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Date : 20051014

Dossier : T-1172-03

Référence : 2005 CF 1402

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

SANDER HOLDINGS LTD., DONALD PATENAUDE

et MATHEW NAGYL,

en leur nom personnel et au nom de tous les autres producteurs

qui ont expédié du grain par l'entremise de la Commission canadienne du blé

au sens de la Loi sur la Commission canadienne du blé,

et qui sont domiciliés ou étaient domiciliés au Canada

entre 1994 et la date de la décision

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

représentant le ministre de l'Agriculture du Canada

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une requête présentée par le défendeur (le requérant dans cette requête) en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles), afin que la Cour ordonne la radiation de certaines parties de l'affidavit des demandeurs. Le défendeur demande à la Cour de rendre une ordonnance par écrit, sans tenir d'audience. Les demandeurs ne s'opposent pas à cette demande.

[2]                Les demandeurs (les intimés dans la requête) sont des producteurs agricoles qui participent au Programme de compte de stabilisation du revenu net (le programme de CSRN), dont l'objet est d'aider les producteurs à stabiliser leur revenu agricole. L'accord instituant le CSRN et les lignes directrices connexes ont été signés afin de donner effet au programme de CSRN. Les demandeurs prétendent que les modifications apportées aux lignes directrices sont invalides.

[3]                Les demandeurs cherchent à faire autoriser la présente action comme recours collectif conformément au paragraphe 299.18(1) des Règles. Ils ont produit un affidavit de M. Barry Jolly au soutien de leur demande.

[4]                Le défendeur demande à la Cour de radier les paragraphes 2, 3, 5 à 20 (inclusivement), 22 à 37 (inclusivement), 40 à 45 (inclusivement) et 50 à 56 (inclusivement) de l'affidavit de M. Jolly, souscrit le 10 juin 2005, parce qu'ils renferment des opinions, des observations et des commentaires tendancieux. De plus, dans ces paragraphes, le déclarant interprète le droit et donne ses propres explications relativement à des documents qui, selon le défendeur, parlent d'eux-mêmes.

[5]                Le défendeur fait valoir les trois points suivants :

1)         les affidavits fondés sur ce que croit le déclarant ne sont pas admissibles suivant l'article 81 des Règles;

2)         les paragraphes contestés sont tendancieux et irréguliers, sont truffés d'arguments et exposent des opinions très arrêtées;

3)         s'ils ne sont pas radiés, les paragraphes contestés lui causeront un préjudice.

[6]                La Cour n'est pas d'accord avec le défendeur sur le premier point. Une demande d'autorisation d'un recours collectif n'est, en définitive, qu'une simple question de procédure. Comme il s'agit d'une question interlocutoire, les affidavits fondés sur des renseignements et sur ce que croit le déclarant sont admissibles.

[7]                Dans la décision Hoffman c. Monsanto Canada Inc., 2003 SKQB 174, où une demande d'autorisation d'un recours collectif était présentée en vertu des règles de la Saskatchewan, la juge Smith, alors juge de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, a expliqué de manière convaincante pourquoi des affidavits de ce genre sont admissibles :

[TRADUCTION]

54      Je conclus sans hésitation qu'une demande d'autorisation est une « requête interlocutoire » au sens de l'article 319 des Règles et que la Cour peut donc, dans les cas appropriés, recevoir des affidavits fondés sur des renseignements et sur ce que le déposant croit, conformément à cet article.

55      En outre, j'estime que, en particulier lorsque la Loi, les Règles ou la jurisprudence indiquent clairement que l'affidavit en question ne doit pas obligatoirement faire preuve de son contenu, cela peut être suffisant pour constituer une « circonstances spéciale » justifiant la réception d'un affidavit fondé sur des renseignements et sur ce que le déposant croit.


56      Ainsi, par exemple, dans la mesure où les tribunaux ont laissé entendre que le représentant demandeur proposé en vue du recours collectif doit présenter un _ fondement probatoire _ pertinent au regard des aspects fondamentaux de sa demande, il est évident que la Cour n'exige pas une « preuve » , mais seulement certains éléments de preuve étayant la demande - démontrant, par exemple, que le demandeur a subi une perte et que d'autres personnes ont subi une perte identique ou semblable - qui sont suffisants pour convaincre la Cour de l'existence des questions collectives requises. [...]

Par conséquent, l'affidavit n'est pas inadmissible suivant l'article 81 des Règles.

[8]                Le deuxième point est clairement fondé sur l'arrêt Deigan c. Canada (Ministre de l'Industrie), [1996] A.C.F. no 1360, où la Cour d'appel fédérale a radié plusieurs paragraphes d'un affidavit précisément pour cette raison.

[9]                L'argumentation du défendeur est exposée brièvement au paragraphe 4 des observations qu'il a déposées par écrit en réponse :

[TRADUCTION] Le déclarant Jolly n'est pas partie à l'instance et les demandeurs n'ont pas essayé de lui attribuer le statut d'expert. Les explications, les opinions et les observations prolixes de M. Jolly figurent irrégulièrement dans un affidavit et sont de toute évidence inadmissibles. Elles ont simplement pour but de nuire au bon déroulement de l'instance relative à la requête en autorisation d'un recours collectif. Ses arguments concernant le programme de CSRN et ses observations juridiques inadmissibles n'ont pas pour effet d'aider la Cour à statuer sur la requête, mais plutôt de détourner l'attention des questions soulevées par celle-ci.

[10]            Il ressort toutefois clairement des observations que le défendeur ne conteste pas l'admissibilité des pièces jointes à l'affidavit de M. Jolly, mais uniquement leur pertinence et les interprétations faites par celui-ci. La Cour rappelle à cet égard la mise en garde formulée par le juge Malone dans l'arrêt Canadian Tire Corp. c. P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8, au paragraphe 18 :


18      Je tiens toutefois à souligner que les plaideurs ne doivent pas prendre l'habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d'une partie d'un affidavit et ce, peu importe le degré de notre Cour, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles où l'existence d'un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié. Lorsqu'elle est fondée sur le ouï-dire, cette requête ne doit être présentée que lorsque le ouï-dire soulève une question controversée, lorsque le ouï-dire peut être clairement démontré ou lorsqu'on peut démontrer que le fait de laisser au juge du fond le soin de trancher la question causerait un préjudice.

[11]            Ainsi, à moins qu'un préjudice puisse être démontré, la Cour hésiterait à radier les paragraphes en question en se fondant simplement sur l'arrêt Deigan, précité. Cela nous amène au troisième point soulevé par le défendeur : le préjudice.

[12]            Le défendeur soutient qu'il subira un préjudice si les paragraphes contestés ne sont pas radiés parce que :

a)         ces paragraphes nuiront au déroulement ordonné de l'instance;

b)         la plus grande partie des renseignements est superflue puisque chacun des demandeurs a déjà produit son propre affidavit;

c)         si la décision concernant l'admissibilité est prise seulement lors de l'audition de la requête en autorisation, il ne saura pas quelles questions poser à M. Jolly dans le cadre de son contre-interrogatoire. Il subira ainsi un préjudice en ayant à contre-interroger sur ses opinions, ses hypothèses, ses interprétations et ses observations une personne qui n'est pas partie à l'instance.


[13]            La Cour souscrit pour l'essentiel aux affirmations du défendeur indiquées aux points a) et b) ci-dessus. La question fondamentale qui devra être tranchée dans le cadre de la requête en autorisation est cependant de savoir si les intimés satisfont aux cinq conditions du paragraphe 299.18(1) des Règles.

[14]            Les demandeurs font valoir que, dans son affidavit, M. Jolly :

a)         décrit la manière dont leur action a été entreprise parce que le Sous-comité des appels du CSRN ne pouvait pas régler le litige et qu'un contrôle judiciaire ne convenait pas à cet égard;

b)          explique que les lignes directrices contestées ont apporté un changement important à la manière dont les autorités chargées d'administrer le programme de CSRN traitaient les frais de transport et de silos-élévateurs dans le calcul des ventes nettes admissibles d'un producteur. Une telle question ne peut être réglée par affidavit. Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans une autre instance opposant les mêmes parties (2005 CAF 9) :

43      Selon le dossier, il n'est pas clair si les lignes directrices étaient contraires ou non à l'accord. La preuve serait contradictoire sur la question de savoir si les frais de transport et de silos-élévateurs ont toujours été déduits du calcul de la valeur nette des ventes ou s'ils ne l'ont été qu'après l'adoption des lignes directrices de 1994. Même si ce n'est pas tout à fait exact, on peut raisonnablement conclure des instructions de 1998 à l'intention des producteurs (se reporter à la pièce I de l'affidavit de Barry Jolly, dossier d'appel 100, aux pages 103, 128 et 129) qu'alors que les frais de transport et d'entreposage post-vente étaient jadis réputés des dépenses dans le calcul du revenu des producteurs, ces frais n'étaient pas déduits des ventes nettes de manière à entraîner une diminution de la base de contribution des producteurs. Enfin, le fait que le président du Comité du CSRN était d'avis que les lignes directrices de 1994 avaient eu des répercussions financières importantes donne à penser qu'il y a eu bien plus qu'une simple modification mineure de la définition du point de vente comme l'allègue l'intimé.


44      Puisque l'intimé soutient qu'il n'y a eu aucune modification, je conclus que les faits sont contestés.

c)        relève des contradictions dans les observations faites par le défendeur qui justifient la tenue d'un procès;

d)         souligne qu'il y a des documents importants qui n'ont pas été communiqués, ce qui rend nécessaire un interrogatoire préalable. Les autorités chargées de l'administration du programme de CSRN ont exposé devant la Cour la position de Revenu Canada sur le traitement des dépenses en question, sans rien dire cependant d'un bulletin d'interprétation qu'elles avaient obtenu et qui indiquait une position contraire;

e)        indique que les autorités chargées de l'administration du programme de CSRN savaient parfaitement, grâce aux documents fournis par M. Jolly dans le cadre de l'appel au Sous-comité, que les lignes directrices étaient invalides. La conduite de ces autorités doit être examinée de plus près lors d'une instruction.


[16]       Compte tenu des observations de la Cour d'appel fédérale, il serait utile que ces faits soient mis en relief lors d'un contre-interrogatoire. Il ne servira pas à grand chose que la Cour analyse de près l'affidavit de M. Jolly, étant donné qu'il n'est pas pertinent en grande partie et qu'il pourrait bien faire état de simples hypothèses. Un contre-interrogatoire rigoureux permettra de déterminer de manière beaucoup plus efficace quelles parties de l'affidavit, le cas échéant, renferment des éléments de preuve pertinents au regard des faits contestés et quelles parties ne constituent que des hypothèses, des conjectures ou des opinions sans importance en l'espèce.

[17]       En résumé, la Cour n'est pas convaincue que le défendeur subit un préjudice qui justifie la radiation des parties contestées de l'affidavit.

[18]       Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                           « Konrad W. von Finckenstein »                 

                                                                                                     Juge                                      

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1172-03

INTITULÉ :                                                    SANDER HOLDINGS LTD., DONALD PATENAUDE et MATHEW NAGYL,

en leur nom personnel et au nom de tous les autres producteurs qui ont expédié du grain par l'entremise de la Commission canadienne du blé au sens de la Loi sur la Commission canadienne du blé, et qui sont domiciliés ou étaient domiciliés au Canada entre 1994 et la date de la décision

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, représentant le ministre de l'Agriculture du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 14 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Terry J. Zakreski                                               POUR LES DEMANDEURS

Brian Hay/Chara Drew                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry J. Zakreski                                               POUR LES DEMANDEURS

Stevenson Hood Thornton Beaubier LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

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