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Date : 20050808

Dossier : IMM-6881-04

Référence : 2005 CF 1067

ENTRE :

                                                LAKHWINDER SINGH DHILLON

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs font suite à l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle une agente du ministère défendeur a refusé la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir l'autorisation de solliciter au Canada, pour des motifs d'ordre humanitaire, la résidence permanente. La décision attaquée est datée du 20 juillet 2004.


LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur est un citoyen indien. Sa demande d'entrée au Canada en qualité de résident permanent, qu'il avait déposée à l'extérieur du Canada, a été refusée le 21 mai 1998. Il a néanmoins décidé de venir au Canada où il est arrivé le 21 octobre 1999, sans posséder aucun statut. Une ordonnance d'interdiction de séjour conditionnelle a été prononcée contre lui.

[3]                Le 4 janvier 2000, le demandeur a été déclaré admissible à déposer au Canada une demande d'asile à titre de réfugié au sens de la Convention. Sa demande d'asile a été rejetée le 13 décembre 2000. Ce rejet a déclenché l'entrée en vigueur de l'ordonnance d'interdiction de séjour conditionnelle prononcée contre lui.

[4]                Le 10 janvier 2001, le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'égard de la décision relative à son statut de réfugié au sens de la Convention. L'autorisation a été accordée et il a été fait droit à sa demande de contrôle judiciaire. Sa demande d'asile a donc été renvoyée pour nouvelle décision. Sa demande d'asile a été rejetée encore une fois. Une fois de plus, il a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui visait la seconde décision défavorable prise à l'égard de sa demande d'asile. Cette fois-ci, sa demande d'autorisation a été rejetée.


[5]                Entre-temps, le 30 mai 2002, le demandeur a déposé une demande d'autorisation de présenter au Canada une demande de résidence permanente pour des motifs d'ordre humanitaire. C'est la décision relative à cette demande qui fait l'objet de la présente instance. À l'appui de sa demande, l'avocate du demandeur a fait valoir qu'il a réussi à s'établir au Canada, qu'il y possède des liens familiaux étroits et qu'il craint d'être obligé de retourner en Inde. Le demandeur a de bons antécédents professionnels; il a été chaudement recommandé par son employeur et par ses collègues de travail. Il participe activement à la vie de sa collectivité. Ses parents et sa soeur sont bien établis au Canada.

[6]                Il a été admis que la femme et les trois enfants du demandeur sont demeurés en Inde, mais il a été signalé qu'il avait fui l'Inde pour protéger sa femme et ses enfants et qu'il craignait de mettre sa famille en danger en retournant en Inde. Depuis son arrivée au Canada, il envoie régulièrement de l'argent en Inde pour aider à subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants.

[7]                Les membres encore vivants de la famille du demandeur, qui comprennent sa mère, son père et une soeur, se trouvent au Canada. Le demandeur est le seul fils vivant de sa famille, son frère aîné ayant été tué par la police en Inde. Sa demande est appuyée par une lettre de son père dans laquelle celui-ci fait état de liens affectifs étroits avec son fils et affirme qu'il lui serait pénible que son fils soit obligé de retourner en Inde.


LA DÉCISION ATTAQUÉE

[8]                La décision attaquée figure dans une lettre qui fournit très peu d'éléments susceptibles d'expliquer la décision, mais elle est appuyée par des « Notes au dossier » qui portent à peu près la même date que la décision attaquée et qui expliquent cette décision[1].

[9]                Pour ce qui est de sa crainte de retourner en Inde et du risque qui y est associé, l'agente écrit ce qui suit :

[Traduction] Le client a présenté une demande de résidence permanente pour des raisons d'ordre humanitaire fondée sur ses possibilités d'établissement, l'existence de liens familiaux étroits et la crainte de retourner en Inde, retour qui, d'après lui, mettrait sa famille en danger. Le client affirme également craindre d'être tué, tout comme son frère l'a été en 1987, parce que son frère aurait eu des liens avec des militants. Une opinion relative au risque a été demandée. Une fois l'évaluation effectuée, le client a reçu un avis défavorable pour ce qui est du risque.

J'ai examiné l'évaluation du risque effectuée par l'agente Lee et j'ai estimé qu'elle était raisonnable. Le client n'a pas mentionné par la suite de facteurs de risque supplémentaires à part ceux qui avaient déjà été examinés. Je ne suis pas convaincue qu'il existe suffisamment de preuves pour pouvoir tirer une autre conclusion.

Il n'est pas contesté que le demandeur a eu la possibilité d'examiner l'opinion sur le risque sur laquelle l'agente s'est fondée et d'y répondre. Le demandeur s'est prévalu de cette possibilité, par l'intermédiaire de son avocate.

[10]            L'agente écrit ceci au sujet des « liens familiaux » et de la « dépendance affective » :


[Traduction] L'avocate affirme également que le client est non seulement le seul fils vivant de la famille mais que dans la culture des sikhs, le fils doit prendre soin de ses parents. Pour répondre à cette préoccupation, j'ai examiné l'engagement qu'a pris la soeur du client qui a parrainé ses parents à titre de membres de la catégorie de la famille en 1995. L'engagement oblige le répondant à subvenir aux besoins de ses parents. De plus, ce sont les parents du client qui ont décidé d'émigrer de l'Inde en y laissant leur fils unique.

Il est reconnu que même si le client a des liens familiaux au Canada, les liens qu'il possède à l'extérieur du Canada sont encore plus forts.

[11]            Pour ce qui est de l'établissement et de l'intégration dans la collectivité où vit le demandeur au Canada, l'agente écrit ce qui suit :

[Traduction] J'ai pris en considération le fait que le client a montré qu'il avait réussi en partie à s'intégrer au marché du travail canadien en travaillant comme rectifieur pour Canada Alloy Steel et comme conducteur de camion pendant quelques mois pour sa propre entreprise inscrite sous la dénomination APG Dhillon Trucking, entreprise constituée en société auprès d'Industrie Canada. Il a ensuite été réembauché par Canada Alloy Steel. Il a également montré qu'il avait réussi en partie à s'intégrer à la collectivité en travaillant comme bénévole pour la Golden Triangle Sikh Association, pour son temple, et en étudiant l'anglais. Je ne suis toutefois pas convaincue que le client se soit suffisamment intégré au Canada pour qu'il soit justifié de le soustraire aux conditions relatives au visa de résident permanent, comme l'énonce [le paragraphe 11(1) de] la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, compte tenu de l'ensemble de son dossier.

L'agente a déposé un affidavit dans la présente demande de contrôle judiciaire. Elle déclare ce qui suit au paragraphe 7 de son affidavit :

[Traduction] J'ai rendu ma décision en tenant compte de toutes les observations présentées par le demandeur à l'appui de sa demande : le risque qu'il courrait en Inde, les liens familiaux qu'il possède au Canada, son niveau d'établissement au Canada et l'affirmation selon laquelle il est un membre de facto de sa famille.

[12]            L'agente a subi un contre-interrogatoire au sujet de son affidavit. Je reviendrai plus tard sur ce contre-interrogatoire dans les présents motifs.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]            Dans le mémoire des faits et du droit qui accompagne la demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève une seule question. Elle est formulée de la façon suivante :

[Traduction] L'agente a-t-elle commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas tenu compte de toute la preuve et de toutes les circonstances et parce que ses motifs ne permettent pas de savoir sur quels éléments elle a fondé sa décision?

Le demandeur a déposé un autre mémoire des faits et du droit qui mentionne, de façon plus explicite, les questions en litige « supplémentaires » suivantes :

[TRADUCTION]

-            La décision est-elle manifestement déraisonnable du fait que l'agente n'a pas compris les lignes directrices qu'elle était tenue d'appliquer pour évaluer les difficultés?

-            L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en omettant d'énoncer des motifs adéquats à l'égard de sa conclusion selon laquelle le demandeur ne subirait pas de difficultés injustifiées?

-            L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur des enfants du demandeur se trouvant en Inde?

-           L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en tenant compte de facteurs non pertinents?


LE CADRE DÉCISIONNEL

[14]            La décision examinée ici a été prise en vertu des larges pouvoirs prévus au paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[2]. Ce paragraphe est rédigé comme suit :


25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.


[15]            Les décisions prises par les agents d'immigration aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sont encadrées par des lignes directrices émises par le ministre. Ces lignes directrices énoncent en partie ce qui suit :

Il incombe au demandeur de prouver au décideur que son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l'extérieur du Canada serait :

(i)             soit inhabituelle et injustifiée;

(ii)            soit excessive.

Le demandeur peut exposer les faits qu'il juge pertinents, quels qu'ils soient.

...


Toute décision CH favorable est une mesure d'exception en réponse à des circonstances particulières. Elle est plus complexe et plus subjective que la plupart des autres décisions d'immigration, parce que l'agent utilise son pouvoir discrétionnaire d'évaluer les circonstances personnelles du demandeur.

...

On appelle difficulté inhabituelle et injustifiée :

·                la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, inhabituelle ou, en d'autres termes, une difficulté non prévue à la Loi ou à son Règlement;

·                la difficulté (de devoir demander un visa de résident permanent hors du Canada) à laquelle le demandeur s'exposerait serait, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances échappant au contrôle de cette personne.

...

Des motifs d'ordre humanitaire peuvent exister dans des cas n'étant pas considérés comme « inusités ou injustifiés » , mais dont la difficulté (de présenter une demande de visa de résident permanent à l'extérieur du Canada) aurait des répercussions disproportionnées pour le demandeur, compte tenu des circonstances qui lui sont propres.

[16]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], la juge L'Heureux-Dubé a commenté les lignes directrices de la façon suivante au paragraphe 72 :


... Comme il est dit plus haut, les agents d'immigration sont censés rendre la décision qu'une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d'une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n'ont plus d'attaches. Les directives révèlent ce que le ministre considère comme une décision d'ordre humanitaire, et elles sont très utiles à notre Cour pour décider si les motifs de l'agent Lorenz sont valables. Elles soulignent que le décideur devrait être conscient des considérations humanitaires possibles, devrait tenir compte des difficultés qu'une décision défavorable imposerait au demandeur ou aux membres de sa famille proche, et devrait considérer comme un facteur important les liens entre les membres d'une famille. Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l'article, et le fait que cette décision était contraire aux directives est d'une grande utilité pour évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire.

ANALYSE

a)         La norme de contrôle

[17]            Le défendeur soutient que, compte tenu de la nature de l'enquête sur les considérations d'ordre humanitaire, de son rôle d'exception dans le régime législatif, du fait que le décideur soit le ministre, même s'il délègue cette responsabilité à un agent, et du pouvoir discrétionnaire très large qui lui est accordé, comme l'indique le libellé du paragraphe 25(1) de la Loi et les lignes directrices ministérielles, les tribunaux doivent faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions prises par les agents lorsqu'ils exercent le pouvoir délégué de prendre des décisions fondées sur des considérations d'ordre humanitaire. C'est pourquoi le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à ces décisions est celle de la décision raisonnable simpliciter. À l'appui de cette affirmation, le défendeur cite l'arrêt Baker, précité. L'avocate du demandeur ne conteste pas l'affirmation qui précède. Je souscris à l'affirmation du défendeur.

[18]            L'analyse qui précède ne s'applique pas à la question du caractère adéquat des motifs de la décision. Cette question doit s'apprécier en fonction de son bien-fondé sans faire référence à la notion de norme de contrôle.


b)         L'omission de correctement prendre en considération l'ensemble de la preuve et des circonstances qui se rapportent à la demande

[19]            Sur ce point, l'avocate du demandeur soutient que l'agente n'a pas, notamment, véritablement pris en considération les éléments de preuve qui lui ont été présentés au sujet de la forte dépendance émotive qui existait entre le demandeur et son père, en raison du fait que le demandeur était le seul enfant mâle encore vivant de sa famille, compte tenu du décès en Inde du frère du demandeur.

[20]            Je rejette cet argument. L'agente a effectivement tenu compte des éléments de preuve présentés concernant cette dépendance, y compris la lettre envoyée par le père du demandeur, mais elle a décidé d'apprécier la preuve de façon défavorable au demandeur. En fait, l'agente a décidé de privilégier les éléments de preuve qui indiquaient que les parents du demandeur avaient décidé de venir au Canada en étant parrainés par leur fille, en laissant leur seul fils vivant en Inde, plutôt que ceux indiquant que les parents du demandeur, en particulier son père, étaient très dépendants du demandeur, comme le veut la tradition. J'estime qu'il était tout à fait loisible à l'agente d'apprécier les éléments de preuve comme elle l'a fait, en particulier, compte tenu du large pouvoir discrétionnaire qui lui est attribué.


[21]            La question du caractère « adéquat » ou « inadéquat » des motifs est combinée à la question soulevée dans le mémoire des faits et du droit du demandeur, mais elle est soulevée de façon plus directe dans le mémoire supplémentaire du demandeur. Je l'aborderai plus loin dans les présents motifs.

c)          Le fait que l'agente a mal compris les lignes directrices ministérielles applicables

[22]            L'avocate du demandeur a soutenu qu'au cours du contre-interrogatoire au sujet de son affidavit, l'agente n'a pas fourni des réponses claires aux questions concernant l'interprétation des expressions « difficulté inhabituelle » , « difficulté injustifiée » et « difficulté disproportionnée » , comme elles sont utilisées dans les lignes directrices ministérielles. L'avocate elle-même a reconnu, à la question 24 de la transcription de l'interrogatoire de l'agente, qu'elle savait que [Traduction] « ... ces expressions ne sont pas vraiment très bien définies » . Il est exact qu'elles ne sont pas « très bien définies » . J'estime que l'agente a eu tout à fait raison de souligner que ces expressions n'ont pas un sens absolu, que l'agent dispose d'une grande latitude pour apprécier les éléments de preuve portant sur ces diverses expressions et pour les appliquer aux faits d'une demande particulière, et qu'il appartient à l'agent de se prononcer au sujet de la demande, là encore en se fondant sur les faits particuliers de chaque demande et sur la force probante qu'il convient de leur attribuer. Je suis tout à fait en faveur de la position qu'a adoptée l'agente au cours de son contre-interrogatoire et j'estime qu'elle n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle pour ce qui est de la compréhension des lignes directrices et de leur application aux faits de la demande.


d)         Le caractère adéquat des motifs

[23]            L'avocate du demandeur a cité l'arrêt Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports et al.[4] dans lequel le juge Sexton, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit ce qui suit aux paragraphes 17 à 19 :

L'obligation de produire des motifs est salutaire. Les motifs visent plusieurs fins utiles, dont celle de concentrer l'attention du décideur sur des facteurs et des éléments de preuve pertinents. Pour reprendre les termes de la Cour suprême du Canada :

On a soutenu que la rédaction de motifs favorise une meilleure prise de décision en ce qu'elle exige une bonne formulation des questions et du raisonnement et, en conséquence, une analyse plus rigoureuse. Le processus de rédaction des motifs d'une décision peut en lui-même garantir une meilleure décision.

Les motifs garantissent aussi aux parties que leurs observations ont été prises en considération.

De plus, les motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d'appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d'appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l'organisme d'appel ou de révision d'établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme. Cet aspect est particulièrement important lorsque la décision est assujettie à une norme d'examen fondée sur la retenue.

                                                                                                                       [citation omise]

Le bref passage cité par le juge Sexton est tiré de l'arrêt Baker, précité. Là encore, dans Baker, la Cour indique clairement que les notes de l'agent, comme les notes sur lesquelles est fondée la décision contestée en l'espèce, constituent les « motifs » de l'agent.


[24]            Les agents assument une lourde responsabilité à l'égard des décisions comme celle dont il est question ici. En l'espèce, il n'incombait pas à l'agente de comparer la façon selon laquelle elle avait apprécié les éléments de preuve présentés avec le critère qu'elle était tenue d'appliquer à d'autres décisions qu'elle ou d'autres auraient pu prendre. En fait, il lui incombait simplement de montrer dans ses motifs qu'elle avait pris en considération tous les éléments de preuve présentés et qu'elle n'avait pas tenu compte de facteurs non pertinents. Il ne lui appartenait pas de rechercher des éléments de preuve supplémentaires qui auraient pu influencer sa décision. Dans le cas d'une demande comme celle qui a été présentée à l'agente, le fardeau de la preuve appartient au demandeur. J'estime que les motifs énoncés par l'agente étaient adéquats. Il importe peu qu'une autre personne, comme le demandeur ou son avocate, aurait pu apprécier les éléments de preuve différemment.

e)          L'omission de tenir compte de l'intérêt supérieur des enfants du demandeur se trouvant en Inde


[25]            L'avocate du demandeur a mentionné que, dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a statué que l'agent qui examine une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants en question et que lorsqu'un agent minimise l'intérêt des enfants et n'en tient pas compte, sa décision est déraisonnable. L'avocate a également mentionné que le paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, précité, ne limite pas l'étendue de l' « intérêt supérieur » des enfants seulement aux enfants nés au Canada ou qui s'y trouvent physiquement. Pour appuyer cette dernière proposition, l'avocate cite la décision que j'ai rendue dans l'affaire Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5].

[26]            Selon les éléments de preuve qui avaient été présentés à l'agente, j'estime qu'elle était « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt supérieur des enfants du demandeur se trouvant en Inde. Elle a mentionné que le demandeur fournissait un soutien financier à sa femme et à ses enfants en Inde. Lors du contre-interrogatoire sur son affidavit, elle a mentionné qu'aucune preuve ne lui avait été présentée à l'égard de la façon selon laquelle l'argent fourni était dépensé en Inde, ni à l'égard de la question de savoir si ce soutien financier était essentiel pour subvenir aux besoins fondamentaux des enfants. Elle a mentionné en outre qu'étant donné que le demandeur se trouvait au Canada, il n'était certainement pas en mesure de fournir un appui affectif ou physique à ses enfants. En fin de compte, j'estime que sa conclusion selon laquelle il était préférable que le demandeur vive avec sa famille en Inde plutôt qu'au Canada avec ses parents ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Comme cela a été mentionné précédemment, dans le cas d'une demande comme celle qui nous occupe, le fardeau de la preuve incombe au demandeur et celui-ci, d'après le dossier présenté à l'agente, n'a fourni aucune preuve indiquant que le soutien financier qu'il fournissait à sa femme et à ses enfants en Inde jouait un rôle central ou même essentiel quant à leur survie ni aucune preuve montrant qu'il ne serait pas en mesure de leur fournir un soutien financier équivalent s'il travaillait en Inde.


f)           La prise en compte de facteurs non pertinents

[27]            L'avocate du demandeur a soutenu que l'agente a tenu compte de facteurs non pertinents pour rendre la décision examinée en l'espèce, en particulier, du dossier du demandeur en matière d'immigration et de la décision défavorable dont a fait l'objet sa demande d'asile au Canada, et du choix qu'ont fait les parents du demandeur de quitter l'Inde en se faisant parrainer par leur fille pour venir au Canada, se privant ainsi de l'appui qu'aurait pu leur donner le demandeur, leur seul fils vivant demeurant en Inde. Je ne suis pas convaincu, en toute déférence, que les éléments qui précèdent, qui ont été pris en considération par l'agente, soient dépourvus de toute pertinence. Le premier de ces éléments concernait la question du risque que courrait le demandeur s'il était renvoyé en Inde et le second portait sur la question de « la dépendance affective » des parents du demandeur. Ces deux éléments ont été soulevés pour le compte du demandeur dans les documents présentés à l'agente.

g)          La dépendance affective


[28]            Enfin, l'avocate du défendeur a soutenu que cette question, à savoir la dépendance affective des parents du demandeur envers ce dernier pendant qu'il se trouve au Canada, n'a pas été soulevée expressément dans la présente demande de contrôle judiciaire. L'avocate du demandeur a soutenu, dans ses observations en réponse, que cette question [Traduction] « était clairement abordée, tant implicitement qu'explicitement » dans ses observations. J'estime que cette question a été soulevée de façon au moins « implicite » dans les observations, même si elle n'a pas fait l'objet d'une formulation distincte. Là encore, j'estime que cet aspect a été examiné et a donné lieu à une décision défavorable au demandeur, dans l'analyse qui précède.

CONCLUSION

[29]            Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

LA CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[30]            Les présents motifs seront distribués sans être accompagnés d'une ordonnance. Les avocates auront 10 jours, à partir de la date des présents motifs, pour examiner la question de la certification d'une question, se consulter et présenter par la suite les observations qu'elles estiment appropriées. Une fois ce délai écoulé, la Cour examinera les observations présentées et prononcera une ordonnance disposant de l'affaire, avec ou sans certification d'une question, selon ce que la Cour estimera approprié.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _            

                                                                                                     Juge                           

Ottawa (Ontario)

Le 8 août 2005

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-6881-04

INTITULÉ :                                       LAKHWINDER SINGH DHILLON

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg                           POUR LE DEMANDEUR

Sharon Stewart Guthrie              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DÉFENDEUR



[1]         Dossier du tribunal, pages 12 à 16.

[2]         L.C. 2001, ch. 27.

[3]         [1999] 2 R.C.S. 817.

[4]         [2001] 2 C.F. 25 (CA).

[5] [2003] 3 C.F. 172; confirmée pour d'autres motifs [2004] A.C.F. no 158 (CA).

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