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Date : 20050302

Dossier : IMM-6778-04

Référence : 2005 CF 313

Montréal (Québec), le 2 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

ANELA JULIEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 12 juillet 2004 par la Section de la protection des réfugiés (tribunal) qui ne reconnaissait pas à Mme Julien (demanderesse) la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi).


FAITS PERTINENTS

[2]                Le demanderesse est originaire d'Haïti, ou elle opérait une petite boutique à Port-au-Prince. Au mois de mai 2003, la boutique fut pillée à deux reprises. Le 4 juin 2003, pendant que la demanderesse et son mari s'apprêtaient à fermer la boutique, une homme et une femme sont entrés dans le magasin en leur ordonnant de leur donner l'argent et les clés de la boutique et de leur maison. La police a pu rattraper les bandits quelques minutes plus tard, et rien n'a été perdu.

[3]                Entre le 12 et 16 juillet 2003, la gare McDonald, où se situait la boutique de la demanderesse, fut ravagée par deux différents incendies, qui ont complètement détruit la boutique de la demanderesse. Les malfaiteurs, responsables de l'incendie, ont été arrêtés. Durant le mois de juillet 2003, la demanderesse a participé à deux manifestations contre les bandits responsables de l'incendie.

[4]                Le 11 octobre 2003, quatre policiers se sont présentés chez la demanderesse, ont volé l'argent qu'elle cachait dans sa maison, l'on amenée avec son mari au poste de police et les ont battus. Ils ont été libérés moyennant la somme de 16000 gourdes (environ 640 dollars canadien).

[5]                Suite à ceci, la demanderesse et sa famille ont dû se disperser et vivre en cachette chez des amis.

[6]                Le 3 décembre 2003, avec l'aide d'un passeur, la demanderesse a pu venir au Canada et revendiquer le statut de réfugié.

QUESTION EN LITIGE

[7]                Le tribunal a-t-il commis une erreur en droit en concluant que la demanderesse bénéficiait d'une possibilité de refuge interne et en rejetant sa demande d'asile?

ANALYSE

[8]                Bien que la demanderesse soutient que puisque le tribunal a conclu que de manière générale, la demanderesse était crédible (voir les motifs du tribunal à la page 1), il aurait du accorder la demande d'asile, il est évident de par les motifs de la décision du tribunal que la demande d'asile fut rejetée puisqu'il existait la possibilité d'un refuge interne.

[9]                Afin qu'une demande d'asile soit acceptée sous l'article 96 ou 97 de la Loi, il ne doit pas y avoir possibilité de refuge à l'intérieur du pays de nationalité de la demanderesse :


En ce qui concerne la troisième, puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Pour ce motif, je rejetterais la troisième proposition de l'appelant. (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) au paragraphe 8) (je souligne).

[10]            Or, la demanderesse a elle même témoigné qu'elle n'aurait pas de problème à aller vivre à Cap Haïtien :

Q. Je vais reprendre la question, Madame, il faut que vous répondiez de manière claire et si vous ne comprenez pas, dites-moi que vous n'avez pas compris pour que je reprenne la question. Aujourd'hui, en juin 2004, qu'est-ce qui vous fait pensez que si vous allez vivre à Cap Haïtien, la police viendrait vous chercher pour vous persécuter?

R. J'aurais pas de problème à aller vivre au Cap Haïtien, cependant, toute mon administration se trouvait à Port-au-Prince, ce n'était pas au Cap Haïtien et je connais pas... je ne connais pas le Cap Haïtien, je n'ai personne et même mon mari ne pouvait pas y aller.

Q. C'est parce que vous ne connaissez pas Cap Haïtien que vous pouvez pas y aller?

R. Ce n'est pas facile de partir d'une ville et d'aller s'implanter dans une autre qu'on ne connaît pas, on a... on connaît rien de ... de l'autre ville, c'est pas facile.

(Voir page 18 et 19 du procès verbale du 11 juin 2004)

[11]            Le simple fait de ne pas vouloir déménager, ou d'éprouver des difficultés à s'établir dans un nouvelle ville ne sont pas des éléments qui puissent justifier la demanderesse de ne pas chercher un refuge interne dans le pays qu'elle habite.


Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C'est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire. (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) au paragraphe 12)

[12]            J'ajouterais à ceci les commentaires du juge Létourneau dans l'affaire Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 de la Cour d'Appel :

Je partage l'avis exprimé par le juge Rothstein, alors juge à la Section de première instance, dans Kanagaratnam c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 83 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.), lorsqu'il déclare que la décision de notre Cour dans l'arrêt Thirunavukkarasu n'exclut pas comme facteur à prendre en considération dans l'examen du caractère raisonnable de la PRI l'absence de parents à l'endroit sûr ou dans les environs. Toutefois, la Cour y établit clairement que l'absence de parents n'est pas en soi un élément suffisant pour que la PRI soit déraisonnable. [page171] Lorsqu'une personne doit abandonner la douceur de son foyer pour aller s'installer dans une autre partie du pays, y trouver du travail et recommencer sa vie loin de sa famille et de ses amis, elle est assurément confrontée à des épreuves, et même à des épreuves indues. Toutefois, ce ne sont pas là les épreuves indues dont notre Cour fait état dans l'arrêt Thirunavukkarasu. (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.) au paragraphe 14)

[13]            De plus, comme il fut indiqué par la partie demanderesse, il existe un document d'Amnistie internationale indiquant que les réfugiés haïtiens ne devraient pas être retournés en Haïti. Par contre, le même document indique que le "Multinational Interim Force" a été envoyé en Haïti pour remettre le calme, et qu'il y avait peu de réfugié qui avait décidé de quitter Haïti.

[14]            En conclusion, vu qu'il existe un refuge interne en Haïti, et que la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est inhérente à la définition de réfugié au sens de la Convention, la demanderesse ne m'a pas convaincu que le tribunal ait commis une erreur qui justifie l'intervention de notre cour.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Les parties n'ont soumis aucune question pour certification.

                                                                                  « Pierre Blais »                

Juge


                                                     


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                IMM-6778-04

INTITULÉ :               ANELA JULIEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 1er mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                le 2 mars 2005


COMPARUTIONS:

Me Sylvie Gourd                                               POUR LA DEMANDERESSE

Me Lynne Lazaroff                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Gourd Marsolais                                                POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)     


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