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Date : 20020523

Dossier : IMM-2583-01

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2002

En présence de :         MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                         GUHABALAN NADARAJAH

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR datée du 25 avril 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

« Carolyn A. Layden-Stevenson »

      Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


Date : 20020523

Dossier : IMM-2583-01

Référence neutre : 2002 CFPI 590

ENTRE :

                                                         GUHABALAN NADARAJAH

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                 Guhabalan Nadarajah, un citoyen sri lankais d'origine tamoul âgé de 65 ans, dit craindre avec raison d'être persécuté au Sri Lanka du fait de ses expériences avec l'armée et avec les Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (TLET). Il demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR), qui, dans des motifs prononcés de vive voix le 28 février 2001 et dans des motifs écrits datés du 25 avril 2001, a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur vivait à Tricomalee, région contrôlée par l'armée sri lankaise, mais où les TLET jouaient un rôle très actif. En 1966, le demandeur a prêté son aide aux fils de personnes apparentées à sa soeur de sorte qu'il a été la cible de l'armée et a été détenu par celle-ci parce qu'elle le soupçonnait de participer aux activités des TLET.

[3]                 En 1997, les TLET ont menacé le demandeur de prendre des mesures sérieuses contre sa famille à moins qu'il n'envoie son fils au camp d'entraînement des TLET, qu'il n'obtienne des renseignements pour leur compte et qu'il leur permette de résider chez lui lorsqu'ils se trouvaient dans la région. Le demandeur a envoyé son fils au Canada, où il a été accepté comme réfugié.

[4]                 En septembre 1998, les TLET ont arrêté le demandeur chez sa soeur, où il avait récemment déménagé. Le demandeur prétend avoir été détenu par les TLET jusqu'en août 1999, date à laquelle sa famille a donné un pot-de-vin en échange de sa libération. Le demandeur est ensuite retourné chez sa soeur où il est resté jusqu'à son départ pour le Canada, en octobre 1999. Il a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée au Canada.

[5]                 Dans ses prétentions écrites et dès le début de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, l'avocat du demandeur a soulevé une question se rapportant à la reprise de l'audience par la SSR en l'absence du demandeur. Après avoir consulté la transcription, l'avocat a retiré cette allégation.


[6]                 Le demandeur a relevé plusieurs erreurs qui seraient contenues dans la décision de la SSR. Le défendeur a fait observer que le demandeur s'était livré à un examen à la loupe de la décision. Étant donné les conclusions que j'ai tirées, je ne reprendrai pas tous les arguments du demandeur, mais j'insisterai sur ceux que je juge particulièrement significatifs.

[7]                 L'avocat du demandeur a reconnu qu'il était loisible à la SSR de conclure que M. Nadarajah n'était pas crédible, mais il allègue que, ce faisant, il lui incombait de le faire explicitement, en termes clairs et non équivoques. Le demandeur se fonde sur les décisions Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A) et Shahiraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 453, [2001] A.C.F. no 734. Le défendeur, invoquant les décisions Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. no 346 (C.A.) et Castro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 787 (1re inst.), soutient que l'appréciation de la crédibilité relève du pouvoir discrétionnaire de la SSR.

[8]                 Les deux positions sont correctes. Cependant, en l'espèce, la SSR semble avoir accepté certains aspects du témoignage du demandeur et semble, du même souffle, les avoir rejetés. Je fais référence aux passages suivants de la décision :

C'est à ce moment que les Tigres sont venus et ont amené le revendicateur pour le placer en détention de septembre 1998 à août 1999 [...]. À ce sujet, le tribunal a certains doutes quant à la véracité de la situation réelle du revendicateur [...].


Cependant, le revendicateur a bien déménagé chez sa soeur et le tribunal détermine que, selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de la preuve déposée, le revendicateur n'était simplement qu'une cible choisie au hasard par les TLET dans la cadre de l'une de leurs opérations connues de « recrutement » . Il est possible qu'il ait été pris parce qu'il était un homme et qu'il se trouvait dans cette maison [...].

Le revendicateur allègue toutefois qu'il a été gardé en détention pendant onze mois. Rien ne corrobore cette déclaration, et malgré le fait que le revendicateur n'a fourni aucune preuve corroborante, et il n'est pas tenu de le faire, le tribunal accepte, selon la prépondérance des probabilités, que le revendicateur peut avoir vécu des expériences impliquant les Tigres [...].

Le tribunal juge intéressant que le revendicateur soit retourné dans une région où il avait prétendument toujours des problèmes avec les TLET [...].

Nous jugeons également intéressant le long laps de temps écoulé entre la première rencontre entre le revendicateur et les TLET, en juillet 1997, et le fait qu'il ait été découvert ultérieurement , en septembre 1998.

En dernière analyse, la SSR conclut :

Nous ne disposons d'aucune information convaincante ou crédible qui permette de supposer que ce revendicateur, selon la prépondérance des probabilités, s'il retournait au Sri Lanka, serait capturé par les TLET et obligé à prendre [part] à des activités anti-militaires ou à des activités terroristes anti-gouvernementales.

  

[9]                 Les commentaires suivants du juge McKeown dans Shahiraj s'appliquent ici : « [. . .] la Commission n'a pas énoncé clairement qu'elle ne croyait pas l'histoire du demandeur ou certaines parties de celle-ci [. . .] ne va pas jusqu'à déclarer qu'elle ne croit pas la version des événements relatés par le demandeur » . En l'espèce, les conclusions de la SSR sur la crédibilité sont, tout au plus, vagues et ambiguës. Dans ces conditions, on ne peut conclure qu'elles sont adéquates, et la décision ne peut être maintenue sur la base d'une conclusion négative quant à la crédibilité.

[10]            Le demandeur allègue également que la SSR a omis de tenir compte de certains éléments de preuve documentaire établissant qu'il avait le profil d'une personne en danger. À cet égard, le demandeur se fonde sur la décision Nadarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1222, [2001] A.C.F. no 1707, dans laquelle le juge Gibson a affirmé :


Il ne s'agit pas ici d'un cas où le demandeur avait soumis à la SSR une volumineuse preuve documentaire dont on ne pouvait espérer qu'une quelconque formation de la SSR pût avoir une connaissance intime. C'est même la SSR elle-même qui a versé le document en question dans le dossier, du moins par renvoi. Il s'agissait du sommaire d'un document, parmi d'autres documents notoirement connus et dignes de foi, se rapportant aux conditions qui prévalaient dans le pays. C'était un document qui aurait dû être familier au membre de la SSR de même qu'à l'agent chargé de la revendication et à l'égard duquel ils n'auraient pas dû s'en remettre à l'avocat du demandeur pour en avoir connaissance.

Le juge Gibson a conclu que cette erreur était en soi suffisante pour accueillir la demande.

[11]            Le demandeur prétend que même si elle a de fait cité un extrait de la preuve documentaire, la SSR n'a pas tenu compte des autres références qui, bien qu'elles n'aient pas été débattues de façon spécifique, avaient été déposées par son avocat qui en avait souligné les passages pertinents. Le défendeur, pour sa part, affirme que la SSR a bel et bien évoqué l'un de ces passages mais a conclu que même si les personnes âgées étaient recrutées, cette personne ne le serait pas en raison de sa fragilité.

[12]            Le passage cité par la SSR se lit comme suit :

La preuve documentaire n'appuie pas son allégation selon laquelle les personnes âgées risquent elles aussi d'être recrutées de force par les TLET. La pièce C4 est un article tiré des pièces du conseil dans lequel on peut lire que les personnes âgées sont recrutées _ en fait, je renvoie à la dernière page. On y lit ce qui suit : [traduction] « Les Tigres forcent les citoyens âgés à prendre les armes : Rapport » . Cependant, le rapport ne contient qu'un seul court passage où il est dit que les TLET avaient de la difficulté à enrôler de jeunes combattants et devaient recourir à la conscription des personnes âgées. Il est clair d'après l'apparence physiologique de ce monsieur, un vieil homme frêle, qu'il serait très peu utile, à notre avis, pour les TLET de l'enrôler dans l'armée ou de lui faire prendre part à des activités anti-gouvernementales, étant donné son âge, sa mauvaise santé et son apparence frêle.

  

[13]            Le dossier du tribunal contient d'autres éléments de preuve documentaire, dont trois autres références relatives au recrutement des citoyens plus âgés par les TLET, qui avaient toutes été déposées par l'avocat du demandeur qui en avait souligné des passages. Dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, le juge Evans, tel était alors son titre, après avoir conclu que la SSR n'était pas tenue de faire état de chaque élément de preuve, a poursuivi en disant :

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés.

  

[14]            Dans Alfred c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 76 F.T.R. 231, le juge MacKay, en examinant une question similaire à l'égard d'un Tamoul plus jeune, a affirmé :

Sans apprécier les éléments de preuve présentés par le requérant et selon lesquels il avait été traité dans le passé comme un jeune Tamoul malgré son âge, puisqu'il était célibataire et sans obligations familiales, le tribunal a conclu qu'il ne correspondrait pas, en raison de son âge, à la description d'un jeune Tamoul, et ne serait donc pas la cible des autorités sri lanquaises dans le cadre de leur lutte pour mettre un terme aux activités des LTTE [sic]. Le tribunal semble s'être fondé sur sa propre perception qu'il avait du requérant et non pas sur celle qu'avaient les autorités sri lanquaises. Voir à ce sujet monsieur le juge La Forest, parlant au nom de la Cour suprême dans l'arrêt Ward c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 20 IMM. L.R. (2d) 85 à la page 127 (C.S.C.). En outre, le tribunal semble avoir tenu pour acquis que seuls les jeunes Tamouls étaient visés par les forces policières sri lanquaises et par les opérations de sécurité. Il s'agit là d'une perception étroite qui est incompatible avec une bonne partie de la preuve documentaire.

Je partage l'opinion du juge MacKay et je conclus qu'en l'espèce la SSR s'est également fondée sur sa propre perception du demandeur, qui était une perception étroite incompatible avec la preuve documentaire.


[15]            L'autre erreur alléguée par le demandeur concerne l'utilisation par la SSR du terme « round up » en relation avec les activités des TLET. Les avocats du demandeur et du défendeur ont tous deux convenu que le terme « round up » s'applique aux arrestations faites par l'armée sri lankaise, tandis que le mot « recruitment » se rapporte à la pratique des TLET consistant à forcer les personnes à participer à leurs activités anti-gouvernementales. Le demandeur soutient que la SSR a mal formulé la question dès le départ et qu'elle a mal interprété les motifs sur lesquels le demandeur fondait sa revendication. Selon cet argument, si la SSR examinait la question des « round ups » plutôt que celle du « recruitment » , il lui incombait d'en informer le demandeur afin que ce dernier puisse répondre. Son omission à cet égard a privé le demandeur de la possibilité de débattre la question et porte donc atteinte à l'équité de la procédure. Le défendeur fait valoir qu'en utilisant le terme « round up » , la SSR voulait plutôt parler de « recruitment » .

[16]            La SSR a bel et bien fait référence aux activités de recrutement ( « recruitment » ) des TLET lorsqu'elle a déclaré ce qui suit : « Nonobstant sa santé, le tribunal détermine qu'il ne répond pas au profil des jeunes hommes tamouls qui, au Sri Lanka, sont visés par les activités de recrutement [recruitment] des TLET, et le tribunal détermine qu'il n'est pas menacé, suivant l'un ou l'autre des motifs de la Convention, s'il retournait au Sri Lanka. » [Non souligné dans l'original.]

[17]            Par contre, la SSR a également affirmé :

Cependant, le revendicateur a bien déménagé chez sa soeur et le tribunal détermine que, selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de la preuve déposée, le revendicateur n'était simplement qu'une cible choisie au hasard par les TLET dans la cadre de l'une de leurs opérations connues de « recrutement » [rounds ups].


Le tribunal n'a devant lui aucune preuve convaincante qui lui permettrait de conclure que le revendicateur a été recruté [rounded up] à cause de ses expériences passées alléguées ou en rapport avec celles-ci.

Nous considérons qu'il ne s'agit pas tant d'une action visant à cibler le revendicateur, mais que celui-ci est peut-être davantage susceptible d'avoir été victime d'une opération de recrutement [round up] au hasard réalisée, comme nous le savons, par les TLET.

[Non souligné dans l'original.]

  

[18]            Ce serait de la pure spéculation que de tenter de déterminer si, comme le dit le défendeur, la SSR avait l'intention d'employer le mot « recruitment » plutôt que le terme « round up » lorsqu'elle a traité des pratiques utilisées par les TLET. De même, toute analyse de l'incidence réelle ou probable qu'aurait pu avoir sur sa décision une conception erronée des pratiques des TLET, par opposition à celles de l'armée, serait purement spéculative. Il n'appartient pas à la Cour de se livrer à des conjectures.

[19]            L'omission de la SSR de se prononcer clairement sur la question de la crédibilité, l'omission de tenir compte de la preuve documentaire corroborant la position du demandeur et la possibilité d'une conception erronée du motif sur lequel le demandeur fonde sa crainte de persécution sont les erreurs alléguées par le demandeur que j'ai jugées particulièrement significatives. Les erreurs susmentionnées, lorsqu'elles sont considérées individuellement, ne mènent pas nécessairement au succès d'une demande. Par contre, lorsqu'on les considère collectivement, ces erreurs constituent des motifs d'annulation de la décision de la SSR.


[20]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR datée du 25 avril 2001 est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

[21]            L'avocat n'ayant pas suggéré que l'affaire soulevait une question grave de portée générale, aucune question n'est donc certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'Immigration.

  

« Carolyn A. Layden-Stevenson »

    Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 mai 2002

    

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                      IMM-2583-01

INTITULÉ :                                     Guhabalan Nadarajah c. MCI

   

LIEU DE L'AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :            2 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE Layden-Stevenson          

DATE DES MOTIFS :                   23 mai 2002

   

COMPARUTIONS :

  

M. Micheal CranePOUR LE DEMANDEUR

M. Marcel LarouchePOUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  

M. Micheal CranePOUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

  

M. Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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