Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030627

Dossier : T-768-01

Référence : 2003 CFPI 799

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2003

Présente : L'honorable juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                          JEANNE D'ARC VOLLANT

                                                             Demanderesse

                                    et

           COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                    et

                               SANTÉCANADA

                                    et

                             NOËLLA BOUCHARD

                                    et

                             REINE PARENTEAU

                                                               Défendeurs

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 6 avril 2001 par le Tribunal canadien des droits de la personne (le « tribunal » ) rejetant quatre plaintes de discrimination qui avaient été déposées par la demanderesse aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) ch. H-6, (la « Loi » ).


[2]                 La demanderesse Jeanne D'arc Vollant était à l'emploi de Santé Canada comme chauffeuse/escorte/interprète de 1986 jusqu'à 1996.

[3]                 Le 28 avril 1995, elle a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ) dans laquelle elle allègue que son employeur l'a défavorisée en cours d'emploi en réduisant ses heures de travail de quarante (40) heures à vingt (20) heures par semaine. En outre, son employeur aurait toléré du harcèlement à son endroit en raison de son origine autochtone contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi.

[4]                 Parallèlement le 11 mai 1995, elle a déposé auprès de la Commission deux (2) plaintes dans lesquelles elle soutient que deux employées de Santé Canada l'ont harcelée en raison de son origine autochtone contrairement aux dispositions de l'article 14 de la Loi.

[5]                 Finalement le 11 juin 1997, elle a déposé une plainte auprès de la Commission dans laquelle elle estime que son employeur Santé Canada a fait preuve de discrimination à son endroit en la défavorisant en cours d'emploi et en refusant de lui fournir un emploi en raison de son origine autochtone et ce, contrairement à l'article 7 de la Loi.

[6]                 L'audition de cette affaire devant le tribunal s'est déroulée sur plusieurs mois et fut présidée par M. Roger Doyon.

[7]                 Le 6 avril 2001, le tribunal rendait sa décision rejetant les plaintes de la demanderesse. Il concluait que les faits révélés par la preuve et la balance des probabilités n'ont pas démontré le bien-fondé des actes discriminatoires reprochés aux employées et n'ont pas révélé non plus le bien-fondé des plaintes vis-à-vis l'employeur, Santé Canada.

[8]                 Cette décision fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

ANALYSE

[9]                 Il convient de noter au départ qu'à mon avis, la norme de contrôle applicable pour ce qui est des conclusions de fait du tribunal est celle de la décision manifestement déraisonnable (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 C.F. 653).

[10]            Quant à la question sur la partialité du tribunal, il s'agit d'une question de droit et de fait qui est laissée à l'appréciation de cette Cour puisqu'elle porte sur le comportement du tribunal et non sur sa décision.

[11]            La demanderesse invoque comme premier moyen une crainte raisonnable de partialité de la part du président du tribunal.

[12]            Elle soutient que le président aurait fait des commentaires racistes lors d'une conversation avec M. Norris, représentant de la demanderesse. L'affidavit de M. Norris affirme ce qui suit:

[...] Il renchérit avec l'information qu'il était propriétaire d'un chalet près d'un lac au nord de Baie Comeau, et que lors du trajet en véhicule entre son domicile en Beauce et son chalet il passait devant l'enseigne, sur la route 138 entre Forestville et Baie Comeau, de la communauté de Betsiamites. Me Doyon m'a demandé (en tant qu'ancien membre de la GRC et responsable du Poste de Baie Comeau) s'il pouvait librement visiter en véhicule la réserve indienne en question sans craindre pour sa sécurité.

Dossier de la demanderesse à la page 141.

[13]            La demanderesse prétend que les commentaires du président démontrent une attitude ou perspective qui laisse planer un doute sur l'impartialité du président. Cela a des implications sérieuses puisque la demanderesse et ses témoins sont de descendance autochtone.


[14]            Les défendeurs soutiennent que la demanderesse ne s'est pas déchargée de son fardeau de démontrer, par une preuve concrète et sérieuse, un comportement du président qui serait gravement dérogatoire. Les propos en litige ont été prononcés lors d'une conversation privée de personnes qui avaient pris l'habitude de bavarder ensemble sur des sujets anodins tirés de leurs expériences personnelles. Il s'agissait de paroles sans grande importance qui ne pouvaient laisser croire à quelque parti pris ou partialité du président à l'égard des autochtones.

[15]            Par ailleurs, les défendeurs soulignent qu'ils trouvent insidieux que la demanderesse soulève aujourd'hui un tel moyen qu'elle ne semble pas avoir trouvé grave à l'époque puisqu'elle ne l'a pas soulevé devant le tribunal.

[16]            Le test pour déterminer l'existence d'une crainte raisonnable de partialité a été articulé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l' énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394:

[...]    Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [...], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[17]            Une allégation d'apparence de partialité contre un tribunal est une question très sérieuse qui ne doit pas être décidée à la légère par la Cour. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons mais doit être étayée par des preuves concrètes (Arthur c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1091 (QL)).


[18]            Bien que je sois d'avis que la pratique du tribunal de bavarder de façon informelle en privé avec les représentants des parties soit à déconseiller, l'incident reproché en l'espèce est en soi anodin, ne révèle pas à mon avis une attitude raciste et ne peut à lui seul être suffisant pour soulever une crainte raisonnable de partialité. D'ailleurs, une lecture attentive des motifs prononcés dans cette affaire démontre que celui-ci a analysé la preuve avec soin et qu'il a d'ailleurs accordé beaucoup de crédibilité aux témoignages de deux autochtones.

[19]            Je note également que la demanderesse n'a pas soulevé sa crainte de partialité devant le président du tribunal. Le défaut de l'avoir fait en temps opportun lui est fatal aujourd'hui.

[20]            La Cour suprême du Canada a déterminé que la crainte raisonnable de partialité doit être soulevée à la première occasion favorable et que le défaut de soulever ce moyen sera considéré comme une renonciation (Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892).


[21]            Relativement aux prétentions des défendeurs que la Commission ait agi contre l'intérêt public en ne soulevant pas la question avec le tribunal, je considère qu'il n'en est pas de la sorte. Le procureur de la Commission a estimé à juste titre que l'incident avec M. Norris et le président était banal et ne nécessitait aucune intervention de la part de la Commission. Il a dès lors mentionné à M. Norris qu'il n'avait pas l'intention de soulever la question de partialité du président, lui indiquant qu'il était loisible à la demanderesse de le faire puisqu'elle était une partie distincte de la Commission. Je suis satisfaite que le comportement du procureur de la Commission était approprié dans une telle circonstance et l'on ne peut lui reprocher aujourd'hui d'avoir agi contrairement à l'intérêt public.

[22]        Quant au bien-fondé de la décision du tribunal, la demanderesse n'est pas d'accord avec l'appréciation de la preuve du tribunal et des conclusions qui en découlent. Or, cette analyse des faits en litige et de la crédibilité des témoins entendus ressort de la compétence même du tribunal. Je suis d'avis que le tribunal a soigneusement exposéla preuve qu'il a entendue. Aucune des conclusions tirées par le tribunal n'est manifestement déraisonnable. La demanderesse ne peut pas demander à cette Cour de préférer son interprétation des faits à celle faite par le tribunal.

[23]            La demanderesse maintient également que le refus du tribunal d'ordonner à la défenderesse, ce après que la Commission eut déclaré sa preuve close, de lui remettre une version non expurgée des documents qu'elle avait obtenus une semaine auparavant suite à une demande d'accès faite aux termes de la Loi sur l'accès à l'information et de laLoi sur la protection des renseignements personnels, a eu pour effet de nier son droit à une défense pleine et entière.

[24]            Il convient de noter au départ que c'est à la plaignante de démontrer le bien-fondé de ses allégations de discrimination. Ce n'est pas la demanderesse qui a droit à une défense pleine et entière mais bien les personnes qu'elle accuse de discrimination.

[25]            En tout état de cause, il n'est pas suffisant pour une partie d'affirmer que des documents sont nécessaires pour contre-interroger un témoin, celle-ci doit convaincre le tribunal de la pertinence de ces documents, ce que la demanderesse n'a pu faire.

[26]            Pour ce qui est de la Commission, puisque celle-ci avait déclaré sa preuve close, il est clair qu'elle jugeait ces documents inutiles. Si elle les avait trouvés pertinents, elle aurait exigé leur production pour compléter sa preuve. Il est difficile de voir dans les circonstances les motifs pour lesquels le tribunal aurait dû acquiescer à la requête de dernière minute de la demanderesse. Le tribunal est maître de sa procédure et dispose d'une discrétion pour évaluer la pertinence d'un document.

[27]            Je suis satisfaite que le tribunal a correctement exercé sa discrétion.


[28]            Finalement, contrairement aux prétentions de la demanderesse, je suis d'avis que le président n'a pas considéré les intentions des auteurs des commentaires prétendument racistes. Il s'est demandé plutôt si une personne raisonnable bien renseignée aurait jugé discriminatoires les commentaires en tenant compte de leur contexte. La Cour suprême du Canada dans l'affaire Prud'homme c. Prud'homme, [2002] A.C.S. no 86 (QL), a affirmé récemment l'importance d'interpréter les paroles dans leur contexte afin d'éviter de déformer la vérité. C'est ce qu'a fait le président. Je suis satisfaite qu'il a correctement appliqué le droit applicable en l'espèce.

[29]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens.

                                                                    « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.C.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                             T-768-01

INTITULÉ:                                            JEANNE D'ARC VOLLANT

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et SANTÉ CANADA et NOËLLA BOUCHARD et REINE PARENTEAU

LIEU DE L'AUDIENCE:                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:                  Le 23 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE:                 L'honorable juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS:                         Le 27 juin 2003

COMPARUTIONS:

Me Geeta Narang                                    pour la demanderesse

Me Raymond Piché et

Me Nadine Perron                                   pour les défendeurs (Santé Canada)

Me Giacomo Vigna                                 pour la défenderesse (Commission canadienne des droits de la personne)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Geeta Narang

5594, rue Hutchison

Montréal (Québec)

H2V 4B6                                                 pour la demanderesse


M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de Québec

Complexe Guy Favreau

200, boulevard René Lévesque ouest

Tour est, 5ième étage

Montréal (Québec)

H2Z 1X4                                                 pour les défendeurs (Santé Canada)

Commission canadienne

des droits de la personne

344, rue Slater

9ième étage

Ottawa (Ontario)

K1A 1E1                                                 pour la défenderesse

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.