Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                   Date : 20050624

Dossier : IMM-5217-04

Référence : 2005 CF 898

ENTRE :

                                                              MELIHA BELULI   

demanderesse

et

(CANADA) MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

Introduction

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision par laquelle une agente des services frontaliers du Canada (l'agente) a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de facteurs d'ordre humanitaire pour accueillir la demande de résidence permanente de la demanderesse, présentée au Canada. La décision en cause est datée du 5 avril 2004.


Contexte

[2]                La demanderesse, une citoyenne de l'Albanie, était active dans la vie politique de ce pays, pour le compte du Parti démocrate. En raison de son activité politique, elle prétend avoir été la cible de menaces qui ont aussi atteint d'autres membres de sa famille, dont son fils et sa fille. Elle prétend avoir vécu dans la peur. La demanderesse a envoyé son fils en Italie. Le 20 juin 1997, accompagnée de sa fille, elle a fui en Grèce.

[3]                Le 29 juin 1997, les Socialistes ont été élus au pouvoir en Albanie. Malgré cela, la demanderesse a quitté à trois occasions la Grèce pour revenir en Albanie.

[4]                Le 25 octobre 2000, la demanderesse est arrivée au Canada en passant par l'Italie et les États-Unis. Elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

[5]                La revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse a été rejetée le 13 mars 2002. La Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a jugé que le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible. La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de la décision du SSR, mais l'autorisation d'y procéder lui a été refusée.

[6]                Vers la fin d'avril 2002, la demanderesse a sollicité une dispense à titre de revendicatrice non reconnue du statut de réfugié au Canada. À l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, cette demande a été convertie en une demande d'examen des risques avant envoi.

[7]                Le 21 mai 2002, la demanderesse a sollicité la permission de demander l'établissement, de l'intérieur du Canada, pour des raisons humanitaires. C'est cette dernière demande qui a mené à la décision en cause en l'espèce.

[8]                Dans les notes à l'appui de la décision en cause, l'agente a écrit :

[Traduction] La plus grande partie des observations CH de l'avocat pour le compte de la demanderesse exposent les craintes de la demanderesse de retourner en Albanie. Les mêmes craintes ont été considérées dans la demande d'asile et dans la demande ERAR. Les documents à l'appui étaient également à peu près les mêmes. Je statue que le risque de la demanderesse a été évalué. Sa demande d'asile a été entendue par la SSR. Elle a fait une demande d'autorisation et contrôle judiciaire de cette décision à la Cour fédérale, l'autorisation a été refusée. Les mêmes risques ont été évalués dans la demande ERAR et il a été décidé que la demanderesse n'encourrait pas de risque si elle retournait en Albanie. Je statue qu'aucune autre évaluation du risque n'est requise pour l'évaluation de la demande CH. Le risque n'est pas une considération humanitaire.

La plus grande partie de la requête CH était fondée sur le risque. Comme ce n'est pas une considération, il ne reste plus grand chose à considérer.

[Non souligné dans l'original.]


Analyse

[9]                Dans la section intitulée « IP5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire » du manuel du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, sous le titre « Motifs d'ordre humanitaire » , on lit :

5.1 Motifs d'ordre humanitaire

Il incombe au demandeur de prouver au décideur que son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l'extérieur serait :

(i)             soit inhabituelle et injustifiée

(ii)            soit excessive.

Le demandeur peut exposer les faits qu'il juge pertinents, quels qu'ils soient.

Dans la même section du Manuel, il est noté que :

Toute décision CH favorable est une mesure d'exception en réponse à des circonstances particulières. Elle est plus complexe et subjective que la plupart des autres décisions d'immigration, parce que l'agent utilise son pouvoir discrétionnaire d'évaluer les circonstances personnelles du demandeur.

...

On appelle difficulté inhabituelle et injustifiée :

·                la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, inhabituelle ou, en d'autres termes, une difficulté non prévue à la Loi ou à son Règlement; et

·                la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances échappant au contrôle de cette personne.

...


Des motifs d'ordre humanitaire peuvent exister dans des cas n'étant pas considérés comme « inusités ou injustifiés » , mais dont la difficulté (de présenter une demande de visa de résident permanent à l'extérieur du Canada) aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres.

[10]            J'estime que des « difficultés » , selon le terme apparaissant dans l'extrait précédent du Manuel du ministère, peuvent découler d'un « risque » , même lorsque celui-ci est insuffisant pour justifier la protection à titre de réfugié. Je suis donc convaincu qu'il est erroné de dire, comme l'agente l'a fait, que « [l]e risque n'est pas une considération humanitaire » . C'est une considération pour évaluer les « difficultés » qui pourrait être « inhabituelle et injustifiée » ou « excessive » . Enfin, j'estime que l'agente a commis une erreur susceptible de révision en ne considérant pas le « risque » que la demanderesse encourrait si elle retournait en Albanie pour y demander l'établissement au Canada.

[11]            Ce qui précède ne signifie pas que le résultat de la demande de permission de la demanderesse pour solliciter l'établissement de l'intérieur du Canada serait finalement différent. Cela signifie simplement que, pour évaluer cette demande de permission, il faut prendre en compte le risque que la demanderesse encourrait, selon ses prétentions, si elle devait retourner en Albanie pour y faire une demande d'établissement.

Conclusion


[12]            Sur le fondement de la brève analyse qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la demande de permission pour solliciter l'établissement de l'intérieur du Canada, de la demanderesse, est renvoyée au défendeur pour qu'un agent différent reconsidère l'affaire et rende une nouvelle décision.

Certification d'une question

[13]            Les présents motifs seront communiqués aux avocats qui auront dix (10) jours à compter de la date de publication des motifs pour présenter à la Cour des observations écrites sur la question de savoir si la présente affaire soulève une question grave de portée générale qui devrait être certifiée. Les avocats sont invités à tenir une consultation avant de soumettre leurs observations.

[14]            Après réception des observations écrites, une ordonnance sera rendue.

             Frederick E. Gibson              

Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 24 juin 2005

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     IMM-5217-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         MELIHA BELULI    c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 21 JUIN 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 JUIN 2005

COMPARUTIONS :                       

Yehuda Levinson                                               POUR LA DEMANDERESSE

Matina Karvellas                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yehuda Levinson                                               POUR LA DEMANDERESSE

Levinson et associés

Avocats et conseils juridiques

Bureau 610

480 av. University

Toronto (Ontario)

M5G 1V2          

MINISTÈRE DE LA JUSTICE                        POUR LE DÉFENDEUR

130 rue King Ouest

Bureau 3400, boîte 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.