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Date : 20020429

Dossier : 02-T-9

Référence neutre : 2002 CFPI 487

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                        DEBORAH JOHNSON

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

MARITIME TELEGRAPH AND TELEPHONE

                                                                                                                                  défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une requête que Deborah Johnson (la demanderesse) a présentée en vue de faire proroger le délai dans lequel elle peut présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) a rejeté sa plainte et a refusé de constituer un tribunal pour que celui-ci procède à une enquête.

[2]                 La demanderesse a été avisée de la décision de la CCDP par une lettre en date du 28 juin 2001.

[3]                 Le 27 juillet 2001, l'avocat de la demanderesse a tenté de présenter devant cette cour une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CCDP, mais la demande n'a pas été acceptée aux fins du dépôt parce qu'elle n'avait pas été présentée en la forme appropriée.

[4]                 Pour diverses raisons, l'avocat de la demanderesse a essayé de présenter une demande modifiée de contrôle judiciaire le 15 janvier 2002 seulement. La demande modifiée n'a pas été acceptée aux fins du dépôt parce que la demande initiale de contrôle judiciaire n'avait pas été déposée.

[5]                 La requête visant l'obtention d'une prorogation de délai est présentée conformément au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[6]                 Point litigieux

La prorogation du délai dans lequel la demande de contrôle judiciaire peut être présentée devrait-elle être accordée?


Analyse et décision

[7]                 L'omission de veiller à ce que la demande soit présentée à temps n'était pas attribuable à la demanderesse elle-même, mais au fait que son avocat n'avait pas fait en sorte que la demande soit présentée dans le délai imparti. Cette omission de l'avocat ne m'empêche pas d'accorder une prorogation du délai dans lequel la demande peut être présentée. Dans la décision LeBlanc c. Banque nationale du Canada [1994] 1 C.F. 81 (C.F. 1re inst.), page 93, Monsieur le juge MacKay a dit ce qui suit :

[...] Néanmoins, malgré ces faux pas, cela ne suffirait pas, à mon avis, à empêcher la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans la mesure où le requérant établirait les éléments lui permettant de conclure, dans l'intérêt de la justice entre les parties, que la demande de contrôle judiciaire a une chance raisonnable de succès.

[8]                 Dans la décision Carson c. Canada (Procureur général) [1999] A.C.F. no 44 (QL) (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Lutfy (tel était alors son titre) est arrivé à la même conclusion. Je souscris à l'avis exprimé par les juges MacKay et Lutfy (tel était alors son titre).

[9]                 Dans la décision LeBlanc, précitée, page 94, le juge MacKay a énoncé l'approche à utiliser lorsqu'il s'agit de déterminer s'il convient d'accorder une prorogation de délai, soit dans la présente affaire, une prorogation du délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire :


Bien que cette Cour n'ait pas, lorsqu'elle examine une demande de prorogation de délai, à apprécier de façon définitive le bien-fondé des arguments du requérant, elle doit être persuadée, comme l'enseigne clairement la jurisprudence, que ce dernier a une cause soutenable et qu'il a une chance raisonnable d'avoir gain de cause. Il faut distinguer l'arrêt Grewal, précité, sur lequel s'appuie en partie le requérant, des affaires habituelles de ce genre car, dans cette affaire, la chance raisonnable de succès était manifeste compte tenu de la clarification qu'avait apportée subséquemment la Cour suprême quant aux droits protégés par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n ° 44]] et du fait que la décision du tribunal avait été rendue conformément à une procédure incompatible avec les droits ainsi clarifiés. Dans cet arrêt, le juge Marceau qui souscrivait à l'opinion majoritaire mais dans des motifs distincts a dit ceci à la page 282:

L'imposition de délais applicables à la contestation de la validité des décisions judiciaires a naturellement pour but de mettre en oeuvre un principe fondamental de notre pensée juridique selon lequel, dans l'intérêt de la société dans son ensemble, les litiges doivent avoir une fin (interest reipublicae ut sit finis litium), et les règles générales adoptées par les tribunaux relativement aux demandes de prorogation de ces délais ont été élaborées en tenant compte de ce principe. L'autorisation d'interjeter appel après expiration du délai imparti ne sera accordée que si, considérant les circonstances d'une affaire, la recherche ultime de la justice semble transcender la nécessité de mettre fin à l'incertitude relative aux droits des parties. D'où l'obligation d'étudier différents facteurs, tels la nature du droit visé par les procédures, le redressement sollicité, l'effet du jugement rendu, ce qui a été fait en exécution de ce jugement, le préjudice que subiront les autres parties au litige, le temps écoulé depuis le prononcé du jugement, la façon dont le requérant a réagi à ce jugement, la raison pour laquelle il n'a pas exercé son droit d'appel plus tôt, le sérieux de ses prétentions contre la validité du jugement. Il me semble que, pour apprécier la situation comme il se doit et tirer une conclusion valide, il est essentiel de balancer les différents facteurs impliqués. Par exemple, une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante.

[10]            Je suis convaincu que la demanderesse a des chances raisonnables d'avoir gain de cause si l'on procède au contrôle judiciaire. J'ai examiné l'affidavit de l'avocat de la demanderesse en date du 24 janvier 2002 ainsi que les pièces qui y sont jointes. Dans le rapport qu'il avait rédigé à la suite de la plainte déposée par la demanderesse devant la CCDP, l'enquêteur recommandait qu'un conciliateur soit nommé. Ce rapport, aux paragraphes 66 et 67, semble donner à entendre que la plainte est fondée. Pourtant, dans sa lettre du 28 juin 2001, la CCDP fait savoir qu'elle a rejeté la demande. Cela semblerait à première vue soulever un point qui a des chances raisonnables d'être retenu.


[11]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit, paragraphe 43 :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

[12]            Dans l'arrêt Baker, précité, il a été statué que les notes de l'agent étaient suffisantes pour constituer des motifs. En l'espèce, le rapport de l'enquêteur n'étaye pas la décision à laquelle est arrivée la CCDP. La situation était différente dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne) [1989] 2 R.C.S. 879. Dans cette affaire-là, la CCDP avait adopté le rapport de l'enquêteur. Or, elle ne l'a pas fait dans ce cas-ci.

[13]            Je suis convaincu que la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse a des chances raisonnables de succès compte tenu des deux questions mentionnées aux paragraphes 10 et 12 de cette décision.

[14]            Il semble que la demanderesse ait toujours voulu poursuivre sa demande de contrôle judiciaire et que ce n'était que le fait que son avocat n'avait pas fait en sorte que la demande soit présentée qui ait été à l'origine de cette requête. L'avocat a expliqué pourquoi il n'avait pas veillé à ce que la demande modifiée soit présentée. Cela étant, je suis convaincu que des explications satisfaisantes ont été fournies pour justifier le fait que l'on a tardé à présenter la demande de contrôle judiciaire.

[15]            La défenderesse a déclaré que l'octroi de la prorogation lui porterait préjudice étant donné le temps qui s'est écoulé et que des témoins manqueraient. Au paragraphe 12 de l'affidavit d'Allana Gail Loh, il est mentionné que le dépôt tardif de la plainte cause un préjudice à la défenderesse compte tenu, entre autres choses, des changements effectués en matière d'exploitation et de personnel. Au paragraphe 17 du même affidavit, il est déclaré qu'il est difficile pour la défenderesse de [TRADUCTION] « répondre à la plainte à cause des changements qui étaient survenus au sein de la société défenderesse depuis la date des événements visés par la plainte, y compris la perte de personnel et de documents » . Selon moi, cela ne veut pas dire qu'il est impossible de trouver des témoins ou des documents. Je ne suis pas convaincu que l'octroi de la prorogation de délai soit préjudiciable à la défenderesse.


[16]            La requête que la demanderesse a présentée en vue de faire proroger le délai prévu aux fins de la présentation de sa demande de contrôle judiciaire est accordée. La demanderesse disposera d'un délai de dix jours à compter de la date de cette décision pour présenter une demande de contrôle judiciaire.

ORDONNANCE

[17]            LA COUR ORDONNE : La requête visant la prorogation du délai dans lequel une demande de contrôle judiciaire peut être présentée est accueillie.

[18]            LA COUR ORDONNE EN OUTRE : La demanderesse disposera d'un délai de dix jours à compter de la date de cette décision pour présenter la demande de contrôle judiciaire.

  

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 29 avril 2002.

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                                      02-T-9

INTITULÉ :                                                                     Deborah Johnson

c.

Maritime Telegraph and Telephone

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 15 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE :                                                   Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                                  le 29 avril 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Michael J. O'Hara                                                     pour la demanderesse

Mme Karen A. Fitzner                                                     pour la défenderesse

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael J. O'Hara                                                             pour la demanderesse

Avocat

Darmouth (Nouvelle-Écosse)                                           

Cox Hanson O'Reilly Matheson                                       pour la défenderesse

Halifax (Nouvelle-Écosse)

  
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