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Date : 20051027

Dossier : IMM-2110-05

Référence : 2005 CF 1441

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

FRANCISCO ESCOBAR ALAS

ANABELLA ENAMORADO CASTELLANO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Ce n'est pas sur l'analyse d'un fait, ni même quelques faits isolés, étudiés séparément, sur lesquels la Cour décide le sort d'une demande de révision judiciaire; c'est plutôt une étude d'un amalgame d'où découle un tableau de fond dans un contexte individuel.

            L'ensemble de la preuve à l'intérieur duquel la Cour examine le raisonnement d'une décision de la Commission, basée sur des faits, se retrouve à la lumière de tous les éléments pertinents d'où ressort le noeud et l'essence même de cette amalgame entourant l'individu en question.

Cette démarche cherche le degré de raisonnabilité de la Commission dans son interprétation des faits pour voir si la décision est manifestement déraisonnable ou non. Ceci nécessite l'étude de la logique inhérente qui se compose d'une encyclopédie des références, d'un dictionnaire des termes à l'intérieur d'une galerie des portraits de la personne envisagée par cette décision.[1]

NATURE DE LA PROCÉDUREJUDICIAIRE

[2]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loisur l'immigration et la protection des réfugié[2] (Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 10 mars 2005. Dans cette décision, la Commission a conclu que les demandeurs ne satisfont pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de « personne à protéger » au paragraphe 97(1) de la Loi.

FAITS

[3]                Le demandeur, Monsieur Francisco Escobar Alas, est citoyen du Salvador. La demanderesse, Madame Anabella Enamorado Castellano, est citoyenne du Guatemala. Ils ont présenté des histoires distinctes concernant des incidents survenus dans leur pays respectif.

[4]                Selon M. Alas, son frère Jose Osmin Escobar Alas, qui s'était enrôlé au Centre d'instruction de transmissions des Forces armées du Salvador au début de 1981, aurait été tué en mars 1981 par un colonel de l'armée pour des raisons personnelles. Quatre jours plus tard, un autre de ses frères aurait été assassiné au Guatemala. Vers septembre 1983, son père aurait été victime d'une tentative d'assassinat. En septembre 1985, un groupe d'hommes aurait tenté à nouveau de s'en prendre à son père et aurait brûlé l'autobus que conduisait celui-ci. En 1986, le père de M. Alas aurait quitté définitivement le Salvador pour aller s'installer aux États-Unis.

[5]                M. Alas aurait fait un séjour de dix mois aux États-Unis en 1985. Rentré au Salvador en décembre 1985, il y serait resté jusqu'en août 1999, moment où il aurait décidé d'aller vivre aux États-Unis. En octobre 2000, il serait retourné au Salvador pour trois jours en quête de documents en vue d'obtenir un permis de travail aux États-Unis. Par la suite, il serait demeuré aux États-Unis jusqu'à son arrivée au Canada le 14 août 2004.

[6]                Pour ce qui est de Mme Castellano, un soir d'août 2001, au Guatemala, ses deux filles cadettes mineures et elle-même auraient été interceptées par deux policiers qui circulaient à bord d'une auto-patrouille. Ces deux policiers, visiblement en état d'ébriété, se seraient comportés de manière cavalière avec elles. Des voisins, témoins de l'incident, auraient alerté les autorités policières. Le chef de police serait intervenu personnellement et aurait procédé à l'arrestation des deux policiers fautifs. Libérés deux jours plus tard, ceux-ci auraient recommencé à circuler dans le quartier et auraient proféré des menaces à l'endroit de Mme Castellano. Convoquée au Bureau du Ministère public pour témoigner contre ces deux policiers, Mme Castellano et ses filles auraient quitté le pays le 16 octobre 2001 pour les États-Unis, soit avant la date du procès. Selon ce qu'elle aurait appris, les autres témoins ne se seraient pas présentés lors du procès et le dossier aurait été fermé. Mme Castellano serait retournée au Guatemala avec ses filles en 2002 et serait revenue seule aux États-Unis trois mois plus tard. Elle déclare cependant craindre de retourner dans son pays en raison de la violence généralisée et de ces policiers abusifs qui pourraient encore lui en vouloir.

[7]                M. Alas et Mme Castellano affirment s'être rencontrés aux États-Unis et s'être mariés le 19 septembre 2003. Ils sont arrivés au Canada le 14 août 2004 et ont immédiatement demandé le statut de réfugié.

DÉCISION CONTESTÉE

[8]                La Commission a statué que M. Alas et Mme Castellano n'ont pas démontré de crainte subjective de persécution. En outre, la Commission a conclu que Mme Castellano n'a pas démontré l'incapacité de l'État guatémaltèque de la protéger.

QUESTION EN LITIGE

[9]                La Commission a-t-elle commis une erreur nécessitant l'intervention de la Cour dans l'évaluation des faits?

ANALYSE

[10]            La Cour énumérera ci-dessous les conclusions tirées par la Commission, dans lesquelles la Cour a compris la logique inhérente de la Commission dans le contexte particulier à l'intérieur duquel la personne envisagée s'est retrouvée. La Commission a rejeté la demande d'asile de M. Alas en raison du fait qu'il avait adopté des comportements incompatibles avec la crainte qu'il alléguait. Ces comportements sont les suivants. Premièrement, malgré les tragiques événements qui seraient survenus entre 1981 et 1985 dans son pays, soit l'assassinat de ses deux frères, la tentative de meurtre et l'agression subie par son père, M. Alas a choisi volontairement de retourner dans son pays en décembre 1985 après un séjour de dix mois aux États-Unis. Deuxièmement, malgré sa crainte alléguée, M. Alas est demeuré dans son pays pendant les 14 années qui ont suivi. Finalement, pendant les quatre ans où il a vécu aux États-Unis, soit d'août 1999 à août 2004, M. Alas n'a jamais fait de démarches en vue de demander la protection de ce pays. Mme Castellano a également adopté, selon la Commission, des comportements incompatibles avec la crainte qu'elle alléguait. Premièrement, alors qu'elle vivait aux États-Unis depuis octobre 2001 en raison de problèmes qu'elle alléguait avoir vécu dans son pays, Mme Castellano y est retourné le 14 janvier 2002 et y est demeurée jusqu'au 2 mars 2002. Deuxièmement, malgré son allégation selon laquelle ses filles étaient aussi à risque dans son pays, Mme Castellano les a laissées au Guatemala et est retournée seule aux États-Unis en mars 2002. Troisièmement, pendant les deux ans et demi où elle est demeurée aux États-Unis, Mme Castellano n'a jamais fait de démarches pour demander la protection des autorités américaines. Outre ces comportements incompatibles avec une crainte subjective de persécution, la Commission a également constaté que Mme Castellano n'avait pas démontré l'incapacité des autorités de son pays à la protéger.

[11]            Cela dit, la Cour désire apporter certaines observations. Il est bien établi que la Cour peut prendre en considération le fait que des demandeurs d'asile ont adopté des comportements incompatibles avec ceux de personnes éprouvant véritablement une crainte et fonder sa décision sur cet élément (voir, par exemple, Pan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[3]). Il est également bien établi que l'absence de demande de protection dans des pays tiers sûrs, tels les États-Unis en l'espèce, est un comportement affectant fatalement la crainte alléguée par les demandeurs concernés (Ccanto c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[4], Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5]). Il en va de même des retours dans le pays de persécution (Caballero c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.)[6]).

[12]            Pour ce qui est de la protection étatique, la Coursuprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Ward[7] qu'en l'absence d'un effondrement étatique complet, un État est présumé capable de protéger ses citoyens. Pour renverser cette présomption, M. Alas et Mme Castellano devaient présenter une preuve claire et convaincante à l'effet contraire. En l'espèce, le chef de police a lui-même arrêté les deux policiers qui avaient harcelé Mme Castellano et ses filles et une poursuite a été intentée contre les deux policiers en question. La Cour est donc convaincue que la présomption de protection de l'État n'a pas été renversée en l'espèce.

[13]            Par ailleurs, contrairement à ce que M. Alas et Mme Castellano argumentent, le fait que la Commission ait déclaré qu'elle ne trouvait pas leurs explications « convaincantes » ne signifie pas qu'elle a utilisé un fardeau de la preuve trop onéreux. Il s'agit simplement d'un terme employé pour dire que la Commission n'a pas jugé les explications satisfaisantes, ce qui était tout à fait raisonnable dans les circonstances.

[14]            En outre, M. Alas et Mme Castellano allèguent que la Commission a omis d'analyser leur revendication respective au regard du paragraphe 97(1) de la Loi, c'est-à-dire ce qu'ils subiraient s'ils étaient renvoyés dans leur pays respectif, le Salvador et le Guatemala. La Cour souscrit à l'argument du défendeur selon lequel M. Alas et Mme Castellano n'ayant pas démontré avoir éprouver de crainte réelle, ils n'ont pas démontré une crainte de persécution ni un risque personnalisé au sens du paragraphe 97(1) de la Loi. Ainsi, la Commission pouvait rejeter sa demande d'asile sans pousser plus avant son analyse. Mme Castellano allègue, pour sa part, que la Commission n'a pas considéré ce qui lui arriverait si elle accompagnait son mari au Salvador. À cela, la Cour rétorque que la Commission n'avait pas à le faire puisqu'il ressort clairement des articles 96 et 97 de la Loi que la Commission devait évaluer la demande d'asile de Mme Castellano exclusivement à l'égard d'un retour éventuel dans son pays de nationalité, le Guatemala.

[15]            La Cour ne voit aucune raison d'intervenir en l'espèce.

CONCLUSION

[16]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la question en litige. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée

2.         Aucune question soit certifiée.

« Michel M.J. Shore »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2110-05

INTITULÉ :                                                    FRANCISCO ESCOBAR ALAS

                                                                        ANABELLA EVAMORADO CASTELLANO

                                                                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE          

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS DE

L'ORDONNANCE                     

ET ORDONNANCE :                                    LE 27 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS:

Me Michel Le Brun                                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Marie-Claude Demers                                 POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

MICHEL LE BRUN                                         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS C.R.                                        POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



[1] Ces éléments sont également soulignés d'une façon importante dans la décision Yé c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 584 (QL) de M. le juge MacGuigan de la Cour fédérale d'appel et également de M. le juge Dubé dans la décision Beltran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1528 (QL).

[2] L.C. 2001, c. 27.

[3] [1994] A.C.F. no 1116 (C.A.) (QL) au par. 1.

[4] [1994] A.C.F. no 149 (1ère inst.) (QL) au par. 32.

[5] [1994] A.C.F. no 1758 (1ère inst.) (QL).

[6] [1993] A.C.F. no 483 (QL).

[7] [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 à la page 724.

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