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Date : 20021115

Dossier : IMM-603-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1186

Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                   METCHISLAV VOROTYNSKI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 25 janvier 2001 dans laquelle une agente des visas de l'Ambassade du Canada à Varsovie (Pologne) a refusé la demande de résidence permanente du demandeur.

[2]         Le demandeur sollicite une ordonnance d'annulation de la décision de l'agente des visas et de renvoi de l'affaire à un autre agent des visas pour qu'il procède à nouvel examen.


Les faits

[3]         Le demandeur, Metchislav Vorotynski, est un citoyen de la Russie. Le 1er avril 1999, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie des immigrants indépendants à titre d'ingénieur mécanicien (CNP 2132.0). L'épouse du demandeur et ses deux fils mineurs ont été inscrits comme étant des personnes à charge qui l'accompagnaient.

[4]         Le demandeur a obtenu son diplôme en génie en juin 1990. De juin 1990 à octobre 1992, le demandeur a travaillé comme ingénieur. D'octobre 1992 à janvier 1993, il a travaillé comme ingénieur pour l'entreprise commerciale « Innko » et, de janvier 1993 à octobre 1993, il a occupé un poste de gestionnaire dans cette compagnie. D'octobre 1993 jusqu'à l'entrevue, le demandeur travaillait pour une autre compagnie comme gestionnaire du marketing et technologue en sciences du génie.

[5]         Le demandeur a également exercé des fonctions apparentées à des fonctions d'ingénieur avant d'obtenir son diplôme.

[6]         Le demandeur et son épouse ont subi une entrevue personnelle à l'Ambassade du Canada à Varsovie (Pologne) le 15 novembre 2000. L'entrevue s'est déroulée en russe et en anglais. L'agente des visas a communiqué sa décision au demandeur par lettre datée du 25 janvier 2001. L'agente des visas a apprécié le demandeur en tant qu'ingénieur mécanicien (CNP 2132.0) et lui a accordé les points suivants :        


FACTEUR                                                                            POINTS

Âge                                                                                           10

Facteur professionnel                                                                 05

Facteurs des études et de la formation                            17

Expérience                                                                                04

Emploi réservé                                                                           00

Facteur démographique                                                             08

Études                                                                                       15

Anglais                                                                                      02

Français                                                                                    00

Points supplémentaires                                                   00

Personnalité                                                                               04

TOTAL                                                                        65

[7]         Le demandeur était tenu d'obtenir un minimum de 70 points pour satisfaire aux critères de sélection applicables à la catégorie des immigrants indépendants. L'agente des visas a refusé la demande de résidence permanente.

Les questions litigieuses

1.          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant aucun compte de l'expérience de travail pertinente que le demandeur avait acquise avant et après l'obtention de son diplôme en génie mécanique?

2.          L'agente des visas a-t-elle accordé insuffisamment de points pour le facteur de la personnalité compte tenu des faits et de la preuve?

3.          L'agente des visas a-t-elle manqué à son obligation d'équité procédurale envers le demandeur en refusant sa demande de résidence permanente?


Les observations du demandeur

[8]         Le demandeur prétend que l'agente des visas n'a pas examiné toute son expérience de travail dans son appréciation relative au facteur de l'expérience. Selon le demandeur, elle aurait dû, lors de cette appréciation, tenir compte de l'expérience de travail qu'il avait acquise dans le domaine du génie avant d'obtenir son diplôme. En outre, l'agente des visas n'a pas tenu compte de toute l'expérience que le demandeur avait acquise après l'obtention de son diplôme.

[9]         Le demandeur soutient que, dans son appréciation relative au facteur de la personnalité, l'agente des visas a tenu compte d'éléments de preuve non pertinents et n'a pas tenu compte de l'ensemble des éléments de preuve pertinents. De l'avis du demandeur, l'agente des visas a eu tort d'exiger qu'il prouve qu'il avait envisagé la possibilité de ne pas travailler comme ingénieur mécanicien au Canada. En outre, le demandeur soutient que l'agente des visas n'a pas tenu compte des études qu'il avait faites avant d'obtenir son diplôme, de la longue expérience de travail qu'il avait acquise avant l'obtention de son diplôme, de sa capacité de réussir dans le domaine du marketing, de l'approbation de l'évaluation non officielle du Conseil canadien des ingénieurs, des efforts qu'il avait déployés pour se familiariser avec le marché de l'emploi pour les ingénieurs mécaniciens au Canada et du fait qu'il avait des amis au Canada disposés à l'aider à s'installer. Enfin, le demandeur soutient que l'agente des visas ne lui a pas donné la possibilité de dissiper les doutes qu'elle avait en ce qui concerne le facteur de la personnalité.


Les observations du défendeur

[10]       Le défendeur soutient que l'agente des visas n'a pas commis d'erreur en n'accordant pas de points pour l'expérience acquise par le demandeur avant qu'il soit qualifié pour exercer la profession d'ingénieur mécanicien et qu'elle n'a pas commis d'erreur en limitant l'expérience de travail du demandeur à celle acquise après l'obtention de son diplôme. En outre, après l'obtention de son diplôme d'ingénieur, le demandeur n'a pas toujours exercé des fonctions d'ingénieur. Enfin, le défendeur prétend que l'agente des visas n'a pas commis d'erreur de droit en ce qui a trait aux facteurs qu'elle a considérés pertinents aux fins de l'appréciation du facteur de la personnalité.

Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[11]       L'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, et ses modifications, définit ainsi le facteur de la personnalité :

9. Personnalité

Des points d'appréciation sont attribués au requérant au cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de réussir leur installation au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables.

9. Personal Suitability

Units of assessment shall be awarded on the basis of an interview with the person to reflect the personal suitability of the person and his dependants to become successfully established in Canada based on the person's adaptability, motivation, initiative, resourcefulness and other similar qualities.


L'analyse et la décision

[12]       Question 1

L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant aucun compte de l'expérience de travail pertinente que le demandeur avait acquise avant et après l'obtention de son diplôme en génie mécanique?

Expérience de travail acquise avant l'obtention du diplôme

Le demandeur a mentionné à l'audience qu'il ne donnerait pas suite à l'argument relatif à l'expérience de travail qu'il avait acquise avant l'obtention de son diplôme.

[13]       Expérience de travail acquise après l'obtention du diplôme

De toute évidence, le demandeur a travaillé comme ingénieur de juin 1990 à janvier 1993. L'agente des visas a accordé au demandeur quatre points d'appréciation pour cette expérience. De janvier 1993 à octobre 1993, le demandeur a occupé un poste de gestionnaire, et d'octobre 1993 jusqu'à la date de l'entrevue, le demandeur a, selon ce qu'il affirme, travaillé chez Media Data International comme gestionnaire du marketing et ingénieur (technologue en sciences du génie, selon ce qu'indique la lettre de recommandation). L'agente des visas, dans ses notes au STIDI, affirme que le demandeur n'a travaillé comme ingénieur que pendant deux ans. Ce n'est pas exact parce que la preuve indique que le demandeur a travaillé comme ingénieur pendant deux ans et demi. L'agente des visas a attribué au demandeur quatre points d'appréciation pour les deux ans d'expérience.


[14]       La lettre de recommandation de Media Data International, figurant à la page 129 du dossier du tribunal, semblerait indiquer que le demandeur a travaillé comme ingénieur dans le service de la publicité de la compagnie jusqu'au 2 mars 1998 et qu'il est par la suite devenu gestionnaire du service du marketing. La même lettre indique également que le demandeur a travaillé comme technologue en sciences du génie. L'agente des visas n'a pas tenu compte de cette expérience de travail. Il se peut bien que si l'on tenait compte de l'expérience de travail acquise par le demandeur ces années-là, le demandeur obtiendrait plus de points pour le facteur de l'expérience. À mon avis, l'agente des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette expérience de travail.

[15]       Question 2

L'agente des visas a-t-elle accordé insuffisamment de points pour le facteur de la personnalité compte tenu des faits et de la preuve?

L'agente des visas a accordé au demandeur quatre points d'appréciation sur un maximum possible de dix points pour le facteur de la personnalité. À l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, précité, ce facteur est décrit comme suit :

9. Personnalité

Des points d'appréciation sont attribués au requérant au cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de réussir leur installation au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables.

9. Personal Suitability

Units of assessment shall be awarded on the basis of an interview with the person to reflect the personal suitability of the person and his dependants to become successfully established in Canada based on the person's adaptability, motivation, initiative, resourcefulness and other similar qualities.


[16]       Dans Amir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1706 (QL) (1re inst.), le juge Dubé a affirmé aux paragraphes 7 et 8 :

Ainsi donc, le facteur personnalité doit être apprécié relativement à la possibilité d'un requérant « de s'établir avec succès au Canada » . C'est un facteur économique qui permet à l'agent des visas de se demander si le requérant réussira dans son domaine dans ce pays. En l'espèce, l'agent des visas doit se rappeler que le requérant a l'intention de devenir, non pas un professeur d'université, mais un cuisinier-minute.

Le requérant s'est plutôt bien débrouillé économiquement aux États-Unis dans son domaine particulier puisqu'il y est arrivé avec 6 000 $ en argent liquide. Après une expérience de six ans dans le même restaurant, il a été promu chef après avoir été cuisinier-minute. La question de savoir s'il obtiendra une emploi ici a déjà été examinée sous le facteur 5 « emploi réservé ou profession désignée » pour lequel on lui a attribué 0 point sur 10.

[17]       En l'espèce, l'agente des visas a tenu compte du fait suivant lorsqu'elle a accordé au demandeur seulement quatre points pour le facteur de la personnalité : le demandeur n'avait pas envisagé la possibilité de ne pas réussir à trouver un emploi d'ingénieur mécanicien. Je suis d'accord avec le juge Dubé pour dire que la question de savoir si le demandeur obtiendra ou non un emploi au Canada n'aurait pas dû être examinée lors de l'appréciation du facteur de la personnalité.


[18]       Le demandeur avait également demandé au Conseil canadien des ingénieurs (le CCI) une évaluation non officielle de ses titres et qualités afin qu'il détermine s'il était apte à exercer la profession d'ingénieur au Canada et, le 16 avril 1999, le CCI l'a informé que ses titres et qualités paraissaient acceptables. On a envoyé cette réponse à l'Ambassade du Canada en Pologne le 14 juillet 1999. À l'entrevue, l'agente des visas a demandé au demandeur d'obtenir cette approbation et a déclaré dans son affidavit que le demandeur [TRADUCTION] « savait uniquement que pour occuper un poste d'ingénieur mécanicien au Canada il devait obtenir une licence canadienne » . Bien que l'approbation ait été envoyée à l'Ambassade du Canada en Pologne en juillet 1999, l'agente des visas l'a demandée à l'entrevue; l'approbation a été envoyée de nouveau en novembre 2000, avant la lettre de refus du 25 janvier 2001. Le demandeur ne s'en est pas tenu aux examens écrits qu'il avait à passer. J'estime que l'agente des visas n'a pas tenu compte de l'approbation du CCI dans son appréciation du facteur de la personnalité. Elle a donc omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents.

[19]       Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis d'avis que la décision de l'agente des visas en ce qui concerne le facteur de la personnalité est manifestement déraisonnable et doit être annulée. L'affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il procède à un nouvel examen.

[20]       Comme les réponses aux questions 1 et 2 sont déterminantes quant à la présente demande, je ne traiterai pas de la question 3.

[21]       Ni l'une ni l'autre des parties n'a souhaité proposer la certification d'une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[22]       LA COUR ORDONNE que la décision de l'agente des visas soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il procède à un nouvel examen.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 novembre 2002

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-603-01

INTITULÉ :                                       METCHISLAV VOROTYNSKI

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le mardi 29 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                     Le vendredi 15 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Nancy Elliott

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nancy Myles Elliott

Bureau 601

130, rue Bloor Ouest

Toronto (Ontario)

M5S 1N5

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Bureau 3400, C.P. 36, Tour Exchange

130, rue King Ouest

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

POUR LE DÉFENDEUR


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

              SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                                               

Date : 20021115

Dossier : IMM-603-01

ENTRE :

METCHISLAV VOROTYNSKI

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                            


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