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Date : 20051229

Dossier : IMM-3657-05

Référence : 2005 CF 1742

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

GEORGE PERCIVAL FERGUSON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         M. George Ferguson, de nationalité jamaïcaine, est arrivé au Canada depuis les États-Unis en 1998. Le 22 novembre 2004, un rapport fut établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), dans lequel M. Ferguson était déclaré interdit de territoire en application de l'alinéa 36(1)b) de la Loi. Le rapport, ainsi qu'un second rapport qui fut retiré par la suite, ont été présentés, pour enquêtes à un commissaire de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission).

[2]         L'incident à l'origine de la déclaration de culpabilité de M. Ferguson fut son achat d'une automobile d'occasion en février 1997. Il avait obtenu un permis temporaire qui faisait état de la date d'achat. M. Ferguson devait faire inspecter le véhicule dans un délai de quelques jours après l'achat, ce qu'il n'a pas fait, et le vendeur du véhicule a ensuite modifié l'autocollant pour qu'il fasse état d'une date d'achat plus tardive. M. Ferguson fut arrêté dans l'État de New York le 8 mars 1997. Il a plaidé coupable à l'accusation de possession criminelle au troisième degré d'un document falsifié, un délit prévu par la section 170.20 du Code pénal de l'État de New York, et il fut donc déclaré coupable.

[3]         Les enquêtes ont eu lieu le 26 avril et le 1er juin 2005. Dans les motifs de sa décision, communiqués oralement le 1er juin 2005, la Commission concluait que M. Ferguson avait été déclaré coupable dans l'État de New York d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction au Code criminel du Canada, L.R.C., ch. C-34, punissable d'un emprisonnement maximal de dix ans.

[4]         En conséquence de cette décision, la Commission prononça le 1er juin 2005 une mesure d'expulsion dans les termes suivants :

[traduction]

Eu égard à la preuve produite lors de l'enquête tenue conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi), la Section de l'immigration arrive à la conclusion que vous êtes une personne visée par l'alinéa 36(1)b) de la Loi.

Conformément à l'alinéa 45d) de la Loi et au Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), la Section de l'immigration ordonne donc votre expulsion.

[5]         M. Ferguson sollicite le contrôle judiciaire de la mesure d'expulsion.

Le point litigieux

[6]         L'unique point litigieux soulevé dans la présente demande est le suivant :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en disant que M. Ferguson avait été déclaré coupable d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction au paragraphe 368(1) du Code criminel du Canada?

Le cadre légal

[7]         Le paragraphe 36(1) de la Loi prévoit l'interdiction de territoire de l'étranger déclaré coupable de « grande criminalité » :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

b) être déclaré coupable, à l'extérieur du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans;

c) commettre, à l'extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans.

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[8]         Pour chacune des éventualités prévues par les alinéas b) et c), l'agent d'immigration qui interroge l'étranger au point d'entrée, et la Commission, durant l'enquête conduite en application de la Loi, doivent se demander si l'infraction commise à l'extérieur du Canada équivaut à une infraction commise au Canada. En l'espèce, l'agent et la Commission devaient comparer l'article 170.20 du Code pénal de l'État de New York et le paragraphe 368(1) du Code criminel du Canada. Ces dispositions sont les suivantes :

[traduction]

Code pénal de l'État de New York

Chapitre 40 des Lois codifiées - Droit pénal

Art. 170.20 Détention illégale au troisième degré d'un document contrefait. Est coupable au troisième degré de détention illégale d'un document contrefait quiconque, ayant connaissance de la contrefaçon et dans l'intention de frauder, de tromper ou de léser autrui, emploie ou possède un document contrefait. L'infraction de détention illégale au troisième degré d'un document contrefait est un délit de catégorie A.

Code criminel du Canada

368. (1) Quiconque, sachant qu'un document est contrefait, selon le cas :

a) s'en sert, le traite, ou agit à son égard;

b) fait, ou tente de faire, accomplir l'un des actes visés à l'alinéa a),

comme si le document était authentique, est coupable :

c) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans;

d) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Criminal Code of Canada

368. (1) Every one who, knowing that a document is forged,

(a) uses, deals with or acts on it, or

(b) causes or attempts to cause any person to use, deal with or act on it,

as if the document were genuine,

(c) is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years; or

(d) is guilty of an offence punishable on summary conviction.

[9]         Ainsi que le prévoit l'article 33 de la Loi, les faits qui constituent l'interdiction de séjour « sont appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus » .

Analyse

La norme de contrôle

[10]       Le point que je dois décider se rapporte aux conclusions de fait tirées par la Commission. Pour juger de l'équivalence, la Commission devait établir les faits à l'origine d'une déclaration de culpabilité prononcée à l'étranger. Le seul point de désaccord entre les parties est de savoir si la Commission a validement jugé que le demandeur avait « employé » le faux document d'immatriculation, entraînant ainsi sa déclaration de culpabilité dans l'État de New York.

[11]       La Cour d'appel fédérale a donné à entendre, dans l'arrêt Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 122 (voir aussi Dhanani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 169 (C.F.), au paragraphe 22), qu'une décision de la Commission en matière d'équivalence est examinée au regard de la décision manifestement déraisonnable. Les conclusions de fait de la Commission ne doivent pas être modifiées à moins qu'elles ne soient manifestement déraisonnables. Par conséquent, la Cour n'interviendra que si la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait « des motifs raisonnables de croire » que le demandeur avait employé le document contrefait était manifestement déraisonnable.

La Commission a-t-elle commis une erreur?

[12]       La comparaison du paragraphe 368(1) du Code criminel et de l'article 170.20 du Code pénal de l'État de New York requiert de bien saisir le sens du mot « emploi » , que l'on trouve dans le Code criminel. Le verbe « employer » , s'agissant d'un document contrefait, signifie, selon le paragraphe 368(1) du Code criminel, se servir du document, le traiter ou agir à son égard, ou faire accomplir l'un de ces actes, comme si le document était authentique. En l'espèce, le demandeur ne conteste pas que l'immatriculation temporaire collée sur son pare-brise était contrefaite. La question à laquelle devait donc répondre la Commission était la suivante : la preuve établit-elle que le demandeur a été déclaré coupable, en vertu de l'article 170.20 du Code pénal de l'État de New York, de s'être servi de cette immatriculation temporaire contrefaite, de l'avoir traitée ou d'avoir agi à son égard? Si la réponse est affirmative, il en découle que l'infraction commise constituerait une infraction au Code criminel.

[13]       Le paragraphe 368(1) du Code criminel ne parle que de l'infraction consistant à employer un document contrefait, mais la loi applicable de l'État de New York précise que l'infraction peut être celle qui consiste à posséder un document contrefait ou à employer un tel document. Le fond de l'argument de M. Ferguson est que, d'après la preuve, il n'a été déclaré coupable que de possession, et non à la fois de possession et d'emploi. Au soutien de cet argument, le demandeur invoque le [traduction] « Certificat de décision » , sur lequel est écrit ce qui suit :

[traduction] SUR PLAIDOYER DE CULPABILITÉ À L'ACCUSATION RÉDUITE DE DÉTENTION ILLÉGALE AU 3e DEGRÉ D'UN DOCUMENT CONTREFAIT- 170.20, ET UTILISATION NON AUTORISÉE D'UN VÉHICULE AVEC CIRCONSTANCES AGGRAVANTES - 511.1A, EN EXÉCUTION TOTALE... [Non souligné dans l'original.]

[14]       Le demandeur fait valoir que cette référence du certificat de décision à la seule possession d'un document contrefait est la preuve incontournable qu'il n'a été déclaré coupable que de possession et non d'emploi du document. Je ne partage pas ce point de vue.

[15]       Après examen de l'article intitulé [traduction] « Falsifications et infractions apparentées » , dans le Code pénal de l'État de New York, on constate que toutes les dispositions sont agencées de la même manière. Chaque infraction débute par une rubrique ou un titre. D'autres articles, par exemple, renferment des dispositions dont les titres sont [traduction] « Falsifications au premier degré » , [traduction] « Simulation criminelle » et [traduction] « Utilisation illégale au premier degré de fausse monnaie » . Après le titre, suit nécessairement la description des éléments de l'infraction. Ainsi, quand le certificat de décision dit « DÉTENTION ILLÉGALE AU 3e DEGRÉ D'UN DOCUMENT CONTREFAIT - 170.20 » , il donne simplement le titre ou la rubrique de l'article applicable du Code pénal de l'État de New York. Sans un examen des autres pièces de la procédure, il est impossible de dire, en se fondant sur le seul certificat de décision, les éléments de l'infraction commise par le demandeur. Pour savoir si l'infraction commise concernait l'emploi du document, la possession du document ou à la fois l'emploi et la possession, on doit s'en rapporter aux autres pièces de la procédure.

[16]       Heureusement pour la Commission, d'autres preuves faisaient partie intégrante du dossier. Les déclarations de la dénonciation et du rapport présentenciel exposent les faits à l'origine de la déclaration de culpabilité. La déclaration qui apparaît dans la dénonciation donne la description suivante de la présumée infraction :

[traduction] À savoir : l'accusé, à la date, à l'heure et à l'endroit susmentionnés, sachant qu'il était contrefait, et dans l'intention de frauder, de tromper ou de léser autrui, a employé ou avait en sa possession un document contrefait, et plus précisément un certificat contrefait d'immatriculation temporaire de non-résident, émis au New Jersey, et il a présenté à la police ledit document dans le dessein de tromper la police. [Non souligné dans l'original.]

[17]       Dans le rapport présentenciel rédigé après le plaidoyer de culpabilité, l'infraction était décrite ainsi :

[traduction] Le 8 mars 1997, à 17 h 40, l'accusé avait en sa possession un certificat contrefait d'immatriculation de non-résident, émis au New Jersey, et il a tenté de tromper la police. [Non souligné dans l'original.]

[18]       Selon ces deux documents, le demandeur a commis les deux infractions mentionnées dans la disposition applicable du Code pénal de l'État de New York.

[19]       Contrairement à l'argument du demandeur, la Commission était fondée à s'en remettre à ces documents pour dire que le demandeur avait employé le document contrefait (Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 349 (C.F.), décision infirmée pour d'autres motifs, 2005 CAF 122; Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192 (C.A.F.), au paragraphe 10). Le demandeur dit que l'acte d'accusation est rédigé par le ministère public, avant le procès ou avant le plaidoyer de culpabilité, mais le rapport présentenciel est rédigé après le plaidoyer de culpabilité. À mon avis, les circonstances du délit étaient établies quand le plaidoyer de culpabilité fut enregistré. Il s'ensuit que le rapport présentenciel est une preuve crédible des faits à l'origine du délit.

[20]       En somme, il existait une preuve permettant de conclure à l'existence de « motifs raisonnables de croire » que le demandeur avait employé le document contrefait, d'autant plus qu'il n'existait aucune preuve contraire. La conclusion du commissaire était autorisée par la preuve, et il n'y a pas lieu de la modifier.

[21]       S'il avait été déclaré coupable d'emploi d'un document contrefait, infraction prévue par le paragraphe 368(1) du Code criminel, le demandeur aurait été passible d'un emprisonnement maximal de dix ans. Les conditions de l'alinéa 36(1)b) sont réunies et, ainsi que le prévoit le paragraphe 36(1) de la Loi, le demandeur est interdit de territoire pour cause de grande criminalité. La mesure d'expulsion a été validement prononcée.

Dispositif

[22]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé que soit certifiée une question.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

      1.          La demande est rejetée; et

      2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

                                                                                                ___________________________

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3657-05

INTITULÉ :                                        GEORGE PERCIVAL FERGUSON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE:                 LE 8 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 29 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Ahlam Balazs

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ahlam J. Balazs

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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