Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19990730

Dossier : IMM-2000-98

ENTRE :

                                                            XIAO MEI ZOU,

                                                                                                                       demanderesse,

                                                                       et

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                 ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                              défendeur.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une agente des visas a, le 26 février 1998, rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par la demanderesse.

[2]         La demanderesse sollicite de la Cour une ordonnance annulant la décision de l'agente des visas et enjoignant au défendeur d'accueillir sa demande de résidence permanente. La demanderesse sollicite subsidiairement de la Cour une ordonnance renvoyant l'affaire devant un autre agent des visas qui se prononcerait à nouveau sur la demande.

[3]         La demanderesse est citoyenne de la Chine. En février 1997, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada, en tant que travailleuse indépendante. Elle demandait à être évaluée dans la catégorie ingénieure du pétrole - CCDP 2154-114. Lors de l'entrevue, elle a également demandé d'être évaluée dans la catégorie ingénieure chimiste de la production - CCDP 2142-118.

[4]         En 1992, la demanderesse a reçu, du Département de génie pétrochimique de l'Institut pétrolier de Fushun, un baccalauréat en transformation du pétrole. Le 28 août 1993, elle s'est vu décerner l'appellation professionnelle d'ingénieure en second. Elle n'a pas encore droit au titre d'ingénieure. En Chine, l'appellation d' « ingénieur » , exige du titulaire qu'il ait au moins cinq années d'expérience professionnelle et qu'en outre le chef de son unité de travail décide que ses résultats professionnels seront transmis à l'unité nationale de collation ou à une unité locale de collation chargée de les évaluer. Parfois l'intéressé doit subir un examen. Un certificat de qualification professionnelle est délivré si l'intéressé subit avec succès l'épreuve d'évaluation. La demanderesse n'a pas ce certificat, et celui-ci ne lui sera pas automatiquement décerné après un certain nombre d'années de travail.

[5]         Depuis 1992, la demanderesse travaillait à la raffinerie de pétrole no 1 de Fushun. Après une première année de formation pratique dans l'Atelier de dégraissage des solvants, elle avait travaillé en tant qu'ingénieure en second au Département de gestion de l'entreprise. (En Chine on entend par « ingénieur en second » un ingénieur stagiaire.) Son travail comportait les tâches suivantes :

1. Conçoit, dirige et supervise, pour la raffinerie toute entière, le contrôle de la qualité de la production de produits pétroliers;

2. Rédige et révise en permanence les normes de qualité appliquées dans le cadre de la raffinerie;

3.Veille à ce que la qualité de la production de produits pétroliers de toute la raffinerie soit conforme à la norme de qualité ISO 9002 et, pour ce faire :

a.recueille auprès d'autres ingénieurs et techniciens les résultats des tests et des inspections de contrôle, analyse les résultats, identifie et classifie les problèmes;

            b.transmet aux départements, ingénieurs et techniciens concernés des instructions quant aux mesures à prendre et quant aux modifications à apporter aux méthodes et à l'équipement de production afin d'éliminer les problèmes, d'améliorer la qualité et de se mettre en conformité avec la norme ISO 9002.

4.Organise des réunions de contrôle de la qualité hebdomadaires à l'intention des autres ingénieurs et techniciens;

5.Donne, aux autres ingénieurs et techniciens, des cours en contrôle de la qualité et en méthodes statistiques (quatre cours par an).

[6]         Le Conseil canadien des ingénieurs (CCI) a évalué favorablement la qualification professionnelle de la demanderesse aux fins d'immigration. La demanderesse soutient que le CCI a évalué à la fois ses études et son expérience professionnelle. L'agente des visas estime que le CCI ne s'est prononcé que sur les titres universitaires de la demanderesse et non pas sur son expérience professionnelle.

[7]         Il semble bien que seul le niveau d'études de la demanderesse ait été évalué. Notons qu'à des fins d'immigration, le CCI ne se prononce que de manière informelle sur la qualification professionnelle des ingénieurs. À partir du moment où quelqu'un devient résident permanent du Canada, il doit obtenir une autorisation d'exercer délivrée par l'ordre des ingénieurs de la province où il s'installe.

[8]         La demanderesse a été interviewée le 20 février 1998 par Susanna Ching, agente des visas au consulat du Canada à Hong Kong. Celle-ci a estimé que la demanderesse n'avait pas les capacités requises pour exercer la profession d'ingénieure du pétrole. Elle a expliqué que la demanderesse n'avait aucune expérience des opérations de forage ou des opérations d'extraction dans les champs pétrolifères.

[9]         L'agente des visas a également évalué le dossier de la demanderesse par rapport à la catégorie des ingénieurs chimiste de la production. Elle a estimé, cependant, que la demanderesse n'avait pas les capacités requises car elle n'avait aucune expérience de la supervision des processus industriels, ou des opérations de fabrication, de maintenance et de réparation permettant d'assurer la production de quantités régulières de produits soumis à des transformations physiques et chimiques.

[10]       La demanderesse connaissait les divers processus technologiques, ainsi que les techniques de contrôle de toutes sortes de conditions de production. Elle connaissait le processus que la technologie de la cristallisation, de la filtration, de la récupération, de la réfrigération, de la distillation du pétrole brut, du déparaffinage et des lubrifiants. L'agente des visas a estimé que l'expérience de la demanderesse était semblable à celle d'une technicienne en génie chimique - CCDP 2165-118. Les fonctions d'une technicienne en génie chimique sont notamment les suivantes : conçoit et construit des prototypes, du matériel d'essai et des appareils de fabrication dans le domaine du génie chimique. Apprécie les possibilités techniques et économiques quant à la modification du matériel de génie chimique d'une usine, ou son remplacement par du matériel neuf. Vérifie la précision d'un instrument en l'étalonnant selon une norme connue. Surveille le travail de contrôle de qualité de fabrication. La demanderesse a été évaluée par rapport à cette catégorie professionnelle.

La demanderesse s'est vu attribuer les points suivants :

                        Âge                                                                   10

                        Demande dans la profession                               00

                        Préparation professionnelle spécifique                15

                        Facteur démographique                                     08

                        Expérience                                                        06

                        Emploi réservé                                                  00

                        Éducation                                                          15

                        Anglais                                                              06

                        Français                                                           00

                        Personnalité                                                       05

                        Total                                                                65

[11]       Le paragraphe 11(2) du Règlement sur l'immigration interdit à un agent des visas de délivrer un visa à un immigrant qui ne reçoit pas au moins un point au titre de la demande dans la profession. À l'époque, il n'y avait pas d'offre d'emploi pour des techniciens en génie chimique. L'agente des visas a donc rejeté la demande de résidence permanente.

[12]       La demanderesse prétend que, pour décider qu'elle n'avait pas les aptitudes lui permettant d'exercer la profession d'ingénieure, l'agente des visas s'était fondée sur le système chinois de classification et d'appellation des ingénieurs au lieu de se fonder sur la CCDP ou la CNP.

[13]       Cette affirmation est sans fondement. Il ressort clairement de l'affidavit de l'agente des visas que pour évaluer la demanderesse, elle s'est fondée sur l'expérience acquise par celle-ci dans le cadre de son travail à la raffinerie de pétrole no 1 de Fushun. Rien ne permet de penser que si l'agente des visas a refusé d'évaluer la demanderesse dans le cadre de la catégorie des ingénieurs, c'est uniquement parce que celle-ci n'avait pas encore obtenu ce titre en Chine. Au contraire, l'agente des visas a d'abord évalué la demanderesse dans la catégorie ingénieure du pétrole - CCDP 2142-114. Cette profession exige de ceux qui l'exercent une expérience sur le terrain, ce que la demanderesse ne possédait pas. Mme Ching a également voulu voir si les compétences professionnelles de la demanderesse correspondaient aux fonctions d'un ingénieur chimiste - CCDP 2142-118, mais a décidé que l'expérience de la demanderesse n'était pas suffisamment large pour satisfaire aux exigences de cette catégorie.

[14]       La demanderesse fait ensuite valoir que l'agente des visas aurait dû évaluer sa demande au regard d'autres professions correspondant à son expérience. C'est ainsi qu'elle aurait dû, par exemple, évaluer la demande au regard des professions suivantes décrites dans la CCDP et dans la CNP :

Ingénieur du contrôle de la qualité - CCDP 2145-138

Ingénieur en organisation, en général - CCDP 2145-110

Ingénieur d'industrie et de fabrication - NOC 2141

Ingénieur chimiste - NOC 2134

[15]       L'avocat du défendeur affirme pour sa part qu'un agent des visas n'est pas tenu d'évaluer un demandeur au regard d'une autre catégorie professionnelle, même s'il semble que le demandeur pourrait avoir les qualités requises pour exercer cette profession, à moins que le demandeur ne fasse état de la profession en question dans sa demande.

[16]       Dans l'affaire Man c. Canada (M.E.I.) (19 janvier 1993), T-2351-91, le juge en chef adjoint Jerome acceptait de faire ce pas supplémentaire. Selon lui :

Conformément à la loi et à l'obligation imposée par l'équité, l'agent des visas doit tenir compte non seulement de la profession envisagée indiquée par le requérant, mais aussi des autres professions à l'égard desquelles celui-ci est qualifié et auxquelles son expérience peut s'appliquer.

[17]       Dans plusieurs autres affaires, la Cour a décidé qu'un agent des visas est tenu d'évaluer le demandeur par rapport à toutes les catégories professionnelles signalées dans sa demande, mais également au regard d'autres professions correspondant à l'expérience professionnelle du demandeur[1]. En l'espèce, l'agente des visas a évalué la demanderesse par rapport aux professions que celle-ci avait indiquées. Il reste à déterminer si une profession donnée correspond effectivement à son expérience professionnelle. L'expérience professionnelle de la demanderesse se situait très nettement dans le domaine du contrôle de la qualité. Selon la définition d'ingénieur de contrôle de la qualité - CCDP 2145-138, l'intéressé :

Conçoit et recommande des programmes visant à l'élaboration, à l'application et à l'évaluation constante des normes de contrôle de la qualité relativement à la transformation des matières premières en matériaux ou en produits finis :

Élabore des méthodes de contrôle de la qualité à l'usage du personnel, des cadres et des groupes d'exécution. Établit des méthodes et pratiques d'inspection, d'épreuve et d'évaluation des nouveaux matériaux et des produits finis, pour assurer leur conformité aux spécifications techniques. Aide le service technique et le service des ventes à fixer les normes de qualité, de rendement et de fiabilité acceptables pour les produits existants et les nouveaux produits. Surveille le personnel chargé de mesurer et d'essayer le produit et de classifier les données relatives à sa qualité et à sa fiabilité. Recueille et rédige des textes et dirige des séances de formation portant sur les méthodes de contrôle de la qualité.

[18]       J'estime que l'agente des visas aurait également dû évaluer la demanderesse par rapport à cette profession et peut-être aussi par rapport à des professions apparentées.

[19]       Il appert que l'agente des visas a refusé d'évaluer la demanderesse dans le cadre d'autres catégories professionnelles, car celle-ci n'avait pas, à l'époque de l'entrevue, obtenu en Chine le titre officiel d'ingénieure. Dans son affidavit, Mme Ching déclare :

[traduction]

J'ai plutôt fait remarquer qu'elle était ingénieure en second et qu'elle n'avait pas encore obtenu en Chine le titre d'ingénieure. Je lui ai précisé qu'au Canada, pour exercer la profession d'ingénieur, il fallait obtenir au préalable un permis d'exercer. J'ai suggéré à la demanderesse de déposer à nouveau une demande lorsqu'elle aurait acquis davantage d'expérience en tant qu'ingénieure dans d'autres domaines de sa profession.

[20]       La question de savoir si la demanderesse avait effectivement, en Chine, le titre d'ingénieure, n'était en l'espèce d'aucune pertinence. D'après un document du CCI, personne ne peut exercer au Canada la profession d'ingénieur s'il n'obtient au préalable un permis d'exercer. Les ingénieurs non-titulaires d'un tel permis ne peuvent travailler en tant qu'ingénieurs que si un ingénieur professionnel dûment licencié assume la responsabilité des travaux. Pour obtenir un permis d'exercer, il faut être citoyen canadien ou immigrant reçu : il n'est pas possible d'obtenir un permis d'exercer la profession d'ingénieur avant d'immigrer au Canada. Les autres conditions requises sont un baccalauréat en génie et deux à quatre ans d'expérience professionnelle en tant qu'ingénieur, dont 12 mois au Canada, afin de s'assurer que le candidat connaît les normes et codes en vigueur au Canada.

[21]       La Loi sur l'immigration et le Règlement prévoient expressément que l'évaluation des demandes d'immigration au Canada s'effectue au regard des définitions figurant dans la CCDP et la CNP. L'agent des visas est lié par les définitions de la CCDP (ou de la CNP)[2]. Bien qu'elle n'ait pas officiellement eu le titre d'ingénieure, la demanderesse pouvait, et aurait dû, être évaluée au regard d'autres professions du génie. Le CCI avait déjà rendu un avis favorable relativement à ses études et titres universitaires. Même si la demanderesse avait eu, en Chine, le titre d'ingénieure, elle n'aurait pas pu obtenir, dans une province du Canada, une licence d'ingénieur avant d'avoir travaillé un an dans le domaine au Canada.

[22]       La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée afin d'être tranchée à nouveau par un agent des visas différent.

                                                                        (signature) Paul Rouleau

                                                                                    Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 30 juillet 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, B.A., LL.L.


               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 29 juillet 1999

No DU GREFFE :                               IMM-2000-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Xiao Mei Zou

                                                            c.

                                                Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU

en date du 30 juillet 1999

ONT COMPARU :

            Doug Pagepour la demanderesse

            Helen Parkpour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doug Pagepour la demanderesse

Avocats

            Vancouver (C.-B.)

            Morris Rosenbergpour le défendeur

            Sous-procureur général

            du Canada



           [1]Voir Cai c. Canada (M.E.I.) (17 janvier 1997) IMM-883-96;

Samolenko c. Canada (M.C.I.) (28 juillet 1997) IMM-4141-96.

           [2] Haughton c. Canada (M.C.I.) (1996), 34 Imm.L.R. (2d) 284.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.