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Date : 20020507

Dossier : IMM-3230-01

Référence neutre : 2002 CFPI 517

ENTRE :

                                                                    ABTHUL WAHID

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 Le demandeur souhaite que la Cour annule la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 17 mai 2001, par laquelle cette dernière a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur, qui est né le 5 décembre 1974, est citoyen du Sri Lanka. Il allègue craindre avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qu'on lui impute et de son appartenance à un groupe social, soit les musulmans associés aux Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET). Le demandeur a quitté le Sri Lanka le 13 juin 2000. À son arrivée au Canada, trois jours plus tard, il a revendiqué le statut de réfugié. Le 17 mai 2001, la Commission a rejeté sa revendication parce qu'il n'était pas un témoin digne de foi.

[3]                 Le premier point soulevé par le demandeur touche la question de savoir si la Commission a appliqué le mauvais critère, comme il est énoncé dans l'arrêt Adjei c. M.E.I., [1989] 2 C.F. 680, de la Cour d'appel fédérale. Pour étayer sa prétention voulant que la Commission n'ait pas appliqué le bon critère, le demandeur invoque le passage suivant de la décision rendue par cette dernière, lequel se trouve à la page 3 des motifs :

Le revendicateur est un musulman tamoul de l'Est du Sri Lanka. Selon la preuve documentaire générale [note omise] disponible sur les musulmans tamouls, les autorités sri lankaises ne croient pas que les Tamouls de l'Est du Sri Lanka sont associés aux TLET. De plus, le revendicateur dispose d'un refuge intérieur sûr à Colombo pour les musulmans de l'Est du Sri Lanka.

Par conséquent, il incombe carrément au revendicateur d'établir qu'il est ce qui semble être une exception à la règle. Dans les circonstances de l'espèce, le tribunal ne croit pas que le revendicateur a présenté une preuve crédible. [Non souligné dans l'original.]

[4]                 Je suis totalement d'accord avec le défendeur lorsqu'il affirme que la Commission, par les extraits susmentionnés, ne tentait pas d'énoncer le critère applicable. À mon avis, il ressort de la lecture des motifs prononcés par la Commission que cette dernière ne fait qu'examiner une question particulière, à savoir que, selon la preuve documentaire relative au Sri Lanka, les autorités ne considèrent pas que les Tamouls de l'Est du Sri Lanka sont associés aux TLET. Dans le passage reproduit plus haut, la Commission précise donc qu'il appartenait au demandeur de la convaincre qu'il était un Tamoul de l'Est du Sri Lanka que les autorités considéraient comme associé aux TLET.


[5]                 Par conséquent, j'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur relative au critère applicable.

[6]                 Le deuxième point soulevé par le demandeur vise la conclusion de la Commission selon laquelle il n'est pas un témoin digne de foi, particulièrement en ce qui concerne son témoignage voulant que le gîte où il ait habité à Colombo ait fait l'objet d'une descente de police en mars 2000. Le gîte était situé dans le district de Maradana, non loin du poste de police local.

[7]                 Suivant la déposition du demandeur, lui et d'autres résidents du gîte ont été détenus le 10 mars 2000, et interrogés au poste de police. D'après le demandeur, la descente a eu lieu parce qu'une bombe avait explosé dans la rue Castle, située près de là.

[8]                 S'appuyant sur les Country Reports on Human Rights Practices du Département d'État des États-Unis pour l'année 2000, la Commission arrive à la conclusion que le récit du demandeur n'est pas crédible. Selon les Country Reports, les TLET ont tué 30 civils et en ont blessé 16 autres, le 10 mars 2000, pendant l'heure de pointe, dans une banlieue de Colombo. Les TLET auraient utilisé des mines, des grenades propulsées par fusée et des armes automatiques au cours de leur attentat, lequel visait des ministres du gouvernement devant emprunter une certaine rue située près de l'édifice du Parlement.

[9]                 La Commission a signalé que l'incident dont il est question dans les Country Reports s'était déroulé dans une banlieue de Colombo, tandis que l'incident ayant donné lieu à l'arrestation du demandeur s'est produit dans la rue Castle, à Colombo.

[10]            Je conviens avec le défendeur que le demandeur, lorsqu'il a été informé de cette contradiction lors de l'audience (voir les pages 46 et 47 de la transcription, et les pages 293 et 294 du dossier du tribunal), a tenté d'établir un lien entre l'attentat à la bombe de la rue Castle et [traduction] « l'édifice du Parlement » . En effet, les questions et réponses suivantes se trouvent aux pages 46 et 47 de la transcription :

[traduction]

Q.            Savez-vous ce qui s'est exactement passé le 10 mars?

R.            Oui, je le sais, une bombe a explosé dans la rue Castle.

Q.            Savez-vous combien de personnes ont été tuées?

R.            Je ne me souviens pas exactement.

Q.            Dans le rapport du Département d'État, okay, à la page 4 de 20, il est mentionné que « le 10 mars, lors d'un attentat visant un ministre du gouvernement devant suivre un certain itinéraire près de l'édifice du Parlement, les TLET ont tué 30 civils et en ont blessé 16 autres avec des mines Claymore, des grenades propulsées par fusée et des armes automatiques au cours de l'heure de pointe dans une banlieue de Colombo » . Il ne semble toutefois pas s'agir du même événement [...] que celui dont vous parlez.

R.            Oui, l'édifice du Parlement se trouve aussi dans la rue Castle.


[11]            Lorsqu'elle a conclu que cette partie du récit du demandeur n'était pas digne de foi, la Commission a fait mention d'un incident survenu le 6 mars 1998 dans le district de Maradana. En d'autres termes, la Commission a estimé que l'incident qui, d'après le demandeur, aurait donné lieu à sa détention le 10 mars 2000, soit l'explosion d'une bombe dans le district de Maradana de Colombo, paraît s'être produit en mars 1998. À la page 3 de ses motifs, la Commission précise :

Toutefois, la preuve du revendicateur a trait à une attaque à la bombe dans le district de Maradana de Colombo. Appelé à s'expliquer, le revendicateur a tenté de modifier son témoignage pour dire que la bombe se trouvait sur la route menant au Parlement. Le tribunal n'est toutefois pas convaincu.

De plus, le tribunal trouve d'autres éléments de preuve documentaire présentés par le revendicateur lui-même - un article du TamilNet intitulé « Arrests in Batticaloa Over Colombo Blast » et daté du 6 mars 1998 [note omise]. Cet article de 1998 se lit comme suit : [TRADUCTION] « la police indique que, selon l'information obtenue à partir de l'immatriculation du mini-bus utilisé dans l'explosion, plusieurs personnes du district de Batticaloa, y compris des musulmans, étaient impliqués dans l'explosion de Maradana. » Toutefois, cette explosion a eu lieu en mars 1998, et non en mars 2000.

Encore une fois, le revendicateur n'a pu fournir d'explication. Cette situation sème un sérieux doute dans l'esprit du tribunal quant à la véracité de l'arrestation de mars 2000, qui a motivé le revendicateur à quitter le pays.

[12]            À mon avis, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de mettre en doute la véracité des assertions faites par le demandeur quant à son arrestation en mars 2000. Au contraire, compte tenu de la preuve dont était saisie la Commission, cette conclusion était selon moi tout à fait légitime.

[13]            Un autre point soulevé par le demandeur concerne la preuve médicale présentée par le Dr A.L.M. Jameel, du Sri Lanka. À cet égard, la Commission mentionne ce qui suit à la page 4 de ses motifs :


En ce qui concerne la preuve du revendicateur, le tribunal a des doutes quant à l'authenticité de la pièce P-6 [note omise], une note du Dr A.L.M. Jameel, obstétricien et gynécologue, en date du 3 août 2000, dans laquelle il allègue avoir prodigué des soins au revendicateur le 30 janvier 1998 et le 18 mars 2000 après qu'il eut été mis en détention et battu.

Lorsque le revendicateur dit avoir été transporté à l'hôpital, il est clair d'après le papier à en-tête que le médecin en question est un obstétricien et un gynécologue travaillant dans une clinique de maternité. Le tribunal a donc des doutes quant à la véracité de cette pièce.

[14]            La pièce P-6 consiste en une présumée lettre envoyée par le Dr A.L.M. Jameel le 3 août 2000. Selon ce document, le Dr Jameel aurait vu le demandeur à deux occasions, soit le 30 janvier 1998 et le 18 mars 2000.

[15]            La lettre est écrite sur du papier portant l'en-tête du CENTRAL NURSING AND MATERNITY HOME, situé sur la rue Cassim, Kalmunai-6, au Sri Lanka. Cet en-tête précise que le Dr Jameel est obstétricien et gynécologue. Il ressort de la lettre que le Dr Jameel a vu le demandeur pour les raisons suivantes :

[traduction]

La présente vise à confirmer que Abthul Wahid a été admis dans notre hôpital alors qu'il avait subi de multiples lésions internes et externes causées par des coups de matraque et d'objets quelconques donnés sur tout le corps et que son bras gauche avait été brûlé au moyen d'un morceau de métal. En raison de ces lésions, toutes les parties de son corps étaient enflées, y compris le côté d'un de ses testicules et, comme on a également frappé ses talons avec un objet quelconque, il souffrait de stress aux muscles, aux ligaments et aux tendons.

À cause de ces blessures, il est atteint de faiblesse généralisée, du syndrome de stress post-traumatique, de troubles du sommeil, de troubles du rythme circadien et de trouble panique.

J'ai écrit la présente lettre à la demande de Mohammad Jaffar, oncle de Abthul Wahid.

[16]            Comme le Dr Jameel était un obstétricien et un gynécologue travaillant dans une clinique de maternité, la Commission n'était pas convaincue qu'il ait soigné le demandeur. Selon la Commission, il n'était pas vraisemblable que le demandeur, compte tenu de la nature de ses lésions, ait été traité dans une clinique de maternité par un obstétricien et gynécologue.

[17]            Malheureusement pour le demandeur, il m'est impossible de déclarer cette conclusion déraisonnable. Loin de moi l'intention de laisser entendre qu'un obstétricien et gynécologue n'aurait pas pu traiter le demandeur. Je déclare simplement qu'à la lumière de la preuve, je ne puis qualifier cette conclusion de la Commission de déraisonnable.

[18]            Le demandeur a également invoqué un rapport établi par Maria Haladyn-Dudek, psychologue. Voici ce qu'a déclaré la Commission à la page 4 de ses motifs au sujet de ce rapport :

Enfin, en ce qui concerne le rapport du Dr Maria Haladyn-Dudek [note omise], son diagnostic d'un syndrome de stress post-traumatique s'appuie uniquement sur les faits présentés par le revendicateur. Étant donné que le tribunal n'estime pas que le revendicateur est un témoin crédible, il accorde donc peu de poids aux conclusions tirées par Dr Haladyn-Dudek à cet égard.

[19]            À mon sens, la Commission n'a commis aucune erreur en écartant cet élément de preuve. Dans la décision Danailov c. M.E.I., dossier T-273-93 (C.F. 1re inst.), datée du 6 octobre 1993, Madame le juge Reed a déclaré sans équivoque que le poids accordé à une opinion d'expert est en grande partie fonction de la reconnaissance, par le décideur, de la véracité des faits qui la sous-tendent. Le juge Reed a exposé cette règle au paragraphe 2 des motifs de sa décision :


[...] Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.

[20]            Le demandeur avance en outre que la Commission a commis une erreur susceptible de révision lorsqu'elle a omis de tenir compte des rapports du Dr Ephraim Massey, de Montréal. La déposition de ce dernier consiste en deux lettres datées du 2 août et du 16 novembre 2000. Les lettres sont reproduites aux pages 180 et 179 du dossier du tribunal. En voici le texte :

[traduction]

3 août 2000

J'ai vu et examiné M. Wahid aujourd'hui. Il affirme qu'au Sri Lanka, en 1998, la police l'a brûlé au bras gauche avec un morceau de métal chaud. À nouveau en mars 2000, il a été battu sur les talons au moyen de bâtons et de tuyaux par des membres du service de sécurité. Il souffre toujours de vives douleurs aux pieds et éprouve de la difficulté à marcher. Il se plaint maintenant de la difficulté constante qu'il a à marcher et de douleurs récurrentes aux talons.

L'examen physique effectué aujourd'hui révèle une cicatrice linéaire de 5 cm sur l'avant-bras gauche. Il y a également une sensibilité au toucher sur les talons des deux pieds et M. Wahid a une démarche traînante.

La cicatrice susmentionnée est entièrement compatible avec la lésion causée par trauma explicitée par M. Wahid. De plus, la sensibilité au toucher des talons et le malaise ressenti pendant la marche sont compatibles avec le grave trauma décrit par M. Wahid. Je lui ai remis une ordonnance pour une cure de dix jours au Vioxx 12,5 mg et je lui ai également recommandé des traitements de physiothérapie.

                                                             ***************

                                                                                                                           16 novembre 2000

J'ai vu et examiné M. Wahid aujourd'hui. Il continue de souffrir de vives douleurs aux pieds et aux talons. Ce problème est attribuable aux lésions que la police sri lankaise lui a infligées aux pieds avec des bâtons et des objets de métal durs l'année dernière et à nouveau en mars 2000. Il éprouve toujours de vives douleurs aux pieds et il lui est difficile de marcher.

L'examen physique effectué aujourd'hui révèle une sensibilité au toucher sur les talons des deux pieds, et M. Wahid a une démarche traînante.


Les radiographies faites récemment montrent la formation d'un ergot bilatéral sur les talons, laquelle est compatible avec des lésions attribuables à un trauma causé au moyen d'objets durs.

[21]            Comme dans le cas du rapport du Dr Haladyn-Dudek, il ne fait aucun doute que l'opinion du Dr Massey se fonde sur le récit que lui a fait le demandeur. À mon avis, l'opinion du Dr Massey ne peut, à elle seule, établir l'exactitude du récit du demandeur. Selon moi, cette opinion prouve de manière satisfaisante que le demandeur a subi les blessures constatées par le Dr Massey. Cependant, la véritable question que la Commission devait trancher ne consistait pas à savoir si le demandeur avait été blessé, mais bien à établir la cause de ces lésions. Comme la Commission n'a pas cru le récit du demandeur et, en particulier, le fait qu'il ait été arrêté et détenu en 1998 et en 2000, il s'ensuit à mon sens que la décision de la Commission de rejeter les opinions du Dr Haladyn-Dudek et du Dr Massey n'est pas déraisonnable.

[22]            En conséquence, je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur justifiant mon intervention. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

« M. Nadon »

Juge      

O T T A W A (Ontario)

Le 7 mai 2002.

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020507

Dossier : IMM-3230-01

  

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 MAI 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE :

ABTHUL WAHID

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

  

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

   

« M. Nadon »

Juge      

  

                                                         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

No DU GREFFE :                                              IMM-3230-01

INTITULÉ :                                                        Abthul Wahid

c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 13 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :                                     Le 7 mai 2002

   

COMPARUTIONS :

Diane Doray                                                          POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe                                                    POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen et associés                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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