Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050421

Dossier : IMM-3344-04

Référence : 2005 CF 536

ENTRE :

                                             Victor Norberto FERNANDEZ

                                           Alicia Susana DE FERNANDEZ

                                             (alias Alicia Susana PECILE)

                                                                                                                        demandeurs

ET :

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                             défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) en date du 23 mars 2004, dans laquelle la demande d'asile de Victor Norberto Fernandez et d'Alicia Susana Fernandez, les demandeurs, a été rejetée; la SPR a conclu qu'ils n'ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni la qualité de personnes à protéger.

[2]                Les demandeurs sont des citoyens de l'Argentine. Le demandeur était propriétaire d'une pizzeria à Buenos Aires.

[3]                Il a allégué qu'entre le 11 janvier 2001 et le 16 mars 2001, il a été victime de cambriolages de la part d'individus qu'il n'a pas pu identifier. S'il ne leur donnait pas d'argent, il était battu et menacé. Ils ont tenté de lui extorquer de l'argent en retour de services de protection. Le 29 octobre 2001, il prétend que son fils et lui ont été enlevés. Il a été battu; son fils a été capable de s'échapper et d'alerter les autorités. Ses agresseurs ont appris que la police était dans les environs et l'ont alors relâché. Après cet incident, les demandeurs et leur fils ont à nouveau été menacés. L'enlèvement a été signalé à la police.

[4]                Le demandeur a fermé son entreprise en novembre et est déménagé ailleurs, jusqu'à ce que les demandeurs soient capables de quitter le pays. Lui et son fils ont trouvé refuge au domicile de sa soeur. En décembre 2001, la demanderesse est allée aux États-Unis; elle est revenue en février 2002. En septembre 2002, les demandeurs sont venus au Canada et y ont demandé l'asile en novembre 2002. Ils étaient déjà allés aux États-Unis en avril 2002 où ils avaient passé cinq mois chez la soeur du demandeur.


[5]                La SPR a conclu que les demandeurs n'ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention et qu'ils n'ont pas raison de craindre d'être persécutés pour un motif visé par la Convention, au Brésil. Elle a conclu que le demandeur est crédible, sauf pour quelques exceptions dont elle a fait mention.

[6]                La SPR a expliqué que les demandeurs craignent la criminalité, ce qui ne constitue pas l'un des motifs énumérés dans la définition; il n'y a donc aucun lien avec leur demande.

[7]                En ce qui concerne la question de la protection de l'État, la SPR a conclu qu'il existe une présomption voulant que l'État soit capable de protéger ses citoyens et les demandeurs n'ont pas renversé cette présomption. Ils ont déclaré avoir signalé les cambriolages et l'extorsion à la police, mais ils n'ont produit aucun rapport de police. En ce qui concerne l'enlèvement, la SPR a conclu que le témoignage du demandeur était crédible.


[8]                De plus, la SPR a conclu que les faits et gestes des demandeurs ne démontrent aucune crainte subjective de persécution. La demanderesse est allée aux États-Unis puis est retournée au Brésil, où elle est demeurée deux mois avant que les demandeurs repartent aux États-unis pour cinq mois. Ils sont ensuite allés au Canada où ils sont demeurés pendant deux mois avant de revendiquer le statut de réfugié.

[9]                La SPR a également déclaré, à titre subsidiaire, que même si les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés, ils auraient pu se prévaloir de la possibilité de refuge intérieur (PRI). Selon la SPR, ils auraient pu vivre ailleurs au Brésil; ils sont d'ailleurs allés vivre au domicile de sa soeur sans qu'aucun incident ne survienne.

[10]            Finalement, en ce qui concerne l'article 97, la SPR a conclu que comme la protection de l'État existe, les demandeurs n'étaient pas personnellement en danger.

[11]            Les demandeurs ont soumis la question suivante :

[traduction] La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait en décidant de leur demande sur le fondement que les demandeurs seraient persécutés au Brésil alors que leur demande d'asile a été présentée relativement à l'Argentine?


[12]            Essentiellement, les demandeurs font valoir que comme la SPR a déterminé que l'affaire devait être examinée en regard de la situation au Brésil, cela démontre qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve qu'ils ont produite et qu'elle a fondé sa décision sur une preuve dont elle ne disposait pas. Le défaut d'analyser la situation étatique qui prévaut en Argentine a mené à une conclusion erronée en ce qui concerne la protection de l'État et la PRI, deux éléments de la décision.

[13]            Selon le défendeur, le fait que le tribunal ait nommé le pays comme étant le Brésil plutôt que l'Argentine est une erreur d'inadvertance et [traduction] « n'a aucun poids dans l'analyse [¼] » . La SPR a décrit de manière exacte tous les autres aspects de la demande présentée par les demandeurs; on ne peut donc soutenir que la SPR n'a pas tenu compte de la preuve produite par les demandeurs.

[14]            Le défendeur fait valoir que les demandeurs n'ont pas établi que la SPR a commis une erreur en concluant que l'on n'avait pas renversé la présomption de protection de l'État. De plus, les demandeurs n'ont pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle ils n'avaient pas rencontré de problèmes pendant plusieurs mois alors qu'ils n'avaient déménagé qu'à quelques kilomètres de leur domicile.

[15]            Aussi, le défendeur prétend que les demandeurs n'ont pas fourni d'explication pour les contradictions de leur témoignage.


[16]            Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs soutiennent que le défendeur n'a pas produit de preuve appuyant sa théorie, à savoir qu'il s'agissait d'une erreur d'inadvertance. De plus, ils font valoir que si le nom du pays était si facilement interchangeable, cela contrevient à la notion d'audience équitable fondée sur des faits propres à chaque cas.

[17]            En l'espèce, les demandeurs demandent l'asile en vertu de l'article 97 de la LIPR seulement[1]. Par conséquent, seule l'analyse en vertu de cet article de la Loi aurait dû être envisagée par la SPR. Cependant, la SPR a procédé à une analyse en vertu de l'article 96 et de l'article 97, et le défendeur a présenté des arguments sur des questions relatives à l'article 96.

[18]            Il appert des motifs de la SPR qu'elle a commis une erreur en déterminant que le pays d'origine des demandeurs était le Brésil plutôt que l'Argentine. La SPR est tenue d'évaluer le risque auquel sont confrontés les demandeurs à l'égard de leur pays.


[19]            Ainsi qu'il a été dit dans la décision Popovic. c. Canada[2], « la disponibilité de protection de l'État concerne un pays en particulier » . Même si cette affaire a été jugée dans un contexte un peu différent (motifs d'ordre humanitaire), les remarques sur un agent qui confond le pays d'origine du demandeur sont pertinentes.

[20]            Le défendeur fait valoir qu'il s'agissait d'une erreur d'inadvertance et que cela ne change rien à l'analyse. Quand à moi, j'ai pensé, lorsque j'ai lu Brésil (écrit plusieurs fois), que l'analyse des risques que courent les demandeurs en Argentine était erronée. La confusion concernant le pays a donc un impact sur l'analyse et la décision ne peut être maintenue.

[21]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agent est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

Le juge Rouleau

_________________________

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 21 avril 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                 IMM-3344-04

INTITULÉ :                                 Victor Norberto Fernandez, Alicia Susana De Fernandez (alias Alicia Susane Pecile)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :         Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :        Le 14 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :               Le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :               Le 21 avril 2005

COMPARUTIONS:                 

Me Patricia Wells                           POUR LES DEMANDEURS

Me Michael Butterfield                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells

Toronto (Ontario)                                                              POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                               POUR LE DÉFENDEUR



[1]Formulaire de renseignements personnels (FRP), p. 29 et 55 du dossier du tribunal.

[2][2001], A.C.F. no 900 (1ere inst.).


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.