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Date : 20190612


Dossier : IMM-5185-18

Référence : 2019 CF 807

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MD MAHBUBUR RAHMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, un citoyen du Bangladesh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent de la Section de l’Immigration (la SI) de la Commissions de l’immigration et du statut de réfugié statuant qu’il était interdit de territoire au Canada pour raisons de sécurité. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée puisque l’agent a effectué l’analyse qui convenait, a fondé ses conclusions sur les éléments de preuve et a rendu une décision raisonnable. Aucun motif ne permet à la Cour d’intervenir.

Question préliminaire

[2]  Le défendeur a demandé que l’intitulé soit modifié de manière que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme le défendeur, soulignant que c’est le ministère assurant la surveillance générale de la SI qui a rendu la décision visée par le contrôle.

[3]  Le demandeur n’est pas de cet avis et souligne que le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile est inscrit en tant que partie à la décision visée par le contrôle.

[4]  Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue qu’il existe une raison impérieuse de modifier l’intitulé de l’affaire. Par conséquent, je rejette la demande du défendeur.

Contexte

[5]  Le défendeur, Md Mahbubur Rahman, est un citoyen du Bangladesh qui a été jugé interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en tant que membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte de renversement d’un gouvernement par la force et de terrorisme aux termes des alinéas 34(1)b) et c) de la LIPR.

[6]  L’enquête découlait de la demande d’asile présentée par le demandeur en décembre 2015 dans laquelle celui-ci alléguait être exposé à la persécution et à des menaces de la part du parti au pouvoir au Bangladesh, l’Awami League, ainsi que de la part d’extrémistes musulmans. Il prétend courir ces risques à la suite de ses activités en tant que co-fondateur d’une organisation appelée Noakhala Social Welfare Organization. Toutefois, dans sa demande d’asile, il a révélé avoir été membre du Parti national du Bangladesh (le BNP) du 1er février 2006 jusqu’au 25 janvier 2014. Le traitement de sa demande d’asile a été suspendu en attendant la tenue d’une enquête visant à établir s’il était interdit de territoire en raison de son appartenance passée au BNP.

[7]  Un rapport a été établi aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR et examiné par le délégué du ministre, avec déféré de l’affaire à la SI et signé le 18 octobre 2016. Le rapport allègue que le demandeur est visé par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR en tant qu’ancien membre du BNP.

[8]  Le demandeur admet d’emblée qu’il était membre du BNP.

Décision visée par le contrôle

[9]  Dans sa décision du 2 octobre 2018, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au tire de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR et a pris une mesure de renvoi à son encontre. La SI a souligné que, dans son témoignage et ses éléments de preuve documentaire, le demandeur avait reconnu qu’il appartenait au BNP. Le demandeur affirme qu’il s’est joint au parti en février 2006 et a été élu secrétaire conjoint adjoint de son chapitre local du BNP. Il a déclaré qu’il a occupé ce poste jusqu’en janvier 2014. Le demandeur a expliqué que, pendant les élections tenues en 2014, il a été travailleur sur le terrain et  a pris part à des manifestations et organisé des activités pacifiques. La SI a souligné que la question à prendre en compte était celle de l’existence d’un quelconque lien entre les activités du BNP et le renversement d’un gouvernement par la force et le terrorisme.

[10]  La SI a souligné que la norme de preuve était celle des « motifs raisonnables » qui a été abordée dans des affaires devant la Cour fédérale et qui est définie comme une norme de preuve moins rigoureuse que la norme de la prépondérance des probabilités utilisée en matière civile, ou une croyance légitime à une  possibilité sérieuse en raisons de preuves dignes de foi (Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 CF 642 (CF) au par. 27, conf. dans [2001] 2 CF 297 (CAF)). Selon la SI, le fardeau de la preuve incombe au ministre.

[11]  La SI a fait remarquer que l’appartenance est un élément essentiel d’une conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f). Elle a reconnu que, bien que le terme « appartenance » ne soit pas défini dans la LIPR, la jurisprudence donne une certaine indication de ce qui constitue l’appartenance, et dans la décision Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85 (Poshteh) la Cour a soutenu qu’il fallait lui donner une interprétation libérale (au par. 27).

[12]  Au sujet du terrorisme, la SI a souligné que, bien que le terme ne soit pas défini dans la LIPR, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 (Suresh]) a établi des balises. De plus, la SI a souligné les définitions des termes « activité terroriste » et « groupe terroriste » qui figurent au paragraphe 83.01(1) du Code criminel, LRC, 1985, c C-46 (Code criminel). Après avoir analysé l’arrêt Suresh, le Code criminel, les instruments internationaux, ainsi que la jurisprudence de la Cour fédérale relativement  à la situation du demandeur, la SI a conclu que les actions du BNP répondaient à la définition de terrorisme.

[13]  La SI a renvoyé à des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays et des éléments de preuve documentaire montrant que le BNP a recours aux hartals (ou grèves/érection de barrages) en tant que principales armes pour affirmer son opposition politique aux actions du parti au pouvoir. L’agent de la SI a constaté qu’il existe des motifs plus que raisonnables pour établir que l’appel à des grèves et à des barrages routiers comme moyens visant à forcer le gouvernement à prendre une mesure en particulier a eu des incidences financières graves et importantes sur l’économie qui équivalent à du terrorisme. La SI a aussi énuméré des incidents de violence qui sont survenus et établi qu’il existe un lien direct entre les hartals et la violence qui s’ensuit au point où les deux éléments sont indissociables. Elle a également mis en relief les éléments de preuve fournis par le demandeur selon lesquels il avait quitté le BNP à cause de cette violence dont il n’ignorait rien.

[14]  Même si le BNP ne figure pas sur une liste des entités terroristes reconnues par Sécurité publique Canada ou le Département d’État des États‑Unis, la SI a signalé que ces listes ne sont pas exhaustives et qu’elle n’est pas liée par elles. Selon la totalité des éléments de preuve, la SI est convaincue qu’il existe des motifs plus que raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme.

[15]  En ce qui concerne le renversement par la force, la SI a encore souligné qu’il n’y a pas de définition du mot « renversement » dans la LIPR, mais que la jurisprudence indique qu’il doit être interprété de façon libérale (Qu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 399 au par. 33). La SI a invoqué la décision Eyakwe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 409, qui définit au paragraphe 30 le renversement comme « le changement de gouvernement […] par l’usage de la force, de la violence ou de moyens criminels ».

[16]  Par conséquent, la SI a souligné que les actes de terrorisme sont pertinents en ce qui concerne  l’analyse de la question de savoir si le BNP s’est livré à la subversion. Elle a fait remarquer que le BNP souhaite  que le processus électoral se déroule inéquitablement, car ce qu’il cherche à faire pendant les élections, c’est utiliser la violence ou la menace de violence pour empêcher les personnes qui n’appuient pas le parti d’exercer leur droit de vote. Cela, a conclu la SI, équivaut au renversement par la force.

[17]  La SI a conclu que le demandeur est interdit de territoire de par son appartenance au BNP à l’égard  duquel il existe des motifs raisonnables de croire que l’organisation est, a été ou sera l’auteur ou l’instigateur d’actes visant au renversement du gouvernement du Bangladesh par la force et d’actes de terrorisme au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[18]  À la suite de cette conclusion, une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur.

Questions en litige

[19]  La seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si l’agent de la SI a tiré des conclusions raisonnables à l’égard des éléments suivants :

  1. L’appartenance du demandeur au BNP

  2. Le BNP s’est-il livré à des actes de terrorisme

  3. Le BNP s’est-il livré à des actes de renversement par la force.

Norme de contrôle

[20]  La norme de contrôle qui s’applique n’est pas en cause. Les parties conviennent que la norme de contrôle qui doit s’appliquer à la décision de la SI est celle de la décision raisonnable.

Analyse

A.  L’appartenance du demandeur au BNP

[21]  En dépit du fait que le demandeur a admis qu’il appartenait au BNP, dans le présent contrôle judiciaire, il soutient que la SI a omis d’examiner la question de savoir si la nature de son appartenance à l’organisation ou de ses activités au sein de celle-ci était suffisante pour conclure qu’il était membre de ladite organisation au sens  de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Il prétend que la SI devait prendre en compte la nature de son appartenance pour apprécier la question de savoir s’il partageait un dessein commun avec le BNP.

[22]  Comme l’a souligné la SI, l’appartenance est un élément essentiel d’une conclusion d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. La Si a aussi souligné, à bon droit, qu’il faut donner une interprétation libérale au terme « appartenance » selon la nature et la durée des activités menées par l’intéressé au sein d’une organisation (Poshteh au par. 27).

[23]  Dans la décision Saleh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 303 (Saleh), le demandeur a soutenu que le simple fait d’être un membre officiel d’une organisation ne devrait pas inévitablement équivaloir au fait d’être « membre » d’une organisation au sens  de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Le juge Gibson (tel était alors son titre) a rejeté cet argument en statuant, au paragraphe 19, ce qui suit :

Avec tout le respect que je dois à l’avocat du demandeur, le poids de la jurisprudence de la Cour et de la Cour d’appel fédérale semble aller dans le sens inverse. En somme, si une personne est « membre » d’une organisation, elle est « membre » aux fins de l’alinéa34(1)f) avec toutes les conséquences que comporte une telle appartenance, toute exception à cette règle étant à la discrétion du ministère de la Couronne en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR et non à la discrétion des agents d’immigration ou de la Cour. On trouve un exemple de cette interprétation dans les motifs de mon collègue, le juge de Montigny, qui s’est exprimé comme suit au paragraphe [31] de la décision Tjiueza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) :

Encore là, je ne pense pas que la SI [Section d’immigration] a commis une erreur dans son interprétation de l’al. 34(1)f) de la Loi. Cette disposition fait en sorte qu’un étranger est interdit de territoire en raison de son appartenance à une organisation; elle n’exige pas une participation active. S’il était nécessaire de jouer un rôle actif, l’al. 34(1)f) serait redondant parce que participer activement à des actes visant au renversement d’un gouvernement par la force est un motif d’interdiction de territoire en vertu de l’al. 34(1)b) de la LIPR. Les alinéas 34(1)b) et 34(1)f) sont des " motifs distincts qui se chevauchent " »

[Renvois omis.]

[24]  En l’espèce, le demandeur a reconnu qu’il appartenait au BNP. En prétendant  que la SI aurait dû procéder à une analyse supplémentaire de l’appartenance, le demandeur prétend en fait que la SI aurait dû appliquer, en ce qui concerne l’appartenance, un critère plus rigoureux, à savoir un critère qui exige une  « participation active », ce qui  a été expressément dénoncé par le juge de Montigny (tel était alors son titre), dans l’extrait cité plus haut.

[25]  Quoi qu’il en soit, l’examen du cas et la recommandation de renvoi pour enquête comportait une analyse de l’appartenance du demandeur au BNP, ce qui a été accepté par la SI. Cette analyse a révélé  que le demandeur a été un membre actif du BNP pendant sept ans, ce qui démontre un engagement important envers le BNP.

[26]  Dans les circonstances, je conviens avec le défendeur que la SI a effectué une analyse suffisante de l’appartenance même si le demandeur a reconnu son appartenance à l’organisation. C’est encore davantage le cas à la lumière du fait que, dans la décision Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85 (aux par. 57 à 59), la Cour a énuméré les facteurs à prendre en considération lorsque l’appartenance à l’organisation n’est pas admise, à savoir le niveau de participation du demandeur, la durée de cette participation, et l’engagement du demandeur envers l’organisation et son adhésion à ses objectifs.. En l’espèce, toutefois, l’appartenance est admise et, par conséquent, il n’est pas justifié de faire une analyse plus poussée.

[27]  De façon générale, les arguments avancés par le demandeur au sujet de son appartenance à l’organisation ne sont pas fondés. Il a reconnu avoir été  membre BNP pendant longtemps et y avoir exercé des fonctions qui allaient bien  au-delà d’une participation passive ou inactive. Il a reconnu avoir été un membre actif  et avoir été élu à un poste qu’il a occupé de février 2006 à janvier 2014. Il a aussi travaillé sur le terrain pour le BNP pendant les élections de 2014. Étant donné son appartenance reconnue et son niveau de participation directe aux objectifs du BNP, la SI n’a commis aucune erreur dans son analyse relative à l’appartenance.

B.  Le BNP s’est-il livré à des actes de terrorisme?

[28]  Le demandeur soutient que la conclusion tirée par la SI concernant le terrorisme n’est pas raisonnable étant donné que celle-ci a invoqué et appliqué les définitions d’« activités terroristes » et de « groupe terroriste » qui figurent dans le Code criminel. Il prétend que la description de « terrorisme » figurant dans le Code criminel est plus libérale que celle donnée par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh.

[29]  Le demandeur invoque la décision AK c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 236 (AK) à l’appui de ces arguments. La décision AK se distingue toutefois parce que l’agent, dans cette affaire, s’est fondé complètement sur les définitions figurant dans le Code criminel, tandis que l’agent de la SI en cause en l’espèce s’est inspiré de diverses sources. J’estime que l’agent de la SI a fait appel au droit criminel pour mettre en perspective les questions en litige, et non pas pour importer des notions de droit criminel dans des procédures relevant du droit de l’immigration et du statut de réfugié (Kamal c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 480 (Kamal) au par. 67).

[30]  Le paragraphe 34(1) de la LIPR est ainsi libellé :

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

(a)  engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

c) se livrer au terrorisme

(c) engaging in terrorism;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

(d) being a danger to the security of Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

[31]  L’agent de la SI en cause en l’espèce a souligné  la définition générale donnée par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh, au paragraphe 98 :

À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l’immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c’est le cas.

[32]  La jurisprudence récente de la Cour confirme des conclusions selon lesquelles le BNP est une organisation qui s’est livrée à des activités terroristes au sens  de la LIPR, voir : Alam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 922 (Alam); Kamal; SA c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 494 (SA); Gazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94; et Intisar c Canada (MCI), 2018 CF 1128. J’estime que les appréciations faites  par la Cour dans les décisions Alam et SA s’appliquent en l’espèce.

[33]  Je ne souscris pas à l’affirmation du demandeur selon laquelle la Cour a rendu des décisions contradictoires concernant le BNP et sa participation à des actes de terrorisme. Après avoir examiné plus attentivement les décisions en question, toutefois, il m’apparaît clair que celles-ci ont été rendues relativement  à des conclusions particulières et au dossier de preuve particulier dont disposait la Cour. Il ne s’agit pas de  déclarations générales concernant  le statut du BNP qui lient les décisions futures.

[34]  Je souscris aussi à l’affirmation du juge Fothergill dans la décision Alam, au paragraphe 22 :

La question consistant à déterminer si un agent d’immigration avait des motifs raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme dépendra du dossier factuel dont est saisi l’agent. Le juge Mosley a conclu dans AK que l’agent n’avait tiré aucune conclusion explicite voulant que les appels aux hartals du BNP équivalaient à des appels à commettre des actes de terrorisme. Dans SA, j’ai maintenu la décision d’un agent de trouver un ancien membre du BNP qui avait été interdit de territoire à la suite de conclusions factuelles tirées en l’espèce. Le juge Henry Brown a agi de la même manière dans Gazi et, plus récemment, dans Kamal c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 480, aux paragraphes 56 à 65 [Kamal].

[35]  Dans la décision Alam, l’agent a tiré une conclusion explicite voulant que le BNP se soit livré à des actes qui constituent du terrorisme. Ces activités comprenaient des manifestations violentes, des rassemblements, des attentats à la bombe et des voies de fait. Elles avaient un dessein politique et visaient à intimider des opposants politiques comme des civils innocents. Elles avaient été orchestrées et organisées par le BNP lui-même, et non pas par des éléments incontrôlables de l’organisation.

[36]  En l’espèce, la SI a tiré de pareilles conclusions explicites aux paragraphes 26 et 27 de la décision selon lesquelles le BNP s’est livré à des activités constituant du terrorisme. Plus particulièrement, il est mentionné au paragraphe 27 que le BNP s’est livré aux activités suivantes : viols de femmes hindoues, événements décrits comme une « orgie de violence »; manifestations au cours desquelles des centaines de personnes ont perdu la vie ou subi des blessures; le recours à des enfants sans foyer pour commettre des agressions; embrasement de véhicules par des militants favorables aux hartals; hartals se soldant par des attaques à la bombe incendiaire; obtention de votes au moyen de voies de fait et de tactiques de harcèlement, et embrasement d’un autobus ayant à son bord des passagers.

[37]  Le demandeur invoque la décision Chowdhury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 189 (Chowdhury) pour contester la conclusion selon laquelle il serait lié à ces événements lui. Dans la décision Chowdhury, le demandeur avait soutenu que la décision de la SI s’appuyait à tort sur des actes que le BNP aurait  commis après qu’il eût cessé d’en être membre en 2012. Le juge Southcott avait accueilli la demande, concluant que les motifs de la SI ne démontraient pas une compréhension suffisante de l’analyse qui devait être faite  au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Plus particulièrement, l’analyse du juge Southcott portait sur le lien temporel entre l’appartenance du demandeur à une organisation et les activités contestées auxquelles s’était livré ou se livrait celle-ci, et le juge a conclu que lorsqu’un membre d’une organisation est jugé interdit de territoire en raison d’actes de terrorisme commis par une organisation après qu’il eût quitté celle-ci, l’interdiction de territoire exige une analyse quant à savoir si, au moment de son appartenance, il existait des motifs raisonnables de croire que l’organisation pourrait se livrer à l’avenir à des actes terroristes (Chowdhury au par. 20). La décision Chowdhury est d’application limitée étant donné que le lien temporel entre l’appartenance du demandeur au BNP et les activités de l’organisation n’est pas contesté en l’espèce.

[38]  De plus, le juge Southcott a affirmé catégoriquement au paragraphe 30 de la décision Chowdhury, « [j]’insiste pour dire que je ne formule pas une conclusion à savoir si la preuve est liée à des périodes qui sont antérieures et qui coïncident à l’appartenance de M. Chowdhury au PNB appuierait une conclusion selon laquelle il s’est livré à des activités terroristes au cours de ces périodes. Il incombe à la SI de procéder à cette analyse ».

[39]  Sur la foi du dossier  dont disposait l’agent de la SI en l’espèce, j’estime qu’il lui était raisonnable de conclure que le BNP se livre au terrorisme, s’est livré au terrorisme, particulièrement pendant la période au cours de laquelle le demandeur en était membre, ou se livrera au terrorisme.

C.  Le BNP s’est-il livré à des actes de renversement d’un gouvernement par la force?

[40]  Le demandeur affirme que la conclusion selon laquelle il s’est livré à des actes de renversement d’un gouvernement par la force que l’agent a tirée suite à l’analyse qu’il a faite  au titre de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR était déraisonnable.

[41]  L’agent souligne que la question de « renversement d’un gouvernement par la force » est examinée dans le contexte d’une interprétation large de cette expression. Au paragraphe 37 de la décision, il précise que les incidents présentés comme des actes de terrorisme sont également pertinents quant  à l’analyse de la question de savoir si le BNP s’est livré à des actes de renversement d’un gouvernement par la force. Il fournit les exemples suivants de renversement d’un gouvernement par la force au paragraphe 39 :

Selon des rapports concernant la période précédant les élections de janvier 2014, des partisans de la coalition dirigée par le BNP se sont rendus dans les villages hindous et ont chassé des familles du Bangladesh. Il est question dans ces rapports des minorités religieuses qui sont agressées, violées et tuées, ainsi que d’édifices religieux et de maisons vandalisés et incendiés. Il y est également mentionné que des partisans du BNP bloquent l’accès aux bureaux de vote et attaquent et tuent les personnes qui y travaillent ou qui tentent d’exercer leur droit de vote.

[42]  En dépit du fait que les éléments de preuve relatifs aux actes de terrorisme ou de renversement d’un gouvernement par la force sont les mêmes ou semblables, il était loisible à l’agent de la SI de fonder sa conclusion relativement au renversement par la force sur le dossier de preuve. Ainsi,  la conclusion de l’agent de la SI est transparente, justifiée et intelligible, et elle appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au par. 47). Rien ne justifie que  la Cour intervienne à l’égard de cette conclusion.

[43]  Quoi qu’il en soit, même si je devais conclure que l’analyse faite par l’agent de la SI en ce qui concerne le  renversement d’un gouvernement par la force était incomplète, cela ne suffirait pas pour que j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire puisque la conclusion de l’agent en ce qui concerne l’appartenance à l’organisation et les actes de terrorisme suffit pour rendre le demandeur interdit de territoire (voir Kamal au par. 73).


JUGEMENT dans le dossier IMM-5185-18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’août  2019

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-5185-18

INTITULÉ :

MD MAHBUBUR RAHMAN c. LE MSPPC

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 MAI  2019

JUgemENT et motifs :

la juge MCDONALD.

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Cheryl Robinson

POUR LE DEMANDEUR

Hillary Adams

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cheryl Robinson

Avocate-conseil,

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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