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Date : 20000831


Dossier : IMM-1429-99



ENTRE :



VALENTIN-SORIN TEODORVICI



demandeur


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION



défendeur




MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX

[1]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Valentin-Sorin Teodorvici (le demandeur), citoyen de la Roumanie, conteste le rejet par Terry Brown (l'agent des visas), le 22 février 1999, de sa demande d'admission au Canada dans la profession envisagée d'économiste. Il avait besoin d'obtenir 70 points, mais l'agent des visas ne lui en a attribués que 64.

[2]      Le demandeur conteste l'évaluation (ou l'absence d'évaluation) du facteur de la langue et le nombre de points attribué pour le facteur de l'expérience.

[3]      L'argument principal du défendeur est qu'il serait inutile d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire puisque même si l'évaluation était corrigée comme le réclame le demandeur, celui-ci n'atteindrait tout de même pas les 70 points exigés.

[4]      Sur une note plus générale, l'avocat du défendeur dit que rien dans l'affidavit du demandeur n'appuie sa demande de contrôle judiciaire à l'égard de l'évaluation. Je ne conviens pas avec le défendeur de limiter la portée de la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Les éléments de preuve sur lesquels se fonde le demandeur se trouvent dans le dossier de la Cour et comprennent le contre-interrogatoire sur affidavit de l'agent des visas, ainsi que le dossier certifié comprenant les notes au STIDI de ce dernier. Cette façon de faire est tout à fait correcte.


  1. .      L'ÉVALUATION DU FACTEUR DE LA LANGUE

[5]      Le 7 avril 1997, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada en remplissant la version anglaise du formulaire de demande IMM-0008. À la question 11 de ce formulaire, le demandeur doit indiquer son niveau de compétence à s'exprimer oralement, à lire ainsi qu'à écrire en anglais. Le demandeur a répondu correctement pour chacune des trois catégories. Dans une autre colonne du formulaire, le demandeur doit aussi indiquer son niveau de compétence à s'exprimer oralement, à lire ainsi qu'à écrire en français. Le demandeur a répondu correctement pour chacune des trois catégories.

[6]      L'entrevue du demandeur a eu lieu le 1er février 1999 à Bucarest. Dans la présente instance, l'agent des visas a subi un contre-interrogatoire sur affidavit. De plus, le dossier certifié a été produit et mis à la disposition de la Cour.

[7]      Lors de son contre-interrogatoire, l'agent des visas a confirmé que l'entrevue avait été tenue en anglais et a dit qu'il avait évalué le niveau de compétence en anglais du demandeur. Le dossier certifié comprend un extrait du test d'écriture du demandeur ainsi que le texte anglais que l'agent des visas lui avait demandé de lire.

[8]      Le dossier certifié ne comprend pas de document prouvant que le niveau de compétence en français du demandeur a été évalué. Lors du contre-interrogatoire, on a demandé à l'agent des visas s'il avait fait subir un test d'écriture ou de lecture en français au demandeur et il a répondu [traduction] « non, je ne pense pas lui en avoir fait subir » .

[9]      Il reste la possibilité que l'agent des visas ait évalué la compétence en expression orale en français du demandeur. On lui a demandé lors de son contre-interrogatoire s'il avait parlé en français avec le demandeur à un moment donné et il a répondu qu'il ne s'en souvenait pas. Plus tard, il a dit qu'il avait l'habitude de parler en français avec les demandeurs et en ce qui concerne l'entrevue du présent demandeur, il a ajouté qu'une partie de l'entrevue avait peut-être constitué une évaluation des compétences en expression orale en français du demandeur, quoiqu'une évaluation très brève, mais il a ajouté qu'il n'en avait pas pris note. On lui a demandé à nouveau s'il se souvenait avoir parlé au demandeur en français et il a répondu qu'il ne s'en souvenait pas.

[10]      À mon avis, en vertu la prépondérance des probabilités, l'agent des visas n'a pas évalué les compétences en français du demandeur et dans le cas où il l'aurait fait, je n'hésite aucunement à conclure que cette manière d'évaluer la compétence en expression orale était, tout au plus, superficielle, et qu'elle ne constituait pas une évaluation appropriée de cette compétence.

Analyse et conclusions sur ce point

[11]      L'article 8 du Règlement sur l'immigration prévoit que l'agent des visas apprécie l'immigrant suivant chacun des facteurs énumérés dans l'annexe du Règlement.

[12]      Le huitième facteur prévu à l'annexe 1 du Règlement porte sur l'évaluation des compétences en français et en anglais. Le nombre maximum de points attribuable dépend de la langue que le demandeur indique comme sa première langue officielle.

[13]      Le huitième facteur prévoit que « Pour la langue que la personne indique comme sa première langue officielle, le français ou l'anglais, selon son niveau de compétence à l'égard de chacune des capacités suivantes : l'expression orale, la lecture et l'écriture, des crédits sont attribués [...] » . Chaque capacité recevant l'appréciation couramment donne trois crédits, pour un total maximum de neuf; une capacité recevant l'appréciation correctement donne deux crédits par capacité, pour un maximum de six, et l'appréciation difficilement n'entraîne l'attribution d'aucun crédit.

[14]      Le huitième facteur prévoit ensuite que « Pour la langue que la personne indique comme sa seconde langue officielle, [...] » des crédits sont attribués pour les mêmes capacités mais le nombre de crédits attribué est différent. Recevoir l'appréciation couramment donne deux crédits par capacité, pour un total maximum de six; l'appréciation correctement de chaque capacité dans la deuxième langue officielle donne un crédit par capacité, pour un total maximum de trois, et l'appréciation difficilement n'entraîne l'attribution d'aucun crédit.

[15]      L'agent des visas a attribué quatre points au demandeur pour ses compétences en anglais et deux points pour ses compétences en français. À l'égard de l'évaluation du facteur de la langue, l'agent a inscrit dans ses notes au STIDI :

         [traduction]

         Il parle et lit presque correctement. Sa capacité en écriture est sous la norme.

[16]      Lors du contre-interrogatoire, on a demandé à l'agent des visas ce que représentaient les quatre points attribués pour l'anglais et il a répondu :

         [traduction]
         Oui, si vous regardez les notes au STIDI, je dis qu'il parle et lit presque correctement, ce qui veut dire que je considérais qu'il était légèrement en deçà de la norme pour correctement, mais je lui ai attribué les points quand même. Mais sa capacité en écriture était sous la norme et j'ai décidé de ne pas lui attribuer les points qu'il aurait eu s'il avait écrit correctement.

[17]      On lui a ensuite demandé ce que représentaient les deux points attribués pour le français et il a répondu :

         [traduction]
         Je n'ai pas pris de notes à l'égard du français et je ne vois aucun test d'écriture, donc je ne pense pas pouvoir vous renseigner à ce sujet.
         J'ai décidé, à l'égard de la deuxième langue, que deux des catégories devaient recevoir l'appréciation correctement et je ne me souviens pas quelles étaient ces deux catégories.

[18]      L'avocat du défendeur a dit que le demandeur ne pourrait obtenir qu'un seul point supplémentaire si on lui attribuait pour sa compétence en français les points reflétant l'auto-évaluation qu'il avait inscrite dans le formulaire, soit correctement pour toutes les capacités. Cependant, dans son raisonnement, le défendeur prend pour acquis que le français est la deuxième langue officielle du demandeur. L'avocat du défendeur dit que le demandeur n'avait pas indiqué dans son affidavit que le français était sa première langue officielle.

[19]      L'avocat du demandeur soutient que l'on ne peut présumer que le français n'était pas la première langue officielle du demandeur. Il allègue ensuite que l'agent des visas n'est pas lié par l'auto-évaluation des compétences linguistiques du demandeur et qu'il était possible que le demandeur reçoive la cote couramment pour toutes les capacités. Le demandeur pourrait donc obtenir neuf points pour sa première langue officielle, auxquels il faudrait ajouter deux points pour sa seconde langue officielle, pour un total de onze points, à la place des six points qu'il avait obtenus pour ses compétences linguistiques. Si l'évaluation de tous les autres facteurs demeurait inchangée, il obtiendrait alors un total de 69 points.

[20]      Il est clair que l'agent des visas a commis une sérieuse erreur en n'évaluant pas les capacités en français du demandeur, comme l'exige la loi.

[21]      De plus, l'agent des visas a commis une autre erreur qui entache sa manière de procéder à l'évaluation globale du demandeur. Selon moi, en l'absence de tout fondement, il a arbitrairement attribué deux points pour les compétences en français du demandeur, qu'il n'avaient pas évaluées. Là encore, cela est contraire à la loi.

[22]      Je conviens avec l'avocat du demandeur que dans les circonstances de la présente affaire, l'agent des visas n'aurait pas dû présumer que le français était la deuxième langue officielle du demandeur. Malgré que le formulaire de demande de résidence permanente au Canada ne demande pas, à la question 11, quelle est la première langue officielle choisie par le demandeur, ce dernier a inscrit que ses compétences dans les deux langues officielles s'équivalaient. À mon avis, dans les circonstances, l'agent des visas devait demander expressément au demandeur quelle langue officielle constituait son premier choix. Ce devoir existe en raison du fait que le choix du demandeur a une incidence sur le nombre de points qui peut être attribué. Pour la langue officielle constituant le premier choix, un maximum de neuf points est attribuable alors que pour le second choix, un maximum de seulement six points peut être attribué.


  1. .      L'ÉVALUATION DU FACTEUR DE L'EXPÉRIENCE

[23]      Le demandeur a indiqué dans sa demande de résidence permanente qu'il avait étudié à la faculté des sciences économiques de Craiova de 1983 à 1988 et qu'il avait obtenu un diplôme.

[24]      En ce qui concerne son expérience de travail, le demandeur a indiqué qu'il avait travaillé comme économiste pour l'institut de recherche et d'ingénierie technologiques, du mois d'octobre 1988 au mois de juin 1991. Par la suite, du mois de juin 1991 jusqu'au jour où il a présenté sa demande de résidence permanente, il a travaillé comme inspecteur financier pour la ville de Craiova.

[25]      Le demandeur a été évalué comme économiste (CNP 4162.0). Il a aussi été évalué pour d'autres professions (agent d'application des taxes, CNP 1228.4). Il a reçu dix-sept points pour le facteur de la formation. Il a reçu deux points pour le facteur de l'expérience.

[26]      Sur ce point, l'agent des visas a inscrit dans ses notes au STIDI, sous le titre formation et emploi :

         [traduction]
         (Demandeur principal) : après avoir obtenu son diplôme, il a travaillé trois ans à l'institut de recherche, s'occupant des coûts de production et du département des ventes. Il semble avoir surtout rempli des formulaires de calcul des coûts de production. Peut-être qu'une année de cet emploi pourrait être considérée pour la profession d'économiste. Depuis 1991, il est commissaire ou inspecteur de la « garde » financière de Craiova. Il s'occupe de vérifier le paiement des taxes auprès des départements financiers des compagnies, etc. Chaque compagnie a des obligations et il vérifie leurs livres comptables et tous les documents de nature financière. Il rédige des rapports relatifs au paiement des taxes qui peuvent être utilisés lors de poursuites.
         Il est évident qu'il doit être évalué comme agent d'application des taxes, 1228.4.
         [...]
         Décision : suspendue à l'entrevue afin de pouvoir évaluer le demandeur plus en profondeur dans d'autres professions.
[27]      Le lendemain, l'agent des visas a inscrit dans ses notes au STIDI :
         [traduction]
         Évaluation. J'ai attribué 65 points au demandeur principal en tant qu'agent d'application des taxes, compte tenu que je ne lui ai accordé aucun point pour le facteur professionnel. Si je considère qu'il a une année d'expérience comme économiste, cela donne 64 points. Trois années d'expérience ne lui donneraient quand-même que 68 points. Son épouse a eu 54 points comme technologue en dessin et 52 comme opératrice d'ordinateur. L'expérience du demandeur principal est d'application limitée au Canada, étant donné qu'il ne fait pas de comptabilité et qu'il n'est pas qualifié comme vérificateur. Rejetée. Je ne recommande pas l'usage du pouvoir discrétionnaire étant donné que les points attribués reflètent adéquatement la possibilité d'établissement. (non souligné dans l'original)

[28]      Lors du contre-interrogatoire, on lui a demandé ce qu'il voulait dire quand il a écrit dans ses notes au STIDI que « Trois années d'expérience ne lui donneraient quand-même que 68 points » . Il a répondu :

         [traduction]
         En vertu du système de classification, le nombre maximum d'années d'expérience qui peut être alloué aux économistes est de trois ans.

[29]      À cet égard, l'agent des visas n'a pas bien compris le Règlement sur l'immigration. Le paragraphe 3d) de l'annexe du Règlement sur l'immigration, qui porte sur le facteur de l'expérience, prévoit que « lorsque 17 ou 18 points sont attribués aux termes de l'article 2 (études et formation), 2 points [sont attribués] pour chaque année d'expérience jusqu'à 4 années » .

Analyse et conclusions sur ce point

[30]      L'avocat du demandeur allègue que cette mauvaise compréhension par l'agent des visas du nombre maximum de points pouvant être accordé au demandeur pour le facteur de l'expérience a mené l'agent des visas à ne pas évaluer ce facteur en tenant compte de l'expérience du demandeur comme agent d'application des taxes, qui pourrait se traduire en années d'expérience comme économiste.

[31]      L'avocat du défendeur réplique que les notes au STIDI démontrent que l'agent des visas a examiné en profondeur les tâches effectuées par le demandeur dans ces différents emplois et que cette position est confirmée par les réponses fournies par l'agent des visas lors de son contre-interrogatoire. L'avocat du défendeur ajoute que la charge de prouver que l'évaluation de l'agent des visas sur ce point était erronée repose sur le demandeur. L'avocat du défendeur fait référence au passage particulier des notes au STIDI où l'agent des visas a dit qu'il était convaincu qu'une seule année d'expérience devait être attribuée au demandeur comme économiste pour son expérience à l'institut de recherche.

[32]      J'accepte les arguments de l'avocat du demandeur. Je ne suis pas convaincu, à la lecture du dossier, que l'agent des visas a correctement examiné l'expérience du demandeur comme inspecteur financier en vue de déterminer si cette expérience pouvait être considérée comme de l'expérience en tant qu'économiste.

[33]      Je conclus que la mauvaise compréhension par l'agent des visas du nombre maximum de points pouvant être attribué pour le facteur de l'expérience l'a mené, pour ainsi dire, à clore son enquête sur ce point.

[34]      Dans les circonstances, étant donné ma conclusion, le demandeur aurait pu franchir le seuil des 70 points si l'évaluation avait été faite correctement. Il en résulte que les principes exprimés dans les décisions Syed c. Canada (Procureur général), (dossier no IMM-3324-38, le 7 avril 1999) et Barua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (dossier no IMM-3152-97, le 22 octobre 1998) ne s'appliquent pas en l'espèce.

DÉCISION

[35]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agent des visas est annulée et la demande de résidence permanente au Canada du demandeur est renvoyée pour un nouvel examen par un agent des visas différent. Le demandeur a droit aux dépens. Aucune question n'a été soulevée pour certification.


« François LEMIEUX »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 31 août 2000

Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-1429-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Valentin-Sorin Teodorvici c. Le ministre de la Citoyenneté

                     et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 23 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :              31 août 2000



ONT COMPARU :

M. David Chalk                      POUR LE DEMANDEUR
M. Daniel Latulippe                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :         

M. David Chalk

Montréal (Québec)                      POUR LE DEMANDEUR                 

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR
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