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                                                                                                                                     IMM-1353-96

 

 

OTTAWA, LE 6 MARS 1997

 

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

 

E n t r e :

 

                                                    RAVINDER SINGH THIARA,

 

                                                                                                                                            requérant,

 

                                                                             et

 

                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                                 intimé.

 

                                                               ORDONNANCE

 

            LA COUR, STATUANT SUR une demande présentée par le requérant en vue d'obtenir le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision en date du 28 mars 1996 par laquelle la Section du statut de réfugié a jugé que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention au sens de l'article 2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée;

            APRÈS AVOIR ENTENDU les avocats des deux parties à Toronto le 18 février 1997, date à laquelle le prononcé de la décision a été reporté à plus tard; et après avoir examiné les observations qui ont alors été faites et après avoir examiné à nouveau le dossier de la Section du statut de réfugié :

            ACCUEILLE la demande, ANNULE la décision contestée et RENVOIE l'affaire à la Section du statut de réfugié pour qu'elle soit réexaminée par un autre tribunal en conformité avec la loi.

                                                                                                                            W. Andrew McKay           

JUGE

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                           

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

                                                                                                                                     IMM-1353-96

 

 

E n t r e :

 

                                                   RAVINDER SINGH THIARA,

 

                                                                                                                                          requérant,

 

                                                                             et

 

                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                                 intimé.

 

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE MacKAY

 

            La présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section du statut de réfugié le 28 mars 1996 a été entendue à Toronto le 18 février 1997, date à laquelle le prononcé de la décision a été reporté à plus tard. Ayant eu l'occasion d'examiner le dossier, en particulier le procès-verbal des audiences du tribunal administratif, et ayant en outre examiné les observations faites par les avocats à l'audience, la Cour prononce une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire. Voici les motifs de cette ordonnance.

 

            Le requérant est un Sikh. Il est né au Pendjab, en Inde, en 1949. Son femme, qui est enseignante, ses deux fils, son père, sa mère et ses soeurs vivent toujours là-bas. Le requérant a terminé ses études en dixième année en 1964 et a travaillé pendant deux ans à la ferme familiale. Il s'est ensuite enrôlé dans l'armée, dans laquelle il a servi pendant quinze ans, jusqu'à l'été 1982, alors qu'il a été libéré. Il retire toujours une pension pour son service militaire. Après son retour à la vie civile, il est retourné à la ferme familiale et s'est ensuite joint à la police au Pendjab comme agent. Il a été policier de 1986 à 1990. Dans les premières années, en raison de sa participation à des événements sportifs policiers, il n'était vraisemblablement pas tenu de s'acquitter de fonctions policières complètes.

 

            Il affirme qu'en janvier 1989, il a pour la première fois observé quatre prisonniers qui avaient été torturés et, après enquête, ses compagnons policiers lui ont dit qu'il s'agissait d'extrémistes qui seraient tués dans un guet-apens. Il a été assigné à un groupe de policiers pour participer à des guets-apens, mais il a refusé d'obéir aux directives et est plutôt allé voir son supérieur et a offert sa démission. Son supérieur a refusé sa démission. Le requérant affirme qu'il a tenté à plusieurs reprises de démissionner, notamment après que des militants sikhs se furent rendus chez les membres de sa famille et les eurent menacés si le requérant ne quittait pas les forces policières. On ne lui a malgré tout pas permis de démissionner. Ensuite, en 1990, il a de nouveau demandé qu'on lui permette de remettre sa démission à cause de problèmes familiaux et sa demande a été acceptée en septembre de cette année-là.

 

            Il est retourné travailler à la ferme familiale. En juin 1992, des militants de son propre village sont venus le voir à la ferme et lui ont demandé son appui et son aide à cause de sa formation militaire et de son expérience au sein de la police. Il affirme qu'il a refusé d'accéder à cette demande même si les militants menaçaient de tuer les membres de sa famille. En août 1992, il a été arrêté par la police, qui le soupçonnait de travailler avec les militants et de leur donner une formation militaire. Il a répondu qu'il ne se livrait pas à de telles activités, mais il a reconnu que des militants lui avaient rendu visite quelques mois plus tôt pour lui demander de l'aide en matière de formation. La police l'a détenu pendant trois jours, au cours desquels il a été battu. Après sa remise en liberté, il a gardé le lit pendant trois semaines en convalescence. Par la suite, comme il craignait à la fois les policiers et les militants, il s'est rendu dans d'autres régions du Pendjab, où il est demeuré jusqu'en août 1993. Durant son absence, la police et les militants se sont rendus à la ferme familiale. Les policiers l'ont sommé de se présenter au poste de police à son retour et les militants l'ont menacé de tuer les membres de sa famille s'il ne donnait pas de formation militaire aux militants. En septembre 1993, il est revenu chez lui parce que sa mère était malade. Il a de nouveau été arrêté et on l'a violemment frappé, mais il a été remis en liberté après que le conseil du village se fut porté à son secours. Il a ensuite quitté l'Inde, et est arrivé en février 1994 au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. Il estimait qu'il ne pourrait vivre en sécurité au Pendjab ou dans d'autres régions de l'Inde. Après son arrivée au Canada, les policiers ont continué de le rechercher chez lui.

 

            Dans sa décision, le tribunal administratif a conclu que rien ne justifiait d'exclure le requérant pour l'un des motifs énoncés dans la Convention des Nations unies sur les réfugiés qui est annexée à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée. Il a en outre conclu que le témoignage du requérant, dans la mesure où il se rapportait à sa revendication du statut de réfugié, n'était pas crédible ou digne de foi pour les motifs exposés dans sa décision, dont certains sont contestés au motif qu'ils reposent à tort sur des faits qui ne sont pas appuyés par la preuve. À titre subsidiaire, le tribunal a conclu que, même s'il existait des raisons de conclure que le requérant avait raison de craindre d'être persécuté au Pendjab, il n'était pas déraisonnable, eu égard à l'ensemble des circonstances, qu'il trouve refuge dans une autre partie de l'Inde, ailleurs qu'au Pendjab. Cette conclusion est également contestée dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

            Un moyen préliminaire qui est invoqué pour contester la décision de la Commission repose sur l'argument du requérant suivant lequel le tribunal a commis une erreur de droit en ne lui accordant pas une audition impartiale. Il affirme que le tribunal n'était pas impartial, que le président de l'audience a fait preuve de partialité envers le requérant et son avocat en posant des questions agressives qui ont empêché que la cause du requérant soit présentée de façon juste. Lorsque la présente demande a été entendue, l'avocat du requérant et l'avocate du ministre intimé ont convenu que, si les arguments invoqués par le requérant à ce chapitre étaient jugés bien fondés et que la Cour concluait que l'audition n'avait pas été juste et impartiale, la demande devrait être accueillie et la revendication devrait être renvoyée pour être entendue par un nouveau tribunal.

 

            Le déroulement de l'audience a été considérablement perturbé par les préoccupations soulevées en raison d'une déclaration qui est contenue dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) du requérant, dans lequel on fait allusion à des actes de violence commis contre de jeunes Sikhs par des policiers. Voici cette déclaration :

 

[TRADUCTION]

 

[...] en tant qu'agent, j'ai pu constater que la police recourait à des mesures très dures pour écraser le mouvement de sécession. Beaucoup de jeunes Sikhs de sexe masculin ont été détenus et torturés illégalement dans les postes de police. Des agents de police supérieurs m'ont demandé de tuer des militants dans des guets-apens, ce que j'ai toujours refusé de faire. J'ai commencé à avoir peur devant la tournure des événements [...]

 

[...] ma démission a été acceptée et j'ai quitté mon emploi en septembre 1990. Je suis retourné dans mon village et je me suis remis à l'agriculture. J'étais très heureux de ne plus avoir à torturer des Sikhs innocents dans les postes de police ou à les tuer dans des guets-apens. (Non souligné dans l'original.)

 

La dernière phrase, que j'ai soulignée, soulève la question de savoir s'il s'agit d'un cas dans lequel le revendicateur du statut de réfugié devrait être exclu pour l'un des motifs énoncés dans la Convention des Nations-Unies annexée à la Loi, à savoir qu'il s'agit d'une personne « dont on aura des raisons sérieuses de penser qu'elle [...] [a] commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité [...] » À cause de cette considération, un représentant du ministre était présent à l'audience, de même qu'un agent d'audience pour aider le tribunal. L'avocat qui représentait le requérant au moment de la première audition, le 25 avril 1995, était un étudiant en droit, qui avait été admis au barreau avant la deuxième séance des audiences, qui avaient été suspendues et qui avaient été closes lors de la seconde séance, le 13 octobre 1995.

 

            À l'ouverture de la première audience, avant de témoigner, le requérant a déclaré sous serment que les déclarations contenues dans son FRP étaient vraies. Lorsque la question de la phrase soulignée ci-dessus a été soulevée au cours de l'audience, il s'est avéré que son avocat, qui parle le pendjabi, avait rédigé la déclaration en question. Le requérant et son avocat ont insisté pour dire à l'audience que ce que le requérant avait dit au moment de la rédaction du FRP, c'était que [TRADUCTION] « il était heureux qu'on ne lui demande plus de torturer des Sikhs innocents [...] » Finalement, la Commission a accepté que la déclaration contenue dans le FRP était une erreur et qu'elle avait été faite par l'avocat, et non par le requérant.

 

            La transcription de la première séance des audiences est reproduite dans 47 pages. Les pages 1 à 8 servent essentiellement d'introduction et se rapportent à la nature de l'audience et à son objet, à la présentation des parties et de leurs représentants et de l'interprète, ainsi qu'à la présentation des documents. Les pages 8 à 19 concernent le témoignage direct du revendicateur, y compris les interruptions sur lesquelles je reviendrai plus loin. Les pages 22 à 47 renferment des questions posées par le représentant du ministre et les réponses du revendicateur, sans interruption significative de la part des membres du tribunal. Lors de la seconde session, en octobre, le requérant n'a pas témoigné directement, bien qu'il ait répondu aux questions posées par l'agent d'audience, par le tribunal et par l'avocat en réplique.

 

            Lors de la première audience, après quelques remarques introductives, le tribunal a suspendu brièvement l'audience pour tenir une conférence préparatoire. Le président de l'audience a informé le requérant des questions qui, selon ce qui avait été convenu, seraient débattues à l'audience. Il l'a informé que le récit des faits contenu dans le FRP du requérant serait accepté comme s'il avait été fait dans le cadre d'un témoignage et que l'avocat du requérant poserait des questions au sujet des aspects pertinents de la revendication, y compris les causes de la crainte de persécution du requérant. Il l'a en outre informé que le tribunal poserait des questions s'il jugeait nécessaire de mettre sa crédibilité à l'épreuve.

 

            L'avocat du requérant a ensuite tenté, en posant des questions, de faire confirmer par le requérant des renseignements personnels donnés dans son FRP, c'est-à-dire son nom, son âge, son lieu de naissance. L'avocat a ensuite abordé la question de son travail au sein des forces policières et lui a demandé comment il en était venu à entrer dans la police. Le requérant a répondu qu'il avait participé à des jeux organisés par le service policier. On lui a demandé à quels jeux il avait participé en Inde. Le requérant a répondu à cette question et a poursuivi en expliquant les fonctions dont il s'était acquitté dans les postes qu'il avait successivement occupés au sein des forces policières. Il a notamment précisé qu'un moment donné, il était chargé de s'occuper du mess de la police, c'est-à-dire, je suppose, de la cantine. À ce moment-là, le président de l'audience est intervenu pour dire :

 

 

[TRADUCTION]

 

[...] Nous ne voulons pas entendre tout cela, Maître. Je crois que vous allez devoir l'orienter aujourd'hui vers ce qu'il a observé en ce qui concerne les mesures sévères prises par les policiers. C'est ça que nous voulons entendre.

L'AVOCAT : Je crois que mon collègue veut entendre parler des fonctions qu'il a remplies alors qu'il servait au sein des forces policières. Si cela n'intéresse pas l'agent d'audience, je peux passer...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Je ne veux pas connaître le détail de ses fonctions.

L'AGENT D'AUDIENCE : En bref, Maître, j'estime que je peux aider le tribunal à situer les choses dans leur contexte, si l'on comprend ce que le revendicateur a fait dans la police et avec qui il a fait affaire.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui, mais il témoigne au sujet du mess et de choses de ce genre. En quoi cela est-il pertinent?

L'AVOCAT : Je crois que cela fait partie des fonctions qu'il a exercées et d'autres choses qu'il a faites, s'occuper du mess et, vous savez, d'autres fonctions. C'est la fonction qu'il a exercée pendant les quatre années qu'il a passées au sein des forces policières. Je crois que nous aurions dû parler d'entrée de jeu de la clause d'exclusion en ce qui concerne les actes répréhensibles auxquels il a pu participer ou [...]

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Je vois. D'accord.

L'AVOCAT : Je vais donc essayer d'abréger un peu.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui.

L'AVOCAT : Oui, nous allons essayer [...]

 

L'avocat a posé au requérant d'autres questions au sujet des fonctions qu'il avait remplies au sein des forces policières. Le requérant a parlé de sa mutation, en octobre 1987, à une autre zone policière, à sa participation à d'autres jeux organisés par les policiers et de ses fonctions de magasinier et de personne chargée de remettre les uniformes et l'équipement au personnel policier. Au bout d'une année, il a été muté dans une autre région où, pour la première fois, il a vu quatre ou cinq personnes qui étaient violemment torturées. Il y a eu ensuite un échange de questions et de réponses au sujet de son observation des personnes torturées, du fait qu'on lui avait demandé de participer à des meurtres et à de la torture, et de sa demande de démission. Il a décrit les fonctions qu'il avait par la suite remplies dans un autre poste qu'il avait occupé au sein des forces policières. Il a également parlé de ses autres demandes de démission, dont celle qui avait finalement été acceptée en septembre 1990. L'échange suivant a ensuite eu lieu :

 

[TRADUCTION]

 

L'AVOCAT : [...] avant d'aller plus loin, je veux vous demander... Lorsqu'en 89 vous étiez au poste de police de Bholath, on vous a demandé de torturer et de tuer des gens et vous avez refusé. Vous avez offert votre démission, mais elle n'a pas été acceptée. Après cela...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Vous savez, Maître, vous posez la question comme si on lui demandait depuis longtemps de torturer des gens. Ce n'est pas ce qu'il vous dit. Il faut présenter la preuve comme elle est. On le lui a demandé une fois.

L'AVOCAT : C'est ce que j'essaie de...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Il a vu quatre personnes dans la cellule qui semblaient avoir été violemment battues et torturées.

L'AVOCAT : J'essaie de...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Non, non, écoutez-moi. Ensuite, les gens qui se trouvent au poste de police lui ont dit que c'étaient des terroristes et qu'ils allaient être tués et on lui a demandé de participer à cette opération. C'est cet incident qui l'a amené à faire rapport deux fois et à être muté. À cause de ce que vous lui faites dire en ce qui concerne son refus de participer à la torture et à l'assassinat de gens, les faits prennent une toute autre tournure et  c'est ce que le formulaire reflète. Sa version des faits est complètement différente de ce qui est déclaré ici. De grâce, ne lui faites pas dire ce qu'il n'a pas dit.

L'AVOCAT : Monsieur...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Demandez-lui si, après qu'ils lui eurent demandé de participer à la torture et à l'assassinat de personnes...

L'AVOCAT : Oui...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : ... s'il a participé à ces incidents.

L'AVOCAT : Messieurs, ce qui m'intéressait, c'était ses tentatives de démission. J'essayais de reprendre les mots qu'il avait employés, peut-être que je me trompe (INAUDIBLE). Je vais donc essayer de corriger ces choses s'il y a de la confusion ou un autre problème.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : C'est trompeur...

 

            Le président de l'audience a ensuite posé quelques questions au sujet de la participation du requérant à des assassinats ou à des actes de torture. Le requérant a nié toute participation. Voici la série de questions et de réponses qui s'en ont suivies :

 

[TRADUCTION]

 

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui, Maître.

L'AVOCAT : Merci, Monsieur. Je vais essayer, vous savez, de (INAUDIBLE) tout ce qui n'est pas clair, mais si j'ai bien compris, c'est ce qu'il a dit et j'espère que l'agent d'audience ou M. Dombrady est ici et qu'il écoute également le témoignage.

M. Thiara, vous avez témoigné qu'en janvier 1989, vous avez offert votre démission et qu'on n'a pas accepté votre démission.

LE REVENDICATEUR : Oui.

L'AVOCAT : Après cela, avez-vous essayé de nouveau de démissionner de la police?

LE REVENDICATEUR : Oui. J'ai offert ma démission à mon supérieur à deux reprises. Je lui ai dit : S'il-vous-plaît, acceptez ma démission; je ne veux plus demeurer dans la police.

L'AVOCAT : Je crois comprendre que votre démission a été acceptée par M. Arjeet (ph) Singh?

LE REVENDICATEUR : Oui.

L'AVOCAT : Et qu'avez-vous fait ensuite?

LE REVENDICATEUR : J'étais heureux de ne pas avoir à passer la plus grande partie de mon temps avec eux, avec ceux qui tuaient des hommes. J'étais très heureux et soulagé de revenir chez moi.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Bon. Vous avez dit dans votre formulaire de renseignements personnels : [TRADUCTION] « J'étais très heureux de ne plus avoir à torturer des Sikhs innocents dans des postes de police ou de les tuer dans des guets-apens ». Qu'est-ce que vous voulez dire? Qu'est-ce que vous voulez dire par là?

LE REVENDICATEUR : Je ne voulais pas laisser entendre que j'avais déjà tué des hommes. Ce que je voulais dire, c'est que j'étais essentiellement un sportif, un joueur. Je jouais à un jeu. On me payait pour voir si des policiers se livraient à de telles activités. C'était un poids sur ma conscience. J'étais donc très heureux de ne pas être avec eux et de faire de telles choses, non pas que je n'aie jamais tué personne avant.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Eh bien, c'est ce que vous avez dit dans votre formulaire de renseignements personnels et vous avez dit que c'était vrai et exact.

L'AVOCAT : Je...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui, Maître?

L'AVOCAT : Je crois qu'il a expliqué que les lignes qui vous intéressent et je veux attirer votre attention sur la ligne 49, qui est très claire, qui vient avant ces deux lignes où il mentionne que, vous savez que j'étais, que je, c'est la ligne 43...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Qui a rédigé ce formulaire pour vous?

L'AVOCAT : Oui, malheureusement, j'étais étudiant en droit et comme je parlais le pendjabi, j'ai dû l'interroger parce qu'il parlait pendjabi. Je comprends le pendjabi et nous avons traduit sa déclaration et, vous savez, c'est un problème. Mais, en fait, son (INAUDIBLE) a été expliqué sous serment devant le tribunal. Ligne 43...

L'AGENT D'AUDIENCE : Maître, vous êtes en train de plaider. Je regrette.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui.

L'AVOCAT : J'essaie simplement de répondre à la question...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : C'est un étudiant en droit. Il faut donc lui accorder une certaine latitude.

L'AGENT D'AUDIENCE : Je le reconnais.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Mais vous avez mis ici des choses que, selon vos affirmations, cet homme ne vous a pas dites. « J'étais très heureux de ne plus avoir à torturer des Sikhs innocents dans des postes de police ou de les tuer dans des guets-apens ». Est-ce que vous dormiez quand vous avez écrit ça?

L'AGENT D'AUDIENCE : Excusez-moi. Nous demandons à l'avocat d'expliquer sa propre conduite. Comme interprète, il est certainement placé dans une situation peu enviable.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui, je comprends.

L'AGENT D'AUDIENCE : Vous lui demandez de témoigner. Je ne sais pas si on peut lui demander cela, en toute justice.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Non, nous ne lui demandons pas de témoigner. Il donne un nouveau sens à des paroles qui sont consignées ici, qu'il a lui-même consignées. Je ne lui demande pas de témoigner. Il dit que l'homme lui a relaté son histoire en pendjabi. Il l'a consignée par écrit et la lui a relue et c'est dans ces circonstances qu'il l'a signée. Mais aujourd'hui, ce que le revendicateur dit, c'est qu'exception faite de la fois où on lui a demandé de se joindre au corps de policiers qui participait aux tortures infligées à des Sikhs dans des guets-apens, il n'a pas eu d'autre expérience. Il a continué à se plaindre. De toute façon, le représentant du ministre va revenir là-dessus.

L'AVOCAT : Merci, Monsieur. Bon. M. Thiara, après avoir démissionné de la police, qu'avez-vous fait?

R. : J'ai commencé à cultiver la terre, au village, Maître.

L'AGENT D'AUDIENCE : Excusez-moi. Le tribunal désire-t-il entrer dans le détail en ce qui concerne les relations avec la police à compter de la date de sa démission jusqu'à la date de son départ du pays? Jusqu'à quel point, Maître, voulons-nous entrer dans les détails ici? Ou avons-nous suffisamment de renseignements pour aller à l'essentiel, pour ainsi dire, et pour aborder la question de sa crainte actuelle? De qui a-t-il peur présentement?

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : D'accord.

L'AGENT D'AUDIENCE : Et aussi la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du pays. Mais, là encore, c'est à vous, sans doute, de présenter cette question, Maître. Par ailleurs, le tribunal vous indiquera quelles sont les questions d'intérêt particulier.

L'AVOCAT : Oui, c'est une façon de procéder qui me semble logique.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Mais, voyez-vous, il se peut que la crédibilité de certains de ces événements soit en jeu, parce qu'il était...

L'AVOCAT : Il avait des problèmes avec des terroristes à l'époque. Selon les renseignements documentaires, cela n'était pas en...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Eh bien, demandons-lui ce qu'il craint s'il retourne maintenant en Inde. Et nous poserons au besoin des questions sur les autres parties.

L'AVOCAT : Ainsi donc, vous ne voulez pas poser de questions sur cet incident, pour avoir... Vous êtes satisfait de son témoignage sur cette question?

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Pas si vous n'en êtes pas satisfait. Mais nous l'acceptons comme témoignage. Nous allons lui poser des questions pour... pour mettre sa crédibilité à l'épreuve. Mais pouvez-vous lui demander ce qu'il craint s'il retourne maintenant en Inde?

L'AVOCAT : Sur cette question seulement, je vais lui poser une ou deux questions.

            L'avocat a alors posé à M. Thiara quelques questions pour savoir s'il avait dit à quelqu'un qu'il avait observé des prisonniers détenus par la police se faire torturer et pour savoir s'il craignait d'être persécuté dans d'autres régions indiennes que le Pendjab. L'avocat lui a également posé des questions au sujet des « émeutes de 84 » parce que le requérant avait fait allusion au fait qu'il avait été témoin du traitement dont les Sikhs avaient fait l'objet à l'époque. Sur ce, l'agent d'audience est intervenu pour dire :

 

[TRADUCTION]

 

L'AVOCAT : Vous parliez des émeutes de 84. Pouvez-vous me donner plus de détails au sujet de ce qui s'est produit lors des émeutes de 84?

L'AGENT D'AUDIENCE : Excusez-moi, Maître. Le tribunal est bien au courant de l'histoire de l'Inde et de ce qui a pu se produire en 1984, mais je ne crois pas que vous abordiez strictement... Nous trouvons que vous posez trop de questions. Mais nous devons par ailleurs vous demander de dire quelle est la pertinence de cette série de questions. Mais, encore une fois, le tribunal a-t-il une préférence au sujet de la façon dont l'avocat peut...

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Je croyais que nous nous étions entendus pour dire que la question qui lui serait posée serait celle de savoir ce qu'il craint s'il retourne maintenant en Inde. Je crois que l'agent d'audience a raison; nous sommes au courant de ce qui s'est passé en 1981.

L'AVOCAT : Je désire simplement régler la question des agents de persécution. Je sais que le tribunal est bien au courant des événements qui se sont produits en Inde en 84. Je désire simplement le faire témoigner au sujet des agents de persécution.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Oui, très bien.

 

L'avocat a ensuite posé quelques autres questions au requérant au sujet de ses craintes s'il devait retourner en Inde.

 

            L'audience a ensuite été suspendue brièvement. À la reprise des débats, l'avocat du requérant a demandé en toute déférence que le président de l'audience se retire du tribunal au motif qu'il était trop agressif envers lui. L'avocat a affirmé que son langage corporel et son attitude étaient trop agressifs et qu'il n'était pas à l'aise pour représenter son client devant le tribunal. L'avocat a présenté cette requête à la suite des directives qu'il avait reçues de son client avec qui il avait eu une conversation téléphonique durant la pause. L'avocat s'est dit d'avis que la poursuite de l'audience en présence du président de l'audience suscitait une crainte raisonnable de partialité.

 

            L'agent d'audience, le représentant du ministre et l'autre membre du tribunal ont tous convenu que le président de l'audience n'avait pas fait preuve de partialité. Après avoir consulté chacun d'entre eux, le président de l'audience a rejeté la requête de l'avocat. Le président de l'audience a déclaré qu'il comprenait le point de vue que l'avocat avait adopté à la suite des directives données par son client et il a ajouté : [TRADUCTION] « De toute façon, s'il y avait une crainte de partialité, c'est sur vous, et non sur le client, qu'elle pourrait peser. Mais en réalité il n'y en a pas [...] » Je tiens à faire remarquer que s'il y a eu partialité ou crainte raisonnable de partialité de la part de l'avocat du requérant, cela peut constituer un motif légitime de plainte de la part du requérant.

 

            L'audience s'est poursuivie. L'interrogatoire direct du requérant s'est terminé là. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, cet interrogatoire n'a nécessité que treize ou quatorze pages de transcription lors la première audience, y compris les quatre pages qui sont reproduites dans les présents motifs. Par la suite, le représentant du ministre a posé des questions sans pratiquement aucune interruption du tribunal.

 

            Près de la fin de la seconde audience, en octobre, après que le président de l'audience eut posé des questions, l'avocat du requérant a soulevé, en réplique, deux questions concernant les observations générales du requérant au sujet de la situation actuelle au Pendjab. Dans sa réponse, le requérant a mentionné une loi déterminée qui, selon ce que l'agent d'audience et le président de l'audience ont précisé, avait été abrogée. À cette remarque, le requérant a répondu que, même si c'était le cas, l'État conférerait des pouvoirs supplémentaires à la police, mais qu'aucune loi qu'il connaissait n'autorisait ou ne prescrivait l'assassinat de personnes par la police. À cela, le président de l'audience a répondu :

 

[TRADUCTION]

 

                Oui, très bien. Je n'ai pas besoin d'une conférence. Je regrette, nous ne pouvons pas... nous ne sommes pas une université. C'est une audience...

 

Dispositif

            Après avoir examiné la transcription dans son ensemble, particulièrement la partie où se trouve son interrogatoire direct, je conclus que le requérant s'est vu nié le droit à une audience impartiale. Je reconnais qu'il est difficile de trouver le juste milieu entre, d'une part, le fait de contrôler le déroulement d'une audience tout en donnant au requérant la possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue et, d'autre part, le fait de trop intervenir. Eu égard aux circonstances de la présente affaire, il me semble que le requérant et son avocat n'ont pas eu une possibilité juste et entière de faire valoir leur point de vue. Le tribunal a de toute évidence limité les questions à certains aspects et pourtant, quant je lis sa décision, les conclusions qu'il a tirées au sujet de la crédibilité en ce qui concerne les incidents entourant l'arrestation présumée du requérant portent sur des éléments avec lesquels le tribunal avait de tout évidence des difficultés, mais au sujet desquels il avait ordonné à l'audience que le requérant ne soit pas interrogé directement.

 

            Je conclus que le tribunal est allé trop loin en l'espèce. À l'audience, le tribunal est intervenu de façon injustifiée et j'estime que le requérant n'a pas eu une possibilité juste et entière de faire valoir son point de vue.

 

            La décision du tribunal administratif est annulée et l'affaire est renvoyée à la Section du statut de réfugié pour être réexaminée par un nouveau tribunal conformément à la loi.

 

 

 

                                                                                                                            W. Andrew McKay           

JUGE

 

 

 

OTTAWA (Ontario)

Le 6 mars 1997.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                           

 

François Blais, LL.L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

No DU GREFFE :IMM-1353-96

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Ravinder Singh Thiara c. M.C.I.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :18 février 1997

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge MacKay le 6 mars 1997.

 

 

ONT COMPARU :

 

Me Harry Mannpour le requérant

Me Ann Margaret Oberstpour l'intimé

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Parvinder S. Saundpour le requérant

Etobicoke (Ontario)

 

 

Me George Thomsonpour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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