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                                                                                                                                  Date : 20010420

                                                                                                                             Dossier : T-1759-00

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2001

En présence de monsieur le juge Pinard

Entre :

                                                         NORMAND CLEROUX

                                                                                                                              demandeur/intimé

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                          défendeur/requérant

VU l'avis de requête du défendeur sollicitant :

a)         une ordonnance en vertu des alinéas 221(1)a) et f) des Règles radiant la déclaration au motif que la Cour n'a pas compétence sur l'objet de l'action;

b)         une ordonnance en vertu de l'alinéa 221(1)(f) des Règles radiant la demande au motif qu'elle constitue un abus de procédure;

c)         une ordonnance en vertu de l'alinéa 221(1)a) radiant la demande au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable;

d)         subsidiairement, une ordonnance en vertu de la règle 8 accordant au défendeur une prorogation du délai de délivrance de sa défense;

e)         les dépens relatifs à la requête;

f)          toute autre réparation que la Cour estimera juste.


                                                                ORDONNANCE

La déclaration est radiée. Les dépens sont adjugés contre le demandeur.

« Yvon Pinard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                  Date : 20010420

                                                                                                                             Dossier : T-1759-00

                                                                                                       Référence neutre : 2001 CFPI 342

Entre :

                                                         NORMAND CLEROUX

                                                                                                                              demandeur/intimé

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                          défendeur/requérant

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Le défendeur invoque essentiellement trois moyens à l'appui de sa requête en radiation de la déclaration du demandeur : la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître de la demande par application des alinéas 419(1)a) et f) des Règles; la demande constitue un abus de procédure au sens de l'alinéa 419(1)f) des Règles; enfin, elle ne révèle aucune cause d'action valable au sens de l'alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale, C.R.C. ch. 663.

[2]         Le demandeur a travaillé en qualité d'inspecteur mécanique au Ministère de la Défense nationale du 13 juillet 1987 au 28 juin 1994. Le 10 mai 1994, le demandeur a été informé du fait qu'il était suspendu sans salaire pour inconduite. Le demandeur a été avisé de la cessation de son emploi par une lettre en date du 28 juin 1994.


[3]         L'emploi du demandeur au sein du gouvernement fédéral, comme l'emploi de tous les membres de l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), est régi par une convention collective, la Convention cadre conclue par l'AFPC et le Conseil du Trésor en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (LRTFP). L'article M-38.02 de la Convention cadre établit une procédure de traitement des griefs dont peut se prévaloir tout employé « qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l'inaction de l'employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification » :

M-38.02 Sous réserve de l'article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément aux dispositions dudit article, l'employé-e qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l'inaction de l'employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite à la clause M-38.05, compte tenu des réserves suivantes :

a)           s'il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d'une telle loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie, . . .

Les paragraphes 91(1) et 92(1) décrivent la procédure de traitement des griefs applicable sous le régime de la LRTFP :



91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

a)             par l'interprétation ou l'application à son égard :

(i)            soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii)           soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b)             par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a)             l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b)             dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c)             dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

91. (1) Where any employee feels aggrieved

(a)           by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i)            a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

(ii)           a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

(b)           as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii),

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

(a)           the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

(b)           in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(i)            disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii)           termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

(c)            in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.


[4]         Lorsqu'il était en poste à la Défense nationale, le demandeur a eu recours à la procédure de traitement des griefs susmentionnée à de nombreuses reprises. Beaucoup de ces griefs se sont rendus jusqu'au dernier palier de la procédure de traitement des griefs et ont été examinés par le directeur général des relations de travail dont les décisions sont finales et exécutoires concernant la plupart des questions. Le demandeur a déposé des griefs accusant les gestionnaires et le ministère de la Défense nationale, notamment, de l'avoir harcelé, d'avoir comploté, d'avoir accordé un traitement préférentiel à ses collègues, d'avoir ruiné sa carrière, de l'avoir soumis, de façon injustifiée, à des audiences semblables à celles d'une cour martiale et d'avoir abusé de leur autorité. Tous ces griefs ont été rejetés au dernier palier par le directeur général des relations de travail à l'issue d'enquêtes et d'examens approfondis et le demandeur n'a pas exercé de recours additionnels.


[5]         Le demandeur a aussi déposé plusieurs griefs concernant ses suspensions et la cessation de son emploi. Ces griefs ont finalement été soumis à l'arbitrage conformément à ce que prévoit la convention collective. Entre le mois d'avril 1995 et le mois d'août 1996, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a tenu 39 jours d'audience et entendu sept griefs déposés par le demandeur.

[6]        La CRTFP a accueilli les griefs en partie. La suspension pour une période indéfinie et la cessation d'emploi ont été annulées, ces peines étant remplacées par une suspension de 15 jours. La CRTFP a cependant conclu que le demandeur était coupable d'inconduite. En définitive, la CRTFP a accordé une indemnité au demandeur pour la perte de son salaire et de ses avantages sociaux pendant le demi-mois écoulé entre sa suspension pour une période indéfinie et la cessation de son emploi. Comme le demandeur ne désirait pas être réintégré, la CRTFP a en outre conclu que le demandeur avait droit à une indemnité pour la perte de son salaire et de ses avantages sociaux pendant une période de 18 mois commençant le 28 juin 1994, date de la cessation de son emploi. L'arbitre a conclu sa décision en affirmant : [TRADUCTION] « tel qu'on me le demande, je demeure saisi de l'affaire si jamais les parties avaient de la difficulté à appliquer ma décision. »

[7]         Le demandeur, manifestement insatisfait des réparations que lui a accordées la CRTFP, a intenté une action en dommages-intérêts devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario le 2 avril 1998. La Cour a rejeté l'action parce qu'elle n'avait pas compétence pour connaître d'une demande émanant d'un milieu de travail et régie par une convention collective. Le demandeur a alors intenté la présente action devant notre Cour pour réclamer essentiellement les mêmes réparations que devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, dont :

-           sa perte d'avantages et de salaire résultant du prétendu défaut de l'employeur de trouver un autre poste pour le demandeur au sein du gouvernement fédéral;

           -           des dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation;

           -           les frais juridiques engagés dans le cadre de la procédure de traitement des griefs;

          -           la reconnaissance du fait qu'il a été harcelé dans son milieu de travail entre 1991 et 1994;

           -           la reconnaissance du fait que l'employeur ne l'a pas traité correctement;


           -           la reconnaissance du fait qu'il n'a pas eu droit à une audition équitable et impartiale;

           -           la reconnaissance du fait qu'il a souffert d'un choc nerveux causé par la façon censément incorrecte dont le défendeur l'a traité.

[8]         Le défendeur soutient que la Cour n'a pas compétence relativement à l'objet de l'action parce d'autres recours peuvent être exercés devant des organismes de règlement des litiges différents dans le contexte des relations de travail (voir Townsend c. Canada (1994), 74 F.T.R. 21). Je partage son opinion. En l'espèce, les paragraphes 91(1) et 92(1) de la LRTFP et l'article M-38.02 de la Convention cadre conclue en vertu de cette Loi prévoient des recours dont peuvent se prévaloir les fonctionnaires qui se trouvent dans la situation du demandeur. La procédure d'arbitrage qu'ils établissent, à laquelle le demandeur a eu recours pour déposer la plupart de ses griefs, confère compétence exclusive aux arbitres pour régler les conflits découlant des conventions collectives (voir St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. Ltd. c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986]1 R.C.S. 704; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929 et Nouveau-Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967).

[9]         Dans Weber, précité, la Cour suprême du Canada a statué qu'il faut appliquer le modèle de la compétence exclusive. Ce modèle écarte toutes les actions en justice « qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective » (voir Weber, à la page 963). Pour déterminer si une demande ou un litige en particulier relève de la convention collective, il faut définir l' « essence » du litige et la portée de la convention collective.


[10]       En l'espèce, le demandeur réclame des dommages-intérêts pour la perte de revenus et d'avantages que lui a causée le prétendu défaut de l'employeur de lui trouver un autre poste au sein du gouvernement fédéral; ses frais juridiques engagés dans le cadre du processus de traitement des griefs; des dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation et ses dépens. Il soutient en outre avoir été harcelé dans son milieu de travail entre 1991 et 1994, avoir été traité de façon incorrecte par l'employeur défendeur, ne pas avoir eu droit à une audition équitable et impartiale et avoir subi un choc nerveux en raison de la façon censément incorrecte dont son employeur l'aurait traité. Peu importe la façon dont le demandeur qualifie sa demande, son objet tire son origine du conflit de longue date et toujours en cours avec son employeur. Il est clair que toutes les demandes sont liées à des incidents visés par la convention collective et la LRTFP. L'objet général de la demande du demandeur échappe donc à la compétence de la Cour.

[11]       Par ailleurs, le demandeur a déjà déposé des griefs relativement à la plupart des questions soulevées dans la déclaration et porté ces griefs jusqu'au dernier palier de la procédure de traitement des griefs prévu par la convention collective et la LRTFP. Les questions de savoir s'il y a eu notamment abus d'autorité, harcèlement, complot, audiences semblables à celles d'une cour martiale, traitement préférentiel et atteinte à la réputation du demandeur de la part de son employeur ont déjà été débattues dans le cadre de la procédure de grief. Le directeur général des relations de travail a conclu qu'aucune des allégations d'inconduite de l'employeur formulées par le demandeur n'était fondée.

[12]       Pour reprendre les propos de la Cour dans l'affaire Johnson-Paquette c. Canada (1998), 159 F.T.R. 42, il est irrégulier de la part d'un demandeur de demander le contrôle judiciaire de la décision d'un agent des griefs en intentant une action en dommages-intérêts fondée sur la responsabilité délictuelle. De même, le recours approprié pour contester la décision de la CRTFP ou l'équité de l'audition est une demande de contrôle judiciaire, et non une action.

[13]       Enfin, je dois souligner que l'une des questions soulevées par le demandeur, savoir que l'employeur aurait dû essayer de lui trouver un autre poste au gouvernement fédéral, découle directement de la décision de la CRTFP, sur la question de la réintégration, dans laquelle elle a déclaré demeurée saisie de l'affaire et de sa mise en oeuvre. Pour cette raison, elle relevait de la compétence exclusive de cet organisme juridictionnel.


[14]       De plus, il existe dans l'article 23 de la LRTFP un mécanisme permettant de s'assurer que les dispositions de l'ordonnance d'un arbitre seront mises à exécution.

[15]       Pour tous ces motifs, je conclus que la Cour n'a pas compétence pour connaître de l'action. Il ne fait aucun doute que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable, constitue un abus de la procédure et doit donc être radiée.

[16]       Les dépens sont adjugés contre le demandeur.

« Yvon Pinard »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 20 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                   T-1759-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        Normand Cleroux

c.

Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 29 mars 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                      MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                                  le 20 avril 2001

ONT COMPARU

M. Normand Cleroux                                                    LE DEMANDEUR,

EN SON PROPRE NOM

Me Catherine Lawrence                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Morris Rosenberg                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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