que les revendications du brevet 595 englobent les gammes de doses qui ne résolvent pas le problème de réduction des effets gastro-intestinaux. Les chiens du groupe 6, qui ont reçu une dose bihebdomadaire de 0,40 mg/mL, présentaient des lésions œsophagiennes compatibles avec une « ulcération profonde de la surface épithéliale, une inflammation sous-muqueuse et une vacuolisation marquées ». Ainsi, selon Apotex, les revendications du brevet incluent des doses qui entraînent des effets GI indésirables, concernent des réalisations inexploitables et sont par conséquent invalides.

 

[124]       Apotex soutient que les études sur les chiens n’apportent aucun fondement factuel à la prédiction suivant laquelle une dose plus élevée d’alendronate administrée moins souvent aux humains causerait moins de dommages oesophagiques en raison de ces résultats et parce que les études sur les chiens n’ont pas été menées conformément à la prise des médicaments par les humains. Il y avait également des écarts inacceptables entre les groupes, en raison de la durée et des régimes posologiques, de sorte qu’il est impossible de dire si les résultats sont attribuables au moment précis où les chiens ont été euthanasiés ou à la quantité d’alendronate administrée.

 


[125]       Il y a de sérieuses incohérences dans la façon dont les données provenant des études sur les chiens ont été présentées et interprétées dans le mémoire descriptif du brevet. Le Dr. Langer a témoigné que la science sur laquelle ces études se fondaient était « atroce » et si foncièrement déficiente qu’elle ne pourrait jamais être publiée dans un journal avec comité de lecture. Le Dr Compston a également critiqué ces études au motif que deux variables ont été modifiées en même temps, ce qui ne permettait pas de dire quelle variable était responsable de quel effet. Le Dr Markowitz a convenu que le modèle d’étude des chiens ne reproduisait pas l’expérience des humains qui utilisent l’alendronate de façon régulière. Le Dr Fennerty a concédé qu’il n’aurait pas administré de doses plus élevées d’alendronate en se fondant uniquement sur l’étude sur les chiens. Il est clair que l’information contenue au brevet, fondée uniquement sur les études menées sur les chiens, ne suffirait pas à convaincre un scientifique que le régime proposé avait l’avantage de la sécurité.

 

[126]        Je fais mienne l’opinion d’Apotex selon laquelle le résultat souhaité d’une sécurité accrue tout en maintenant l’efficacité ne pouvait être inféré de la base factuelle déficiente soumise par Merck. Aucune véritable démonstration, ni aucun raisonnement valable au soutien de l’utilité de l’invention revendiquée n’est ressorti desdites données. Au mieux, comme je le fais remarquer au paragraphe 82, on pourrait conclure des données que la réduction de la fréquence réduirait les blessures oesophagiques. Si l’on attendait suffisamment longtemps entre les administrations, le tractus oesophagique guérirait. La divulgation ne démontre pas que la dose accrue serait sûre ou maintiendrait les bénéfices thérapeutiques souhaités.

 

[127]       Je conclus donc que le brevet ne démontre pas l’utilité de l’invention, ni n’en fait de prédiction valable, et est invalide pour cette raison.

 

 

Insuffisance et ambiguïté 

 


[128]       La Loi sur les brevets exige qu’en contrepartie de l’octroi d’un monopole, la divulgation et les revendications du brevet doivent décrire l’invention de façon complète et précise; énoncer clairement la méthode par laquelle on fabrique l’invention en des termes complets, clairs, concis et exacts; et revendiquer de façon distincte et en termes explicites l’objet de l’invention que le breveté considère nouveau et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif : Loi sur les brevets, paragraphes 27(3) et (4).

 

[129]     Un brevet peut être contesté pour cause d’insuffisance lorsque le mémoire descriptif est insuffisant pour permettre à une personne versée dans l’art de comprendre comment réaliser l’invention : AB Hassle c. Genpharm Inc. (2003), 243 F.T.R. 6, au par. 76. L’ambiguïté est une question de droit qui consiste à déterminer si la portée du monopole revendiqué peut être comprise : Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc.(1995), 63 C.P.R. (3d) 473, p. 480-482.

 

[130]       Apotex affirme que la portée des revendications contenues au brevet 595, y compris les trois revendications contestées, n’est pas étayée par la divulgation du brevet. Elle soutient que la portée des revendications va bien au-delà de l’invention revendiquée qui consiste en une dose hebdomadaire plus élevée dont l’administration aux humains est sûre. En outre, rien n’indique comment les comprimés d’alendronate ont été « adaptés », comme le revendique le brevet. Le médicament, le mode d’administration et les fins thérapeutiques sont tous identiques à ceux divulgués au brevet 477. La seule prétendue nouveauté est la périodicité, ce qui, aux dires d’Apotex, relègue les revendications du brevet 595 à une méthode de traitement non brevetable, comme nous le verrons plus loin.

 

[131]       Merck se fonde sur la présomption de validité prévue à l’article 43 de la Loi sur les brevets et fait valoir que le brevet 595 n’est ni ambigu ni insuffisant pour soutenir les revendications avancées, lorsqu’il est interprété par une personne désireuse de comprendre et d’appliquer les définitions énoncées au brevet lui-même : Baldwin International Radio Co. of Canada c. Western Electric Co. (1933), [1934] R.C.S. 94.

 

[132]       Bien que j’accepte l’argument d’Apotex suivant lequel la portée des revendications contenues au brevet 595 va au-delà de la prétendue invention, je ne conclurais pas que le mémoire descriptif est insuffisant ou ambigu. Une personne versée dans l’art qui lirait les revendications et la divulgation comprendrait la façon dont la formulation pharmaceutique revendiquée serait fabriquée.

 

 

Méthode de traitement médical

 

[133]       La Loi sur les brevets définit une « invention » comme « toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières », ainsi que tout perfectionnement de l’un deux. On a jugé que les méthodes de traitement médicaux ne sont pas assimilables à une « invention » comme une sorte de « procédé » : Loi sur les brevets, article 2.

 

[134]       Dans Tennessee Eastman, une méthode de traitement chirurgical a été jugée non brevetable parce qu’un tel objet n’est pas visé par un « procédé » ou une « réalisation » au sens de la Loi sur les brevets : Tennessee Eastman Co. c. Canada (Commissaire des brevets) (1974), 8 C.P.R. (2d) 202, à la p. 207 (C.S.C.).

 

[135]       Apotex soutient que les revendications contestées du brevet 595 sont essentiellement des méthodes de traitements médicaux en ce qu’elles ne font que donner des instructions au médecin pour modifier le régime posologique, comme l’ont conclu le tribunal australien et la Cour d’appel du Royaume-Uni : Arrow Pharmaceuticals Ltd. c. Merck &Co. Inc., précitée, au paragraphe 89; Instituto Gentili SpA c. Teva Pharmaceutical Industries Ltd., précitée, au paragraphe 69.

 

[136]       Merck affirme que lorsque les revendications d’un brevet portent sur un produit qui peut être vendu ou qui possède une valeur économique dans le commerce et l’industrie et qui se distingue du travail d’un médecin, ce qui requiert l’exercice d’une spécialité, le brevet n’est plus visé par l’arrêt Tennessee Eastman. Le mode et la fréquence de l’administration ne font pas partie du brevet. Les inventeurs offrent un nouveau produit que les médecins peuvent choisir d’utiliser dans le traitement des patients, selon leur spécialité et en se fiant à leur jugement : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495 (C.A.); Merck & Co. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 133, à la p. 176 (1re inst.); Apotex c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153.

 

[137]       Je conclus que le brevet porte sur un produit vendable ayant une véritable valeur économique, comme en témoigne son succès immédiat sur le marché, et, par conséquent, il ne peut porter sur une méthode de traitement non brevetable. Je note, toutefois, que cela est contraire à la conclusion tirée par les tribunaux du Royaume-Uni. N’eût été la décision de la Cour d’appel dans Bristol‑Myers Squibb c. Baker Norton [2001] R.P.C. 1, le juge Jacob aurait statué qu’il ne s’agissait pas d’un brevet portant sur une méthode de traitement. Les propos du juge Holman (au paragraphe 111) dans Bristol‑Myers ont été adaptés par l’avocat de la demanderesse dans cette cause en substituant l’alendronate au taxol, la drogue dont il s’agissait dans cette cause, de la manière suivante : 

[traduction]

 

 

Dans la présente affaire toutefois, l’alendronate est exactement le même; le mode d’administration, oral, est exactement le même; et l’application thérapeutique ou l’objet, nommément la tentative de traiter l’ostéoporose, est exactement le même. La seule différence est la découverte que si le médicament est administré sous forme de dose unitaire hebdomadaire de 70 mg au lieu de 10 mg quotidiennement, un effet secondaire indésirable – les effets GI indésirables – s’en trouve ainsi diminué, tandis que les propriétés thérapeutiques demeurent. Aucune propriété avantageuse du composé chimique qui ne fut déjà connue n’a été découverte [...] Tout ce qui a été découvert [...] est que si le composé est administré une fois par semaine plutôt que quotidiennement, l’un de ses effets secondaires indésirables s’en trouvera atténué par rapport à ce qui existait auparavant.

 

 

 

[138]      Par conséquent, le juge Jacob a conclu que la revendication était en substance une méthode de traitement du corps humain par une thérapie, laquelle conclusion a été maintenue en appel : [2003] All E.R. (D) 62.

 

[139]      La demande d’ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex est par conséquent rejetée. 

 


DÉPENS

 

[140]       Apotex soutient que même si Merck était en droit de déposer sa demande, le fait que trois tribunaux de juridictions différentes se soient déjà penchés sur l’affaire est pertinent à la question des dépens, plus particulièrement à la suite de la décision de la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral rendue en janvier de cette année. Apotex suggère que cela devrait faire passer l’échelle tarifaire de la colonne trois à la colonne cinq, étant donné que la plus grande partie de la préparation en vue de l’audience est survenue après cette décision. Je ne suis pas d’avis que cela soit une considération pertinente ou que l’augmentation de l’échelle tarifaire soit justifiée. L’adjudication des dépens devant la Cour ne devrait pas dépendre de l’issue de procès tenus à l’étranger.

 

[141]       Apotex a droit à ses dépens, calculés selon le tarif ordinaire. Il ne sera pas adjugé de dépens en faveur ou à l’encontre du défendeur le ministre de la Santé.

                       

 

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la présente demande. Les dépens sont adjugés en faveur de la défenderesse Apotex conformément aux paragraphes 140 et 141 des présents motifs de l’ordonnance.

 

    Richard G. Mosley  

   Juge

Traduction certifiée conforme

 

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                       T-884-03

 

INTITULÉ :                                      MERCK & CO., INC. et

MERCK FROSST CANADA & CO.

et

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                             

LIEU DE L’AUDIENCE :               Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 11 avril 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                    Le 26 mai 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Kierens

Andy Radhakant                                                                       POUR LES DEMANDERESSES

(Représentant Merck & Co. Inc)

 

Harry Radomski                                                                       POUR LES DÉFENDEURS

Andrew Brodkin                                                                       (Représentant Apotex Inc.)

Shorelle Simmons

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PATRICK KIERENS                                                              POUR LES DEMANDERESSES

ANDY RADHAKANT                                                           (Représentant Merck & Co. Inc)

Ogilvy Renault LLP

Toronto (Ontario)

 

HARRY RADOMSKI                                                             POUR LES DÉFENDEURS

ANDREW BRODKIN                                                            (Représentant Apotex Inc.)

SHORELLE SIMMONS

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)


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