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Date : 20040318

Dossier : T-153-01

Référence : 2004 CF 417

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2004

EN PRÉSENCE DU JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                           ROSS STONEHOUSE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                              BATCO MANUFACTURING LTD. et

                                                AG GROWTH INDUSTRIES INC.

                                                                                                                                    défenderesses

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(prononcés oralement à l'audience et révisés ultérieurement)

[1]                Il s'agit de l'appel d'une ordonnance en date du 18 février 2004 par laquelle le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête présentée par les défenderesses en vue de constituer Brandt Agricultural Products Ltd. (Brandt) partie à l'action.

[2]                Voici les faits pertinents :

-            Le demandeur affirme être titulaire du brevet canadien no 2 123 257 (le brevet 257).


-           Le 25 janvier 2001, le demandeur a introduit une action en contrefaçon de ce brevet contre les défenderesses.

-           Le 22 mai 2001, les défenderesses ont déposé une défense et demande reconventionnelle.

-           L'enquête préalable a eu lieu en février 2002.

-           Le 18 décembre 2002, au cours de l'instruction de la présente action, le demandeur a cédé le brevet 257 à Brandt.

-           Les défenderesses n'ont été mises au courant de la cession qu'en février 2003.

-           Dans une seconde entente, qui portait la date du 14 mai 2003, mais qui n'a été signée que le 19 décembre 2002, Brandt aurait rétrocédé le brevet 257 au demandeur et Brandt serait devenu simple licenciée.

-            En juin 2003, des interrogatoires ont eu lieu au sujet de la cession et de la rétrocession.

-           Pour tenir compte des nouveaux faits relatifs au droit de propriété du brevet 257, le demandeur a déposé une déclaration modifiée en août 2003.

-           En septembre 2003, les défenderesses ont répondu par une défense modifiée et une demande reconventionnelle. Bien qu'elles contestent la validité de la rétrocession et qu'elles affirment que Brandt est maintenant titulaire du brevet 257, les défenderesses n'ont pas, jusqu'à nouvel ordre, mis Brandt en cause et ne l'ont pas constituée codéfenderesse dans leur demande reconventionnelle.


-           En janvier 2004, les défenderesses ont saisi le protonotaire Lafrenière d'une requête en autorisation en vue de mettre Brandt en cause ou de la constituer codéfenderesse dans leur demande reconventionnelle.

[3]                Le 18 février 2004, le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête essentiellement pour les motifs suivants :

1.        L'action peut être tranchée effectivement et complètement sans que Brandt y soit constitué partie, car les faits versés au dossier sont clairs en ce qui concerne la cession du brevet 257 et sa rétrocession ultérieure;

2.          En sa qualité de licenciée ou de cessionnaire exclusif du brevet 257, Brandt serait effectivement liée par tout jugement prononcé contre le demandeur sans qu'il soit nécessaire de la mettre en cause ou de la constituer partie;

3.          Les défenderesses ont indûment tardé à présenter leur requête, causant ainsi un préjudice tant au demandeur qu'à Brandt.

[4]                Il est de jurisprudence constante qu'il faut accorder beaucoup de latitude aux protonotaires lorsqu'ils rendent des décisions interlocutoires, et que les juges devraient hésiter à intervenir dans leurs décisions (Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd., [2003] A.C.F. no 93, conf. à [2003]_ A.C.F. no 765 (C.A.F.)).

[5]                   Le critère en matière de modification des décisions des protonotaires est énoncé dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925, au paragraphe 19 :


Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal;

b) l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[6]                J'estime qu'en l'espèce, les requérantes n'ont pas satisfait au premier volet de ce critère.

[7]                Les requérantes expliquent qu'elles cherchent, dans leur demande reconventionnelle, à obtenir les mesures suivantes : i) un jugement déclarant invalide le brevet 257; ii) un jugement déclarant qu'elles n'ont pas contrefait le brevet. Elles craignent deux éventualités :

a)         si la Cour conclut que Brandt est titulaire du brevet, le procès et la demande reconventionnelle devront faire l'objet d'un désistement, ce qui les exposerait à d'autres poursuites de la part de Brandt.   

b)          si la Cour conclut que Brandt est une licenciée et qu'elle déclare valide le brevet 257, une déclaration d'absence de contrefaçon ne liera pas Brandt, étant donné qu'elle n'est pas partie au procès. Les requérantes s'exposeraient alors à un procès pour contrefaçon de la part de Brandt.

En conséquence, ces aspects influence de façon déterminante l'issue de l'affaire.


[8]                En ce qui concerne le premier scénario, les requérantes ont choisi de ne pas constituer Brandt codéfenderesse lorsqu'elles ont déposé leur demande reconventionnelle en septembre 2003. C'était une décision de stratégie. Il était donc loisible au protonotaire, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser la demande visant à constituer Brandt codéfenderesse qui lui avait été présentée plusieurs mois après, compte tenu de l'état de l'instance et du fait que les requérantes étaient au courant depuis plus d'un an de la question de savoir si Brandt était licenciée ou cessionnaire. Le risque que Brandt intente un procès si la Cour concluait qu'elle est une cessionnaire est l'une des conséquences avec lesquelles les requérantes doivent composer par suite de leur décision de stratégie. Les requérantes ont évidemment entièrement le pouvoir d'éviter cette éventualité; il leur suffit, pour ce faire, de laisser tomber leur contestation de la rétrocession, confirmant ainsi la qualité de licenciée de Brandt.

[9]                En ce qui concerne le second scénario, force est de constater que, malheureusement pour elles, les requérantes n'ont jamais demandé de réparation sous forme de déclaration d'absence de contrefaçon dans leur déclaration modifiée et que cette réparation n'est pas mentionnée non plus dans la requête qu'elles ont soumise au protonotaire Lafrenière. En conséquence, je n'ai pas pu en tenir compte. Comme la question n'était pas soumise au protonotaire, la Cour ne peut non plus en tenir compte lorsqu'elle siège comme tribunal de révision (James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 157; Canada c. Mid-Atlantic Minerals Inc., [2002] A.C.F. no 740).


[10]            Indépendamment de cette lacune, je n'accepte pas non plus que les requérantes puissent être exposées à une action en contrefaçon de la part de Brandt si la Cour devait conclure que Brandt est une licenciée, que le brevet est valide et qu'il n'a pas été contrefait. Il est de jurisprudence constante que le licencié peut intenter des poursuites pour contrefaçon, mais qu'il doit alors assigner le breveté (Amfac Foods Inc. c. Irving Pulp & Paper Ltd., (1984), 2 C.I.P.R. 115, conf. à (1986) 72 N.R. 290 (C.A.F.)). Il est difficile de voir comment, en pareil cas (si le demandeur est constitué partie au procès), la question ne pourrait pas être considérée comme étant chose jugée.

[11]            En conséquence, comme les requérantes n'ont pas réussi à satisfaire au premier volet du critère posé dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc, précité, le présent appel doit être rejeté, le tout avec dépens.

                                        ORDONNANCE

La Cour ordonne par la présente que l'appel soit rejeté avec dépens.

« K. von Finckenstein »

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-153-01

INTITULÉ :                                                    ROSS STONEHOUSE

                                                                        et

BATCO MANUFACTURING LTD et AG GROWTH INDUSTRIES INC

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 17 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                               LE 18 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Peter E.J. Wells                                                 POUR LE DEMANDEUR

Lindsay Neidrauer

Christopher C. Van Barr                                                POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lang Michener                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Gowlings Lafleur Henderson                                          POUR LES DÉFENDERESSES

Ottawa (Ontario)


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