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Date : 20040322

Dossier : IMM-1371-03

Référence : 2004 CF 426

Ottawa (Ontario), le 22e jour de mars 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                                    JARNAIL SINGH

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal), rendue le 7 février 2003. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


QUESTION EN LITIGE

[2]                 La question en litige peut être formulée comme suit : les conclusions du tribunal, notamment l'absence de crédibilité du demandeur, sont-elles manifestement déraisonnables?

[3]                 Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à cette question et je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire.

FAITS

[4]                 Le demandeur est citoyen de l'Inde et originaire de l'État du Penjab. Sa crainte de persécution se fonde sur ses opinions politiques imputées. Il craint d'être persécuté par la police indienne qui le soupçonne d'être associé avec des militants cachemires.

[5]                 En novembre 1999, le demandeur commence à conduire un taxi appartenant à Gurbachan Singh. Le 12 février 2001, alors qu'il transporte deux passagers à New Delhi, il est arrêté. Les passagers fuient tandis que le demandeur est conduit à un bureau de police où il est battu et accusé de transporter des militants. Le 14 février, il est relâché contre le paiement d'un pot-de-vin et à la condition de se présenter de nouveau le 1er avril.


[6]                 Lorsqu'il retourne au poste à cette date, la police l'informe que les deux passagers ont été arrêtés et qu'ils sont des militants du Jammu-Cachemire. Le demandeur est détenu de nouveau pendant trois jours. Il est accusé d'être associé aux militants. On l'interroge, le bat et le torture. La police prend ses empreintes digitales et sa photo et le fait signer une feuille blanche. Le demandeur est relâché suite à l'intervention d'un conseiller du village, contre le paiement d'un pot-de-vin et à la condition de se présenter le 1er mai 2001 avec des informations sur l'organisation militante.

[7]                 Le 25 avril 2001, le demandeur s'enfuit chez son oncle à Haryana. Il reste chez un ami de son oncle pendant deux semaines. Le 2 mai 2001, la police fait une descente chez le demandeur. Elle arrête et bat son père, qui avoue finalement l'endroit où il se cache. La police effectue des descentes chez son oncle les 3 et 15 mai 2001. Le 16 mai 2001, le demandeur fuit à New Delhi. Il arrive au Canada le 14 juillet 2001 et demande l'asile le 17 juillet 2001.

ANALYSE

[8]                 Tout d'abord, il convient de préciser que les questions purement factuelles, comme en l'espèce, sont soumises en contrôle judiciaire à la norme de la décision manifestement déraisonnable. C'est ce qu'énonce la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, (2003) 27 Imm. L.R. (3d) 1 (C.F. C.A.), en reprenant les propos suivants du juge Lemieux dans Shrestha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 887, (2002) 23 Imm. L.R. (3d) 46 (C.F. 1ère inst.), aux paragraphes 10 et 11 :


Si la décision du tribunal dépend de la question de savoir si le demandeur connaissait le type d'activités exercées par l'UPF, de sa participation aux activités de l'organisation, de son rôle de premier plan et de sa contribution aux finances du parti, elle dépend de conclusions de fait. Aux termes de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour n'interviendra pas à moins que le tribunal ait rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il ait tenu compte des éléments de preuve dont il disposait, ce qui équivaut à une conclusion manifestement déraisonnable.

Dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844, Madame le juge L'Heureux-Dubé, s'exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré au paragraphe 85 :

Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue [...]. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve [...]. (Je souligne)

[9]                 Je pense qu'il est utile de reprendre les propos du tribunal à la page 2 de sa décision, propos qui donnent déjà une idée générale quant à la crédibilité du demandeur : « The claimant's testimony was sketchy, hesitant, and evasive. The claimant tried to recite his written statements, but avoided responding directly to the questions asked. He had to be prompted with leading questions to give additional details adjusting his testimony » .

[10]            Analysons maintenant les différents éléments soulevés par les parties, soit :

1)         les circonstances de détention et de libération du demandeur;

2)         la preuve documentaire;

3)         la mention du fait que le demandeur était un chauffeur de taxi;

4)         la lettre de l'Union des taxis;


5)         les rapports médicaux; et

6)         le voyage à destination du Canada.

Circonstances de détention et de libération

[11]            Le demandeur conteste la conclusion de non-plausibilité que tire le tribunal du fait que le demandeur a été arrêté puis relâché par la police à la page 5 de la décision : « It seems implausible, in the panel's opinion, that the police would release the claimant from custody without questioning him about his personal involvement and activities or to what organization he belonged if they suspected him of being involved with militants. As well, it seemed rather implausible that the police would release him from custody after two or three days without charges and with only a general condition to bring them complete information about the militants group » . Selon le demandeur, une autre interprétation possible des circonstances de détention et de libération est que si la police ne l'a pas vraiment questionné sur ses activités et son appartenance à une organisation, c'est parce que la police ne le considérait pas comme un activiste ou un militant. Même si je ne considère pas l'interprétation donnée par le tribunal comme étant la seule explication possible, je ne peux toutefois pas conclure que sa conclusion est manifestement déraisonnable. Les autres éléments analysés par ce dernier militent en faveur de la non-crédibilité du demandeur.


Preuve documentaire

[12]            Selon le demandeur, le tribunal n'a pas considéré la preuve documentaire relative au comportement de la police dans des situations similaires. Le demandeur soutient que toute la preuve documentaire qu'il a fourni montre le caractère dépravé et corrompu de la police du Pundjab. Or, selon un des passages cité (IND34468.EX, 12 juin 2000), on indique : « Jaspal Singh (retired judge at Delhi High Court) informed the delegation that conditions in Punjab have improved but people are still complaining that the police are raising false cases although the number of such complaints are smaller than previously » . Ceci démontre que la corruption policière, bien qu'existante, a considérablement diminué. Le tribunal, aux pages 5 et 6 de sa décision a tenu compte de cette corruption policière, tout en reflétant le fait que cette corruption s'est amoindrie : « Throughout, the documentation states that the political situation in Punjab has returned to normality, and even though human rights violations continue to exist in India, the human rights situation in Punjab has generally improved » .

Chauffeur de taxi


[13]            Dans son récit, le demandeur prétend que les autorités le soupçonnaient d'être lié aux militants puisqu'il a été arrêté pendant qu'il en conduisait deux dans son taxi. Or, le demandeur n'a pas indiqué dans son formulaire d'immigration lorsqu'il a demandé l'asile ni dans sa réponse à la question 18 de son FRP, qu'il avait été chauffeur de taxi. Cependant à la question 37 de son FRP, il est mentionné qu'il était chauffeur de taxi. L'affidavit du Sarpanch le précise aussi et son permis de conduire déposé en preuve fait également mention qu'il était chauffeur de taxi. Le tribunal a considéré les précisions apportés aux documents lors de l'audience, mais il était en droit de tirer une inférence négative de la présentation tardive de ces renseignements. Il est bien établi que le tribunal peut tenir compte de la teneur du FRP avant et après sa modification et qu'il peut également tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité du demandeur si des questions qu'il considérait importantes ont été ajoutées au FRP par amendement à l'audience (Kutuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1754, au paragraphe 9 (1ère inst.) (QL); Ovais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1702, au paragraphe 4 (1ère inst.) (QL)).   

Lettre de l'Union des taxis

[14]            La lettre de l'Union des taxis déposée le jour de l'audience et datée du 5 décembre 2002, n'a aucune valeur probante pour les raisons énumérées aux pages 3 et 4 de la décision du tribunal. Ces raisons sont bien étayées, elles sont nombreuses et elles ne sont donc pas manifestement déraisonnables.

Rapports médicaux


[15]            Le demandeur allègue que le tribunal aurait dû tout au moins reconnaître que les preuves médicales, dont l'authenticité n'est pas contestée, corroborait les dires du demandeur quant à la torture subie aux mains de la police en avril 2001. Il est vrai que les rapports n'étaient pas contestés, mais aucune valeur probante ne leur a été accordée car les documents n'établissaient pas l'origine des blessures subies par le demandeur. Aucun lien entre ces blessures et les mauvais traitements dont le demandeur dit avoir été victime n'a été fait. Un certificat médical qui fait état de certaines blessures ne prouve pas qu'elles sont le résultat de la persécution décrite par un demandeur. C'est ce que précise le tribunal à la page 7 de sa décision : « With regard to the medical report and the Radiology report, the panel does not dispute their findings, however no probative value was given to these reports as to the causes of the findings, in view of the claimant's overall lack of credibility » (je souligne). Cette conclusion est tout à fait dans les limites de la juridiction du tribunal.

Voyage à destination du Canada

[16]            Dans son affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur indique que le tribunal n'aurait pas dû lui reprocher de ne pas avoir revendiqué l'asile en Allemagne car il s'agissait d'un transit. De plus, il explique qu'il n'a pas revendiqué dès son arrivée au Canada car il est arrivé un samedi. Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que le tribunal a déjà entendu ces explications à l'audience mais qu'elles n'ont pas été jugées satisfaisantes car elles n'expliquent pas pourquoi le demandeur n'a pas demandé l'asile à la première occasion. Le tribunal a aussi tiré une influence négative du fait que le demandeur n'était pas muni de son passeport ni de son billet d'avion. Son explication selon laquelle l'agent a repris les documents n'a pas été jugée satisfaisante et je ne suis pas disposé à dire que cette conclusion était manifestement déraisonnable.


CONCLUSION

[17]            Aucun des éléments analysés ci-dessous ne m'amène à conclure que le tribunal a tiré une conclusion de non-crédibilité qui était manifestement déraisonnable. En conséquence, la demande est rejetée.

[18]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale. Donc, aucune question ne sera certifiée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

_____________________________

Juge


COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                               IMM-1371-03

INTITULÉ :                              JARNAIL SINGH

c.

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 11 mars 2004           

                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ET DE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :           le 22 mars 2004

COMPARUTIONS :

Michel LeBrun                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Claudia Gagnon                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel LeBrun                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                       POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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