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Date : 20010724

Dossier : IMM-336-01

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                                             JOAN SIDDON WILLIS

demanderesse

                                                                              - et -

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                               « Frederick E. Gibson »                     

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 20010724

Dossier : IMM-336-01

Référence neutre : 2001 CFPI 822

ENTRE :

                                                             JOAN SIDDON WILLIS

demanderesse

                                                                              - et -

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle un arbitre, agent de la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié nommé ou embauché conformément au paragraphe 63.3(2) de la Loi sur l'immigration[1], a ordonné le maintien sous garde de la demanderesse, comme elle n'était pas convaincue que cette dernière se présenterait pour être renvoyée du Canada si elle était mise en liberté. La décision en cause est datée du 10 janvier 2001. Depuis cette date, on a procédé à d'autres examens des motifs de la détention, auxquels la demanderesse a choisi de ne pas prendre part. Après chaque examen on a décidé de maintenir la détention.

CONTEXTE

[2]                 La demanderesse est une citoyenne de la Jamaïque. Le 8 juillet 1976, alors qu'elle était âgée de 14 ans, elle a obtenu le droit d'établissement au Canada sous le parrainage de sa mère.

[3]                 Depuis son arrivée au Canada, la demanderesse s'est méritée un imposant casier judiciaire. Ses condamnations les plus récentes avaient trait à l'importation au Canada d'une importante quantité de marijuana et à l'usurpation d'identité, et elle a été condamnée le 4 mai 1999 à huit années d'emprisonnement. L'expulsion de la demanderesse a été ordonnée le 28 juillet 1999. La demanderesse en a appelé de son ordonnance d'expulsion auprès de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. L'appel a été rejeté au moyen d'une décision datée du 26 septembre 2000.


[4]                 Aux alentours du 30 novembre 2000, la Commission nationale des libérations conditionnelles a examiné s'il y avait lieu d'accorder à la demanderesse la semi-liberté prélibératoire et s'il fallait lui appliquer une procédure d'examen expéditif. La Commission s'est attardée à la question du risque de violence puisqu'en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[2], c'est là le seul critère applicable à la mise en liberté par procédure d'examen expéditif lorsqu'on a affaire à un détenu admissible tel que la demanderesse. En ce qui concerne la procédure d'examen expéditif, la Commission a décidé ce qui suit :

[TRADUCTION]

La Commission est convaincue qu'il n'y a pas de motifs raisonnables de croire que, si vous êtes mise en liberté, vous soyez susceptible de commettre une infraction avec violence avant l'expiration de votre peine. Elle ordonne donc votre mise en liberté à la date d'admissibilité.

La Commission a ensuite examiné la question de la semi-liberté de la demanderesse, compte tenu de sa décision d'accorder la libération totale à la première date d'admissibilité, et elle a décidé d'ordonner la semi-liberté au sein d'un établissement communautaire. À l'appui de sa décision, la Commission a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

(...) la Commission note que vous avez récemment suivi une formation en développement des aptitudes cognitives et en maîtrise de la colère et des émotions devant vous aider à prendre de meilleures décisions et à mieux maîtriser votre caractère changeant. Vous avez dit vous-même que vous étiez une personne « colérique et perturbée » lorsqu'on vous a inculpée et condamnée, mais que vous avez changé vos relations et commencé à travailler il y a environ cinq ans afin de « changer de vie » . Ces efforts ont été couronnés de succès pendant la période de cinq ans allant de 1995 à 1999, où vous n'avez fait l'objet d'aucune inculpation ni condamnation et avez eu un bon comportement en établissement. Vous recourez à des moyens juridiques pour réaliser vos objectifs (par ex. en faisant appel de la sentence et de l'ordonnance d'expulsion dont vous avez fait l'objet), plutôt que de ruer dans les brancards comme vous le faisiez auparavant. Vous vous êtes bien comportée pendant les permissions de sortie avec escorte au sein de la collectivité et vous jouissez de l'appui de votre équipe de gestion de cas pour ce qui est de l'octroi de votre semi-liberté par voie expéditive. À l'audience, vous sembliez calme (et non de caractère changeant) et vous vous êtes montrée sincère au sujet de vos antécédents de violence, que vous n'avez pas tenté de justifier. La Commission est donc convaincue que vous répondez aux critères prévus par la loi pour l'octroi de la semi-liberté par voie expéditive, laquelle est par la présente ordonnée.


[5]                 Tout était donc en place en vue de la mise en liberté de la demanderesse au sein de la collectivité, quoique sous supervision et dans un milieu contrôlé, en l'absence du maintien sous garde en vertu de la Loi sur l'immigration. La décision dont le contrôle judiciaire est ici demandée a été prise par la suite et a eu pour effet le maintien en détention de la demanderesse en vertu de la Loi sur l'immigration.

LA DÉCISION DONT LE CONTRÔLE JUDICIAIRE EST DEMANDÉ

[6]                 L'arbitre a pu tirer profit des observations détaillées de l'avocate de la demanderesse, qui a notamment affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] Elle [la demanderesse] a suivi une formation en maîtrise de la colère, développement des aptitudes cognitives, sensibilisation aux drogues, [inaudible] femmes et en relations avec la collectivité, et elle a également perfectionné ses compétences en informatique et sa connaissance des logiciels WordPerfect et Excel. Les rapports à son sujet révèlent qu'elle a bien réagi, en ce qui concerne particulièrement les programmes dans le domaine psychologique destinés à l'aider à comprendre son comportement. C'est la raison pour laquelle, selon moi, la Commission des libérations conditionnelles a recommandé la poursuite de son traitement psychique pour mieux vivre avec les problèmes qu'elle a subis enfant et apprendre à davantage se connaître et maîtriser sa colère.

Je crois qu'un certain nombre des infractions dont elle a été déclarée coupable étaient liées d'une manière ou d'une autre à ses problèmes psychologiques (toxicomanie, défaut de se présenter alors qu'elle devait le faire, accusations de voies de fait). Dans le passé elle ne pouvait maîtriser sa colère et elle a acquis des outils dans l'établissement pour y parvenir, de manière à pouvoir réagir d'une manière appropriée aux circonstances.

Un autre élément du rapport à signaler, c'est la reconnaissance de sa responsabilité pour les crimes commis, ce que la Commission et d'autres encore considèrent je crois assurément important[3].


[7]                 L'avocate a ensuite mis l'accent sur le bon comportement de la demanderesse lorsqu'elle a obtenu un permis de jour dans le passé, l'effet incitatif sur sa bonne conduite de son désir de demeurer au Canada et le soutien de sa famille ainsi que de la collectivité dont elle peut bénéficier au Canada.

[8]                 L'agent chargé de présenter les cas qui a comparu devant l'arbitre a notamment émis les commentaires suivants en réponse à l'argumentation de l'avocate :

[TRADUCTION]

Je dois ajouter que la libération conditionnelle de jour diffère sensiblement du fait de venir se présenter. Toute sa famille est ici comme on l'a mentionné, et ce qu'on peut se demander c'est si elle va volontairement se présenter en vue d'être renvoyée et ainsi laisser la structure familiale pour un avenir incertain dans son pays d'origine[4].

[9]                 Un membre de la collectivité a témoigné pour le compte de la demanderesse et a exprimé son désir d'embaucher cette dernière. Des indices permettaient à l'arbitre de constater que tant ce témoin que les membres de la famille étaient prêts à fournir caution, pour assurer la présence de la défenderesse en vue de son renvoi. L'échange suivant a eu lieu entre l'arbitre et le témoin :

[TRADUCTION]

Arbitre :                    Bien qu'elle ait fait défaut de se conformer dans le passé, vous croyez qu'elle se conformera cette fois-ci?

Témoin : Je crois sincèrement qu'elle a changé. Je crois qu'elle a acquis de la maturité; certains le font plus tard dans la vie et j'estime qu'on doit lui donner sa chance[5].

[10]            L'arbitre a longuement questionné la demanderesse.

[11]            L'arbitre a résumé comme suit ses sujets d'inquiétude :

[TRADUCTION]

[...] J'admets sans hésitation que les infractions en matière de défaut de comparaître, de défaut de se conformer et d'abus de confiance me posent problème. Il en va de même du fait qu'elle a été illégalement en liberté de 1992 à 1999. Je suis très honnête avec vous. Ces condamnations montrent en soi qu'on a affaire à une personne qui peut et veut se faire justice elle-même, une personne qui semble ne pas pouvoir respecter la loi, une personne enfin qui n'hésite pas à échapper aux autorités. Tout cela m'inquiète[6].

[12]            L'arbitre a de nouveau mentionné, à diverses reprises tout au long de la procédure devant elle, ses inquiétudes face aux condamnations de la demanderesse pour défaut de comparaître, défaut de se conformer et abus de confiance. Elle a également fait état du sujet d'inquiétude additionnel suivant :

[TRADUCTION]

Je ne crois pas à ce stade-ci, compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, que je puisse me fier sur elle, ni qu'elle se présenterait en vue de son renvoi. Je ne suis pas convaincue qu'elle le ferait. Elle a déjà été en mesure d'obtenir des documents. Elle a utilisé des pseudonymes. Elle s'est présentée à des fonctionnaires canadiens, vraisemblablement à plusieurs reprises, sous une toute autre identité que la sienne lorsqu'elle est entrée au Canada ou qu'elle y est rentrée après un voyage en Jamaïque[7].

[13]            L'arbitre a conclu comme suit :

[TRADUCTION]

[...] Je ne crois pas qu'on puisse avoir confiance, Mme Willis, que vous allez vous présenter. J'estime plutôt que vos antécédents en disent très long sur votre propension à désobéir à la loi et, compte tenu de l'ensemble de l'information dont je dispose aujourd'hui, j'ordonne le maintien de votre détention[8]. [Non souligné dans l'original.]


[14]            Je désire simplement ajouter que, tout au long du résumé fait par l'arbitre vers la fin de l'audience devant elle, cette dernière était sans cesse interrompue par la demanderesse, d'une manière frisant le harcèlement. Ce comportement de la demanderesse n'a sûrement pas dû militer en sa faveur.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]            Les questions en litige, telles que les a présentées l'avocate de la demanderesse, étaient les suivantes :

           -           Premièrement, la façon dont l'arbitre a tenu compte des condamnations antérieures de la demanderesse pour en arriver à sa décision constituait-elle ou non une erreur de droit?

           -           Deuxièmement, l'arbitre a-t-elle commis une erreur de droit en faisant abstraction d'éléments de preuve?

ANALYSE


[16]            Je suis convaincu que l'arbitre n'a pas commis une erreur révisable lorsqu'elle a tenu compte des condamnations antérieures de la demanderesse relatives à des infractions d'abus de confiance pour prévoir le comportement futur que cette dernière aurait, en supposant que demeure en vigueur l'ordonnance d'expulsion qui la vise, à se présenter volontairement en vue de son renvoi du Canada vers la Jamaïque. Les comportements antérieurs constituent un indice fiable des comportements futurs, bien qu'il ne s'agisse que d'un indice parmi d'autres devant être pris en compte pour faire des prévisions. Dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9], le juge Strayer, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit ce qui suit, au paragraphe 29 :

J'hésite [...] à affirmer que le ministre doit avoir en main un type particulier de document pour tirer une conclusion de danger présent ou futur. J'ai du mal à comprendre pourquoi il n'est pas loisible à un ministre de prévoir une inconduite future à partir d'une inconduite passée, particulièrement eu égard aux circonstances des infractions [...].

Je suis pour ma part convaincu qu'on peut dire exactement la même chose au sujet des efforts consentis par les arbitres pour prévoir si un individu est susceptible ou non, à l'avenir, de se présenter en vue de son renvoi du Canada. Je suis convaincu que ces tentatives faites pour prévoir un comportement, et la prise en compte de comportements passés - tels qu'attestés par des condamnations antérieures, entre autres facteurs - peuvent être aisément distinguées de l'interdiction de prise en considération des condamnations antérieures pour établir si une personne est coupable ou non d'une infraction dont elle est inculpée[10].


[17]            Cela étant dit, les condamnations antérieures pertinentes ne sont qu'un facteur parmi d'autres et, lorsqu'existent des indices d'un changement dans la façon de voir les choses et d'agir (en l'occurrence un respect accru pour la loi et les obligations qui en découlent), l'arbitre ne peut faire abstraction de ces indices et fonder sa décision uniquement sur les comportements antérieurs attestés par des condamnations passées.

[18]            L'avocat de la demanderesse a soutenu devant nous que, bien que l'arbitre ait assuré avoir rendu sa décision « [...] compte tenu de l'ensemble de l'information dont je dispose aujourd'hui [...] » , un examen attentif de la transcription de l'audience devant l'arbitre fait voir que celle-ci a porté exclusivement son attention sur des condamnations antérieures pour des infractions de la nature de l'abus de confiance et a fait abstraction des conclusions et dépositions présentées à l'audience au sujet de la façon nouvelle de voir les choses et d'agir de la demanderesse. Je suis toutefois convaincu que l'arbitre n'a pas agi ainsi.


[19]            Bien qu'il eût été éminemment souhaitable que la décision de l'arbitre fasse clairement ressortir que cette dernière a mis en balance avec soin les divers facteurs contradictoires portés à sa connaissance et pouvant constituer des indices du comportement futur de la demanderesse, je suis convaincu que la lecture de la transcription dans son intégralité fait voir que l'arbitre avait conscience de tous ces facteurs et y était sensibilisée. Les questions qu'elle a posées à la demanderesse et au membre de la collectivité qui a témoigné démontrent qu'elle était réceptive à la preuve qui lui a été présentée. L'interaction entre l'avocate de la demanderesse et l'arbitre démontre aussi l'ouverture de cette dernière face aux propositions avancées. Lorsque l'arbitre a dit que les comportements passés de la demanderesse attestés par ses condamnations antérieures l'inquiétaient toujours, elle ne s'est pas fermée au dialogue à ce sujet. Au contraire, comme je l'ai déjà mentionné, elle a peut-être été trop indulgente devant les interventions de la demanderesse pendant qu'elle faisait son résumé.

[20]            Je suis convaincu que l'arbitre n'a pas exprimé une banalité en recourant à l'expression « compte tenu de l'ensemble de l'information dont je dispose d'aujourd'hui » . Je suis convaincu que l'arbitre a bien pris en compte toute cette information et décidé, suivant la prépondérance de la preuve et non dans l'abstrait, d'accorder plus de poids aux indices de comportements antérieurs fondés sur des condamnations passées qu'à la preuve portant sur les progrès de la demanderesse en vue de sa réadaptation.

CONCLUSION

[21]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Ni l'un ni l'autre avocat n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

        « Frederick E. Gibson »      

        Juge

Ottawa (Ontario)

Le 24 juillet 2001

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                             IMM-336-01

INTITULÉ :                                                         Joan Siddon Willis c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 19 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                    Le 24 juillet 2001

COMPARUTIONS :

Mme Barbara Jackman                                                                  pour la demanderesse

M. Jamie Todd                                                                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                                                 pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                     pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         L.C. 1992, ch. 20, art. 125 et 126.

[3]         Dossier du tribunal, aux pages 128 et 129.

[4]         Dossier du tribunal, à la page 136.

[5]         Dossier du tribunal, aux pages 144 et 145.

[6]         Dossier du tribunal, à la page 165.

[7]         Dossier du tribunal, à la page 167.

[8]         Dossier du tribunal, à la page 172.

[9]         [1997] 2 C.F. 646 (C.A.).

[10]       Se reporter à R. c. D.W.B _[1999] N.S.J. n ° 56, dossier de la cour CAC 147081, aux paragraphes 39 à 42. (C.A.N.-É.).

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