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Date : 19980525


Dossier : IMM-3332-97

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 25 MAI 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

ENTRE :

     TITINA TACELE WOLDE,

     HELEN TACELE WOLDE,

     demanderesses,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     O R D O N N A N C E

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


Darrel V. Heald

juge suppléant

Traduction certifiée conforme :

Christiane Delon, LL.L.


Date : 19980525


Dossier : IMM-3332-97

ENTRE :

     TITINA TACELE WOLDE,

     HELEN TACELE WOLDE,

     demanderesses,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de l'agente chargée de la révision des revendications refusées R. Klagsbrun, en date du 27 juin 1997, aux termes de laquelle les demanderesses en l'espèce ne faisaient pas partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC).

LES FAITS

[2]      L'agente Klagsbrun (l'agente) a fait savoir par lettre aux demanderesses que la catégorie en question [traduction] -- ne comprend que les personnes dont la vie sera exposée à un risque effectif, objectivement identifiable, ou qui seront soumises à des sanctions extrêmes ou à des traitements inhumains si elles sont obligées à quitter le Canada. -- Il a été décidé que vous ne seriez pas exposées à l'un de ces risques-là. Par conséquent, vous ne faites pas partie de la catégorie des DNRSRC ".

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]      Dans ses conclusions écrites, l'avocate des demanderesses soulève trois questions :

     1)      L'agente des visas a-t-elle agi contrairement aux principes de justice fondamentale en n'accordant pas aux demanderesses une entrevue dans le cadre de leur demande?
     2)      L'agente a-t-elle agi contrairement aux exigences de la justice fondamentale en parvenant à des conclusions conjecturales fondées sur une interprétation erronée des preuves documentaires?
     3)      La décision de l'agente n'ayant pas été prise en conformité avec les principes de justice fondamentale, porte-t-elle atteinte aux droits garantis aux demanderesses par l'article 7 de la Charte?

[4]      Lors de son plaidoyer, l'avocate a soulevé deux questions supplémentaires :

     4)      L'avocate fait valoir que l'agente a recopié textuellement certains passages des motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) et inséré ces motifs en tant que partie intégrante de ses propres motifs de décision. Selon l'argument ainsi développé, une telle pratique constitue une erreur justiciable du contrôle judiciaire étant donné que l'agente, lorsqu'elle étudie une demande formulée au titre de la catégorie des DNRSRC, est chargée de procéder à une évaluation indépendante du risque en se fondant sur les preuves dont elle dispose.
     5)      L'avocate des demanderesses fait valoir que l'agente s'est fondée sur les preuves documentaires produites, certes, devant la CISR mais dont elle ne disposait pas elle. Je fais allusion, là, à la pièce R3.

ANALYSE

Question no 1      Le fait de ne pas avoir accordé d'entrevue

[5]      Il y a lieu de répondre par la négative à l'argument soulevé sur ce point. Le paragraphe 11.4(3) du Règlement sur l'immigration dispose que :

         11.4(3) La personne, à l'exclusion des personnes visées aux sous-alinéas a)(i) à (vii) de la définition de " demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada " au paragraphe 2(1), peut présenter par écrit à un agent d'immigration ses observations concernant les questions visées à l'alinéa c) de cette définition;         
                 

         (Non souligné dans l'original.)

[6]      Ce règlement prévoit clairement la présentation d'observations écrites plutôt qu'une entrevue personnelle et il ne peut donc pas y avoir eu, sur ce point, atteinte à la justice fondamentale. La Cour a d'ailleurs eu l'occasion de dire que l'absence d'entrevue personnelle n'est pas contraire à l'article 7 de la Charte (Chaudhary c. M.E.I. 1994, 83 F.T.R. 81 (C. F. 1ère inst.)).

Question no 2      Interprétation erronée de la preuve documentaire

[7]      Les demanderesses soutiennent qu'elles courraient effectivement un risque étant donné que leur père appartenait aux forces de sécurité du régime Mengistu ainsi qu'au Parti des travailleurs éthiopiens, parti lié au régime. Elles ont également fait état de plus de 20 meurtres extrajudiciaires s'étant produits en 1994. Il convient de noter, cependant, que [traduction] " ces pratiques ne semblent guère répandues ".1 Le dossier ne contient, en outre, rien qui permettrait d'établir un lien entre ces meurtres et les motifs prévus dans la Convention.

[8]      Les demanderesses citent également un document intitulé [traduction] : " Éthiopie : un tribunal condamne à des peines de prison des opposants au régime ", selon lequel des membres du All-Amhara Peoples Organization (l'AAPO) ont été condamnés à des peines d'emprisonnement par un tribunal administré par le GPE (Gouvernement provisoire de l'Éthiopie). L'AAPO a également rendu compte de nombreux cas de détention, et de disparitions, faisant état de tortures et d'exécutions extrajudiciaires que des soldats gouvernementaux auraient perpétrées sur des partisans de l'AAPO et sur des Amharas. Ces témoignages ne font état que de cas précis où des membres de l'AAPO paraissent avoir été injustement accusés, déclarés coupables et condamnés à des peines de deux ans d'emprisonnement. J'estime que cette preuve documentaire ne contribue guère à la thèse des demanderesses. Ces demanderesses, en effet, ne se mêlaient pas de politique en Éthiopie, et n'étaient pas membres de l'AAPO. Rien dans le dossier n'indique qu'elles courraient un risque du simple fait d'appartenir à la tribu des Amharas ou d'être parentes de personnes emprisonnées.

[9]      L'avocate des demanderesses fait également valoir que l'agente n'a pas tenu compte de preuves concernant le risque que courent les femmes en Éthiopie. Le dossier, cependant, ne contient aucun élément indiquant que ces demanderesses étaient effectivement exposées à la violence en raison de leur sexe.


[10]      Pour l'ensemble de ces raisons, je ne saurais conclure que l'agente a commis une erreur dans son interprétation de la preuve documentaire produite dans cette affaire.

Question no 3      Article 7 de la Charte

[11]      Les demanderesses, alors même qu'elles revendiquaient le statut de réfugié, ont bénéficié de toutes les garanties procédurales. Particulièrement important en l'espèce est le jugement de Mme le juge McGillis qui, dans l'affaire Sinnappu c. M.C.I. (14 février 1997, IMM-3659-95) énonce ce qui suit :

         ......Pour appliquer ces principes à la présente affaire, il faut se rappeler que le régime législatif offre des protections étendues et différents recours à un revendicateur du statut de réfugié. Dès le départ, cette personne a le droit de se faire entendre devant un organisme quasi judiciaire et de demander à la Cour l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l'égard d'une décision négative de la Commission. De plus, aux termes du régime d'examen des revendications refusées, le revendicateur éconduit est automatiquement présumé demander le droit de s'établir au Canada comme membre de la catégorie DNRSRC. Il a le droit de présenter des observations écrites au soutien de cette demande afin de prouver qu'il respecte les critères énoncés au Règlement à l'égard du risque. Si la situation de son pays d'origine évolue, il peut présenter d'autres observations écrites en tout temps avant la décision. Il peut engager des poursuites judiciaires pour contester une décision négative. De plus, d'après la politique ministérielle déclarée, il ne sera pas expulsé du pays avant qu'une décision négative soit rendue au sujet de sa demande d'établissement comme membre de la catégorie DNRSRC. Par ailleurs, le demandeur dont la revendication du statut de réfugié a été rejetée peut également, en tout temps, présenter une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi en invoquant le risque auquel il s'expose ou tout autre facteur afin de faciliter son établissement au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Effectivement, il peut présenter plusieurs demandes d'admission pour des raisons d'ordre humanitaire. Lorsqu'il reçoit une décision négative au sujet de l'une ou l'autre de ces demandes, il peut engager des poursuites judiciaires pour la contester. Une demande de traitement comme membre de la catégorie DNRSRC et une demande d'admission pour des raisons d'ordre humanitaire constituent des procédures séparées et complémentaires. Les dispositions législatives prévoient donc deux mécanismes distincts pour examiner la preuve concernant l'évolution de la situation du pays et pour évaluer les risques auxquels s'expose le demandeur dont la revendication du statut de réfugié a été rejetée.         
         (...)         
         ...il faut reconnaître qu'à un certain point du système, il doit y avoir une décision définitive. À mon avis, les deux recours distincts de révision postérieure des revendications rejetées sont conformes aux principes de justice fondamentale.         
         Après avoir passé en revue le fond et les aspects procéduraux du texte législatif, j'en arrive à la conclusion que les requérants n'ont prouvé aucun manquement aux droits qui leur sont reconnus à l'article 7 de la Charte.         
Question no 4      Le fait de ne pas avoir procédé à une évaluation indépendante du risque encouru par la demanderesse

[12]      Comme je l'avais indiqué à l'audience, je ne suis pas en l'espèce convaincu que le simple fait que l'agente se soit exprimée en des termes similaires ou identiques à ceux qu'avait utilisés la CISR permette de penser qu'elle n'a pas procédé à un examen indépendant de la demande formulée par la demanderesse au titre de la catégorie des DNRSRC, qu'elle ne s'est pas livrée à une analyse distincte et qu'elle n'a pas tiré de conclusions indépendantes. Par conséquent, ce motif d'appel est sans fondement.

Question no 5      L'agente d'immigration s'est fondée sur la pièce R3, dont disposait la CISR, mais dont elle-même ne disposait pas

[13]      L'argument paraît peu convaincant. L'agente d'immigration a conclu, au vu de renseignements tirés de la pièce R3, que :

         [Traduction]         
         Selon la preuve documentaire produite à l'audience de la SSR, on ne peut faire état d'aucun cas où des parents de personnes emprisonnées auraient eux-mêmes été détenus, maltraités ou privés de leurs droits civils, par le gouvernement provisoire.         

[14]      Mais, l'agente d'immigration disposait d'autres preuves à l'époque où elle a rendu sa décision, preuves qui lui permettaient effectivement de décider comme elle l'a fait. Je fais allusion à la Réponse au rapport d'information ETH23101-E-11, de mars 1996, selon laquelle :

     [Traduction]

     Le dossier ne comporte aucune preuve indiquant que le gouvernement fait systématiquement pression sur des proches parents de personnes détenues ou s'en prend à elles.         

[15]      Je me fonde sur cela pour conclure que l'utilisation inadvertante de la pièce R3 n'a pas eu pour effet de vicier la procédure suivie.2

CONCLUSION

[16]      Par conséquent, et pour les motifs ainsi exposés, la demande de contrôle judiciaire est en l'espèce rejetée.

CERTIFICATION

[17]      L'avocat de la demanderesse propose, conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration, que soit certifiée la question suivante.

     [Traduction]

     Dans le cadre de l'évaluation de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) menée en vertu du paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration par un agent chargé de la révision des revendications refusées (ACRRR), cet agent peut-il se fonder sur des preuves documentaires qui avaient été produites devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), mais qui n'avaient pas été portées devant l'ACRRR, lorsqu'il s'agit de trancher par la négative la revendication au titre de la catégorie DNRSRC?         

[18]      La Cour d'appel fédérale a déjà affirmé que la question dont on propose la certification doit être déterminante au niveau de l'appel.3

[19]      Au vu du dossier, je ne suis pas convaincu que la question proposée serait déterminante au niveau de l'appel.


[20]      Par conséquent, la demande de certification est en l'espèce rejetée.


Darrel V. Heald

juge suppléant

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 mai 1998

Traduction certifiée conforme :

Christiane Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3332-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Titina Tacele Wolde et al. c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 8 mai 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : M. le juge suppléant Heald

DATE :                  Le 25 mai 1998

COMPARUTIONS :                     

Me Sian E. Williams      pour les demanderesses

Me Jeremiah Eastman      pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :     

Me Sian E. Williams      pour les demanderesses

M. George Thompson

Sous-procureur général du Canada      pour le défendeur

__________________

1      Dossier des demanderesses, page 51. Rapport du département d'État américain sur les droits de la personne en Éthiopie (1995).

2      À comparer avec Yassine c. Canada (M.C.I.) , (1994) 172 N.R. 308 (C.A.).

3      Voir M.C.I. c. Khatib (20 juin 1996), A-592-94 (C.A.) et M.C.I. c. Oppong, (1996) 193 N.R. 306.

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