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Date : 20040402

Dossier : T-1869-02

Référence : 2004 CF 493

ENTRE :

                                                         SHERIDAN GARDNER

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                             et

                 LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                       intervenante

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs font suite à l'audience relative à une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) dans laquelle la Commission rejetait trois (3) plaintes déposées aux termes des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne[1], deux (2) contre le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) et une (1) contre le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT). Toutes les plaintes faisaient état de discrimination fondée sur un motif prohibé, à savoir la « situation de famille » .

[2]                La décision attaquée est datée du 30 septembre 2002.

LE CONTEXTE

[3]                D'août 1992 à août 1995, la demanderesse était en poste à Tokyo, au Japon, en qualité d'employée du ministère du Revenu national. Le conjoint et les enfants de la demanderesse vivaient avec elle à Tokyo pendant son affectation.


[4]                Dans la plupart des pays, la Couronne fournit un logement à ses employés. Le défendeur soutient que les services du ministère concerné s'efforcent toujours de fournir un logement qui convient à ses employés, en tenant compte des membres de la famille qui les accompagnent. Pendant que la demanderesse était en poste à Tokyo, le ministère lui a fourni à elle et sa famille un logement situé dans un édifice contenant trois (3) appartements, tous de la même superficie. Le MAECI lui a affecté l'appartement et a informé la demanderesse du montant du loyer qu'elle devait payer. Le montant du loyer a été calculé en se basant sur les Directives sur le service extérieur -- Logement et frais, établies par le SCT, qui comprenaient un tableau des loyers. La directive établissait le montant du loyer en se fondant sur le salaire de l'employé et la taille de sa famille de façon à refléter, dans la mesure du possible, les normes canadiennes en matière de logement pour la région d'Ottawa-Hull, maintenant d'Ottawa-Gatineau. Les facteurs qui ont été pris en considération pour dresser le tableau des loyers étaient la taille de la famille et le revenu de l'employé dans le but de s'assurer que les familles nombreuses paient des loyers plus élevés, étant donné qu'elles occupent des logements plus vastes et plus coûteux. Le tableau des loyers a été calculé à partir des résultats du recensement de 1996 et reflète les loyers payés par des locataires dans la région d'Ottawa-Hull selon la taille de la famille et leur revenu. Ainsi, le loyer versé par les fonctionnaires fédéraux affectés à l'étranger ne reflète pas la valeur locative du logement occupé, ni la superficie du logement.

[5]                La demanderesse s'est principalement plainte du fait que les occupants des deux (2) appartements de l'édifice dans lequel elle résidait avec sa famille à Tokyo, dont l'un vivait seul et l'autre vivait avec une seule autre personne, et dont le salaire était, pensait-elle, à peu près comparable au sien, payaient un loyer inférieur au sien. Elle soutient que son loyer a été calculé en fonction de sa situation de famille, c'est-à-dire selon le nombre des membres de sa famille, et non selon les caractéristiques du logement fourni.

LA DÉCISION ATTAQUÉE

[6]                Voici l'essentiel de la décision attaquée :

[traduction] Je vous écris pour vous informer des décisions qui ont été prises par la Commission canadienne des droits de la personne au sujet des plaintes... contre le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et... contre le Secrétariat du Conseil du Trésor.


Avant de rendre ses décisions, la Commission a examiné les rapports qui vous ont été déjà communiqués et les observations éventuellement fournies en réponse à ces rapports.

Étant donné que votre plainte... contre le Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n'a pas été déposée dans l'année suivant l'acte discriminatoire allégué, tel qu'exigé par le paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a dû décider si elle devait examiner cette affaire. Après avoir étudié ces éléments, la Commission a décidé, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne d'examiner la plainte pour la raison suivante :

·                le défendeur n'a pas fait savoir que le retard mis à déposer la plainte lui avait causé un préjudice dans la préparation de sa défense.

La Commission a ensuite examiné le bien-fondé des trois plaintes... contre le Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et... contre le Secrétariat du Conseil du Trésor, et a décidé, conformément à l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter les plaintes pour la raison que :

·                compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, un autre examen n'est pas justifié.

                                                                               [numéros de référence des plaintes omis]

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[7]                Le paragraphe 3(1), les articles 7 et 10 et les paragraphes 41(1) et 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne intéressent les présents motifs. Ces dispositions se lisent comme suit :


3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.


...

...7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

...

...

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

...

...

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

...

...


44.(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

44.(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

                                                                            [je souligne]

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

                                                                    [emphasis added]


LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[8]                La demanderesse, qui s'est très bien représentée elle-même, a décrit les points litigieux dans les termes suivants dans son mémoire des faits et du droit modifié :

i)              La Commission canadienne des droits de la personne a-t-elle commis une erreur en ne décidant pas que la demanderesse avait fourni des preuves établissant l'existence d'une pratique discriminatoire fondée sur la situation de famille de la plaignante, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et qui justifiait l'envoi de la plainte devant un tribunal ou un conciliateur?

ii)              La Commission canadienne des droits de la personne a-t-elle omis d'observer les principes de la justice fondamentale et de l'équité procédurale en ne motivant pas suffisamment le changement opéré entre la recommandation initiale de l'enquêteur qui proposait la conciliation et la décision définitive de la Commission de rejeter la plainte pour le motif qu' « aucun autre examen n'est justifié » ?

iii)            L'enquête effectuée par la Commission canadienne des droits de la personne a-t-elle été suffisamment approfondie pour examiner l'ampleur de la discrimination systémique pratiquée et par conséquent, la décision prise constitue-t-elle une violation de l'équité procédurale?

iv)            Quelle est la réparation qui doit être accordée à la demanderesse?


En outre, la demanderesse a traité en détail la question de la norme de contrôle applicable à la première question en litige citée ci-dessus et plus brièvement de la deuxième question en litige. La troisième question en litige n'a pas fait l'objet d'un débat approfondi devant la Cour. À la fin de l'audience, la Cour a parlé brièvement du nombre limité de réparations qui peuvent être accordées dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, aux termes du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale[2].

[9]                Par une ordonnance datée du 28 janvier 2003, la protonotaire Aronovitch a accordé à la Commission l'autorisation d'intervenir dans cette affaire [traduction] « ... sur la question de savoir si la Commission était tenue de motiver ses décisions » , de déposer un mémoire des faits et du droit concernant cette question, d'assister à l'audience et de présenter des observations orales sur ce sujet.

ANALYSE

a)         Le rapport de l'enquêteur


[10]            Le dossier certifié du tribunal remis à la Cour par la Commission révèle que, lorsque la décision attaquée a été prise, la Commission avait constitué un dossier comprenant seize (16) documents contenant un total de trente-deux (32) pages numérotées consécutivement de 1 321 à 1 348, avec quatre (4) pages supplémentaires non numérotées. J'estime, en me fondant sur la numérotation des pages du dossier de la Commission que l'enquête effectuée avant le renvoi à la Commission a entraîné l'accumulation d'un nombre de documents beaucoup plus important.

[11]            Deux rapports d'enquête constituent l'essentiel du dossier du tribunal, le premier est très bref et se termine par une recommandation proposant d'examiner la plainte de la demanderesse, malgré sa présentation tardive. Cette recommandation a manifestement été adoptée par la Commission.

[12]            Le second rapport d'enquête est beaucoup plus étoffé. Il résume de façon assez détaillée les plaintes et les arguments des ministères visés par les plaintes et se termine par l'analyse et la recommandation suivante :

[traduction]

Analyse

19.            Le défendeur a adopté comme politique de faire payer aux employés affectés à l'étranger un loyer calculé en fonction de leur revenu et de la taille de leur famille. Le défendeur mentionne que cette politique a pour but de faire en sorte que ses employés paient un loyer comparable à celui que paie une famille de taille et de revenu équivalents dans la région d'Ottawa-Hull, en se fondant sur les données du recensement. Il ressort toutefois clairement des déclarations du défendeur que celui-ci n'est pas en mesure de fournir aux employés et à leur famille qui vivent à l'étranger un logement de taille comparable à celui qu'occuperaient des familles comparables dans la région d'Ottawa-Hull. Cela donne naissance à des situations où des employés vivent dans des appartements de taille identique et paient des loyers différents calculés uniquement sur le nombre des membres de la famille qui y habitent.


20.           La politique adoptée par le défendeur semble logiquement reliée à l'objectif recherché et semble avoir été adoptée dans la croyance sincère qu'elle est nécessaire pour réaliser l'objectif en question; le fait de calculer le loyer selon « la taille de la famille » semble inéquitable étant donné que le défendeur n'est pas en mesure de garantir un logement correspondant à la taille des familles de ses employés. Comme la plaignante le fait remarquer, étant donné que le demandeur n'est pas en mesure de moduler la « superficie » du logement offert à ses employés, il semblerait plus juste et moins discriminatoire de calculer le loyer en fonction du seul « revenu » des employés...

21.           Il ne semble pas que le défendeur subirait de graves difficultés s'il modifiait sa politique dans ce sens.

Recommandations

22.           Il est recommandé que, conformément à l'alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission nomme un conciliateur pour tenter d'en arriver à un règlement à l'amiable de la plainte.                                           [Non souligné dans l'original]

b)         La norme de contrôle

[13]            Dans une décision prononcée récemment dans l'affaire MacLean c. Marine Atlantic Inc.[3], mon collègue, le juge O'Keefe, a traité de la question de la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de rejeter la plainte d'un demandeur dans une affaire comme celle-ci. Se référant à l'arrêt de la Cour suprême du Canada Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia[4], le juge O'Keefe a utilisé une méthode pragmatique et fonctionnelle pour choisir la norme de contrôle appropriée. Il a noté que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne contenait pas de clause privative concernant la décision de rejeter une plainte. Il a également noté que cette Loi ne contenait pas de clause privative concernant la décision de rejeter une plainte et a fait observer : « Le silence de la loi est neutre et ne donne pas à entendre que la norme de contrôle est plus rigoureuse ou qu'elle l'est moins... »

[14]            Au sujet de l'expertise relative du tribunal et de la cour de révision, le juge O'Keefe a écrit au paragraphe [38] de ses motifs :

Il s'agit ici de savoir si la plainte du demandeur doit être rejetée pour le motif qu'elle ne justifie aucun examen plus poussé, compte tenu des circonstances. Dans l'arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, la Cour suprême du Canada a dit, au paragraphe 29, qu' « [u]ne conclusion à l'existence de discrimination repose essentiellement sur des faits que la commission d'enquête est la mieux placée pour évaluer » . En l'espèce, le même raisonnement s'appliquerait à l'égard de la conclusion de fait que la Commission tire lorsqu'elle examine au préalable une plainte en se fondant sur un rapport d'enquête. L'expertise plus grande de la Commission en ce qui concerne les conclusions de fait et l'examen préalable des plaintes milite en faveur d'une plus grande retenue dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

[15]            Au sujet de l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la disposition particulière qu'a appliqué la Commission lorsqu'elle a rejeté les plaintes qui lui avaient été soumises, le juge O'Keefe, après avoir exposé l'objet énoncé à l'article 2 de la Loi, a écrit au paragraphe [40] de ses motifs :

Aux fins de la réalisation de ce but législatif général, la Commission s'est vu conférer le pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte si elle est convaincue qu'aucun examen plus poussé n'est justifié. Comme l'a souligné la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), le choix des termes employés à l'article 40 de la Loi ne laisse planer aucun doute : le législateur voulait que les cours de révision s'abstiennent d'intervenir à la légère dans les décisions prises par la Commission à la suite d'un examen préalable. Ce facteur montre également qu'il convient de faire preuve de retenue à l'égard de la décision de la Commission.

[16]            Enfin, sous l'intitulé « La nature de la question : s'agit-il d'une question de droit, d'une question de fait ou d'une question mixte de fait et de droit? » , le juge O'Keefe a écrit au paragraphe [41] :


Il s'agit en l'espèce de savoir si les plaintes du demandeur justifiaient un examen plus poussé. La Commission a rejeté les plaintes pour le motif qu'elles n'étaient pas fondées parce que, compte tenu de l'enquête, l'entente conclue entre Marine Atlantic et TCA n'était pas discriminatoire. Cette question est fondée sur les faits, mais elle comporte l'application de faits au régime législatif, ce qui constitue une question mixte de fait et de droit. La nature discrétionnaire de la fonction d'examen préalable des plaintes et le fait que la question est axée sur les faits exigent que l'on fasse preuve d'une plus grande retenue à l'égard de la décision de la Commission.

[17]            Le juge O'Keefe a ainsi conclu au paragraphe [42] :

Compte tenu de tous ces facteurs, je suis d'avis que la décision que la Commission a prise dans ce cas-ci devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cet avis est conforme à la jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale (voir Gee c. Canada (Ministre du Revenu national) (2002), 284 N.R. 321, ...                                                                             [une citation omise]

Je souscris entièrement au raisonnement et à la conclusion du juge O'Keefe.

[18]            La question de la norme de contrôle ne touche pas les second et troisième points litigieux cités, qui portent tous les deux sur des allégations de violation de l'équité procédurale. Il est extrêmement rare qu'une violation de l'équité procédurale entraîne l'annulation de la décision contestée. Dans Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5], le juge Stone, parlant au nom de la Cour, dans une affaire où il s'agissait de savoir si le décideur avait accordé une audience raisonnable dans des circonstances où une telle audience était exigée à titre d'élément de l'obligation d'agir de façon équitable, a écrit au paragraphe [9] de ses motifs :

... Je ne veux pas dire que la violation d'un principe de justice naturelle ne nécessite pas habituellement une nouvelle audience. Le droit à une audience impartiale est un droit indépendant. Habituellement, le déni de ce droit a pour effet de rendre nulle l'audience et la décision qui en résulte.                                                                                          [Non souligné dans l'original, note de bas de page omise]

[19]            Ainsi, sauf circonstances assez extraordinaires, lorsque le tribunal constate qu'il y a eu violation d'un aspect de l'obligation d'agir de façon équitable et que le tribunal n'est pas obligé de faire preuve de retenue à l'égard de cette décision, la violation justifie à elle seule l'octroi d'une réparation à la personne qui bénéficiait de l'obligation d'agir de façon équitable.

c)         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible d'être révisée lorsqu'elle a rejeté les plaintes de la demanderesse alors que, d'après les preuves dont elle disposait, il était manifeste que la demanderesse avait fait l'objet de discrimination fondée sur sa situation de famille?


[20]            Dans l'analyse citée ci-dessus qui a été élaborée par l'enquêteur et dont la Commission disposait au moment où elle a pris la décision attaquée, l'enquêteur a exprimé l'opinion que le fait de calculer le loyer en fonction de « la taille de la famille » semblait injuste. Elle suggère ensuite que le fait de calculer le loyer en se basant uniquement sur « le revenu » semblerait être le moyen le plus juste et le moins discriminatoire d'établir le loyer et elle note que cette façon de procéder ne semblerait pas imposer un fardeau trop lourd aux personnes chargées d'établir le montant du loyer approprié. À la suite de quoi l'enquêteur a recommandé la conciliation. Dans son analyse et dans sa recommandation, l'enquêteur ne va pas jusqu'à reconnaître qu'il y a eu acte discriminatoire pour un motif prohibé mais l'analyse et la recommandation laissent presque entendre que le mécanisme d'établissement des loyers actuel peut entraîner de la discrimination fondée sur la taille de la famille. En outre, il est possible de soutenir que « la taille de la famille » constitue un élément de « la situation de famille » , un aspect qui constitue un motif de discrimination prohibé aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il n'est donc pas surprenant pour la Cour que la demanderesse ait manifesté une certaine surprise lorsqu'elle a constaté que ses plaintes avaient été rejetées sans explication, ou du moins sans explication très détaillée, susceptible d'appuyer la décision de la Commission.

[21]            Cela dit, le paragraphe 44(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne indique clairement que la Commission a le mandat, et même l'obligation, de rejeter une plainte lorsqu'elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, qu'un examen plus poussé n'est pas justifié. Ce sont là les seuls mots que l'on retrouve dans la lettre de la Commission informant la demanderesse de la décision qui pourrait constituer une explication de la décision. Je mentionne à nouveau que les termes de la Loi sont impératifs et que, par conséquent, lorsque la Commission, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, est convaincue qu'un examen de la plainte n'est pas justifié, elle est tenue de rejeter la plainte et de ne pas la renvoyer en conciliation, même si elle pourrait penser que la recommandation de l'enquêteur proposant la conciliation était raisonnable.


[22]            Par conséquent, la question en litige peut donc se ramener à la suivante : en utilisant la norme de contrôle du caractère raisonnable de la décision, la conclusion de la Commission selon laquelle une enquête sur la plainte de la demanderesse n'était pas justifiée doit-elle être confirmée? J'ai soigneusement examiné l'ensemble des documents contenus dans le dossier du tribunal ou, exprimé différemment, l'ensemble des documents dont disposait la Commission lorsqu'elle a pris la décision contestée ici. Je suis convaincu que l'expertise que possède la Commission dans l'analyse de ces documents factuels mérite que les tribunaux fassent preuve d'une grande retenue à son égard. En fait, la norme de contrôle du caractère raisonnable simpliciter implique une grande retenue. Pour décider que la décision de la Commission ne répondait pas à cette norme, il faudrait que je conclus qu'en l'absence d'autres motifs expliquant cette décision, celle-ci ne résisterait pas « à une analyse assez poussée » [6].

d)         La Commission a-t-elle omis de s'acquitter du fardeau d'agir de façon équitable en fournissant des motifs insuffisants?

[23]            Il est bien établi que le contenu de l'équité procédurale varie selon les circonstances de l'affaire. La question de l'obligation de la Commission de motiver les décisions comme celle qui est examinée ici a fait l'objet d'une longue jurisprudence qui a culminé avec l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne)[7] (ci-après SEPQA). La Cour d'appel fédérale a écarté l'application de cette décision dans Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne)[8], et le juge Décary parlant au nom de la Cour a écrit aux pages 15 et 16 :

Dans S.E.P.Q.A., la situation se présentait autrement. Le refus de la Commission donnait suite à la recommandation faite en ce sens par l'enquêteur, de sorte que le plaignant était en mesure, à même le rapport d'enquête qui lui avait été communiqué, de comprendre les motifs de la décision bien que celle-ci ne fût pas motivée. La Cour suprême, à juste titre, a refusé de trancher la question relative à l'omission de motiver. Ici, le refus de la Commission va à l'encontre de la recommandation de l'enquêteur, et, en l'absence de motifs, la plaignante, qui ne connaissait pas l'existence des observations du Service, ne pouvait même pas soupçonner ce qui avait amené la Commission à ne pas donner suite à la recommandation.

Est-ce à dire qu'en l'espèce l'omission de motiver constitue en elle-même un manquement aux règles d'équité procédurale? Je ne le crois pas.


La décision de la Commission eût-elle été motivée, qu'elle n'en aurait pas moins été viciée à la base, vu l'omission de la Commission d'informer l'appelante de la substance de toute la preuve au dossier. Si l'appelante avait été informée de la substance de toute la preuve au dossier, elle n'aurait pas pu se plaindre de l'absence de motifs, la Commission ayant présumément rejeté la recommandation de l'enquêteur pour les motifs avancés dans les observations du Service. Il ne me paraît pas possible de dissocier l'omission de motiver de l'omission d'informer et de faire de la première, en l'absence de la seconde, un manquement donnant ouverture au contrôle judiciaire. L'obligation de motiver a été imposée par le Parlement dans certains cas spécifiques, dont celui du paragraphe 42(1) de la Loi qui s'applique lorsque la Commission juge une plainte irrecevable pour les motifs énoncés à l'article 41. J'hésiterais à imposer, par le biais des règles d'équité procédurale, un fardeau que le législateur n'a imposé qu'avec parcimonie dans des cas bien spécifiques.

[24]            La citation qui précède appelle plusieurs remarques. Tout d'abord, les faits de la présente affaire sont plus proches de ceux de l'arrêt Mercier que de l'arrêt SEPQA dans la mesure où ici, la décision de la Commission était contraire à la recommandation de l'enquêteur plutôt que conforme à elle; deuxièmement, d'après les faits de la présente espèce, la demanderesse avait été informée de la substance de toutes les preuves au dossier et était par conséquent au moins en mesure de deviner quels étaient les motifs à la base de la décision de la Commission; troisièmement, enfin, l'obligation de motiver ses décisions qu'impose le législateur à la Commission dans certains cas précis mais pas à l'égard de la décision dont il s'agit ici demeure valide.


[25]            L'effet de la divulgation intégrale de la substance des observations, substance qui à son tour fait partie du dossier présenté à la Commission a fait l'objet de commentaires dans Kallio c. Canadian Airlines International Ltd.[9], dans lequel le juge McKeown, après avoir pris note des arrêts SEPQA et Mercier, a écrit au paragraphe [13] :

... En conséquence, contrairement à la situation constatée dans Mercier, les requérants connaissaient la substance de toutes les observations sur lesquelles la Commission a fondé sa décision. Sur la base de ces observations, les requérants sont en mesure de déterminer ce qui a amené la Commission à rendre sa décision. La Cour estime que la simple existence d'une différence d'opinion sur une question de fait entre les requérants et les intimées ne signifie pas que la Commission est obligée de saisir un tribunal du dossier -- si c'était le cas, presque toutes les plaintes devraient être portées devant un tribunal et le par. 44(3) serait vicié -- et qu'un différend sur une question de fait n'oblige pas la Commission à motiver sa décision. Vu l'énorme volume de dossiers qui lui sont soumis, celle-ci a, et doit avoir, le pouvoir discrétionnaire de décider quels dossiers justifient ou non un réexamen ou une décision motivée. Il ne s'agit pas en l'espèce de l'un des très rares cas où il y a lieu de motiver la décision.

L'avocat du défendeur et celui de l'intervenante ont invité le tribunal à appliquer la citation qui précède aux faits de l'espèce.

[26]            Par contre, s'il faut interpréter la phrase qui se trouve dans la citation précédente qui suggère de laisser à la Commission un pouvoir discrétionnaire en matière de motifs « ... vu l'énorme volume de dossiers qui lui [la Commission] sont soumis » comme lui attribuant un pouvoir discrétionnaire absolu, il est possible de se demander si un pouvoir discrétionnaire aussi large est vraiment compatible avec la nature du mandat confié à la Commission. Il semble en effet que ce mandat doit être exécuté en traitant de façon respectueuse les personnes qui de bonne foi demandent à être protégées contre les actes discriminatoires fondés sur des motifs de discrimination prohibés énumérés au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[27]            La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[10] est postérieure à toutes les décisions citées sur ce point. Cette affaire ne concernait pas une décision de la Commission mais les paroles prononcées par la juge L'Heureux-Dubé aux paragraphes [43] et [44] de ses motifs sont instructives. Ces paragraphes se lisent ainsi :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, ..., milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

J'estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l'espèce par la production des notes de l'agent Lorenz à l'appelante. Les notes ont été remises à Mme Baker lorsque son avocat a demandé des motifs. Pour cette raison, et parce qu'il n'existe pas d'autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l'agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision. L'admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, quand des tribunaux évaluent les exigences de l'obligation d'équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d'assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l'équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu'en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons. Je conclus qu'en l'espèce les notes de l'agent Lorenz remplissent l'obligation de donner des motifs en vertu de l'obligation d'équité procédurale, et qu'elles seront considérées comme les motifs de la décision.                                                              [Non souligné dans l'original, citations omises]

[28]            Je trouve que ce qui précède s'appliquerait directement aux faits de la présente espèce si, comme cela n'est pas le cas ici, le rapport de l'enquêteur, y compris son analyse et sa recommandation, avait été conforme à la décision attaquée.

[29]            Dans Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada[11], le juge Rothstein a écrit aux paragraphes [5], [6] et [7] :

Dans le jugement Liang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1999) A.C.F. 1301, le juge Evans a déclaré, au paragraphe 31 :

Toutefois, à mon avis, l'obligation d'équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et, en l'absence d'une telle demande, il n'y a aucun manquement à l'obligation d'équité.

Nous sommes d'accord avec le juge Evans. Avant de demander le contrôle judiciaire d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, l'intéressé doit d'abord demander au tribunal en question de motiver sa décision. Si le tribunal administratif refuse de motiver sa décision ou fournit des motifs insuffisants, la personne visée peut recourir à notre Cour. On compliquerait toutefois inutilement l'administration de la justice si l'on permettait à l'intéressé de s'adresser à la Cour pour obtenir l'annulation d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, sans avoir d'abord demandé à celui-ci de motiver sa décision.

Le Conseil peut répondre à cette demande en motivant sa décision ou en exposant les raisons pour lesquelles il estime qu'il n'est pas nécessaire de le faire, compte tenu des circonstances de l'espèce. À notre avis, le fait d'obliger une partie à demander au tribunal administratif de motiver sa décision avant d'introduire une instance en contrôle judiciaire devant notre Cour ne la lèse aucunement.

Nous tenons à préciser que, bien qu'habituellement, la partie visée doive d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision, il peut exister des situations dans lesquelles l'obligation du tribunal administratif de motiver sa décision est tellement évidente que l'intéressé peut recourir à la Cour sans devoir d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision. Il existe peut-être aussi des circonstances dans lesquelles une partie se trouve dans l'impossibilité de demander au Conseil de motiver sa décision. Ces circonstances seraient, à notre avis, extrêmement rares.                                               [Non souligné dans l'original]

[30]            Enfin, dans MacLean c. Marine Atlantic Inc.[12], le juge O'Keefe examinait une décision de la Commission qui était accompagnée des motifs suivants :

la distinction était justifiable compte tenu des circonstances; le fait de prévoir différentes catégories d'avantages selon que certains employés risquent plus que d'autres employés d'être touchés ne constitue pas un acte discriminatoire.

Le juge O'Keefe conclut son analyse du caractère suffisant des motifs dans les termes suivants au paragraphe [47] de ses motifs :

Les motifs que la Commission a prononcés en l'espèce sont brefs, mais ils informent de fait le demandeur de la raison pour laquelle la Commission a décidé de rejeter sa plainte. La Commission a clairement dit que le fait de prévoir différentes catégories d'avantages selon que certains employés risquent plus que d'autres employés d'être touchés par la fermeture du service de transport par traversier de Marine Atlantic sur le parcours Borden-Cape Tormentine ne constitue pas un acte discriminatoire. Je suis d'avis que les motifs fournis par la Commission étaient suffisants.

[31]            La demanderesse soutient que les prétendus « motifs » de la Commission étaient simplement des motifs formels qui reprenaient les termes stériles de la disposition législative en cause, sans indiquer le lien existant entre les termes législatifs et les faits particuliers sous-jacents à sa plainte, ni avec les réponses fournies à l'enquêteur de la Commission par les ministères visés par les plaintes. Elle a en outre soutenu qu'elle a demandé les motifs, même si c'est dans sa demande de contrôle judiciaire et non pas avant d'instituer cette demande. La demande de contrôle judiciaire contient le paragraphe suivant :

[traduction] La demanderesse sollicite de la Commission canadienne des droits de la personne qu'elle envoie à la demanderesse et au greffe [de la Cour] une copie certifiée de tous les documents concernant les plaintes qu'elle a en sa possession.


La demanderesse soutient que cette demande vise les motifs et que si le tribunal avait fourni un mémoire comme celui que la juge L'Heureux-Dubé a déclaré constituer des raisons valables dans l'arrêt Baker, cela aurait peut-être mis un terme à toute l'affaire. D'après les faits de la présente affaire, lorsque le dossier du tribunal a été divulgué comme demandé, il a clairement été démontré qu'il ne contenait aucune note de service équivalant à la note que la Cour a qualifié de motifs dans l'arrêt Baker.

[32]            En outre, la demanderesse soutient au sujet de la citation de Marine Atlantic Inc.[13], que les circonstances de la présente affaire montrent qu'il est clair et manifeste que la Commission aurait dû fournir des motifs plus étoffés qu'elle ne l'a fait, même si je devais conclure que la demanderesse n'a pas présenté en temps utile une demande de motifs plus étoffés que ceux qui avaient été fournis. La demanderesse soutient que par rapport au passage cité de Marine Atlantic Inc., il s'agit là d'une des situations « tout à fait inhabituelles » dans laquelle le décideur aurait dû fournir des motifs plus élaborés.


[33]            La Cour est très sensible aux arguments avancés par la demanderesse. La Cour est convaincue que les « motifs » fournis par la Commission à la demanderesse étaient tout à fait insuffisants. Celle-ci a donc été obligée, sans l'aide d'un avocat, d'essayer d'extraire du dossier du tribunal, le mieux qu'elle pouvait, une explication rationnelle de la décision de la Commission de rejeter ses plaintes plutôt que de les renvoyer à la conciliation comme l'enquêteur le recommandait à la Commission dans son rapport succinct mais raisonnablement détaillé. Les explications qu'elle pourrait trouver dans le dossier du tribunal ne seraient qu'hypothétiques.

[34]            Par conséquent, il demeure toujours une question à laquelle ne répond pas la lettre longuement citée ci-dessus et qui contenait la décision contestée, une question qui n'a toujours pas reçu de réponse : pourquoi? Cette question repose sur une préoccupation qui a été solidement formulée et qui est demeurée sans réponse.


[35]            Cela dit, comme le juge Décary l'a noté dans Mercier[14] dans la citation de cette décision qui figure plus haut ici, le législateur a choisi d'imposer à la Commission une obligation légale dans certains cas et de ne pas lui imposer l'obligation de motiver ses décisions dans d'autres cas. Les décisions comme celle qui est examinée ici font partie de la catégorie des « autres circonstances » . En outre, je ne peux pas qualifier la demande qu'a formulée la demanderesse dans sa demande de contrôle judiciaire en vue d'obtenir le dossier complet du tribunal comme une demande de motifs. Elle demandait le dossier du tribunal tel qu'il était constitué et la demanderesse ne pouvait être certaine qu'il contenait les motifs de la décision examinée ici. Par rapport à la citation des observations du juge Rothstein dans Marine Atlantic Inc.[15], je ne peux conclure qu'il y a eu, d'après les faits présentés, une demande de motifs dans les documents présentés à la Cour et encore moins, une demande présentée avant le début de la présente instance. Je ne peux en outre conclure que les faits de l'affaire peuvent être qualifiés de situation « extrêmement inhabituelle » dans laquelle la Commission est manifestement tenue de fournir des motifs et que, par conséquent, la demanderesse pouvait demander l'intervention de notre Cour sans avoir au préalable officiellement demandé des motifs.

[36]            Par conséquent, je conclus que la Commission n'a pas omis de respecter son obligation d'agir de façon équitable en fournissant des motifs insuffisants. Je conclus en ce sens, en raison de l'absence d'obligation législative de fournir des motifs et aussi de l'omission de la demanderesse de demander des motifs après avoir été informée de la décision qui rejetait ses plaintes et avant de présenter la présente demande de contrôle judiciaire. Dès lors, la Commission n'a pas commis une erreur susceptible d'être révisée lorsqu'elle a rejeté les plaintes de la demanderesse, malgré l'opinion de la demanderesse selon laquelle, d'après les preuves présentées à la Commission, il était « clair et manifeste » que la demanderesse avait fait l'objet de discrimination fondée sur sa situation de famille et le rapport de l'enquêteur apportait un certain appui à cette opinion.

e)         L'enquête au sujet des plaintes déposées par la demanderesse n'était pas suffisamment approfondie et constitue une violation de l'équité procédurale dont devait bénéficier la demanderesse


[37]            Ce point litigieux n'a pas été débattu très vigoureusement devant la Cour. Je suis convaincu que le manque de zèle dont a témoigné la demanderesse sur ce point était tout à fait justifié. D'après l'ensemble des documents soumis à la Cour, je suis convaincu que la demanderesse a pleinement participé à l'enquête relative à ces plaintes. Elle a eu toute latitude de présenter des observations à l'appui de ces plaintes et de répondre aux observations préparées par les ministères visés par celles-ci. Je ne vois aucun élément me permettant de conclure, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, qu'une erreur susceptible d'être révisée a été commise dans la conduite de l'enquête relative aux plaintes déposées par la demanderesse.

CONCLUSION

[38]            Compte tenu de l'analyse qui précède, la question de la réparation appropriée qu'il convient d'accorder à la demanderesse ne se pose pas. La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée et une ordonnance sera rendue en conséquence.

LES DÉPENS

[39]            Les documents écrits présentés à la Cour par le défendeur indiquent que celui-ci demande les dépens de la présente demande. Au début des observations présentées à la reprise de l'instruction de la demande, l'avocat a informé la Cour qu'après avoir consulté son client le défendeur ne demanderait pas les dépens. L'intervenante n'a pas demandé de dépens. Compte


tenu de ce qui précède et de l'issue de la demande de contrôle judiciaire, aucuns dépens ne seront adjugés.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _             

                                                                                                     Juge                            

Ottawa (Ontario)

le 2 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1869-02

INTITULÉ :               SHERIDAN GARDNER c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA

DATES DE L'AUDIENCE :                          LE 2 DÉCEMBRE 2003 ET LE 4 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 2 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

SHERIDAN GARDNER                                              POUR LA DEMANDERESSE

POUR ELLE-MÊME

RICHARD CASANOVA                                             POUR LE DÉFENDEUR

ANDREA WRIGHT                                         POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SHERIDAN GARDNER                                              POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)                                               POUR ELLE-MÊME

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS

   DE LA PERSONNE                                                  POUR L'INTERVENANTE

Ottawa (Ontario)



[1]         L.R.C. 1985, ch. H-6.

[2]         L.R.C. 1985, ch. F-7.

[3]         [2003] A.C.F. n ° 1854 (QL).

[4]         [2003] 1 R.C.S. 226.

[5]         (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 135 (C.A.F.).

[6]         Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe [25].

[7]         [1989] 2 R.C.S. 879.

[8]         [1994] 3 C.F. 3.

[9]         [1996] A.C.F. 725 (QL) (C.F. 1re inst.).

[10]       [1999] 2 R.C.S. 817.

[11]       [2000] A.C.F. n ° 1217 (QL) (C.A.).

[12]       Supra, note 3.

[13]       Supra, note 11 et paragraphe [29] des présents motifs.

[14]       Supra, note 8.

[15]       Supra, note 11.


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