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Date : 20021107

Dossier : IMM-5340-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1150

Ottawa (Ontario), le jeudi 7 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                             TU VAN NGO

                                                                                              demanderesse

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Mme Ngo soumet la présente demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision par laquelle le gestionnaire du programme d'immigration, au bureau du Haut-commissariat du Canada, à Singapour, a conclu qu'il n'existait suffisamment de raisons d'ordre humanitaire justifiant qu'il exerce favorablement à la demanderesse le pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé en application de l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement). Cet article prévoyait ce qui suit :


2.1 Le ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière.

2.1 The Minister is hereby authorized to exempt any person from any regulation made under subsection 114(1) of the Act or otherwise facilitate the admission to Canada of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.


LES FAITS

[2]                 Mme Ngo est actuellement âgée de 30 ans. Elle est le seul membre de sa famille immédiate qui vit encore au Vietnam. Son père, sa mère et son frère ont immigré au Canada en 1999 après avoir été parrainés par la soeur de Mme Ngo. Il n'était pas possible d'inclure Mme Ngo dans la demande parrainée par sa soeur parce qu'elle n'était plus un enfant à charge selon la définition du Règlement.


[3]                 Les parents de Mme Ngo ont donc décidé d'exclure Mme Ngo de la demande parrainée par leur fille afin d'éviter que cette demande soit rejetée au motif que Mme Ngo n'était pas un enfant à charge. La preuve non contestée démontre que les membres de la famille voulaient que Mme Ngo vienne au Canada en bénéficiant d'un visa d'étudiant. Compte tenu de ses projets, le père de Mme Ngo a vendu la résidence familiale et la machine à coudre qui assurait les revenus de la famille. Cependant, Mme Ngo n'a pas pu obtenir un visa d'étudiant lui permettant d'accompagner sa famille au Canada.

[4]                 Mme Ngo a alors présenté une demande de résidence permanente au Canada. Elle a rempli le formulaire requis pour présenter une demande dans la catégorie d'immigrant indépendant en tant que parente aidée. Elle a en outre sollicité que sa demande soit évaluée sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire.

[5]                 Mme Ngo affirme avoir vécu des années très difficiles depuis que sa famille a quitté le Vietnam. Elle est d'origine chinoise et à cet égard elle subit de la discrimination de façon générale et, plus particulièrement, lorsqu'elle présente des demandes d'emploi. Elle affirme qu'en tant que femme célibataire qui vit sans la protection de sa famille, elle fait l'objet de harcèlement sexuel et de menaces d'agressions sexuelles et d'enlèvement. Depuis qu'elle a obtenu son diplôme en comptabilité en août 1998, elle n'a eu qu'un seul emploi, à temps partiel, durant une période de trois mois.


[6]                 Le désir de Mme Ngo de venir au Canada est en outre motivé par l'état de santé de ses parents. Le père de la demanderesse a subi en 1996 un accident vasculaire cérébral et est paralysé d'un côté. Sa mère a été gravement brûlée dans un accident survenu en 1999. La soeur de Mme Ngo qui vit au Canada doit s'occuper de ses parents en plus de travailler à plein temps. Les membres de la famille de Mme Ngo affirment qu'ils ont besoin qu'elle vienne au Canada afin qu'elle puisse aider sa soeur à avoir soin de leurs parents.

L'ENTREVUE ET LA DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS

[7]                 Un agent des visas a reçu Mme Ngo en entrevue le 10 mai 2001. L'entrevue a eu lieu en vietnamien avec l'aide d'un interprète. Mme Ngo a fourni des renseignements relativement à ses études et à ses expériences de travail, à sa famille, aux circonstances du départ de sa famille du Vietnam, à son logement, à son inquiétude quant à la précarité de son logement, à la discrimination subie, à ce qui dans sa vie lui faisait peur, à la santé de ses parents, et au fait que sa soeur n'avait pas de soutien pour les soins à leurs parents.

[8]                 Au cours de l'entrevue, Mme Ngo a soumis un document relatif au registre des ménages, connu sous le sigle « HHR » , qui mentionnait qu'elle vivait avec son oncle dans une maison. La demanderesse a dit que son oncle vivait depuis un certain temps dans un refuge. À l'égard de son logement, Mme Ngo a, dans sa demande de résidence permanente, déclaré que lorsque les membres de sa famille ont appris qu'ils pourraient aller au Canada, ils ont vendu la maison à un voisin qui a alors accepté que la demanderesse continue à demeurer dans la maison à la condition qu'elle paie un loyer. Cependant, il s'agissait d'une entente de courte durée parce que le nouveau propriétaire avait acheté la maison dans le but de la revendre et de faire un profit. C'est pourquoi Mme Ngo disait que son logement était un logement précaire.


[9]                 Après l'entrevue, l'agent des visas et l'interprète ont discuté de ce qui avait été dit au cours de l'entrevue de Mme Ngo. Les notes du STIDI mentionnent ce qui suit :

[TRADUCTION]

Je note qu'après l'entrevue j'ai examiné le registre des ménages et d'autres documents et que j'en ai discuté avec l'interprète. Il est plutôt bizarre que la demanderesse ait encore un HHR valide pour elle et la maison ­ il s'agit d'un document important et on pourrait s'attendre à ce que la nouvelle famille propriétaire, qui selon la demanderesse a acheté la maison, ait maintenant procédé à l'inscription. Cela pourrait être compliqué si elle ne le fait pas. En date du 5 août 2001, le HHR ne mentionne que la demanderesse et son oncle (en refuge). Je note en outre que la demanderesse a soumis une copie d'un BAIL par lequel son père a pris possession de la maison (propriété du gouvernement, non pas la sienne comme on le prétendait, quoique pour une longue période). La demanderesse n'a fourni aucun document modificatif ou de sous-bail signé par le soi-disant nouveau propriétaire. Il n'y a aucune preuve que sa situation dans la maison (c'est-à-dire de fille du propriétaire à locataire) a changé pour le pire comme elle l'a prétendu.

[10]            L'agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente présentée par Mme Ngo en tant que parente aidée parce que Mme Ngo n'a pas obtenu un nombre suffisant de points d'appréciation pour être admise en tant qu'immigrante au Canada. Compte tenu de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, le dossier a alors été transmis au gestionnaire du programme pour qu'il rende une décision sur la question de savoir si l'admission de Mme Ngo au Canada devrait être facilitée pour des raisons d'ordre humanitaire.

LA DÉCISION DU GESTIONNAIRE DU PROGRAMME

[11]            Le gestionnaire du programme a inscrit sa décision dans les notes du STIDI comme suit :


[TRADUCTION]

Après un examen approfondi de toute la documentation contenue au dossier et des notes de l'agent ayant procédé à l'entrevue, je ne suis pas convaincu qu'il existe des raisons d'ordre humanitaire qui justifieraient que j'exerce le pouvoir discrétionnaire en application de l'article 2.1 du Règlement. La demanderesse est âgée de presque 29 ans, a déjà occupé un emploi et elle et les membres de sa famille ont été informés qu'elle n'était pas une personne à charge pouvant être incluse dans la demande de ses parents et qu'ils pourraient être séparés de façon permanente s'ils émigraient et qu'elle restait au Vietnam. Je ne suis pas convaincu qu'elle aurait de grandes difficultés à satisfaire ses besoins financiers et affectifs si elle n'avait pas l'aide de son unité familiale au Canada.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Trois questions en litige sont soulevées par Mme Ngo à l'égard de la décision du gestionnaire du programme d'immigration, soit :

1.    Le gestionnaire du programme avait-il compétence pour examiner la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire?

2.    L'omission du gestionnaire du programme d'avoir reçu Mme Ngo en entrevue et l'omission de l'agent des visas d'avoir discuté avec Mme Ngo des inférences défavorables tirées au cours de l'entrevue ou après cette entrevue constituent-elles des violations de l'obligation d'agir équitablement?

3.    Le gestionnaire du programme a-t-il omis de tenir compte de faits importants en rendant sa décision?


ANALYSE

i) Le gestionnaire du programme avait-il compétence pour examiner la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire?

[13]            Mme Ngo prétend essentiellement que l'agent des visas aurait dû examiner sa demande sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire et que, en tant que représentant du ministre, l'agent des visas ne pouvait pas sous-déléguer son pouvoir au gestionnaire du programme. Cette prétention est fondée sur l'analyse des dispositions ci-après mentionnées de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi).

[14]            Le paragraphe 114(2) de la Loi était rédigé comme suit :


114(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.


[15]            L'article 37 de la Loi prévoyait :


37. (1) Le ministre peut délivrer un permis autorisant :

a) à entrer au Canada, les personnes faisant partie d'une catégorie non admissible;

b) à y demeurer, les personnes se trouvant au Canada qui font l'objet ou sont susceptibles de faire l'objet du rapport prévu au paragraphe    27(2).

37. (1) The Minister may issue a written permit authorizing any person to come into or remain in Canada if that person is

(a) in the case of a person seeking to come into Canada, a member of an inadmissible class; or

(b) in the case of a person in Canada, a person with respect to whom a report has been or may be made under subsection 27(2).



[16]            Le document 1 des Documents de délégation généraux, du Guide d'immigration, chapitre    IL 3, déléguait aux agents au Canada et aux gestionnaires à l'étranger le pouvoir conféré au ministre aux termes de l'article 2.1 du Règlement.

[17]            On prétend que l'alinéa 37(1)a) et le paragraphe 114(2) de la Loi étaient tous deux inclus dans la Loi lorsque le texte original est entré en vigueur en 1978. L'article 2.1 du Règlement a ensuite été édicté en 1993 et on dit qu'il a fait perdre de vue la distinction qui existait entre le paragraphe 114(2) et l'article 37 de la Loi. L'article 2.1 du Règlement a étendu les pouvoirs du ministre en lui permettant de décider d'admettre au Canada une personne à titre temporaire (paragraphe 37(1)) ou à titre permanent (paragraphe 114(2)).


[18]            La pertinence de ce qui précède est censément qu'une personne qui présente une demande à un bureau des visas à l'étranger, mais qui fait partie d'une catégorie non admissible parce qu'elle ne remplit pas les conditions de la Loi ou du Règlement imposées à tous les immigrants, pourrait être admise au Canada suivant une décision d'un agent principal d'immigration en vertu du paragraphe 37(1) ou du paragraphe 114(2) de la Loi. Un agent des visas n'a pas compétence pour décider d'admettre un tel immigrant. Toutefois, lorsqu'un immigrant remplit toutes les conditions générales de la Loi, mais n'entre dans aucun des programmes qui permettent son admission au Canada, l'agent des visas a soi-disant un pouvoir discrétionnaire résiduel lui permettant d'admettre cet immigrant pour des raisons d'ordre humanitaire. Il doit, selon ce qu'on prétend, y avoir eu un défaut de remplir une condition générale de la Loi avant qu'un agent principal ait compétence pour rendre une décision en se fondant sur des raisons d'ordre humanitaire.

[19]            On prétend que si, contrairement à la prétention précédemment mentionnée, il est exact qu'une personne qui remplit les conditions générales de la Loi et du Règlement, mais non les conditions supplémentaires d'un programme en particulier (par exemple le programme de parent aidé), ne peut être admise au Canada qu'en application du paragraphe 114(2) et de l'article 2.1 du Règlement, alors il serait logique qu'avant 1993 une telle personne ne pouvait être admise au Canada que par décret. Il ne s'agit pas, semble-t-il, que ce soit le cas et on prétend qu'avant 1993 les agents des visas avaient le pouvoir d'admettre au Canada, à titre permanent, des personnes en se fondant sur des raisons d'ordre humanitaire.

[20]            Par conséquent, on prétend au nom de Mme Ngo que c'est, soi-disant, l'agent des visas, et non le ministre ou son représentant, qui a le pouvoir discrétionnaire résiduel d'admettre des personnes, incluant Mme Ngo, en se fondant sur des raisons d'ordre humanitaire.


[21]            Dans le but de faire valoir qu'elle n'a pas omis de remplir les conditions générales de la Loi, Mme Ngo prétend que le Règlement n'exige pas que tous ceux qui présentent une demande d'immigration obtiennent 65 (ou 70) points d'appréciation. Mme Ngo mentionne le paragraphe 10(1) du Règlement qui, en majeure partie (étant donné qu'elle n'avait pas l'intention de résider au Québec), était rédigé comme suit :


10. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (1.2) et de l'article 11, lorsqu'un parent aidé présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'aux personnes à sa charge qui l'accompagnent si les conditions suivantes sont réunies :

10. (1) Subject to subsections (1.1) and (1.2) and section 11, where an assisted relative makes an application for an immigrant visa, a visa officer may issue an immigrant visa to the assisted relative and accompanying dependants of the assisted relative if

a) le parent aidé et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement;

(a) he and his dependants, whether accompanying dependants or not, are not members of any inadmissible class and otherwise meet the requirements of the Act and these Regulations;

b) dans le cas du parent aidé qui entend résider au Canada ailleurs qu'au Québec, sur la base de l'appréciation visée à l'article 8, le parent aidé obtient au moins 65 points d'appréciation.

(b) in the case of an assisted relative who intends to reside in a place other than the Province of Quebec, on the basis of an assessment made in accordance with section 8, the assisted relative is awarded at least 65 units of assessment.


[22]            Mme Ngo prétend ensuite que bien qu'une personne qui obtient 65 points d'appréciation puisse être admise au Canada, il n'y a rien qui stipule que l'admission au Canada doit être refusée à une personne qui n'obtient pas 65 points. Le règlement a soi-disant fait une distinction entre le seuil de 65 points (mentionné à l'alinéa 10(1)b)) et les conditions générales de la Loi et du Règlement (mentionnées à l'alinéa 10(1)a)). Par conséquent, Mme Ngo prétend que l'obtention de 65 points est une condition que doit remplir une personne pour être admise au Canada à titre de parente aidée. Il ne s'agit pas d'une condition qui s'applique à tous les immigrants indépendamment du fondement de leur demande.


[23]            La nature résiduelle du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas ressort soi-disant au paragraphe 9(4) de la Loi qui était la seule disposition qui conférait le pouvoir de délivrer un visa. Le paragraphe 9(4) prévoyait :


9(4) Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements. [Non souligné dans l'original.]

9(4) Subject to subsection (5), where a visa officer is satisfied that it would not be contrary to this Act or the regulations to grant landing or entry, as the case may be, to a person who has made an application pursuant to subsection (1) and to the person's dependants, the visa officer may issue a visa to that person and to each of that person's accompanying dependants for the purpose of identifying the holder thereof as an immigrant or a visitor, as the case may be, who, in the opinion of the visa officer, meets the requirements of this Act and the regulations. [underlining added]


[24]            On prétend donc qu'un agent des visas a deux décisions à prendre lorsqu'il examine une demande. Il doit d'abord trancher la question de savoir si le demandeur remplit les conditions de la Loi et du Règlement. Il doit ensuite trancher la question de savoir s'il y a lieu pour lui d'exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa. Le fait pour un demandeur de visa de remplir les conditions de la Loi et du Règlement ne lui donne pas semble-t-il le droit d'être admis. L'observation des conditions constitue plutôt le franchissement d'un seuil permettant au demandeur d'être admis. La question de savoir si une personne est admise ou non dépend de la façon dont l'agent des visas exerce son pouvoir discrétionnaire.


[25]            Bien que le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas soit exercé en fonction du Règlement, il semble que les critères qui sont prévus au Règlement n'épuisent pas ce pouvoir. Selon ce que prétend Mme Ngo, si le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas se limitait à délivrer des visas aux personnes qui remplissent les conditions des programmes réglementaires, alors le pouvoir discrétionnaire de l'agent serait indûment entravé. Par conséquent, même si un demandeur ne remplit les conditions d'admission d'aucun des programmes établis dans le Règlement, il peut néanmoins être admis au Canada si l'agent des visas exerce favorablement son pouvoir discrétionnaire. L'un des fondements de l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel, en accord avec les buts et les principes de la Loi, est soi-disant l'admission pour des raisons d'ordre humanitaire.   

[26]            Il est nécessaire, pour analyser les prétentions détaillées de Mme Ngo, de tenir compte de l'ensemble des dispositions de la Loi et du Règlement. Les paragraphes    9(1), 9(2) et 9(4) de la Loi prévoyaient ce qui suit :


9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

[...]

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

[...]

(2) Le cas du demandeur de visa d'immigrant est apprécié par l'agent des visas qui détermine si le demandeur et chacune des personnes à sa charge semblent répondre aux critères de l'établissement.

[...]

(2) An application for an immigrant's visa shall be assessed by a visa officer for the purpose of determining whether the person making the application and every dependant of that person appear to be persons who may be granted landing.

[...]


(4) Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements.

(4) Subject to subsection (5), where a visa officer is satisfied that it would not be contrary to this Act or the regulations to grant landing or entry, as the case may be, to a person who has made an application pursuant to subsection (1) and to the person's dependants, the visa officer may issue a visa to that person and to each of that person's accompanying dependants for the purpose of identifying the holder thereof as an immigrant or a visitor, as the case may be, who, in the opinion of the visa officer, meets the requirements of this Act and the regulations.


[27]            L'effet de ces dispositions est qu'une personne hors du Canada qui souhaite devenir un résident permanent du Canada doit déposer une demande de visa avant de se présenter à un point d'entrée. La demande est alors examinée par un agent des visas qui décidera si le demandeur a le droit d'obtenir un visa d'immigrant. L'agent des visas peut, lorsqu'il est convaincu qu'il ne serait pas contraire à la Loi ou au Règlement d'accorder le droit d'établissement, délivrer un visa identifiant le titulaire du visa comme une personne qui semble remplir les conditions de la Loi et du Règlement.

[28]            Il est pertinent en l'espèce, avant de commencer à examiner l'exercice auquel un agent des visas doit procéder afin de s'acquitter des obligations prévues au paragraphe 9(4) de la Loi, de noter que le formulaire de demande que Mme Ngo a rempli était le formulaire utilisé pour une demande dans la catégorie d'immigrant indépendant. Mme Ngo a rempli la partie de ce formulaire qui se rapportait à la personne qui offrait de l'aider après son arrivée au Canada.


[29]            Le fait d'avoir rempli cette partie suffisait, à mon avis, à rendre applicables les dispositions du Règlement qui traitent des parents aidés. Bien que Mme Ngo prétende qu'elle n'a pas présenté de demande dans la catégorie de parents aidés, et en fait affirme n'avoir présenté une demande dans aucun programme (mais avoir simplement présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire), je suis convaincue qu'aux fins d'analyse de la Loi et du Règlement, il est approprié d'examiner les dispositions du Règlement qui traitent des parents aidés.

[30]            Les dispositions pertinentes du Règlement étaient par conséquent les paragraphes 8(1), 10(1), 11(1) et 11(3). Ils étaient rédigés comme suit :


8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :

8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

a) dans le cas d'un immigrant qui n'est pas visé aux alinéas b) ou c), suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I;

(a) in the case of an immigrant, other than an immigrant described in paragraph (b) or (c), on the basis of each of the factors listed in column I of Schedule I;

b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;

(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;

c) dans le cas d'un entrepreneur, d'un investisseur ou d'un candidat d'une province, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf ceux visés aux articles 4 et 5 de cette annexe;

(c) in the case of an entrepreneur, an investor or a provincial nominee, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factors set out in items 4 and 5 thereof.

d) [Abrogé, DORS/85-1038, art. 3]

e) [Abrogé, DORS/91-433, art. 3]

[...]

(d) [Repealed, SOR/85-1038, s. 3]

(e) [Repealed, SOR/91-433, s. 3]

[...]


10. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (1.2) et de l'article 11, lorsqu'un parent aidé présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'aux personnes à sa charge qui l'accompagnent si les conditions suivantes sont réunies :

10. (1) Subject to subsections (1.1) and (1.2) and section 11, where an assisted relative makes an application for an immigrant visa, a visa officer may issue an immigrant visa to the assisted relative and accompanying dependants of the assisted relative if

a) le parent aidé et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement;

(a) he and his dependants, whether accompanying dependants or not, are not members of any inadmissible class and otherwise meet the requirements of the Act and these Regulations;

b) dans le cas du parent aidé qui entend résider au Canada ailleurs qu'au Québec, sur la base de l'appréciation visée à l'article 8, le parent aidé obtient au moins 65 points d'appréciation;

b.1) [Abrogé, DORS/91-157, art. 5]

(b) in the case of an assisted relative who intends to reside in a place other than the Province of Quebec, on the basis of an assessment made in accordance with section 8, the assisted relative is awarded at least 65 units of assessment; and

(b.1) [Repealed, SOR/91-157, s. 5]

c) dans le cas du parent aidé qui entend résider au Québec, le ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration de cette province est d'avis, d'après le présent règlement ou les règlements d'application de la Loi sur le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (L.R.Q. 1977, ch. M-23.1), compte tenu de leurs modifications successives, que le parent aidé pourra réussir son installation dans cette province.

(c) in the case of an assisted relative who intends to reside in the Province of Quebec, the Minister of Cultural Communities and Immigration of that Province is of the opinion based on these Regulations or regulations made under An Act respecting the Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (R.S.Q., 1977, c. M-23.1), as amended from time to time, that the assisted relative will be able to become successfully established in that Province.

d) [Abrogé, DORS/93-44, art. 7]

[...]

(d) [Repealed, SOR/93-44, s. 7]

[...]

11. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), l'agent des visas ne peut délivrer un visa d'immigrant selon les paragraphes 9(1) ou 10(1) ou (1.1) à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I et qui n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur visé à l'article 3 de cette annexe, à moins que l'immigrant :

11. (1) Subject to subsections (3) and (5), a visa officer shall not issue an immigrant visa pursuant to subsection 9(1) or 10(1) or (1.1) to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in column I of Schedule I and is not awarded any units of assessment for the factor set out in item 3 thereof unless the immigrant

a) n'ait un emploi réservé au Canada et ne possède une attestation écrite de l'employeur éventuel confirmant qu'il est disposé à engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l'agent des visas ne soit convaincu que l'intéressé accomplira le travail voulu sans avoir nécessairement de l'expérience; ou

(a) has arranged employment in Canada and has a written statement from the proposed employer verifying that he is willing to employ an inexperienced person in the position in which the person is to be employed, and the visa officer is satisfied that the person can perform the work required without experience; or


b) ne possède les compétences voulues pour exercer un emploi dans une profession désignée, et ne soit disposé à le faire.

[...]

(b) is qualified for and is prepared to engage in employment in a designated occupation.

[...]

11(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

11(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or


b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.


[31]            Passons à l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 9(4) de la Loi dans le contexte du cadre de réglementation. La nature de cet exercice du pouvoir discrétionnaire a été analysée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 266 N.R. 119 (C.A.F.). Mme le juge Sharlow a déclaré ce qui suit aux paragraphes 18 à 25 :

18             Un agent des visas qui s'acquitte de la tâche prévue au paragraphe 9(4) doit en premier lieu apprécier les qualités du demandeur. La plupart du temps, le demandeur doit répondre aux critères de sélection applicables aux immigrants tels qu'ils sont énoncés dans le Règlement sur l'immigration de 1978. Les critères de sélection sont destinés à permettre de déterminer si l'immigrant peut réussir son installation au Canada et la mesure dans laquelle il peut le faire. La sélection est faite au moyen de l'attribution de points pour un certain nombre de facteurs. La personne qui est un « parent aidé » au sens de la définition, comme l'étaient les deux appelantes ici en cause, répondrait aux critères de sélection si elle obtenait 65 points, c'est-à-dire cinq points de moins que le nombre de points qu'une personne qui n'est pas un parent aidé doit obtenir.


19             Dans le cadre d'une enquête connexe distincte, l'agent des visas doit déterminer si le demandeur appartient à l'une des catégories de personnes qui doivent se voir refuser l'admission. Il y a deux catégories de personnes non admissibles, à savoir celles qui sont désignées au paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, qui ne peuvent tout simplement pas être admises au Canada, et celles qui sont désignées au paragraphe 19(2), qui sont en général non admissibles, mais qui peuvent, dans certaines circonstances, être autorisées à entrer au Canada pour une période d'au plus 30 jours.

20             Parmi les personnes non admissibles désignées au paragraphe 19(1), il y a les personnes qui sont atteintes de certaines invalidités physiques ou mentales, celles qui n'ont pas la capacité ou la volonté de subvenir à leurs besoins, celles qui ont commis certains genres d'infractions criminelles, celles qui sont membres de certaines organisations criminelles ou celles qui constituent un danger envers la sécurité. Il n'est pas soutenu que l'une ou l'autre des appelantes n'est pas admissible en vertu du paragraphe 19(1).

21             La liste des catégories de personnes non admissibles figurant au paragraphe 19(2) comprend les personnes qui ont des casiers judiciaires moins sérieux. Elle comprend également une catégorie « fourre-tout » , à l'alinéa 19(2)d) :

(2)            Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui :

[...]

(d)            soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.

* * *

(2)            No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

[...]

(d)            persons who cannot or do not fulfil or comply with any of the conditions or requirements of this Act or the regulations or any orders or directions lawfully made or given under this Act or the regulations.




22             Ainsi, une personne qui ne répond pas aux critères de sélection pourrait, pour ce motif, appartenir à une catégorie de personnes non admissibles conformément à l'alinéa 19(2)d). Toutefois, il ne s'agit pas d'une conclusion inévitable. Une personne qui ne répond pas aux critères de sélection peut demander une dispense en vertu du paragraphe 114(2), qui se lit comme suit :

114(2)      Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

* * *

114(2)      The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

23             L'article 2.1 du Règlement, qui se lit comme suit, donne effet à cette disposition :

2.1 Le ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière.

* * *

2.1 The Minister is hereby authorized to exempt any person from any regulation made under subsection 114(1) of the Act or otherwise facilitate the admission to Canada of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.



24             En l'espèce, une décision favorable qui aurait été prise en vertu du paragraphe 114(2) aurait dispensé les appelantes de l'obligation de répondre aux critères de sélection. En effet, on aurait renoncé à l'application des critères de sélection dans le cas des appelantes. La chose aurait pour effet de les exclure de la catégorie des personnes non admissibles en vertu de l'alinéa 19(2)b).

25             Le pouvoir que possède le ministre en vertu du paragraphe 114(2) peut être délégué à d'autres personnes. En l'espèce, le gestionnaire de programme, au bureau du Haut-commissariat du Canada, à Colombo, Sri Lanka, était un délégué autorisé du ministre pour l'application du paragraphe 114(2). [Non souligné dans l'original.]


[32]            Bien que le juge Sharlow exprime une opinion dissidente dans l'arrêt Rajadurai, il ne m'apparaît pas que les motifs des juges majoritaires étaient différents de cette partie de l'analyse du juge Sharlow.

[33]            La prétention soumise au nom de Mme Ngo s'appuie sur la conclusion selon laquelle la condition qui prévoit qu'un demandeur doit obtenir 65 points d'appréciation n'est pas une condition prévue au Règlement. Cependant, à mon avis, l'ensemble des dispositions de la Loi et du Règlement précédemment mentionnées n'appuient pas cette conclusion pour les motifs ci-après énoncés.

[34]            D'abord, à mon avis, le sens ordinaire des mots utilisés dans le Règlement n'appuie pas la distinction que Mme Ngo tente de faire reconnaître. Le critère de sélection que l'agent des visas doit appliquer lorsqu'il exerce le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 9(4) de la Loi est celui qui permet de déterminer si l'immigrant éventuel pourra réussir son installation Canada. C'est ce que les paragraphes 8(1) et 11(3) du Règlement reflètent. L'alinéa 10(1)(b) du Règlement prévoit qu'un agent des visas peut délivrer un visa si, sur le fondement de l'appréciation visée au paragraphe 8(1), au moins 65 points d'appréciation sont obtenus par le demandeur. Le paragraphe 11(1) du Règlement (sauf pour l'exception prévue) interdit la délivrance d'un visa d'immigrant aux termes du paragraphe 10(1) à un immigrant qui suivant l'appréciation prévue au paragraphe 8(1) n'obtient aucun point d'appréciation pour le facteur de l'expérience.


[35]            La nécessité d'obtenir suffisamment de points d'appréciation est si présente dans le Règlement qu'on ne peut pas, à mon avis, dire à juste titre que ce n'est pas une « condition » du Règlement.

[36]            Deuxièmement, dans l'arrêt Rajadurai, précité, la Cour d'appel devait trancher une affaire dans laquelle le demandeur n'avait pas obtenu suffisamment de points d'appréciation pour obtenir le droit d'établissement dans la catégorie de parent aidé et avait présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. M. le juge Stone, lorsqu'il a examiné la conséquence de l'insuffisance de points, a, au nom de la majorité, déclaré au paragraphe 7 :

L'agent des visas avait à déterminer si chacune des appelantes devait se voir attribuer un nombre suffisant de points d'appréciation pour appartenir à la catégorie des parents aidés. C'était là tout ce que l'agent des visas était autorisé à déterminer. Étant donné que l'agent des visas a décidé d'attribuer à chacune des appelantes un nombre insuffisant de points d'appréciation, ces dernières ne pouvaient pas être admises à titre de membres de cette catégorie, et l'alinéa 19(2)d) de la Loi avait donc pour effet de les empêcher d'être admises au Canada. [Non souligné dans l'original.]

[37]            Le juge Stone poursuit au paragraphe suivant :

8              [...] la décision de l'agent des visas devait être prise avant que le gestionnaire de programme ait à déterminer s'il existait des raisons d'ordre humanitaire. Si l'agent des visas avait attribué un nombre suffisant de points d'appréciation, les appelantes auraient obtenu un visa leur permettant de s'établir au Canada. C'est uniquement parce que l'agent des visas a attribué un nombre insuffisant de points d'appréciation que les appelantes sont devenues non admissibles. Avant que cette décision soit prise, le gestionnaire de programme n'avait aucun rôle en vertu de la Loi et du Règlement. Le gestionnaire de programme devait déterminer s'il devait dispenser les deux appelantes de l'application du Règlement même si elles étaient non admissibles comme l'avait conclu l'agent des visas et comme le prévoit l'alinéa 19(2)d) de la Loi. [Non souligné dans l'original.]


[38]            Ainsi, la majorité de la Cour d'appel a statué que le fait de ne pas obtenir les points d'appréciation requis constituait un manquement à l'accomplissement d'une condition ou au respect d'une exigence du Règlement qui entraînait une inadmissibilité.

[39]            Mme Ngo tente d'établir une distinction d'avec l'arrêt Rajadurai en se fondant sur le fait que dans Rajadurai le demandeur avait expressément sollicité que sa demande soit traitée en application du paragraphe 114(1) de la Loi et n'avait pas demandé que l'agent des visas exerce son pouvoir discrétionnaire résiduel. Cependant, même si une telle distinction existe, à mon avis, elle n'influence pas la conclusion de la Cour d'appel à l'égard de la conséquence juridique du fait de ne pas avoir obtenu suffisamment de points d'appréciation.

[40]            Troisièmement, la prétention de Mme Ngo, telle qu'elle est précédemment énoncée, aurait comme conséquence qu'un agent des visas détiendrait un pouvoir discrétionnaire suivant le paragraphe 9(4) de la Loi pour délivrer un visa à toute personne, dans la mesure où cette personne ne serait pas admissible suivant les portions de l'article 19 de la Loi et du Règlement qui s'appliquent à tous les immigrants (par exemple, les conditions à l'égard de la criminalité et de l'état de santé). Le ministre soutient que si cette prétention était fondée, le processus serait complètement subjectif, non transparent et entièrement sujet aux caprices de l'agent des visas. Je partage l'opinion du ministre. Un tel résultat, à mon avis, n'est pas compatible avec une interprétation téléologique de la Loi et du Règlement.


[41]            Il résulte de la conclusion selon laquelle il existe une condition de la Loi et du Règlement qui oblige un demandeur à obtenir suffisamment de points d'appréciation que le seul pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas, lorsque le demandeur n'a pas obtenu suffisamment de points d'appréciation, est celui prévu au paragraphe 11(3) du Règlement. Un agent des visas peut, suivant ce paragraphe et après approbation, délivrer un visa s'il est convaincu que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de l'immigrant de réussir son installation.

[42]            Dans les cas où il n'y a pas exercice du pouvoir discrétionnaire suivant le paragraphe 11(3) du Règlement, un demandeur qui n'obtient pas suffisamment de points est non admissible et ne peut être admis que si le pouvoir discrétionnaire est exercé favorablement en application du paragraphe 114(2) de la Loi et de l'article 2.1 du Règlement. La demande de Mme Ngo a par conséquent été transmise comme il se devait au gestionnaire du programme pour qu'il l'examine.

[43]            Comme point final sur cette question, la prétention de Mme Ngo selon laquelle les agents des visas avaient avant 1993 le pouvoir d'admettre des personnes au Canada sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire n'était pas fondée et contredisait le témoignage du gestionnaire du programme lors du contre-interrogatoire.


ii) L'obligation d'agir équitablement a-t-elle été violée?

[44]            Selon ce qui a précédemment été mentionné, Mme Ngo prétend que l'obligation d'agir équitablement a été violée de deux façons distinctes. Premièrement, l'obligation d'agir équitablement a été violée lorsque le gestionnaire du programme a omis de recevoir Mme Ngo en entrevue et, deuxièmement, lorsque l'agent des visas a tiré des inférences défavorables après avoir discuté avec l'interprète.

a) L'obligation d'agir équitablement a-t-elle été violée lorsque le gestionnaire du programme a omis de recevoir Mme Ngo en entrevue?

[45]            Mme Ngo ne prétend pas que tous ceux qui présentent des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire doivent être reçus en entrevue. Cependant, elle affirme que, lorsqu'il est décidé de recevoir un demandeur en entrevue, l'obligation d'agir équitablement exige que l'entrevue soit tenue par le décideur. Mme Ngo affirme que la jurisprudence de la Cour sur la question est contradictoire. Elle s'appuie sur l'arrêt Pangli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1987), 81 N.R. 216 (C.A.F), sur la décision Sorkhabi c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 89 F.T.R. 224 (1re inst.), et sur la décision Braganza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 146 F.T.R. 239 (1re inst.). La demanderesse s'appuie en particulier sur l'analyse de M. le juge Muldoon dans la décision Braganza dans laquelle il a déclaré au paragraphe 22 :


Ce qui ressort de l'arrêt Pangli, c'est que, lorsque la preuve est contradictoire ou que la crédibilité d'une personne est contestée, l'agent d'immigration qui interroge une partie requérante doit être la personne qui rendra la décision. Dans la même veine, il appert de l'arrêt Sorkhabi que, lorsque des raisons d'ordre humanitaire doivent être évaluées, l'agent qui interroge la partie requérante doit également rendre la décision. Apparemment, lorsqu'il est nécessaire de faire une évaluation de la personne elle-même et non de ses qualités, l'agent qui l'interroge doit aussi être celui qui se prononce.

[46]            En réponse, le ministre prétend que l'obligation d'agir équitablement exige qu'un demandeur ait une occasion valable de présenter sa position pleinement et équitablement et qu'il n'est généralement pas nécessaire qu'une audience soit tenue pour les décisions fondées sur les raisons d'ordre humanitaire. Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. L'occasion de présenter des observations écrites et l'entrevue tenue par l'agent des visas ont soi-disant permis que Mme Ngo participe pleinement et équitablement. Le ministre s'appuie sur deux décisions récentes de la Cour qui traitent soi-disant directement de la question : Ho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1303 (1re inst.), et Chin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1003.

[47]            Pour examiner ces prétentions, je pars du principe selon lequel l'obligation d'agir équitablement n'est pas absolue, mais qu'elle varie plutôt selon le contexte. Dans le contexte de la présente affaire, certains facteurs tendent à limiter le contenu de l'obligation d'agir équitablement, soit l'absence de droit découlant de la loi d'être admis pour des raisons d'ordre humanitaire, le fardeau d'un demandeur d'établir les critères touchant les raisons d'ordre humanitaire et le fait qu'aucun avantage n'a été retiré à un demandeur. Compte tenu de ces facteurs limités, je vais maintenant examiner la jurisprudence citée par les parties.


[48]            Les faits dans l'arrêt Pangli, dans la décision Sorkhabi et dans la décision Braganza sont distincts. Dans l'arrêt Pangli, une évaluation quant à la crédibilité à l'égard de preuve contradictoire était requise, alors que dans la décision Sorkhabi l'agent s'est fondé sur de la preuve extrinsèque. Dans la décision Braganza, un agent des visas a rendu une décision par lettre en se fondant sur une entrevue et sur des notes préparées par un autre agent des visas qui avait été muté. En outre, les commentaires sur lesquels se fondait Mme Ngo, dans chacune des décisions, étaient des opinions judiciaires incidentes.

[49]            Dans la décision Ho, le juge Sharlow a examiné la prétention selon laquelle l'équité procédurale est violée lorsqu'un gestionnaire du programme, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lors de l'examen d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, s'appuie sur une entrevue tenue par un agent des visas. Le juge Sharlow a fait la distinction d'avec Braganza et a plutôt suivi la décision antérieure rendue par M. le juge Noël (maintenant juge à la Section d'appel) dans l'affaire Burgin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 34 (1re inst.), dans laquelle il a déclaré au paragraphe 3 :

Il est bien établi que tandis qu'un demandeur a le droit de faire une demande fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi, et de faire examiner et trancher cette demande sur le fond, le ministre n'est nullement tenu de procéder à une audition. En l'espèce, l'agente chargée de prendre la décision disposait de tous les faits qui se rapportaient à la revendication de la requérante, et elle a particulièrement noté qu'elle avait procédé à un examen détaillé de ces faits. Il s'ensuit qu'on ne saurait dire que la revendication n'a pas été examinée sur le fond, ni que la requérante n'a pas eu le droit de faire valoir sa cause.


[50]            Mme le juge Heneghan a examiné la même prétention dans la décision Chin et a également conclu que la procédure suivie, procédure selon laquelle un agent des visas reçoit un demandeur en entrevue et selon laquelle la décision à l'égard d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est rendue par un autre agent, respecte l'obligation d'agir équitablement.

[51]            Je conclus de la même façon que les décisions Burgin, Ho et Chin, dont les faits ne sont pas distincts, reflètent correctement le contenu de l'obligation d'agir équitablement dans le contexte de la présente affaire.

[52]            Au fond, il n'y a pas d'exigence pour le représentant du ministre de tenir une audience à la condition qu'un demandeur, qui présente une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ait l'occasion de participer pleinement et équitablement au processus de décision. Cette occasion est fournie par la possibilité qu'a l'avocat de faire des représentations écrites et celle de fournir d'autres renseignements à l'agent des visas.

b) L'obligation d'agir équitablement a-t-elle été violée du fait de la discussion survenue après l'entrevue entre l'agent des visas et l'interprète?


[53]            La portion des notes du STIDI précédemment mentionnée énonce le fait qu'après l'entrevue de Mme Ngo, l'agent des visas a « examiné le registre des ménages et d'autres » documents et qu'il en a « discuté » avec l'interprète et que par la suite il a noté ses préoccupations quant aux renseignements qu'il s'attendait à trouver dans les documents.

[54]            On prétend, au nom du ministre, que l'agent des visas a simplement apprécié les documents soumis par Mme Ngo et qu'il a estimé que ces documents étaient incomplets. On affirme que Mme Ngo aurait pu au cours de son entrevue expliquer toute incohérence, que la discussion avec l'interprète ne constituait pas de la preuve extrinsèque et que de toute façon le gestionnaire du programme n'avait pas accordé beaucoup d'importance à cette discussion.

[55]            À l'égard de ces prétentions, les notes du STIDI établissent que la discussion entre l'agent des visas et l'interprète dépassait la simple traduction de documents par l'interprète à l'agent des visas afin que ce dernier puisse tirer ses propres conclusions de ces documents. Les notes du STIDI mentionnent un examen et, de façon plus importante, une discussion des documents entre l'agent des visas et l'interprète qui ont amené l'agent à conclure que les documents n'étaient pas ce qu'il croyait qu'ils devraient être. Mme Ngo a le droit de se fonder sur les déclarations de l'agent à cet égard contenues dans les notes du STIDI pour affirmer qu'il s'agit d'admissions défavorables. Voir la décision Tajgardoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 591, au paragraphe 18. Les renseignements ou les commentaires fournis au cours de la discussion sont inconnus, mais peu importe ce que sont ces renseignements ou ces commentaires, ils constituent des éléments de preuve extrinsèques.


[56]            J'accepte la prétention qui a été soumise au nom de Mme Ngo selon laquelle elle aurait pu répondre aux préoccupations de l'agent des visas s'il les lui avait communiquées après qu'il eut examiné les documents avec l'interprète. L'omission de l'agent des visas d'avoir donné à la demanderesse l'occasion de répondre à ces préoccupations constitue une violation de l'obligation d'agir équitablement.

[57]            À l'égard de cette violation, le gestionnaire du programme a admis au cours du contre-interrogatoire qu'il avait lu tout le dossier avant de rendre sa décision et qu'il en avait tenu compte en entier.

[58]            Un manquement à l'équité procédurale est généralement un motif suffisant d'annulation de décision. Je ne suis pas convaincue que la violation de l'obligation d'agir équitablement en l'espèce n'a pas influencé le décideur, selon la jurisprudence comme l'arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.). Pour ce motif, une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire sera rendue.


[59]            Il n'est par conséquent pas nécessaire que je me prononce à l'égard du troisième motif d'erreur qu'on a fait valoir au nom de Mme Ngo. En outre, compte tenu du fait que l'affaire sera renvoyée au tribunal afin qu'il statue à nouveau sur cette affaire, je suis d'avis qu'il est préférable que je ne fasse pas de commentaires sur la question de savoir si la décision est raisonnable.

[60]            Les avocats ont sollicité la possibilité de fournir, une fois qu'ils auront pris connaissance des présents motifs, des observations écrites à l'égard de la certification d'une question. Par conséquent, les avocats disposeront de sept jours à compter de la réception des présents motifs pour signifier et déposer des observations à l'égard de la certification d'une question. Par la suite, chaque partie disposera de trois jours à compter de la signification des observations de la partie adverse pour signifier et déposer sa réponse.

[61]            Après examen de ces observations, je rendrai une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                      IMM-5340-01

INTITULÉ :                                Tu Van Ngo c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :         Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 9 octobre 2002

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                 LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS : Le 7 novembre 2002

COMPARUTIONS :

David Matas                                             POUR LA DEMANDERESSE

Sharlene Telles-Langdon                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                             POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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