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Date : 20060424

Dossier : T-1234-05

Référence : 2006 CF 514

OTTAWA (ONTARIO), le 24 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

LA SUCCESSION D’YVONNE GEAUVREAU-TURNER

demanderesse

et

 

LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS D’ONIGAMING

REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF ET LE CONSEIL DE BANDE

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’arbitre Derek A. Booth, rendue le 20 juin 2005, dans laquelle l’arbitre a conclu que (dans le cas où la demanderesse aurait été congédiée injustement, un fait qui n’a pas été reconnu) la demanderesse n’aurait pas droit aux dommages-intérêts prévus à l’article 242 du Code canadien du travail.

 

[2]               Il s’agit d’une affaire qui se rapporte au Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). La demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 20 juin 2005 par un arbitre nommé en vertu du paragraphe 242(1) du Code.

 

[3]                Au cours du processus de règlement du litige, les parties ont présenté à l’arbitre une question précise et un exposé des faits sur lequel elles s’étaient entendues. Malheureusement, l’arbitre n’a pas mentionné cette question ni l’exposé des faits qui lui avaient été présentés. Cependant, les parties s’entendent pour dire que les points a) à d) qui se trouvent à la page 2 du dossier de la défenderesse énoncent correctement les faits sur lesquels elles s’étaient entendues. Ces points sont les suivants :

[TRADUCTION]

a.                    Yvonne Geauvreau-Turner (la plaignante) avait été employée par la défenderesse, la Première nation des Ojibways d’Onigaming (Onigaming), comme administratrice des services sociaux, du 10 avril 1990 au 10 septembre 2003;

(Page 16 du dossier de la demande)

 

b.                   Dans une lettre datée du 10 septembre 2003, la plaignante a été congédiée par Onigaming en raison de son rendement inadéquat au travail et de son absentéisme chronique;

(Pages 16 et 25 du dossier de la demande)

 

c.                    La plaignante avait été incapable de travailler pour Onigaming pendant un certain temps avant d’être congédiée et ce, jusqu’à son décès, le 15 juillet 2004;

(Page 17 du dossier de la demande)

 

d.                   La plaignante avait épuisé tous ses crédits de congés de maladie lorsqu’elle a été congédiée.

(Page 17 du dossier de la demande)

 

 

[4]               Les parties se sont aussi entendues sur le fait que la question qui avait été posée à l’arbitre était la suivante :

[TRADUCTION]

En supposant qu’il y ait eu un congédiement injuste (un fait qui n’est pas reconnu) et en se fondant sur les faits admis [qui se trouvent aux points a) à d) des pages deux et trois du dossier de la défenderesse], des dommages-intérêts doivent-ils être payés conformément au paragraphe 242(4) du Code canadien du travail?

 

 

[5]               L’arbitre s’est fondé sur l’arrêt Dartmouth Ferry Commission c. Marks Estate, [1904] 34 R.C.S. 366, pour conclure que c’est pour cause d’invalidité permanente qu’on avait mis fin au contrat. Comme la demanderesse n’avait pas droit à une prestation de maladie (parce qu’elle avait utilisé tous ses crédits) et n’avait pas droit à un salaire (elle avait une invalidité permanente), aucuns dommages-intérêts prévus au paragraphe 242(4) du Code ne lui étaient dus.

 

Les dispositions légales :

[6]               Les parties pertinentes de l’article 242 du Code prévoient :

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

 

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

 

a)    dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

 

b)    fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

 

c)     est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

 

[…]

 

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

 

a)    de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

b)    de réintégrer le plaignant dans son emploi;

 

c)     de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

 

La norme de contrôle

 

[7]               Dans d’autres affaires se rapportant au Code, la Cour a appliqué la décision manifestement déraisonnable comme norme, voir Kelowna Flightcraft Air Charter c. Kmet (1998), 149 F.T.R 246, et Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1997] A.C.F. no 1428, et je ne vois aucune raison de déroger à cette pratique.

Analyse

 

[8]                La demanderesse allègue que pour déterminer la portée du paragraphe 242(4), le droit en matière de congédiement abusif devrait être exposé. La demanderesse se fonde sur l’arrêt Sylvester c. Colombie-Britannique, [1997] 2 R.C.S. 315, dans lequel le juge Major a énoncé :

L'appelante n'a pas contesté la conclusion que l'intimé avait droit à des dommages-intérêts de 102 100 $, soit le salaire qu'il aurait gagné s'il avait travaillé durant la période visée par le préavis. Cette conclusion est conforme au principe selon lequel l'employé qui est congédié injustement et qui ne reçoit pas un préavis de départ suffisant a droit à des dommages-intérêts correspondant au salaire qu'il aurait gagné s'il avait travaillé durant la période visée par le préavis. Le fait que l'employé n'aurait pas pu travailler durant cette période n'est pas pertinent pour le calcul des dommages-intérêts. Ceux-ci sont fondés sur la prémisse que l'employé aurait travaillé pendant la période visée par le préavis. Par conséquent, l'employé qui est congédié injustement pendant qu'il travaille et celui qui est congédié injustement pendant qu'il reçoit des prestations d'invalidité ont tous les deux droit à des dommages-intérêts correspondant au salaire qu'ils auraient respectivement gagné s'ils avaient travaillé durant la période visée par le préavis. (Non souligné dans l’original.)                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     

 

[9]               Par contre, la défenderesse soutient qu’il existe une différence entre le congédiement injuste aux termes du Code et une poursuite pour congédiement abusif en common law. La défenderesse affirme dans son mémoire :

[TRADUCTION]

Il est important de noter qu’il ne s’agit pas d’une poursuite civile pour congédiement abusif. Il s’agit plutôt d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un arbitre au sujet d’une plainte alléguant un congédiement injuste aux termes du Code. Le principe de « préavis raisonnable » de la common law, qui s’applique pour une poursuite civile, n’est pas pertinent quant à l’allocation de dommages-intérêts dans une plainte alléguant un congédiement injuste. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes les deux clairement affirmé qu’il ne faut pas calculer les dommages-intérêts prévus par le Code en déterminant la période de préavis à laquelle l’employé aurait dû avoir droit. Dans l’affaire Première nation de Wolf Lake c. Young, la Cour a statué que :

 

L'application du paragraphe 242(4) du Code est claire; cette disposition est conçue pour indemniser pleinement un employé qui a été congédié injustement. Cette réparation ne se limite pas à l'indemnité de départ à laquelle l'employé a droit. Elle n'est pas calculée en fonction du préavis qui aurait dû être donné à l'employé. Dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1985] 1 C.F. 253, conf. [1989] 1 R.C.S. 1038, le juge Mahoney a déclaré, à la page 260 :

 

Le paragraphe 61.5(9) [maintenant 242(4)] a pour but de confier à l'arbitre le pouvoir de faire en sorte, dans la mesure du possible, que l'employé lésé n'ait pas à subir de préjudice en matière d'emploi par suite de son congédiement injustifié.

 

Au paragraphe 53, la Cour fédérale a statué que :

 

L'arbitre qui accorde des dommages-intérêts pour congédiement injuste peut en fixer le montant. Ces dommages-intérêts visent à indemniser l'employé des dommages que lui a effectivement causés son congédiement.

 

[…]

 

Dans une réclamation au sujet d’un congédiement abusif (par opposition à une réclamation au sujet d’un congédiement injuste), un juge d’une cour supérieure ou d’une cour du Banc de la Reine n’a pas le pouvoir inhérent d’ordonner la réintégration. À ce titre, l’allocation de dommages-intérêts pour une réclamation au sujet d’un congédiement abusif ne doit pas être quantifiée d’après les dommages réels subis, mais d’après le « préavis raisonnable » auquel l’employé avait droit pour que l’employeur puisse légalement mettre fin à son contrat. En d’autres mots, une allocation de dommages-intérêts en lieu et place d’un avis raisonnable a pour objet de replacer l’employé dans la situation où il se serait trouvé si l’employeur avait respecté le contrat en donnant à l’employé un avis raisonnable de congédiement.

 

Les dommages-intérêts pour un congédiement abusif n’ont pas pour objet de punir l’employeur, ni d’indemniser l’employé au-delà du préjudice qui découle d’un bris de contrat. En fait, le but de donner à un employé un avis raisonnable de congédiement (ou un paiement en lieu et place) est de donner à l’employé une juste possibilité de se trouver un autre emploi semblable.

 

En toute déférence, il est évident que le principe de « préavis raisonnable » ne s’applique pas à l’allocation d’une indemnité dans le cas d’une demande au sujet d’un congédiement injuste aux termes du Code. En fait, le Code prévoit un recours de remise dans la situation antérieure, qui peut comprendre généralement la réintégration et l’indemnisation pour salaire perdu (un recours qui n’existe pas en common law) en raison du congédiement. En l’espèce, pour des raisons évidentes, la réintégration est impossible et la plaignante n’a pas subi de pertes en raison de son congédiement. Par conséquent, la plaignante n’a pas droit à une indemnisation aux termes du Code.

 

 

 

[10]           L’arbitre s’est fondé principalement sur l’arrêt Dartmouth, précité. Dans cette affaire, le juge Davies a tiré la conclusion clé suivante :

[TRADUCTION]

Le fait est reconnu et il est incontestable qu’à partir du 15 décembre, lorsque le capitaine Marks a cessé de travailler, il avait une invalidité permanente qui l’empêchait d’accomplir le travail prévu par son contrat. En droit, cette invalidité est qualifiée de cas de force majeure. À mon avis, l’invalidité ne justifie pas seulement le fait que la Commission aurait pu formellement pour cette raison mettre fin à son contrat, si elle avait choisi de le faire, mais elle faisait en sorte qu’il aurait été impossible pour le capitaine Marks de remplir ses obligations aux termes de son contrat. Le facteur qui avait incité la Commission à promettre un salaire n’existait plus. L’entente mutuelle nécessaire pour exécuter le contrat était terminée. La Commission ne pouvait pas poursuivre le capitaine Marks parce qu’il n’avait pas mené à bien sa promesse de servir comme capitaine sur l’un de ses navires à vapeur. Il pouvait faire valoir en défense l’invalidité résultant d’un cas de force majeure. Il aurait obtenu le même résultat s’il était devenu fou ou avait perdu l’usage de ses membres. Le fait que son invalidité soit causée par des troubles internes inexplicables ne fait aucune différence. Il n’y a aucune analogie entre une telle invalidité permanente et une maladie temporaire. La loi permet, pour le simple motif d’humanité, de donner une maladie temporaire comme raison pour ne pas accomplir temporairement un travail et prévoit que l’employé peut recevoir un salaire pour la période où il est temporairement incapable de travailler. Bien que la loi protège le travailleur qui a une invalidité permanente contre les dommages-intérêts qui pourraient lui être demandés parce qu’il n’a pas respecté son contrat, elle ne lui permet pas de recevoir un salaire pour un travail qu’il n’a pas accompli. Il n’existe aucun précédent en ce sens. On nous demande de créer un précédent. Cette invalidité permanente touche directement l’objet de la promesse de la Commission de payer un salaire. L’engagement de la part de l’employé de servir comme capitaine n’était pas indépendant de l’engagement de l’employeur de lui payer un salaire. Ces engagements étaient interdépendants et la promesse de salaire dépendait de l’exécution convenue du travail. Le fait que l’employé ou son médecin aient cru que l’invalidité de l’employé était seulement temporaire ne peut pas affecter la question compte tenu du fait qu’il est apparu par la suite que l’invalidité était permanente. L’excuse de la maladie temporaire permettant de ne pas travailler pour une courte période ne peut pas être donnée pour une absence du travail causée par une invalidité permanente.

 

[11]           L’arrêt Dartmouth a été rendu en 1904 et sa formulation reflète la façon de penser à l’époque. L’affaire a été tranchée purement sur le fondement du droit contractuel et tout concept moderne voulant que le travail soit plus qu’un produit y est absent. Le droit du travail a évolué depuis ce temps et nous n’assimilons plus le travail à un produit qui ne devrait être mesuré qu’en termes pécuniaires. Comme le juge Dickson l’a fait remarquer dans l’arrêt Slaight Communications c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, au paragraphe 20 :

Certes, une ordonnance de versement d'une indemnité monétaire additionnelle empiéterait nettement moins sur la liberté d'expression de l'appelante, mais ce ne serait pas un substitut acceptable. Même si l'arbitre avait ordonné que M. Davidson puisse revenir une fois qu'il aurait obtenu un emploi et reçu une indemnité, en plus des prestations d'assurance-chômage, pour la période vraiment chômée, il s'agirait seulement d'une indemnité pour les conséquences économiques du chômage et non pour les conséquences personnelles. Cela va directement à l'encontre de l'objectif visé par l'ordonnance, c'est-à-dire l'obtention d'un nouvel emploi dans les plus brefs délais possibles; cet objectif a, bien entendu, pour corollaire le souci de soulager les problèmes personnels associés au fait d'être sans emploi. Comme l'affirme le professeur Beatty dans son article intitulé « Labour is not a Commodity », dans Reiter et Swan, éd., Studies in Contract Law (1980), aux pp. 323 et 324 :

 

[…]

 

L'indemnisation monétaire ne peut être qu'une mesure de rechange si le travail est assimilé à un produit et si chaque jour sans travail est considéré comme étant parfaitement réductible à une valeur monétaire. Comme je l'ai affirmé dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la p. 368, « [l]'emploi est une composante essentielle du sens de l'identité d'une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel ». Considérer le travail comme étant un produit est incompatible avec une telle perspective qui ressort de l'objectif de redressement choisi par l'arbitre.

 

[12]           En vertu du Code, l’arbitre utilise les pouvoirs prévus au paragraphe 242(4) pour remédier à un congédiement injuste (qu’on suppose en l’espèce). Le paragraphe 242(4) lui donne trois options cumulatives :

i)                    enjoindre à l’employeur de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

ii)                   ordonner la réintégration du plaignant dans son emploi;

 

 

iii)                 enjoindre à l’employeur de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

 

[13]           Compte tenu de cette grande latitude et compte tenu de la limite imposée par l’alinéa 242(4)a), je ne vois pas pourquoi il faudrait avoir recours au droit relatif au congédiement abusif. Les cas de congédiement abusif portent sur une notion différente, soit l’indemnisation tenant lieu d’avis raisonnable de congédiement. Ensuite, dans les cas de congédiement abusif, la cour n’a pas le pouvoir d’ordonner la réintégration de l’employé ou une réparation en equity, pouvoir qui est conféré à l’arbitre par l’alinéa 242(4)c) du Code.

 

[14]           Cependant, l’alinéa 242(4)a) limite clairement l’indemnité à un montant « équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié ».

 

[15]           Dans l’affaire Favilla and Mayne Nickless Transport Inc, [1997] C.L.A.D. no 719, l’arbitre M.R. Gorsky a noté au paragraphe 61 :

[TRADUCTION]

49. L’alinéa 242(4)a) prévoit qu’un arbitre peut ordonner à un employeur « de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié ». Le juge Iacobucci a précisé ce qui est compris par l’expression « rémunération » [dans l’arrêt Jack Wallace c. United Grain Growers, daté du 30 octobre 1997, [1997] 3 R.C.S. 701, paragraphe 67] :

 

À l’appui de cette conclusion, je souligne que plusieurs tribunaux ont interprété de façon libérale l’expression « traitement, salaire ou autre rémunération » [paragraphe 68(1) de la Loi sur la faillite, L.R.C. 1985, ch. B-3]. On a jugé qu’elle comprenait les prestations d’invalidité […] l’indemnité de départ […] et les remboursements d’impôt sur le revenu […] Dans Re Giroux, (1983), 45 C.B.R. (N.S.) 245 (C.S. Ont.), le juge Smith déclare, à la p. 247 :

 

[traduction] En général, on ne devrait éprouver aucune difficulté à inclure dans la définition de traitement, salaire et autre rémunération presque tous les avantages dont bénéficient les employés. À moins que le contexte n’exige une interprétation restreinte, toute récompense devrait normalement être considérée, sinon comme un « traitement ou salaire », au moins comme une « rémunération », qu’elle prenne la forme d’une prestation de maladie, de primes, de vacances payées ou d’un salaire tenant lieu de préavis. [Souligné dans l’arrêt United Grain Growers.]

 

Jusqu’à ce qu’il se trouve un autre emploi, l’employé qui a été injustement congédié a besoin d’un revenu pour vivre et faire vivre sa famille. L’allocation de dommages-intérêts répond essentiellement à ce besoin, remplaçant l’argent qui aurait autrement été perçu sous forme de salaire ou de traitement.

 

[16]           La rémunération inclut donc, sans l’ombre d’un doute, une indemnité de départ. L’indemnité de départ doit être payée comme suit, en vertu de l’article 235 du Code :

235. (1) L’employeur qui licencie un employé qui travaille pour lui sans interruption depuis au moins douze mois est tenu, sauf en cas de congédiement justifié, de verser à celui-ci le plus élevé des montants suivants :

 

(a) deux jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal, pour chaque année de service;

 

(b) cinq jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal.

 

[17]           La question de l’indemnité de départ n’ayant pas été soulevée, j’ai demandé des observations supplémentaires sur ce point. La défenderesse affirme qu’un arbitre, en vertu du paragraphe 242(4), n’a pas le pouvoir d’accorder un paiement réglementaire. Elle soutient :

[TRADUCTION]

Le congédiement « justifié » d’une personne est totalement différent du congédiement « injuste » d’une personne. Un employé peut être « congédié tout à fait justement » (et n’a donc pas droit à une indemnité aux termes du paragraphe 242(4) du Code) s’il était incapable de retourner au travail de telle façon que le contrat est devenu inexécutable [ce qui, cela a été convenu, est le cas en l’espèce]. Cependant, le même employé pourrait avoir droit à une indemnité réglementaire de départ s’il n’a pas fait l’objet d’un congédiement « justifié ». Cette approche est conforme aux objectifs de l’article 235 et du paragraphe 242(4) du Code. Il est clair que ces articles doivent s’appliquer de façon indépendante l’un de l’autre (pour répondre à des objectifs différents), et donc un arbitre agissant sous le régime du paragraphe 242(4) du Code n’a pas le pouvoir d’ordonner le paiement d’une indemnité réglementaire de départ, tout comme un inspecteur du travail, agissant sous le régime de l’article 235 du Code, n’a pas le pouvoir d’ordonner une indemnité pour des dommages subis en raison d’un congédiement injuste.

 

 

[18]           J’ai de la difficulté à suivre cette logique. Premièrement, la supposition mentionnée entre crochets dans le passage cité ci-dessus est erronée. Les parties en l’espèce ont demandé à l’arbitre de considérer que le congédiement de l’employée avait été injuste, et non qu’elle avait été congédiée « tout à fait justement » comme le passage le présume. Deuxièmement, le paragraphe 235(1) énonce clairement que l’indemnité de départ doit être payée dans tous les cas, « sauf en cas de congédiement justifié ». Ce qui veut dire qu’en l’espèce, comme on a demandé à l’arbitre de considérer que le congédiement de l’employée avait été injuste, soit tout le contraire d’un « congédiement justifié », l’employée avait droit à une indemnité de départ. Troisièmement, je ne relève rien dans le libellé des paragraphes 242(4) et 235(1) qui :

a) laisserait entendre que ces paragraphes doivent être appliqués indépendamment l’un de l’autre;

 

b) laisserait entendre qu’un arbitre agissant sous le régime du paragraphe 242(4) n’a pas le pouvoir d’examiner une allocation sous le régime du paragraphe 235(1);

 

c) empêcherait l’arbitre d’attribuer à l’expression « salaire » son sens normal et donc d’y inclure l’indemnité de départ.

 

Quatrièmement, je ne vois pas comment un arbitre qui examine une affaire en fonction de ces deux articles contrevient aux notions que ces dispositions sous-tendent. Les deux articles ont le même but, soit de garantir que les employés (sauf en cas de congédiement justifié) reçoivent l’indemnité à laquelle ils ont droit.

 

[19]           L’expression « salaire » comprend l’indemnité de départ et, par conséquent, l’arbitre aurait dû prendre celle-ci en compte. Pourtant, lorsque l’arbitre a examiné ce qu’il pouvait accorder conformément à l’alinéa 242(4)a), soit « une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il [le plaignant] aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié », il n’a pas examiné ce point. Il a aussi omis d’examiner si, compte tenu des circonstances en l’espèce, il avait le pouvoir, en vertu de l’alinéa 242(4)c) du Code, d’augmenter le montant de l’indemnité de départ payable en vertu de l’article 235 du Code pour contrebalancer les effets du congédiement ou pour y remédier. C’est ce qu’on a fait dans d’autres affaires. Dans Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami, [1997] A.C.F. no 1428, par exemple, l’arbitre avait accordé une indemnité de départ équivalant à une semaine de salaire pour chaque année de service complète et un montant calculé au prorata pour toute période de moins d’un an.

 

[20]            Par conséquent, en ne tenant pas compte du droit à une indemnité de départ ni du montant qui aurait dû être accordé à la demanderesse dans sa situation, l’arbitre a commis une erreur manifestement déraisonnable et l’affaire sera renvoyée devant un autre arbitre pour un nouvel examen.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la décision de l’arbitre rendue le 20 juin 2005 soit annulée et que l’affaire soit renvoyée devant un autre arbitre pour un nouvel examen. La demanderesse a droit aux dépens, peu importe le résultat du nouvel examen.

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1234-05

 

INTITULÉ :                                       LA SUCCESSION D’YVONNE GEAUVREAU-TURNER c. LA PREMIÈRE NATION DES OJIBWAYS D’ONIGAMING REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF ET LE CONSEIL DE BANDE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 avril 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 avril 2006

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Sinding

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ryan Savage et

Jeffrey Palamar

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROBERT SINDING

Kenora (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

TAYLOR McCAFFREY LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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