Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20190612


Dossier : T-238-80

Référence : 2019 CF 789

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2019

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

JIM SHOT BOTH SIDES ET ROY FOX,

 CHARLES FOX, STEVEN FOX,

THERESA FOX, LESTER TAILFEATHERS,

 GILBERT EAGLE BEAR,

PHILLIP MISTAKEN CHIEF,

PETE STANDING ALONE,

ROSE YELLOW FEET,

RUFUS GOODSTRIKER ET

LESLIE HEALY,

CONSEILLERS DE LA BANDE DES BLOOD,

EN LEUR PROPRE NOM ET AU NOM

DES INDIENS DE LA RÉSERVE NUMÉRO 148

DE LA BANDE DES BLOOD, AINSI QUE DE LA RÉSERVE NUMÉRO 148

DES BLOOD

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS


Table des matières

I. INTRODUCTION  4

A. Historique procédural de la présente action  8

B. Objections du Canada fondées sur les actes de procédure  13

a. Omission d’invoquer un manquement au traité  13

b. Formulation d’une nouvelle question constitutionnelle  22

c. Prise en compte des questions constitutionnelles seulement dans les observations en réponse  22

C. Personnes clés  23

II. ÉLÉMENTS DE PREUVE  27

A. Éléments de preuve fondés sur l’histoire orale de la tribu des Blood  28

a. Territoire traditionnel de la Confédération des Pieds-Noirs  29

b. « Lieu d’attache » de la tribu des Blood  31

c. Clans, leadership et prise de décisions  31

d. Processus traditionnel de conclusion de traités  32

e. Compréhension du Traité 7 par la tribu des Blood  33

f. Territoire de la tribu des Blood considéré comme étant réservé après la conclusion du Traité 7  35

g. Utilisation par la tribu des Blood du territoire de la grande revendication après la conclusion du Traité  36

B. Évaluation des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale  39

C. Le témoignage d’expert  44

D. Contexte historique pertinent  51

a. Prélude au Traité 7  52

b. Négociations du Traité 7  55

c. Sélection de l’emplacement de la réserve des Blood et accord avec Red Crow  63

d. Les terres entre les rivières Kootenai et Belly  75

e. Le levé de la réserve des Blood de 1882  79

f. Baux de pâturage  83

g. L’accord de 1883 et le levé de 1883  86

h. Visite de la limite sud en 1888  91

i. Décision de déplacer la limite sud  94

III. DROITS FONCIERS ISSUS DE TRAITÉ (DFIT)  97

A. Date servant à déterminer la population  99

B. La population de la tribu des Blood le 22 septembre 1877  103

IV. LA CRÉATION D’UNE RÉSERVE  119

A. Intention de la Couronne  125

B. Il faut que ce soit des représentants de la Couronne qui aient l’intention de créer une réserve  128

C. Mesures pour mettre de côté des terres dans l’intérêt de la tribu des Blood  129

D. La bande doit accepter la mise de côté  139

E. Conclusion  143

V. LA GRANDE REVENDICATION  144

VI. MANQUEMENT À UNE OBLIGATION FIDUCIAIRE  149

A. Obligation du Canada envers les Premières Nations  150

B. Obligation de mettre en œuvre le Traité  153

C. L’obligation du Canada à l’égard de la tribu des Blood après la création de la réserve  156

VII. MOYEN DE DÉFENSE FONDÉ SUR LA PRESCRIPTION  157

A. Application de la Loi sur la responsabilité de la Couronne  158

B. Application des lois provinciales sur la prescription au Traité et aux droits ancestraux  159

C. Lois provinciales sur la prescription pertinentes  165

D. Loi de l’Alberta sur la prescription  169

E. Exception en matière de fiducie dans la Limitation of Actions Act de 1970  170

F. Leurre/abus de procédure  176

G. Découverte ou possibilité de découverte des faits qui sous-tendent les revendications  179

a. La grande revendication  181

b. La revendication quant à la réserve délimitée en 1882  183

c.  La revendication concernant les DFIT  185

d. Dissimulation frauduleuse  186

H. Moyens de défense en equity  190

I. Conclusion  190

VIII. LE MANQUEMENT AU TRAITÉ EN TANT QUE RECOURS POSSIBLE  191

IX. CONCLUSION  208

JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-238-80  210

ANNEXES  211

A. Carte de la réserve de la tribu des Blood et du secteur visé par la grande revendication.  211

B. Carte de la réserve de la tribu des Blood et du secteur du Traité 7  212

C. Carte de la région située au sud de la réserve des Blood  213

D. Copie du traité et traité supplémentaire 7, 22 septembre et 4 décembre 1877 (Traité 7)  214

E. Populations des Pieds-Noirs, des Blood et des Peigan d’après les listes de bénéficiaires d’annuités du Traité, entre 1877 et 1890  223

F. Accord de cession, par la tribu des Blood, de son intérêt dans la réserve attribuée aux termes du Traité 7, daté du 25 septembre 1880 (accord de Red Crow)  225

G. Carte des baux de pâturage indiquant l’emplacement des baux nos 13 et 17 et la limite sud établie en 1882 par l’arpenteur Nelson, selon les indications de Mme Robidoux  227

H. Accord du 2 juillet 1883 par lequel la tribu des Blood cède son intérêt dans les terres  228


[traduction]

« Nous connaissons des parties du territoire de la même façon que nous nous connaissons en tant que parents.

Le territoire fait partie de notre famille. »

Wilton Goodstriker

I.  INTRODUCTION

[1]  La réserve no 148 de la tribu des Blood (la réserve des Blood ou la réserve) se trouve dans le sud de l’Alberta. Avec 547,5 milles carrés, c’est la plus grande réserve du Canada [1] . Elle est occupée par les demandeurs, les Kainai [2] , qu’on appelle également la tribu des Blood.

[2]  La limite nord de la réserve des Blood se situe au confluent des rivières St. Mary [3] et Belly [4] , près de l’emplacement où se trouvait auparavant le Fort Kipp. La réserve s’étend au sud et à l’ouest, délimitée par les rivières Belly et St. Mary jusqu’à une ligne d’est en ouest située à environ 14 milles au nord de la frontière avec les États-Unis. Elle se trouve immédiatement au nord de Cardston, en Alberta, qui est une ville fondée en 1887 par des membres de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (les Mormons) qui arrivaient du territoire de l’Utah, apparemment pour échapper aux contraintes relatives aux unions polygames.

[3]  Le Traité 7, qui date du 22 septembre 1877, a été conclu entre le Canada, les tribus de la Confédération des Pieds-Noirs, les Stoney et les Sarcis. La Confédération des Pieds-Noirs (la Confédération) rassemblait trois tribus : les Siksikas (Pieds-Noirs), les Kainai (Blood) et les Piikani (Peigan). Le Traité 7 promettait une réserve à la tribu des Blood et à chacune des autres tribus. L’emplacement de la réserve de la tribu des Blood est établi dans le Traité 7; toutefois, cet emplacement a été modifié par accord entre la tribu des Blood et le Canada.

[4]  La tribu des Blood affirme que sa réserve n’est pas conforme à ce qu’avait promis le Canada. Elle appelle le territoire qu’elle réclame la « grande revendication ». Le territoire de la grande revendication s’étend à l’ouest de la réserve actuelle des Blood jusqu’à la rivière Kootenai [5] (que l’on appelle désormais la rivière Waterton) et au sud jusqu’à la frontière avec les États-Unis. Il comprend la ville de Cardston et une partie du parc national des Lacs-Waterton.

[5]  La revendication territoriale de la tribu des Blood dans la présente action comprend deux autres éléments, qui concernent également les limites de la réserve promise.

[6]  Le premier élément est lié l’arpentage de la réserve. Le Canada a établi deux levés de la zone qui allait devenir la réserve des Blood. Le premier date de 1882 (le levé de 1882) et le second, de 1883 (le levé de 1883). Selon le levé de 1882, la limite sud de la réserve est une ligne d’est en ouest située à environ 9 milles au nord de la frontière avec les États-Unis et délimitant une zone de 650 milles carrés. La ville de Cardston se trouve dans la zone établie par le levé de 1882. Le levé de 1883 (qui correspond aux limites actuelles de la réserve) a déplacé de 5 milles vers le nord la limite méridionale de la réserve, délimitant ainsi une zone de 547,5 milles carrés. La tribu des Blood fait valoir que le levé de 1882, au regard de la loi, créait une réserve et que la réduction de 102,5 milles carrés établie par le levé de 1883 nécessitait qu’elle cède ce territoire tel que le prévoyait l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, SC 1880, c 28 (Acte relatif aux Sauvages, 1880). La tribu des Blood n’a pas cédé le territoire. Elle prétend donc avoir droit à ce territoire ou à une indemnisation pour l’avoir perdu.

[7]  Le deuxième élément est lié à la taille géographique promise de la réserve conformément à la formule indiquée dans le Traité 7. Aux termes du Traité 7, le Canada promettait à la tribu des Blood, ainsi qu’à chacune des autres tribus, une réserve fournissant [traduction] « un mille carré à chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses ». Ce sont les droits fonciers issus de traités (DFIT). La superficie de la réserve selon le levé de 1882 correspond à une population de 3 250 membres de la tribu des Blood, soit 650 familles. La superficie de la réserve selon le levé de 1883 correspond à une population de 2 738 membres de la tribu des Blood, soit 547,5 familles. La tribu des Blood affirme qu’au moment en cause, le nombre de ses membres faisait en sorte que la superficie de la réserve promise conformément aux DFIT était supérieure aux résultats des deux levés. Elle affirme donc que le Canada n’a pas respecté sa promesse aux termes du traité et ne s’est pas acquitté de son obligation fiduciaire de mettre en œuvre de façon honnête et précise les promesses découlant du traité.

[8]  Le Canada, pour sa part, affirme que la superficie de la réserve telle qu’elle est définie par le levé de 1883, c’est-à-dire la réserve actuelle, est conforme à son obligation à l’égard des DFIT aux termes du Traité 7, et que le levé de 1882 était un levé préliminaire qui [traduction] « ne créait pas une réserve ». Sa thèse est qu’il n’était pas nécessaire que la tribu des Blood cède de territoire pour que la limite méridionale présentée dans le levé de 1883 remplace celle du levé de 1882.

[9]  Le Canada soutient que cette action est frappée de prescription en raison de la Limitations Act, RSA 2000, c L-12 (Limitations Act de 2000), et des lois qui l’ont précédées, telles qu’elles s’appliquent conformément à l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, LR 1985 c F-7 (Loi sur les Cours fédérales), et à l’article 11 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, SRC 1970, c C-38 (Loi sur la responsabilité de la Couronne), et aux lois qui les ont précédées.

[10]  La tribu des Blood objecte que le non-respect par le Canada de ses obligations envers elle aux termes du Traité n’a donné ouverture à des poursuites qu’en 1982 avec l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 (Loi constitutionnelle de 1982). Elle prétend donc que le Canada ne peut se défendre en invoquant la prescription. Elle affirme également qu’au regard de la loi, le levé de 1882 a créé une réserve et que, conformément à l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, il était nécessaire que la tribu cède du territoire pour opérer un changement en 1883. Elle soutient en outre que le Canada, au moins à partir de la date de signature du Traité 7, a manqué à son obligation fiduciaire envers la tribu des Blood en ce qui a trait à la superficie et à l’emplacement justes de sa réserve, et que la tribu a perdu des terres ou a subi un préjudice indemnisable.

[11]  Si une conclusion de responsabilité est tirée à l’égard de n’importe laquelle des revendications de la tribu des Blood, la question de la réparation sera tranchée plus tard, lors de la phase III de cette action.

[12]  L’annexe A est une carte montrant les limites actuelles de la réserve des Blood, ainsi que le secteur visé par la grande revendication. L’annexe B est une carte montrant la réserve actuelle des Blood et le secteur visé par le Traité 7. L’annexe C est une autre carte montrant l’emplacement de la concession forestière (Blood no 148A), la limite sud de la réserve, ainsi que certains accidents géographiques comme Mountain View et Lee (ou Lee’s) Creek dont il est question dans les présents motifs. L’annexe D est une reproduction du texte du Traité 7.

A.  Historique procédural de la présente action

[13]  La tribu des Blood a intenté la présente action en déposant une déclaration le 10 janvier 1980. Le Canada a présenté sa défense le 3 avril 1980. Il ne s’est quasiment rien passé jusqu’à l’automne 1996.

[14]  Le 7 août 1996, la tribu des Blood a déposé une requête pour confirmer que l’instruction de sa demande se poursuivrait devant la Cour fédérale, même si elle avait revendiqué ses droits fonciers aux termes de la Politique sur les revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[15]  Le Canada a rejeté la revendication des droits fonciers en novembre 2003, en partant du principe qu’il n’existait aucune obligation en souffrance relativement à la revendication de DFIT. La tribu des Blood a ensuite demandé officiellement à la Commission des revendications des Indiens (CRI) de mener une enquête sur le refus de sa revendication. Dans une décision du 30 mars 2007, la CRI a émis deux recommandations à l’intention des parties. Tout d’abord, elle a recommandé de [traduction] « ne pas accepter la revendication voulant que le territoire de la grande revendication fasse partie de la réserve ». Ensuite, elle a recommandé que les parties [traduction] « acceptent la revendication selon laquelle le levé de 1882 effectué par M. Nelson a établi la réserve de la tribu des Blood » puisqu’il a établi la réserve et qu’il était nécessaire que la tribu cède du territoire pour déplacer la limite méridionale de la réserve comme cela a été fait en 1883. Les conclusions et les recommandations de la CRI ne sont pas contraignantes pour les parties ou notre Cour.

[16]  Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre quant aux revendications et ont donc réactivé cette action. Elle a fait l’objet d’une gestion d’instance et son instruction a été divisée en trois phases. Tel qu’il a été mentionné, la phase relative à la responsabilité a été séparée de celle relative à la réparation.

[17]  La phase I s’est déroulée au sein de la réserve des Blood, en mai 2016; le but était de consulter les membres de la tribu des Blood afin d’obtenir des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale. Cette partie des éléments de preuve a été recueillie environ deux ans avant le reste des éléments de preuve, en raison du vieillissement des aînés capables de fournir des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale.

[18]  La phase II, qui s’est déroulée en mai et juin 2018 devant la Cour fédérale, à Calgary (Alberta), a permis d’entendre les éléments de preuve des témoins experts et des témoins factuels. Les parties ont ensuite soumis des observations écrites détaillées auxquelles ont succédé des observations orales présentées à Calgary (Alberta), en décembre 2018. La phase III, qui concerne la réparation, se tiendra ultérieurement à Calgary (Alberta) si la Cour juge que le Canada est redevable à la tribu des Blood pour toute revendication formulée dans le contexte de la présente action.

[19]  La déclaration a été modifiée par une ordonnance datée du 24 février 1999. Dans un affidavit déposé à l’appui de sa requête, une avocate de la tribu des Blood a affirmé que la modification était nécessaire, puisque [traduction] « la promulgation de la nouvelle Limitations Act en Alberta le 1er mars 1999 a obligé les demandeurs à examiner la déclaration pour s’assurer que leurs droits étaient dûment protégés ». Elle a ajouté que [traduction] « la loi a beaucoup évolué depuis le dépôt de la déclaration initiale en 1980 et les demandeurs ont effectué des recherches ayant mené au dépôt de la revendication particulière en 1996 » et que la déclaration modifiée qui était proposée [traduction] « tenait compte de ces changements et des recherches effectuées ». Le Canada ne s’était pas opposé à la modification.

[20]  Le 11 avril 2016, la tribu des Blood a signifié et déposé un avis de question constitutionnelle remettant en cause [traduction] « l’applicabilité constitutionnelle à l’affaire en cours de la Limitations Act, RSA 2000 c L-12, de la Limitation of Actions Act, RSA 1980 c L-15, de la Limitations of Action Act, RSA 1970, c 209, de la Limitations of Action Act, SA 1935, c 8, ou de toute autre loi antérieure adoptée par l’Assemblée législative de l’Alberta au sujet des délais de prescription pour la soumission aux tribunaux de revendications juridiques en lien avec les Indiens et les terres réservées pour les Indiens [sic] ».

[21]  À titre subsidiaire, les demandeurs ont également remis en cause la validité constitutionnelle de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales (et les articles qui l’ont précédé) et de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50 (et les articles qui l’ont précédé), étant donné qu’ils visent à incorporer des lois provinciales qui feraient obstacle aux revendications liées aux [traduction] « terres réservées pour les Indiens » parce qu’elles constituent une sous-délégation irrégulière enfreignant l’obligation constitutionnelle du Canada de consulter les Premières Nations quant aux questions qui les concernent, et enfreignant l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[22]  Avec leur observation au sujet des questions constitutionnelles qu’ils soulèvent, les demandeurs s’attachent à savoir si leurs revendications peuvent être [traduction] « assujetties à un délai de prescription provincial, étant donné qu’une loi provinciale sur la prescription ne peut pas priver la tribu des Blood de “terres réservées pour les Indiens” une fois qu’une réserve est créée. »

[23]  Dans sa plaidoirie finale, la tribu des Blood a prétendu avoir prouvé l’existence de trois causes d’action quant aux éléments de preuve : a) un non-respect passible de poursuites des obligations issues de traités; b) la création d’une réserve en droit avant le 2 juillet 1883, ainsi que la saisie illégale d’une partie de cette réserve en 1883; et c) un manquement, par le Canada, à son obligation fiduciaire envers la tribu des Blood.

[24]  Dans ses observations écrites présentées en réponse, la tribu des Blood a abordé les questions constitutionnelles et a ajouté, en réponse à l’invocation de la prescription par le Canada, qu’ [traduction] « aucune cause d’action de nature civile en manquement au traité n’existait légalement avant le 17 avril 1982 et, par conséquent, aucun délai de prescription ne peut exister pour cette cause d’action jusqu’à cette date ».

[25]  Le Canada soulève deux objections face à cette contestation. Premièrement, il soutient que puisque la tribu des Blood n’a fait, dans ses observations écrites initiales, aucune observation quant aux questions soulevées dans son avis de question constitutionnelle, [traduction] « la Cour devrait refuser d’entendre toute observation sur ce point ». Deuxièmement, il affirme que la Cour devrait refuser d’entendre les questions constitutionnelles soulevées dans la réponse ou dans les observations orales, mais qui ne figurent pas dans l’avis de question constitutionnelle.

[26]  Le Canada a également prétendu que la tribu des Blood n’avait pas invoqué d’allégation de manquement au traité dans la déclaration modifiée et que la Cour n’avait donc pas été dûment saisie d’une cause d’action. Il affirme que la récente allégation de manquement au traité, ajoutée à l’observation selon laquelle il n’y a pas de prescription pour les allégations antérieures au 17 avril 1982, allait [traduction] « certainement créer une contrainte et des difficultés excessives » pour le Canada.

[27]  Lorsque le Canada a soulevé ces préoccupations dans ses observations orales, il a eu l’occasion de déposer des observations écrites en réplique aux observations formulées en réponse par les demandeurs quant aux questions constitutionnelles; il a également pu donner son avis quant à savoir s’il existe un délai de prescription pour les allégations de manquement au traité antérieures au 17 avril 1982. Le Canada a déposé sa réplique le 30 janvier 2019. Les demandeurs ont affirmé que le Canada avait avancé des arguments [traduction] « inadmissibles » et ont demandé à déposer à leur tour une brève réplique. Mon examen m’a amené à conclure que les observations en réplique formulées par le Canada ne contenaient pas d’éléments inadmissibles; j’ai donc rejeté la requête.

B.  Objections du Canada fondées sur les actes de procédure

a.  Omission d’invoquer un manquement au traité

[28]  Je me pencherai d’abord sur l’observation du Canada voulant que la tribu des Blood ait omis de plaider un manquement au traité en tant que cause d’action, et que les demandeurs ne peuvent donc pas désormais invoquer cette cause d’action.

[29]  Dans leur mémoire, les demandeurs ont indiqué que leur déclaration initiale [traduction] « avait été modifiée le 24 février 1999 pour inclure, au paragraphe 7 de la déclaration modifiée, l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et le manquement au traité aux termes de celle-ci ». Voici le paragraphe en question :

[traduction]

Les membres de la tribu des Blood ont des droits autochtones et issus de traités qui sont protégés par la constitution, conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[30]  Il n’est pas certain que la modification de l’acte de procédure de la tribu des Blood a donné à cette dernière une cause d’action relativement au manquement au traité; cependant, comme je l’explique ci-dessous, j’estime qu’elle n’avait pas besoin de modifier son acte de procédure. La déclaration initiale était suffisante et lui permettait de formuler des observations selon lesquelles le Canada manquait à ses obligations issues de traités.

[31]  À mon avis, le Canada interprète de façon beaucoup trop restrictive l’état actuel du droit relatif aux actes de procédure. Les mots [traduction] « manquement au traité » ne figurent nulle part dans la déclaration modifiée, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas d’allégation de manquement au traité et, selon moi, cette allégation existe bel et bien.

[32]  En 1980, les demandeurs ont invoqué, dans leur déclaration, le Traité et le manquement présumé pour ce qui est de la superficie promise de la réserve. Ces manquements présumés ont été présentés comme une rupture de contrat en partant du principe que le Traité 7 est un contrat :

[traduction]

À titre subsidiaire, les demandeurs soutiennent que le Traité 7 et sa modification signée le 2 juillet 1883, ou aux alentours de cette date, constituent des contrats entre la bande des Blood et le défendeur. Les demandeurs affirment que le défendeur, ses prédécesseurs en titre, ainsi que ses préposés ou mandataires jusqu’à maintenant ont manqué et continuent de manquer à ces contrats parce qu’ils n’ont pas correctement calculé la superficie de la réserve numéro 148 conformément au contrat; en effet, la superficie de la réserve 148 ne correspondait pas aux chiffres de population préexistants tels qu’ils figurent sur les listes de paiement du Traité de 1881 et de 1882, et n’a pas été étayée par un recensement officiel ou un autre décompte effectué lors de l’exécution dudit Traité modifié ou lors de l’arpentage de 1883.

[33]  Bien que ces faits substantiels soient présentés comme un manquement au contrat dans cet acte de procédure, ce dernier est pertinent puisqu’il informe assez clairement le Canada que l’action était liée à la superficie de la réserve promise dans le Traité 7 et au fait que le Canada n’avait pas respecté ses obligations quant à la superficie de la réserve accordée à la tribu des Blood. Et si ce n’était pas encore assez clair, les avocats de la tribu des Blood ont fait la déclaration suivante au début de la phase I, le 4 mai 2016 :

Ce procès porte sur le non-respect d’une promesse que le Canada a faite à la tribu des Blood dans le contexte d’un traité. Cette promesse issue de traité visait à créer une réserve dont la taille serait conforme au droit légitime de la tribu, à l’endroit où cette dernière le souhaitait. Voilà de quoi il s’agit.

[34]  Le Canada comprenait que l’action de la tribu des Blood reposait sur des manquements présumés au Traité 7. Les observations écrites du Canada au paragraphe 58 le montrent clairement. Le Canada y a écrit : [traduction] « Il convient de noter que dans les paragraphes 12 à 14 de la déclaration initiale, les demandeurs ont invoqué leurs revendications en se fondant sur les obligations imposées par le Traité. »

[35]  Rien ne vient expliquer pourquoi les demandeurs, qui ont d’abord considéré l’affaire comme un manquement à un contrat, l’ont ensuite considérée comme un manquement à un traité. Il est cependant indiqué que, dans Henry v R (1905), 9 Ex CR 417 (Can) [Henry], la Cour de l’Échiquier a déterminé qu’elle avait compétence pour se prononcer sur une pétition de droit déposée par une bande indienne, qui affirmait qu’une somme d’argent accordée aux termes d’un traité était retenue par le Canada et devait être versée à la bande. La Cour de l’Échiquier, prenant cette décision pour le motif que le traité était un contrat, a fait remarquer que [traduction« puisque leur droit repose sur le traité ou contrat établi entre eux et la Couronne, ainsi que sur l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 la Cour a, semble-t-il, compétence pour faire cette déclaration » [Non souligné dans l’original.]. J’ajoute que, dans cette affaire, le Canada n’avait apparemment pas soulevé la question de la compétence de la Cour.

[36]  Ce n’est que récemment que les tribunaux ont reconnu que les traités ne sont pas des contrats en tant que tels. Au paragraphe 24 de l’arrêt R. c Sundown, [1999] 1 RCS 393, 170 DLR (4th) 385, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

Les traités peuvent sembler n’être que de simples contrats. Pourtant, ils sont bien plus que cela. En effet, ils constatent un échange solennel de promesses entre Sa Majesté et diverses premières nations. Ils ont souvent constitué le fondement de la paix et de l’expansion de la colonisation européenne. Bien souvent, sinon dans la plupart des cas, les membres des premières nations qui participaient à la négociation des traités ne savaient ni lire ni parler l’anglais, et ils se fiaient entièrement aux promesses verbales des négociateurs canadiens. Il existe de solides raisons historiques justifiant d’interpréter les traités de la manière résumée dans l’arrêt Badger. Appliquer toute autre méthode équivaudrait à refuser d’assurer l’équité et la justice dans les rapports entre les parties. [Non souligné dans l’original.]

[37]  Voici également ce qu’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 37 de l’arrêt First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2017 CSC 58 :

Porter une grande attention au libellé des traités modernes signifie qu’il faut interpréter la disposition en cause à la lumière du texte du traité dans son ensemble et des objectifs du traité (Little Salmon, par. 10; Moses, par. 7; art. 2.6.1, 2.6.6 et 2.6.7 des ententes définitives; voir aussi la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21, art. 12). Certes, un traité moderne n’atteindra pas son objectif, qui consiste à favoriser une relation à long terme harmonieuse entre les peuples autochtones et la Couronne, s’il est interprété « de façon mesquine ou comme s’il s’agissait d’un banal contrat commercial » (Little Salmon, par. 10; voir aussi D. Newman, « Contractual and Covenantal Conceptions of Modern Treaty Interpretation » (2011), 54 S.C.L.R. (2d) 475). De plus, les tribunaux doivent « essayer de respecter le fruit [du] travail » des parties à un traité moderne, mais toujours « sous réserve des limitations constitutionnelles comme le principe de l’honneur de la Couronne » (Little Salmon, par. 54).

[38]  Dans les notes accompagnant son mémoire, le Canada indique que [traduction« l’expression “manquement à un traité” est couramment utilisée dans la jurisprudence récente ». Si l’expression [traduction] « manquement à un traité » n’était pas utilisée lorsque cette action a été intentée en 1980, son usage est devenu fréquent lorsque les demandeurs ont modifié leur revendication; toutefois, les demandeurs n’ont pas remplacé l’allégation de manquement à un contrat par une allégation de manquement à un traité. À mon avis, cela n’invalide pas la thèse des demandeurs et n’est même important pour la cause d’action telle qu’elle est invoquée, puisque notre Cour entend uniquement les faits substantiels et non les conséquences juridiques de ces faits.

[39]  Les paragraphes 14 et 15 de l’arrêt Conohan c Cooperators, 2002 CAF 60 [Conohan], illustrent bien ces propos; la Cour d’appel fédérale s’est demandé, dans ce dossier, s’il avait été fatal à la demande que le défendeur ait tenté, ultérieurement, de s’appuyer sur un moyen de défense qu’il avait omis d’invoquer précédemment. Elle a conclu que cette omission n’avait pas été fatale, dans la mesure où la partie adverse n’avait pas été prise au dépourvu :

Par ailleurs, on ne peut prétendre sérieusement que, parce qu’elle n’a pas été expressément invoquée ou énumérée dans l’ordonnance du protonotaire, les appelants ont été pris par surprise et ont été, par conséquent, lésés dans leur production de la preuve ou, d’une autre manière, dans la poursuite de leurs réclamations au procès.

La règle 174 exige qu’une partie fournisse « un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde », ce qui constitue un principe fondamental dans les actes de procédure. À mon avis, les faits touchant au moyen de défense fondé sur la clause 16 sont peu nombreux et directs. L’intimée a suffisamment fait valoir que, parce que Gaudet n’avait rien payé à l’appelant Conohan pour l’acquittement de sa responsabilité découlant de l’abordage, il n’avait pas le droit, en raison de la clause 16, d’être payé en vertu de la police. Même si on peut dire que l’intimée n’a pas invoqué l’obligation de « payer avant d’être remboursé » que prévoit la clause 16, mais uniquement les autres moyens de défense énumérés dans l’ordonnance du protonotaire, cela ne l’empêche pas, à mon sens, d’invoquer cette obligation. Comme l’a expliqué le maître des rôles lord Denning dans In re Vandervell’s Trusts (No. 2) c. Vandervell Trustees Ltd., [1974] Ch. 269 (C.A.), aux pages 321 et 322 :

[traduction] Il suffit que le plaideur énonce les faits importants. Il n’est pas nécessaire qu’il indique le résultat juridique. Si, par souci de commodité, il le fait, il n’est pas lié par ce qu’il a dit ni limité par cela. Il peut, dans son argumentation, présenter toute conséquence juridique justifiée par les faits. [Non souligné dans l’original.]

[40]  Je suis d’avis que ce raisonnement s’applique lorsqu’un demandeur omet d’invoquer une cause d’action sur laquelle il souhaite plus tard s’appuyer. Il convient de se pencher sur les faits substantiels invoqués, et non sur la terminologie utilisée.

[41]  La protonotaire Tabib a récemment appliqué l’arrêt Conohan lorsqu’elle a examiné une requête en radiation. Au paragraphe 6 de la décision Apotex Inc. c Shire LLC, 2016 CF 1267, elle a indiqué ce qui suit :

Les parties peuvent, sans toutefois y être obligées, soulever des points de droit dans leurs actes de procédure. Quand bien même elles le feraient, ni elle ni la Cour ne sont liées par l’issue ou les termes juridiques plaidés. Les parties sont libres de faire valoir leurs arguments et la Cour est libre de statuer sur les conséquences juridiques justifiées par les faits plaidés (Conahan c Cooperators, 2002 CAF 60, au paragraphe 15). [Non souligné dans l’original.]

[42]  Un arrêt récemment prononcé par la Cour d’appel fédérale va dans le même sens (arrêt Paradis Honey Ltd. c Canada, 2015 CAF 89 [Paradis Honey], au paragraphe 113) :

Une déclaration doit alléguer des faits substantiels suffisants dont il ressort des moyens sérieux (article 174 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106). Les demandeurs ne sont pas tenus de plaider le point de droit particulier relatif au moyen (article 175 des Règles; voir également Cahoon c. Franks, [1967] R.C.S. 455, pages 458 et 459). De même, les demandeurs qui décident d’utiliser un point de droit en particulier ne sont pas déboutés pour la simple raison qu’ils retiennent le mauvais point de droit (Sivak c. Canada, 2012 CF 272 406 F.T.R. 115, paragraphe 20; J2 Global Communications Inc. c. Protus IP Solutions Inc., 2008 CF 759, 330 F.T.R. 176, paragraphes 33 à 36; Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientific Ltd., 2004 CF 1672[2005] 4 R.C.F. 110, paragraphe 54). [Non souligné dans l’original.]

[…]

Il arrive que l’acte de procédure donne lieu à plus d’un moyen. Tout dépend de la teneur de l’acte de procédure, et non de l’appellation retenue. Comme l’a expliqué le maître des rôles lord Denning dans In re Vandervell’s Trusts (No. 2), [1974] Ch. 269 (C.A.), aux pages 321 et 322 (C.A.) :

[traduction] Il suffit pour le plaideur d’exposer les faits substantiels. Il n’a pas à énoncer le résultat en droit. Si, par souci de commodité, il le fait, il n’est pas lié par ce qu’il a dit ni limité par cela. Il peut faire valoir toute conséquence juridique découlant des faits.

[43]  Au paragraphe 16 de l’arrêt Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227, la Cour d’appel fédérale a expliqué que le but des actes de procédures est de permettre à la partie adverse de préparer sa défense et d’éviter tout préjudice :

L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. Comme le juge l’a relevé, les « actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ».

[44]  En plus de la référence mentionnée précédemment au paragraphe 9 de la déclaration modifiée, la tribu des Blood affirme avoir signé le Traité 7 en se fiant aux déclarations et aux promesses du Canada. Ces déclarations et promesses incluent celles qui figurent dans le Traité 7 en tant que tel. Les demandeurs affirment que le Canada n’a pas respecté ces déclarations et promesses; ils donnent, au paragraphe 36, [traduction] « des détails au sujet du ou des manquement(s) en question ». Je suis d’avis que ces faits, tels qu’ils sont invoqués, sont suffisants pour étayer une action fondée sur le manquement à un traité.

[45]  Cette cause d’action ne fait subir aucun préjudice au Canada. Il a soumis des éléments de preuve lors du procès et a présenté des observations indiquant qu’il avait rempli toutes ses obligations aux termes du traité.

[46]  Dans son observation quant à l’omission d’invoquer le manquement à un traité, le Canada affirme avoir été pris au dépourvu par l’observation des demandeurs selon laquelle il n’existe aucun délai de prescription dans le contexte d’une action fondée sur le manquement à un traité avant l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le 17 avril 1982. J’analyserai l’observation formulée par les demandeurs lorsque j’examinerai la défense de prescription plaidée par le Canada.

[47]  Aux fins qui nous intéressent, il suffit de mentionner, premièrement, que les demandeurs ont invoqué cette disposition dans leur déclaration modifiée, à laquelle le Canada a consenti. Deuxièmement, l’article 175 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles des Cours fédérales], dispose qu’il est loisible à une partie de soulever des points de droit dans un acte de procédure, mais qu’elle n’est pas tenue de le faire. Le simple énoncé selon lequel [traduction« les membres de la tribu des Blood ont des droits autochtones et issus de traités qui sont protégés par la constitution, conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 », n’attire pas nécessairement l’attention du Canada sur les conséquences que la tribu des Blood fait valoir à présent. Cependant, avant de consentir à la modification, le Canada n’a pas tenté de savoir pourquoi elle était nécessaire et n’a pas non plus cherché d’explication quant à son incidence sur cette action et sur la défense de prescription qu’il plaide.

[48]  S’il existe un préjudice se rattachant au recoupement de sa défense de prescription avec la prétention selon laquelle cette défense ne peut s’appliquer à une allégation de manquement au traité antérieure à la Loi constitutionnelle de 1982, ce préjudice a été corrigé lorsque le Canada a été autorisé à déposer des observations en réplique.

[49]  Indépendamment de ces considérations, je suis d’avis que lorsque le Canada ne subit aucun préjudice, une Première Nation doit jouir d’une certaine latitude et ses actes de procédure ne doivent pas être interprétés avec une subtilité telle que les tribunaux rejettent des plaintes et des griefs légitimes sans statuer dessus. Cela s’explique, en partie, par le fait que les litiges intéressant les Autochtones sont un domaine du droit relativement récent qui ne cesse d’évoluer. En effet, les recherches menées par notre Cour n’ont pas permis de trouver d’acte de procédure ayant pour seule cause d’action un [traduction] « manquement à un traité » avant les années 1990. La décision Chippewas of Kettle & Stony Point v Canada (Attorney General), [1994] 4 CNLR 34, 17 OR (3d) 831 (Ont Gen Div), est l’un des premiers exemples de revendication où une action en manquement à un traité semble intentée en utilisant ces termes. Dans cette décision sur une requête concernant un certificat d’affaire en instance, il est question de demandes de dommages-intérêts pour [traduction] « manquement à des obligations fiduciaires, négligence, violation de droits issus de traités et manquement aux obligations fiduciaires ».

[50]  Pour ces motifs, je rejette l’observation du Canada selon laquelle la Cour n’a pas été dûment saisie d’une cause d’action.

b.  Formulation d’une nouvelle question constitutionnelle

[51]  Je passe maintenant à l’observation du Canada voulant que la tribu des Blood ait eu tort de soulever, en réponse, une nouvelle question constitutionnelle sans aviser les procureurs généraux comme le prévoit la Loi sur les Cours fédérales.

[52]  À mon avis, la tribu des Blood n’a soulevé, dans sa réponse écrite, aucune nouvelle question constitutionnelle déclenchant l’obligation de déposer un avis de question constitutionnelle aux termes de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales. Elle affirme, dans sa [traduction] « nouvelle » observation, qu’il ne peut y avoir aucun délai de prescription à l’encontre d’une cause d’action pour manquement à un traité avant l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, parce que la cause d’action n’existait pas encore. Cette observation ne met pas en cause « la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, » d’une loi fédérale. L’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas.

c.  Prise en compte des questions constitutionnelles seulement dans les observations en réponse

[53]  Le Canada s’oppose à ce que la Cour examine les questions constitutionnelles soulevées par la tribu des Blood parce que celle-ci a fait ses observations pour la première fois en réponse.

[54]  Un avis de question constitutionnelle est requis pour signifier aux procureurs généraux que la question indiquée doit être soulevée et pour leur permettre de présenter à la Cour tous les éléments de preuve qu’ils jugent appropriés. Le Canada a eu cette possibilité.

[55]  En outre, c’est en réponse à la défense de prescription présentée par le Canada que se pose la question de savoir si cette défense ne s’applique à une revendication de manquement à un traité qu’après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 parce que le manquement à un traité n’était pas un recours possible avant cette date. Je ne vois rien d’irrégulier au fait que la tribu des Blood ait attendu pour répondre à la défense de prescription présentée par le Canada en avançant que ces dispositions ne s’appliquent pas à l’affaire dont est saisie la Cour. Quoi qu’il en soit, tel qu’il a été indiqué, le Canada a été autorisé à déposer des observations en réplique sur ce point. La Cour a donc pu entendre les observations exhaustives des deux parties sur le sujet.

C.  Personnes clés

[56]  Pour aider le lecteur, voici les noms et une brève présentation de certains des principaux acteurs de la signature du Traité 7 et de la création de la réserve des Blood [6] .

James Bird, aussi connu sous le nom de Jimmy Jock (M. Bird) : M. Bird était « métis » et travaillait au début comme commerçant de fourrures et interprète pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il a longtemps vécu parmi les tribus des Pieds-Noirs et on considérait qu’il maîtrisait leur langue. Il a été interprète à l’occasion du Traité de Lame Bull aux États-Unis et, en 1877, il a été interprète pour la conclusion du Traité 7.

Crowfoot, aussi connu sous le nom de Isapo-Muxika (Crowfoot) : Crowfoot était un chef Pied-Noir. Il est né au sein de la tribu des Blood, mais après le décès de son père, sa mère a épousé un membre de la tribu des Pieds-Noirs et c’est au sein de cette tribu qu’il a été élevé. Il a été l’un des premiers, à titre de chef, à féliciter les membres de la Police à cheval du Nord-Ouest (P.C.N.-O.) et leurs efforts pour endiguer la traite du whisky. Crowfoot a été le principal porte-parole des Premières Nations lors de la conclusion du Traité 7.

Lief Crozier (M. Crozier) : M. Crozier a été nommé agent de la P.C.N.-O. en 1873. Il a obtenu des promotions et, en 1876, il était surintendant de la P.C.N.-O. Il était présent en tant que témoin lors de la signature du Traité 7, en 1877.

Sir Cecil Edward Denny (M. Denny) : M. Denny a été membre de la P.C.N.-O. jusqu’en 1881. Il était présent à Blackfoot Crossing et a signé le Traité 7 en tant que témoin, et a également facilité les versements initiaux des annuités aux termes du Traité. Il a été impliqué dans un scandale qui l’a contraint à démissionner de la P.C.N.-O. en 1881, ayant été accusé d’avoir [traduction] « des liens criminels » avec Victoria Robinson, l’épouse de l’agent Percy Robinson (l’homme qui participait au versement des annuités aux membres de la tribu des Blood). M. Edgar Dewdney a nommé M. Denny agent des Indiens en octobre 1881. Il était responsable de l’ensemble des réserves du Traité 7.

Edgar Dewdney (M. Dewdney) : M. Dewdney a travaillé comme arpenteur au début des années 1860. En mai 1879, John A. Macdonald l’a nommé commissaire des Indiens pour les Territoires du Nord-Ouest. En décembre 1881, il a succédé à David Laird en tant que lieutenant-gouverneur (tout en demeurant commissaire des Indiens).

Elliott Torrance Galt (M. Galt) : Homme d’affaires et politicien, M. Galt était le fils d’Alexander Tilloch Galt, un des Pères de la Confédération. En 1879, il a été nommé secrétaire et commis de M. Dewdney lorsque celui-ci est devenu commissaire des Indiens pour les Territoires du Nord-Ouest. Il est ensuite devenu l’adjoint de M. Dewdney. Il aurait été celui qui a pris conscience des possibilités d’investissement dans le sud de l’Alberta, notamment avec les terrains houillers.

David Laird (M. Laird) : M. Laird a été ministre de l’Intérieur et surintendant général des Affaires indiennes sous le premier ministre Alexander Mackenzie, de 1873 à 1876. D’octobre 1876 à 1881, il a été lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest et a été responsable des Affaires indiennes. En 1898, le gouvernement Laurier l’a nommé commissaire des Indiens pour le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest. M. Laird a joué un rôle important dans la négociation du Traité 4 (1874), des adhésions au Traité 6 (1877, 1878), du Traité 7 (1877) et du Traité 8 (1899).

Jean L’Heureux (M. L’Heureux) : M. L’Heureux a suivi des études sacerdotales au Québec, dans un séminaire dont il a été expulsé, apparemment, lorsque son homosexualité a été révélée. Il s’est rendu dans l’Ouest en se faisant passer pour un prêtre jésuite, avant se joindre aux Pieds-Noirs. En 1876, au nom des tribus des Pieds-Noirs, il a écrit au Canada pour demander la conclusion d’un traité. Il a signé le Traité 7 en qualité de témoin.

Sir John Alexander Macdonald (M. Macdonald) : M. Macdonald était un grand homme politique canadien. Il a été premier ministre de 1867 à 1873, puis de 1878 à 1891. Il a également occupé les fonctions de ministre de l’Intérieur de 1878 à 1883, et de surintendant général des Affaires indiennes de 1878 à 1887.

James Farquharson Macleod (le colonel Macleod) : Le colonel Macleod a reçu le grade de surintendant et d’inspecteur de la P.C.N.-O. En 1874, il s’est rendu à Fort Macleod pour commencer à mettre fin à la traite du whisky. En juin 1876, le premier ministre Mackenzie l’a promu commissaire au sein de la P.C.N.-O. Il a été nommé, tout comme M. Laird, commissaire en vue de la négociation du Traité 7 en 1877. Il a quitté la P.C.N.-O. en 1880 et a continué d’occuper des fonctions judiciaires en tant que magistrat dans le secteur de la rivière Bow.

Norman Thomas Macleod (l’agent Macleod) : Frère aîné du colonel Macleod, l’agent Macleod a été agent des Indiens de 1880 à 1881.

Alexander Morris (M. Morris) : M. Morris a été député et ministre sous le premier gouvernement Macdonald. En 1872, il a été pendant quelques mois le premier juge en chef du Banc de la Reine du Manitoba, avant d’être assermenté en tant que lieutenant-gouverneur du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, en décembre de la même année. Il a occupé cette fonction pendant cinq ans.

William B. Pocklington (M. Pocklington) : M. Pocklington a été membre de la P.C.N.-O. de 1877 à 1880, puis agent des Indiens de 1884 à 1891.

Jerry Potts (M. Potts) : M. Potts était interprète. Sa mère était membre de la tribu des Blood. Il a servi d’interprète lorsque la P.C.N.-O. et M. Macleod ont rencontré Crowfoot pour la première fois afin de discuter des commerçants de whiskey. Il était présent lors des négociations du Traité 7. Sa consommation excessive d’alcool, tout au long de sa vie, était bien connue.

Red Crow, aussi connu sous le nom de Mékaisto, Mekasto, Mikasto (Red Crow) : Red Crow était un des chefs de la tribu des Blood lors de la signature du Traité 7. Rainy Chief a également signé le Traité 7 en tant que chef de la tribu des Blood. Lorsque Rainy Chief est décédé, Red Crow est devenu l’unique chef de la tribu des Blood. Hugh Dempsey en parle dans le Dictionnaire biographique du Canada : « Guerrier de nature, Red Crow avait refusé de dépendre du gouvernement; pour amener son peuple à l’autosuffisance, il avait encouragé la pratique de l’agriculture et de l’élevage, ainsi que le goût de l’instruction. Il insuffla aux Gens-du-Sang l’indépendance et la fierté qui les préservèrent de la sujétion à quiconque, y compris à l’homme blanc.»

Lawrence Vankoughnet (M. Vankoughnet) : M. Vankoughnet a d’abord travaillé comme agent des Indiens au sein du département des Affaires des sauvages, avant d’être promu surintendant général adjoint de la division des Sauvages du département de l’Intérieur, poste qu’il a occupé de 1874 à 1893.

II.  ÉLÉMENTS DE PREUVE

[57]  Les parties ont présenté plus de 2 300 pièces au procès. Ce sont pour la plupart des lettres, des rapports, des décrets, des cartes et des notes de journal datant de la fin des années 1800 [7] . Ces documents constituent le récit du Canada puisqu’ils ont été rédigés par des représentants de la Couronne. Ils présentent en détail les relations avec la tribu des Blood, entre autres. J’ai essayé de garder à l’esprit qu’il est possible que les auteurs, lorsqu’ils écrivaient à leurs supérieurs, aient parfois rédigé leur rapports d’une manière qui leur soit favorable. Au moment en cause, la tribu des Blood n’avait pas de langue écrite et n’a pas écrit de documents pour donner sa version de l’histoire. Le récit de la tribu des Blood repose sur son histoire orale.

A.  Éléments de preuve fondés sur l’histoire orale de la tribu des Blood

[58]  Au cours de la phase I, la Cour a entendu un certain nombre de membres de la tribu des Blood : Wilton Goodstriker, Pete Standing Alone, David Stripped Wolf, Dennis First Rider, Andrew Black Water, Mary First Rider, Charlie Crow Chief et Bruce Wolf Child.

[59]  Le Canada, aux paragraphes 290 à 341 de ses observations écrites, donne un résumé général des éléments de preuve fournis par chacun. Il présente, face aux éléments de preuve, des événements dont ces témoins n’ont pas connaissance, en laissant entendre, sans toutefois l’affirmer, que la Cour devrait en tenir compte lors de l’examen des éléments de preuve fournis par les membres de la tribu. Le Canada ne soulève aucune question sérieuse quant à la crédibilité de ces témoins qui présentent des éléments de preuve de tradition orale.

[60]  Selon la Cour, tous les membres de la tribu des Blood qui ont témoigné ont été sincères et ont évoqué, selon leurs souvenirs, ce que leur avaient dit des personnes désormais décédées. J’estime que chacun a dit la vérité, sans rien exagérer et sans ajouter de détails à des faits quels qu’ils soient. Ils n’ont fait que relater leurs souvenirs. Parfois, j’ai tiré des conclusions qui n’allaient pas dans le sens de l’histoire orale de la tribu des Blood, ou j’ai conclu que les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, à eux seuls, ne permettent pas aux demandeurs de s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombe. Ces conclusions ne doivent pas porter à croire que le témoin concerné n’était pas crédible ou honnête. Le rôle de la Cour est d’évaluer tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et de tirer des conclusions de fait selon la prépondérance des probabilités. Ceci me rappelle les propos tenus par Robert Evans dans L’enfant gâté d’Hollywood :

Il y a trois facettes à chaque histoire : la mienne, la vôtre et la vérité. Mais personne ne ment. La mémoire partagée se met au service de chacun, d’une manière différente.

[61]  La tribu des Blood a résumé les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale présentés par ces témoins aux paragraphes 44 à 89 de son mémoire; elle les a répartis dans sept rubriques qui fournissent un cadre utile pour relater ces témoignages en ce qui concerne les faits et les questions à trancher.

a.  Territoire traditionnel de la Confédération des Pieds-Noirs

[62]  David Stripped Wolf a expliqué que la Confédération des Pieds-Noirs était composée de tribus de Pieds-Noirs qui entretenaient de bonnes relations et formaient [traduction] « un seul peuple ». [TRADUCTION] « Nous avons reçu la vie et ce territoire, et nous ne nous sommes jamais fait la guerre. »

[63]  Andrew Black Water a déclaré que le territoire traditionnel de la confédération allait de la rivière North Saskatchewan dans le nord [traduction] « près de Jasper, là où la rivière s’écoule depuis les montagnes », jusqu’à proximité de la frontière du Manitoba à l’est, jusqu’à la pointe nord du Wyoming et à la rivière Yellowstone au sud et, en longeant la rivière Yellowstone, vers l’ouest jusqu’aux montagnes. Il a ajouté que la première chaîne de montagnes était également considérée comme faisant partie du territoire de la Confédération.

[64]  Ceux qui ne faisaient pas partie de la Confédération ne pouvaient pénétrer sur son territoire sans autorisation. Andrew Black Water a donné les explications suivantes :

[traduction]

[A]utrefois, il nous arrivait de permettre à d’autres tribus de traverser notre territoire, en concluant des traités avec elles. Il était entendu qu’elles étaient autorisées à traverser notre territoire pour atteindre une destination située en dehors du territoire, et non à l’intérieur.

Il nous arrivait de conclure des traités leur permettant de venir récolter ce qu’ils ne trouvaient peut-être pas sur leur propre territoire, comme du gibier, des racines médicinales et d’autres produits comestibles, vous savez, de la nourriture. En retour, ils nous permettaient d’aller sur leur territoire pour y faire le même genre de récoltes. Voici le type d’ententes à court terme qui étaient conclues.

[65]  Comme le fait remarquer la tribu des Blood, le Canada ne remet pas en question ces éléments de preuve qui sont confirmés dans le rapport rédigé par M. Clint Evans, dans lequel on peut lire que [traduction] « les universitaires savent depuis longtemps que les tribus Pieds-Noirs ont dominé le sud de l’Alberta et les parties adjacentes du Montana au cours des sept premières décennies du XIXe siècle ».

b.  « Lieu d’attache » de la tribu des Blood

[66]  Voici, selon Andrew Black Water, le secteur au sein du territoire de la Confédération qui était le lieu d’attache de la tribu des Blood, les [traduction] « Aakainawa, la tribu des nombreux chefs » :

[traduction]

[…] depuis les montagnes en allant vers l’est jusqu’aux Sand Hills, jusqu’à ce côté des Sweet Pine Hills, incluant Writing-on-Stone, Cypress Hills, et bien sûr jusqu’à la limite, la limite est.

Ensuite on repart vers le nord, en quelque sorte. Je dirais aux alentours de ce qu’on appelle Medicine Hat, au nord de ce secteur, puis on retourne vers l’ouest en direction des montagnes.

[67]  Cette description comprend le secteur que Red Crow avait présenté comme étant l’endroit où il souhaitant que soit située la réserve des Blood.

c.  Clans, leadership et prise de décisions

[68]  Bon nombre des témoins ayant présenté des éléments de preuve de tradition orale ont indiqué que la tribu des Blood comptait de nombreux chefs de clans. En effet, comme l’a expliqué Andrew Black Water, la tribu porte également le nom de [traduction] « Aakainawa, la tribu des nombreux chefs ». Wilton Good Striker a déclaré que c’est seulement à l’époque du traité que le terme « chef » a commencé à être employé par la tribu des Blood. Il y avait alors deux chefs de clans importants : Red Crow, qui représentait les clans du sud, et Rainy Chief (également appelé Thunder Chief), qui représentait les clans du nord. Ils étaient tous deux chefs de guerre et Wilton Goodstriker explique qu’ils l’ont été [traduction] « jusqu’au décès de Thunder Chief, après quoi la tribu n’a plus été représentée que par un chef [Red Crow] ».

[69]  Lors de la conclusion du Traité 7, la tribu des Blood était représentée par Red Crow et Rainy Chief. Même si Crowfoot, le chef Pied-Noir, était le principal porte-parole des Premières Nations lors de la conclusion du Traité, il ne s’est pas exprimé au nom de la tribu des Blood. Sa mère était membre de la tribu des Blood et il avait un lien de parenté avec Red Crow, mais, comme l’a indiqué Andrew Black Water lors de son témoignage, Crowfoot [traduction« n’aurait pas parlé au nom de la tribu des Blood ».

d.  Processus traditionnel de conclusion de traités

[70]  Les demandeurs notent que [traduction] « [l]es aînés ont confirmé que les alliances sacrées étaient importantes et solides parce qu’elles avaient été conclues autour d’un calumet ». C’est ce qui s’est passé dans le cas du Traité 7. On avait conseillé à Red Crow d’utiliser le calumet, car on craignait que les hommes blancs se montrent malhonnêtes. Wilton Goodstriker donne les explications suivantes :

[traduction]

Ce sont les aînés qui ont suggéré d’utiliser le calumet lors des négociations du traité. Dans notre cas, il s’agissait d’un aîné appelé Maanistoko, ce qui signifie [traduction] « père de nombreux enfants ».

C’était un enseignant sacré, un conseiller sacré pour les gens, comme Red Crow, qui étaient les chefs de l’époque. Père de nombreux enfants. Il était l’une des personnes présentes lors de la signature du traité de Lame Bull sur le territoire américain. Il était présent lors des négociations des traités de Fort Laramie.

Et il a mis en garde Red Crow et les autres chefs, en leur disant de se méfier lorsqu’ils rencontreraient les autorités, car ces personnes ne disaient pas la vérité. Il leur a dit que puisque ces personnes seraient malhonnêtes, il fallait utiliser un calumet pour concrétiser l’alliance de paix forgée avec eux.

[71]  Ces aînés nous donnent la preuve que les tribus Pieds-Noirs avaient une certaine expérience quant à la conclusion de traités, en plus de conclure des accords avec d’autres tribus afin de faire des échanges et de forger des alliances. Ils étaient là lors de la négociation d’un traité dans le Montana avant la conclusion du Traité 7, et certains étaient présents lors des négociations du Traité 6.

e.  Compréhension du Traité 7 par la tribu des Blood

[72]  Andrew Black Water, entre autres, a indiqué dans son témoignage que la tribu des Blood voyait le Traité 7 comme un traité de paix :

[traduction]

[L]e Traité des Pieds-Noirs repose sur l’amitié. Il a été conclu afin de vivre en paix avec les nouveaux – les nouveaux arrivants – sur le territoire, à la surface du territoire, mais il s’agissait davantage d’un besoin de vivre en harmonie, vous savez, les uns avec les autres.

[73]  Aucun membre de la tribu des Blood ne parlait l’anglais, et aucun des négociateurs représentant le Canada ne parlaient le pied-noir. Tous dépendaient des traducteurs. Selon l’histoire orale de la tribu des Blood, M. Potts a été rejeté en tant qu’interprète parce qu’il buvait beaucoup et, pour reprendre les propos de Wilton Goodstriker, [traduction] « il [était] un peu étrange. » Le nom de M. L’Heureux a également été proposé, mais les chefs de la tribu n’ont pas voulu de lui puisqu’ils ont [traduction] « rapidement déterminé qu’il ne connaissait pas suffisamment les Pieds-Noirs pour représenter les chefs présents. » On a également songé à faire appel au père Lacombe, mais il n’a pas été retenu puisque lorsqu’on lui a demandé d’essayer de parler en pied-noir, il a parlé en cri. Comme l’a expliqué Wilton Goodstriker : [traduction« Le cri et le pied-noir ont à peu près autant en commun que l’anglais et le chinois. » Au bout du compte, les Pieds-Noirs ont accepté que M. Bird soit leur interprète. C’est ce qui a été relaté par bon nombre de ceux qui ont donné leur témoignage, notamment Andrew Black Water, David Stripped Wolf et Bruce Wolf Child. Wilton Goodstriker a expliqué pourquoi M. Bird a été choisi et quels ont été les résultats, et a relaté la confession que M. Bird a faite juste avant de mourir :

[traduction]

Bird, qui avait été désigné comme interprète, était marié à une femme de la tribu des Pieds-Noirs dans le Montana. Il parlait un peu le pied-noir, mais ne le maîtrisait pas assez bien, je suppose, pour rapporter ce qui était dit. Plus tard, dans les histoires sur les vieilles dames auxquelles j’avais parlé quelques années auparavant, à savoir Rosie Red Crow et Louise Crop Eared Wolf, j’ai appris que M. Bird, avant de mourir dans le Montana, avait avoué aux personnes présentes qu’il n’avait pas correctement interprété ce qui avait été dit.

En fait, il avait induit les gens en erreur et le regrettait. Je suppose qu’il ne voulait pas emporter la vérité dans sa tombe, qu’il voulait faire son mea culpa, et c’est ainsi que la nouvelle s’est rapidement répandue parmi notre peuple qu’il n’avait pas été honnête lorsqu’il a traduit ce qui a été dit à Blackfoot Crossing.

[74]  Dans son témoignage, David Stripped Wolf a raconté que vers la fin des négociations, Red Crow a pris de l’herbe et de la terre et a demandé à M. Laird de le regarder, déclarant que cette herbe était ce qu’ils partageraient, mais qu’il n’était pas possible de discuter de la terre. [TRADUCTION] « [L]a terre est ce que nous incarnons. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas – nous ne pouvons pas discuter de la terre. »

[75]  Ce récit fait écho à celui de Wilton Goodstriker :

[traduction]

Par l’entremise du traducteur, le représentant du gouvernement a dit qu’il partagerait le territoire. Red Crow, lorsqu’il a répondu, a ramassé de la terre avec sa main gauche et de l’herbe avec la droite – sa main droite.

Et il a dit aux – il a dit aux représentants du gouvernement : nous partagerons l’herbe, mais pas – mais pas la terre. Nous incarnons la terre. Nous ne pouvons pas – elle fait partie de nos cérémonies. Nous n’y pouvons rien. Nous ne pouvons pas la partager.

[76]  Selon l’histoire orale, il y a eu des débats quant à l’emplacement de la réserve. Lorsque les commissaires ont indiqué à la tribu des Blood que son territoire serait situé en aval de la rivière Bow, voici ce que Red Crow a répondu :

[traduction]

Notre territoire se situe près des buttes Belly et de la montagne Chief. Voilà où il se trouve. Et c’est là que nous vivrons [8] .

f.  Territoire de la tribu des Blood considéré comme étant réservé après la conclusion du Traité 7

[77]  Juste après la signature du Traité 7, Red Crow et la tribu des Blood ont quitté Blackfoot Crossing pour se rendre dans le secteur des buttes Belly. Dans son témoignage, David Stripped Wolf a raconté que lorsqu’ils sont arrivés, Red Crow a dit : [traduction« Jamais je ne quitterai cet endroit. C’est ici que je serai enterré. » Selon David Stripped Wolf, cet [traduction] « endroit » se trouve au confluent des rivières Kootenai et Belly.

[78]  David Stripped Wolf a témoigné qu’au cours de l’été suivant (1878), on a dit à Red Crow qu’à Fort [traduction] « Kipp ou iitapitsikamoa’pi’ […], un homme blanc viendra et vous indiquerez le territoire de la réserve qui vous sera donnée, là où se trouvera votre réserve. »

[79]  Wilton Goodstriker a présenté le secteur qui, selon la tribu des Blood, lui avait été réservé :

[traduction]

Je vous ai raconté que Red Crow avait rencontré le colonel MacLeod. À ce moment-là, ils ont discuté de la limite ouest de la réserve, qui donnait alors sur la rivière Kootenay, jusqu’à l’endroit où la rivière émerge des montagnes, à l’entrée de la rivière Kootenay. C’est au niveau des lacs Waterton tels qu’on les connaît actuellement.

Il y avait alors le lac – les lacs situés dans les montagnes, ce qu’on appelle les lacs Waterton.

Et au sud, d’après mon grand-père, notre territoire était voisin de nos familles du sud, les Pieds-Noirs du sud, ce qui correspondrait exactement au 49e parallèle.

Et du côté est, en partant de – il y a une – la ligne qui part de Fort Whoop-Up vers – Whoop-Up, puis on va directement vers le sud, on traverse la crête de Milk River, c’est, d’après ce que je comprends, la – la frontière du territoire accordé.

[80]  Le secteur décrit correspond au territoire de la grande revendication.

g.  Utilisation par la tribu des Blood du territoire de la grande revendication après la conclusion du Traité

[81]  Selon l’histoire orale, les membres de la tribu des Blood utilisaient le territoire situé entre les rivières Kootenai et Belly pour des courses de chevaux, à des fins rituelles (y compris les cérémonies de perçage corporel de la danse du soleil), ou encore pour y vivre. Toujours selon l’histoire orale, la P.C.N.-O. avait dit à ceux qui vivaient là qu’ils devaient déménager puisque la zone allait être inondée. Selon le témoignage de Wilton Goodstriker, voici ce que la P.C.N.-O. a dit aux résidents :

[traduction]

Nous protègerons ces terres pour vous, mais vous devez partir à l’est de la rivière Belly et nous surveillerons cette zone.

Du bétail arrive et sera utilisé pour vous nourrir votre peuple en ce qui a trait aux rations. Nous les établirons entre les deux rivières. Nous montrerons la garde et nous installerons notre poste entre les deux rivières et nous surveillerons cet endroit.

[82]  L’histoire orale veut que ceux qui ont refusé de partir ont été [traduction] « déplacés de force et surmenés ». La tribu des Blood a continué, en cachette, à recueillir dans cette zone les objets sacrés dont elle avait besoin pour ses cérémonies.

[83]  Bruce Wolf Child a fourni la preuve que la tribu des Blood a continué d’utiliser le territoire au sud de la limite de la réserve actuelle :

[traduction]

Les secteurs au sud de Cardston étaient fréquemment utilisés. Nous avons déplacé nos camps pour suivre les bisons, qui étaient notre source de vie. Nous sommes allés dans des secteurs où l’eau était bonne, où le gibier était abondant et où nous serions en sécurité.

Ces secteurs au sud offraient tout ce qu’il nous fallait pour survivre.

[…]

Nous avons continué à utiliser ce territoire même si nous n’y étions pas autorisés, à cause des nouveaux arrivants qui s’étaient installés dans cette région.

[84]  Charlie Crow Chief a fait part de l’histoire orale au sujet du déplacement des membres de la tribu des Blood qui se trouvaient dans la zone située au sud de la réserve actuelle.

[traduction]

Les gens parlent ensuite du moment où ils ont été chassés de – déplacés de façon précipitée de – de la rivière St. Mary’s, en amont vers la rivière St. Mary’s – le lac St. Mary’s, dans cette zone, puis ils ont établi un campement là-bas. Il y avait deux camps. Un des camps était plus proche de la frontière; l’autre se trouvait un peu plus à l’est, près de la rivière, et c’est là que se trouvaient les abris, le bois à brûler et tout.

Alors quand c’est arrivé, la Police à cheval du Nord-Ouest y est allée à cheval, avec des pistolets, et ils ont rassemblé les gens tôt le matin pour les faire partir. Ceux qui racontent cette histoire étaient de petits garçons à l’époque. Alors ils leur ont dit “vous n’avez plus rien à faire ici”. Et l’autre a ajouté “18 ans seulement, et vous pourrez revenir”. Et 18, c’est deux fois neuf. Alors un d’eux a dit “d’accord, ce n’est pas si long. Seulement 18 ans. On va partir, puis on reviendra”.

[85]  En 1887, les mormons, dirigés par Charles Ora Card, se sont établis à l’endroit qu’est maintenant Cardston, en Alberta, à la limite sud de la réserve de la tribu des Blood. D’après l’histoire orale des Blood, lorsque les mormons sont arrivés dans la région, ils se sont adressés à Red Crow et ont expliqué que leurs familles étaient malades et que leurs chevaux étaient affamés après leur long périple depuis l’Utah. Ils ont demandé à rester un moment avant de poursuivre leur voyage vers le nord. Les membres de la tribu des Blood pensent qu’ils sont ensuite restés aux termes d’un bail de 99 ans, après quoi le territoire devait être rendu à la tribu des Blood. Malgré leurs efforts, ils ne sont pas parvenus à retrouver ce bail.

B.  Évaluation des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale

[86]  La question soulevée par le Canada concernant ces éléments de preuve fondés sur l’histoire orale concerne les opinions d’experts quant à la tradition orale de la tribu des Blood et au poids que la Cour devrait accorder aux témoignages de ces personnes.

[87]  John Dewhirst, appelé par la tribu des Blood, est anthropologue des cultures. Il était qualifié pour livrer un témoignage d’opinion sur [traduction] « l’histoire orale, les traditions et les pratiques de la tribu des Blood, le processus de préservation et de transmission de la tribu, l’histoire orale transmise grâce à leur tradition orale, ainsi que la survie de cette tradition et sa pratique en ce qui concerne le groupe actuel d’aînés appelés à témoigner. »

[88]  M. Dewhirst a estimé que compte tenu du processus de validation coutumière suivi par la tribu des Blood, sa tradition orale offre un contenu fiable. Ce processus, que M. Dewhirst a présenté, était résumé de la manière suivante dans les observations écrites de la tribu des Blood :

[traduction]

a. Dites la vérité.

b. Ne dites que ce que vous savez. Si vous ne savez pas, demandez à une personne qui connaît l’information exacte.

c. Faites un récit complet. Vous ne devez pas raconter certaines parties seulement, ni abréger le récit.

d. Ne faites le récit que si vous le connaissez au complet et si vous pouvez raconter l’histoire de façon correcte et complète.

e. Dans votre récit, incluez uniquement ce que vous avez entendu, ni plus ni moins.

f. Faites le récit exactement de la façon dont votre source fiable vous l’a raconté.

g. Précisez d’où viennent vos connaissances, s’il s’agit de votre propre expérience ou si l’information vient d’un ou de plusieurs narrateur(s) fiable(s).

h. Si vous êtes la source du récit, situez-vous par rapport à votre connaissance directe.

i. Si le récit vous a été transmis par d’autres personnes, dites qui elles sont et situez-les par rapport à la connaissance directe de l’événement en question.

j. Lorsqu’il est impossible de situer le récit par rapport à la connaissance directe, on considérera qu’il est exact et complet s’il cadre avec le même récit fait par une source de connaissances fiable.

[89]  Bien que le Canada ait convenu que M. Dewhirst était qualifié pour livrer un témoignage d’expert dans les domaines mentionnés, il affirme qu’il revient au juge qui préside de décider si un témoin qui présente des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale est une source fiable pour ce qui est de l’histoire relatée. Comme je l’ai dit lors du procès, je conviens que le poids qu’il faut accorder à un témoignage est une question qui relève entièrement du juge qui préside et que ce n’est pas un point sur lequel un expert peut à juste titre donner son avis. Par conséquent, les opinions exprimées par M. Dewhirst quant à la fiabilité d’un témoignage en particulier n’aident pas la Cour et ne sont pas prises en compte.

[90]  Selon le Canada, [traduction] « il ne faut pas accorder une grande importance à l’opinion de M. Dewhirst puisqu’il a limité la portée des recherches qui ont servi de base à son rapport ». Il mentionne que la carrière de M. Dewhirst est consacrée à l’étude de sept cultures autochtones en Colombie-Britannique. Il fait remarquer que M. Dewhirst n’a jamais travaillé avec les Pieds-Noirs auparavant, qu’il n’a visité la réserve que deux fois et que la majorité des entrevues qu’il a menées ont duré moins d’une journée. Il a joute que la tribu des Blood a choisi les personnes qui seraient interrogées et que ces personnes n’étaient pas représentatives de la démographie de la tribu.

[91]  Le Canada a appelé Mme Susan Gray à titre de témoin expert quant à la tradition orale de la tribu des Blood. Mme Gray a été reconnue comme témoin expert en histoire autochtone, particulièrement en ce qui concerne les traditions orales des peuples algonquins, y compris les tribus de la Confédération des Pieds-Noirs. Elle a également été jugée compétente pour commenter le rapport préparé par M. Dewhirst.

[92]  Mme Gray a reconnu qu’elle n’avait rencontré ou interrogé aucun des membres de la tribu des Blood. Elle a critiqué le rapport de M. Dewhirst pour les motifs susmentionnés invoqués par le Canada, ainsi que pour son utilisation d’un cadre théorique mis au point par un chercheur africaniste, Jan Vanisa, qui [traduction] « arrête la forme dans le temps » alors que les Blood étaient un peuple nomade.

[93]  Les deux témoins experts posent problème à la Cour. En dépit de sa formation et de ses diplômes, j’accorde peu de poids au point de vue de Mme Gray sur l’histoire orale de la tribu des Blood puisqu’elle ne l’a jamais étudiée directement et n’a jamais rencontré aucun de ses membres. Sur le plan théorique, sa critique du rapport de M. Dewhirst peut être valable; toutefois, M. Dewhirst a interrogé les membres de la tribu des Blood et a interagi avec eux, et l’explication qu’il propose quant à la création et à la vérification de l’histoire orale de la tribu est appuyée par les témoignages d’autres membres de la tribu des Blood, et plus particulièrement celui de Wilton Goodstriker.

[94]  Une bande qui présente des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale dans des cas comme celui-ci est confrontée à une difficulté évidente : ceux qui se rappellent de l’histoire de la bande n’en ont pas été directement témoins; souvent, ils récitent les histoires de troisième ou de quatrième main à propos d’événements qui se sont déroulés il y a plus d’un siècle. La Cour doit déterminer comment évaluer ces éléments de preuve et quel poids leur accorder. Au paragraphe 68 de l’arrêt R c Van Der Peet, [1996] 2 RCS 507, le juge en chef Lamer a reconnu ces difficultés et à indiqué aux tribunaux qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’acceptation et à la prise en compte des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale :

Pour déterminer si un demandeur autochtone a produit une preuve suffisante pour établir que ses activités sont un aspect d’une coutume, pratique ou tradition qui fait partie intégrante d’une culture autochtone distinctive, le tribunal doit appliquer les règles de preuve et interpréter la preuve existante en étant conscient de la nature particulière des revendications des autochtones et des difficultés que soulève la preuve d’un droit qui remonte à une époque où les coutumes, pratiques et traditions n’étaient pas consignées par écrit. Les tribunaux doivent se garder d’accorder un poids insuffisant à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple.

[95]  Aux paragraphes 68 et 69 de l’arrêt R c Marshall; R c Bernard, 2005 CSC 43, la juge en chef McLaughlin a demandé aux tribunaux de faire preuve de réceptivité et de générosité relativement aux éléments de preuve fondés sur l’histoire orale :

Relativement à toutes ces questions, il est nécessaire de faire preuve de réceptivité et de générosité à l’égard de la preuve présentée pour établir le droit revendiqué, qu’il s’agisse du titre aborigène ou des droits plus limités de chasser, de pêcher ou de cueillir. Les peuples autochtones n’ont pas de relations historiques écrites au sujet des événements antérieurs à l’affirmation de la souveraineté. Par conséquent, il convient d’accepter les récits transmis oralement dans la mesure où ils satisfont aux conditions d’utilité et de fiabilité raisonnable formulées dans Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, 2001 CSC 33. Le récit oral est utile s’il fournit des éléments de preuve auxquels le tribunal n’aurait pas accès autrement ou qui concernent le point de vue autochtone sur le droit revendiqué. Il est raisonnablement fiable si le témoin constitue une source crédible pour ce qui est de l’histoire du peuple en question. Les juges appelés à se prononcer sur l’utilité et la fiabilité de récits oraux doivent se garder des suppositions faciles inspirées des traditions eurocentriques en matière de cueillette et de transmission de faits historiques.

L’appréciation de la preuve, testimoniale et documentaire, doit se faire du point de vue des Autochtones, en se demandant ce qu’une pratique ou un événement aurait signifié dans leur monde et leur système de valeurs. Après cette appréciation de la preuve vient l’étape finale où les conclusions de fait, ainsi interprétées, sont transposées en un droit moderne en common law. Ce droit doit être circonscrit avec précision conformément aux traditions de la common law, tout en respectant le point de vue autochtone.

[96]  J’ai évalué les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale sans perdre de vue ces principes. L’évaluation de la valeur des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale se résume au poids qu’on leur accorde. Je suis guidé par ce qui suit pour évaluer ces éléments de preuve. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale sont confirmés par des documents écrits ou y sont conformes, je leur accorde beaucoup de poids. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale ne sont pas contredits, je leur accorde généralement beaucoup de poids. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale semblent refléter la vérité dans le contexte des événements de l’époque, je leur accorde généralement beaucoup de poids. Lorsque les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale sont logiques, je leur accorde généralement beaucoup de poids.

[97]  La valeur accordée à l’histoire orale de la tribu des Blood est celle indiquée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Sioui, [1990] 1 RCS 1025, 70 DLR (4th) 427, au paragraphe 1068 :

Si le contexte historique a pu servir à démontrer l’existence du traité, il peut tout aussi bien nous aider à interpréter l’étendue des droits qui sont contenus dans ce traité. Comme le disait le juge MacKinnon dans Taylor and Williams, précité, à la p. 232 :

[traduction] Les affaires concernant les droits indiens ou aborigènes ne peuvent jamais être décidées dans l’abstrait. Il importe de tenir compte de l’histoire et des traditions orales des tribus concernées et des circonstances prévalant à l’époque du traité, sur lesquelles les parties se sont appuyées pour déterminer les incidences du traité.

[98]  Bien que le Canada conteste la véracité de certains témoignages concernant l’histoire orale, je constate qu’il s’appuie aussi sur une partie de cette histoire orale pour établir les connaissances de la tribu des Blood quant à sa réserve, puis s’en sert pour étayer sa défense de prescription.

[99]  Au début de la phase 2, la tribu des Blood a produit le témoignage d’une de ses représentantes, Dorothy First Rider. Elle n’a pas fourni d’éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, mais a plutôt témoigné de son expérience personnelle et des connaissances actuelles de la tribu des Blood.

C.  Le témoignage d’expert

[100]  Tous les experts qui ont témoignés au procès ont produit des rapports écrits approfondis qui ont été déposés comme lus. En plus des experts en histoire orale susmentionnés, les domaines d’expertise des autres experts comprenaient l’histoire, l’histoire archivistique et l’arpentage.

[101]  Chaque partie a fait appel à des historiens. La tribu des Blood a fait appel à Mme Sarah Carter [9] et le Canada a fait appel à M. Clint Evans [10] . Chacun d’eux a été interrogé par la partie adverse sur le fondement d’une allégation de partialité. L’interrogatoire initial de M. Evans a été rejeté après un voir dire. Toutefois, en conclusion, la tribu des Blood a prétendu que sa [traduction] « crédibilité et son indépendance ont été sérieusement minées au procès » et qu’en cas de conflit, le témoignage de Mme Carter devrait être privilégié. Dans ses observations finales, le Canada prétend que le témoignage et le rapport de Mme Carter devraient être principalement exclus, car elle [traduction] « a manqué d’indépendance et d’impartialité ».

[102]  Je conviens que le libellé des parties du rapport de Mme Carter peut faire état d’une possible partialité en faveur des Premières Nations. À titre d’illustration, voici un passage de l’introduction de son rapport :

[traduction]

Depuis que les traités numérotés ont été conclus, il y a eu une pression incessante, sous une forme ou une autre, pour céder des terres de réserve de Premières Nations, et dès le départ, le gouvernement et les forces colonisatrices ont déployé des efforts pour accorder aux Premières Nations moins de terre que ce à quoi elles avaient légalement droit. Des terres réservées aux Premières Nations qu’ils auraient aimées pour eux-mêmes faisaient aussi l’objet de leur convoitise, tout particulièrement lorsque les terres avaient une valeur pour l’agriculture, le bétail, la spéculation ou d’autres profits. Des arguments trompeurs ont été avancés pour avoir accès aux terres de réserves autochtones. Selon certains arguments, les Premières Nations ne méritaient pas de terres parce qu’elles ne payaient pas d’impôts ou parce que leurs terres étaient laissées à l’abandon et n’étaient pas adéquatement utilisées pour les rendre abondantes. De tels arguments ont montré qu’il y avait une mauvaise compréhension de l’objet des traités.

Ce ne sont pas seulement les colons qui voulaient certaines des meilleures terres de réserve, les gouvernements, en particulier sous les premiers ministres J. A. Macdonald et Wilfrid Laurier, ont mis en œuvre des politiques visant à libérer des terrains pour leurs partisans pour récompenser le favoritisme politique. Ces gouvernements avaient recours à des tactiques et à des méthodes frauduleuses pour s’assurer des votes unanimes illégaux des résidents, en trouvant des moyens discutables de contourner les dispositions de l’Acte relatif aux Sauvages qui prévoyait que les terres de réserve ne pouvaient pas être prises aux Premières Nations sans le consentement de la majorité des hommes d’une bande. Le peuple Kainai a fait face à des pressions incessantes pour céder des terres et a dû composer avec de nombreuses tactiques et méthodes douteuses aux termes desquelles des systèmes et des arguments idéologiques, étatiques et raciaux ont été utilisés contre eux. De nombreuses personnes ont perdu leurs terres ou leur accès aux ressources de ces terres. [Note en fin de texte omis.]

[103]  Bien que le langage qu’elle utilise peut indiquer une potentielle partialité, j’estime que Mme Carter offre un fondement historique aux opinions qu’elle exprime sur la tribu des Blood, le Canada et le Traité 7. À mon avis, il n’est pas surprenant qu’une personne qui consacre sa carrière à l’histoire autochtone canadienne se forge une opinion ou un point de vue sur le traitement général de nos Premières Nations par le Canada. La thèse du Canada est qu’il faut accorder du poids au témoignage d’expert d’un historien seulement s’il énonce des faits historiques, sans les placer dans le contexte de l’époque, et les interprète selon les connaissances qu’il a acquises au cours de sa carrière. Cette observation peut être fondée si l’historien ne fait pas état du fondement probatoire des opinions exprimées. Ce n’est pas le cas pour Mme Carter.

[104]  Je note aussi que Mme Carter offre un aperçu historique du caractère et des défauts de caractères de certains des principaux protagonistes, comme M. Dewdney, M. Denny et d’autres, qui ont été utiles aux délibérations de la Cour. De plus, elle fournit des éléments de preuve qui ne se trouvent pas dans le rapport de M. Evans.

[105]  Pour ces motifs, j’accorde du poids à son témoignage. Toutefois, lorsqu’elle exprimer une opinion, plutôt que d’énoncer des faits historiques, j’ai tenu compte en évaluant son opinion, de son évaluation générale de la relation entre le Canada et ses Premières Nations.

[106]  Le témoignage de M. Evans concernant ses exposés des faits a une certaine valeur. Cependant, je suis d’accord avec la tribu Blood pour dire que le contre-interrogatoire, au moment du voir dire et quand sa preuve en interrogatoire principal a été analysée, a soulevé des préoccupations quant à sa crédibilité. Plus précisément, il a été démontré qu’il s’était appuyé sur des données de manière sélective en ce qui a trait à la population des tribus de la Confédération des Pieds-Noirs avant le Traité 7. Il a également été démontré qu’il s’est montré intransigeant lorsqu’on lui a présenté des éléments de preuve contraires à ceux qu’il avait présentés. Par exemple, il a déraisonnablement refusé d’admettre qu’il est possible que le renvoi dans le rapport de M. Nelson de 1888 indiquant qu’il [traduction] « a entendu Potts lui dire que la limite sud de la réserve irait de Lee’s Creek à Fish Creek » était une référence à l’emplacement de Mountain View, qui s’appelait Fish Creek à l’époque. Il a plutôt insisté pour dire qu’il s’agissait d’une référence à Fishing Creek. Fishing Creek et Lee’s Creek coulaient tous les deux plus ou moins du nord au sud. Son argument selon lequel cela voulait dire que l’emplacement de ces ruisseaux confluait avec les rivières Belly et St. Mary n’est pas très logique puisqu’il s’agit d’un point au nord de l’extrême point nord de la limite sud de la réserve arpentée. Pour être juste, il semble en avoir reconnu autant lorsqu’il a été contre-interrogé sur ce point :

[traduction]

Q. Mais on parle du confluent de ces deux ruisseaux; se connectent-ils? Ils sont toujours en amont de la limite actuelle, alors ce n’est pas logique, n’est-ce pas?

R. Eh bien, j’ai seulement interprété ce qu’il disait comme -- parce que les limites ont été établies par les rivières St. Mary et Belly, et il disait simplement que c’est là que Fishing Creek ou Fish Creek rejoint l’une et là où Lee’s Creek rejoint l’autre, ce qui fait deux points, et c’est quelque chose que les Blood sauraient.

[…]

Q. Mais les points entre le ruisseau ne correspondent toujours pas à la limite sud non plus, vous essayez de dire que c’est le cas?

R. Eh bien, je -- je n’essaie pas de dire tant que cela vraiment, mis à part que c’est ce que John Nelson a dit.

Il faudrait que je consulte une carte et que je regarde Fish Creek et Lee Creek, et que je voie exactement où ils se jettent dans les grandes rivières, puis -- puis, je pourrais peut-être juger si cela coïncide avec la limite de 1882 ou de 1883.

Q. Alors si Lee’s Creek et Fish Creek ne coïncident pas avec les autres rivières à la limite fixée en 1883, vous conviendriez que cela n’est pas logique?

A. Oui. Si je faisais cela, si je regardais où ils confluent, Fish Creek se jette dans la rivière Belly et Lee Creek conflue avec la rivière St. Mary, et si cela ne correspond pas ou, vous savez, ne correspond à aucune des limites ou qu’à une seule d’elles, et que, oui, cela, je pense, aurait de l’importance.

[107]  Il est difficile, voire impossible de comprendre comment la référence que présente M. Evan permettrait à Red Crow de savoir où la limite était située avec une quelconque certitude. Si, comme le soutiennent les avocats, il s’agissait d’une référence à Mountain View, alors la description semblerait faire référence au levé de la limite sud de 1882 et non du levé de la limite sud de 1883, car comme M. Evans l’a lui-même reconnu, Mountain View semble se trouver sur la ligne de la limite sud de 1882.

[108]  Par conséquent, j’accorde peu de poids à ses opinions et j’ai fait preuve de prudence en me fondant sur son témoignage relatif à des faits non étayés par ailleurs.

[109]  Chaque partie a cité un expert en arpentage. Le Canada a cité M. Brian Andrew Ballantyne [11] et la tribu des Blood a cité Mme Marie Robidoux [12] . La différence majeure dans leurs opinions portait sur l’année où la réserve de la tribu des Blood a d’abord été établie : 1882 ou 1883. En fin de compte, c’est une question de droit que la Cour est appelée à trancher, et je ne me fonde sur l’opinion d’aucun d’eux relativement à la création de la réserve. Mis à part cet aspect de leur témoignage, la même importance est donnée à leurs rapports.

[110]  La tribu des Blood a aussi cité Mme Joan Homes à titre d’experte [13] . Elle décrit l’objet de son rapport ainsi :

Le but de ce rapport est d’examiner les documents historiques liés à l’accord conclu entre Mekasto ou Red Crow, chef principal de la tribu des Blood, et le gouvernement du Canada le 25 septembre 1880 et pour déterminer [traduction] « si la demande officielle de réserve du chef Red Crow dans les environs de Fort Kipp a été traitée par le Canada le 12 octobre 1882 lorsque John C. Nelson a achevé son levé de la réserve ». Pour répondre à cette question, le rapport doit aussi faire état de l’historique de la demande de Red Crow et du traitement de cette demande par le gouvernement en date du 2 juillet 1883.

[111]  Le Canada prétend que très peu de poids doit être accord à son rapport :

Mme Holmes a apporté une aide minime à la Cour. Des limites à son indépendance ont influencé son rapport qui n’était pas suffisamment méticuleux pour être utile. Elle s’est aussi montrée cavalière dans son respect des règles régissant les témoins experts de la Cour fédérale.

[112]  Les préoccupations soulevées par le Canada sont valides et inquiètent la Cour. Mme Holmes n’a pas respecté le Code de déontologie régissant les témoins experts, annexé à l’article 52.2 des Règles des cours fédérales. Elle n’a pas établi la liste des faits sur lesquels son opinion est fondée, conformément à l’alinéa 3d) du Code. Elle n’a pas avisé la Cour ni la partie adverse que la tribu des Blood lui avait fourni une trousse d’information qui comprenait un exposé des faits principaux, dont les tournures se retrouvent souvent dans le libellé de son rapport. Elle n’a également pas dit qu’un assistant avait examiné certaines sources d’archives pour son rapport. Cette omission seule n’aurait probablement pas été une source de préoccupation pour la Cour; toutefois, la similitude entre le document lié aux faits principaux préparé par la tribu Blood et son rapport est en effet troublante.

[113]  Bien que certaines similitudes puissent être expliquées par le fait qu’elles se sont toutes les deux appuyées sur les mêmes documents, comme le souligne le Canada, il est « curieux que Mme Holmes et le rédacteur de l’énoncé des faits principaux aient choisi de résumer divers documents historiques de manière aussi semblable ».

[114]  Il est également préoccupant qu’elle ait choisi d’omettre de son rapport, et par conséquent de son examen, le document de M. Nelson censé démontrer la satisfaction de Red Crow relativement à la réserve que la tribu des Blood a reçu par suite du levé de 1883. Je suis d’accord avec le Canada pour dire que, ce faisant, elle n’a peut-être pas livré une opinion entièrement objective.

[115]  Pour ces motifs, bien que j’admette son témoignage sur les documents d’archives historiques, peu de poids est accordé à ses opinions, à moins qu’elles ne soient étayées ou fondées sur le bon sens par ailleurs.

D.  Contexte historique pertinent

[116]  Je vais donner un aperçu du contexte historique généralement pertinent à l’égard des questions en litige. Lorsqu’un examen plus approfondi des faits établis est requis, il sera exposé dans la section pertinente ci-dessous portant sur des questions précises.

a.  Prélude au Traité 7

[117]  La tribu des Blood a toujours fait partie de la Confédération avec les Pieds-Noirs et les Peigan. Le territoire traditionnel de la Confédération s’étendait des deux côtés de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Ce territoire comprenait la partie nord du Montana au Sud, la partie sud de l’Alberta au Nord, il était délimité par les montagnes Rocheuses à l’Ouest et la région des Great SandHills de Saskatchewan, à l’Est. Les tribus de la Confédération étaient des peuples nomades qui vivaient dans des tipis et se déplaçaient constamment pour suivre les troupeaux de bisons.

[118]  La Confédération avait conclu des alliances avec d’autres Premières Nations qui souhaitaient pénétrer sur leurs terres traditionnelles. À mesure que les Européens ont investi cette région pour pratiquer l’agriculture et la chasse, les tribus de la Confédération ont acquis de l’expérience en matière de conclusion de traités avec les hommes blancs. Ses tribus étaient parties au Traité de Lame Bull de 1855 aux États-Unis et ont pris part aux activités de Fort Benton, dans le Montana, dans les années 1860. La Cour dispose d’éléments de preuve de preuve selon lesquels l’expérience de la Confédération avec les Américains, qui n’ont pas respecté les traités qu’ils avaient conclus, les a rendus méfiants au moment de conclure des traités avec le Canada.

[119]  M. Evans allègue que l’expérience avec les Américains explique l’attitude des Blood au moment du Traité 7. Ils étaient arrivés en retard et avaient manifesté peu d’intérêt pour choisir l’emplacement de leur réserve avant de conclure le traité. Je doute que cette expérience ait eu quelque chose à voir avec le manque d’intérêt allégué par Red Crow quant au choix d’une réserve lors de la conclusion du Traité 7. Tel qu’il en est question ci-dessous, je doute que Red Crow ait été consulté au moment de la conclusion du Traité 7 sur son choix d’emplacement de la réserve des Blood. Il est arrivé juste avant la signature du traité et en son absence, il est peu probable qu’un autre membre de la tribu ait fait un choix.

[120]  À partir de la fin des années 1870, les tribus de la Confédération au Canada ont fait face à une diminution de la provision de bison et ont connu une augmentation des stocks de whisky. Le Canada a envoyé la P.C.N.-O. sous le colonel Macleod dans la région pour établir la souveraineté canadienne et mettre un terme à la traite du whisky. Le succès que le colonel Macleod a connu lorsqu’il a endigué la traite du whisky, qui avait eu des effets dévastateurs dans la Confédération, lui a valu de gagner l’affection des chefs des Premières Nations. Ils le respectaient. Cette relation et sa participation en tant que commissaire du traité se sont avérées utiles au Canada lorsqu’elle a la conclusion de traités avec la Confédération.

[121]  La Confédération a appris que le Canada négociait des traités avec les Premières Nations dans l’ouest du Canada, et a écrit en 1875, par l’intermédiaire de M. L’Heureux, pour demander une rencontre avec le Canada afin de signer un traité.

[122]  M. Evans déclare que M. L’Heureux a rédigé le document pour demander une rencontre [traduction] « à la demande et au nom des chefs des Indiens Pieds-Noirs » et qu’il a été remis à M. Morris. La lettre est rédigée ainsi :

[traduction]

[À] un conseil général de la nation tenu par les chefs respectifs des Pieds-Noirs, des Blood et des Piegans à l’automne 1875, il a été décidé d’attirer l’attention de Votre Excellence et de notre honorable Conseil du Nord-Ouest sur les faits suivants.

Attendu qu’au cours de l’hiver 1871, un message du lieutenant-gouverneur Archibald a été acheminé à la Saskatchewan par W.J. Christie, un membre de votre honorable Conseil du Nord-Ouest, et que le contenu dudit message a été communiqué dûment à tous les signataires de la présente pétition.

Attendu que les signataires de la présente pétition ont compris qu’une promesse leur a été faite dans ledit document que le gouvernement des hommes blancs ne prendra pas les terres des Indiens sans réunir un conseil formé de commissaires des Indiens de Sa Majesté et des chefs indiens respectifs.

Attendu que les hommes blancs ont déjà pris les meilleurs emplacements et construit des maisons partout où ils le désirent sur les territoires de chasse des signataires de la présente pétition.

Attendu que, depuis quatre ans, les Sangs-Mêlés et les Cris chassaient le bison été comme hiver au beau milieu du territoire de chasse de la nation des Pieds-Noirs.

Attendu que les commerçants américains et d’autres personnes en sont à fonder un important établissement aux abords de la rivière Belly, soit sur les meilleures terres de chasse des signataires de la présente pétition.

Attendu que le lieutenant-gouverneur à notre attention n’a eu aucun effet puisqu’aucun commissaire indien ne nous a recentrés.

Attendu que les signataires de la présente pétition réclament la visite d’un commissaire des Indiens l’été prochain aux collines Hand et demandent qu’on leur dise à quel moment il viendra afin de le rencontrer et de convoquer un conseil dans le but de réglementer l’invasion de notre pays jusqu’à ce qu’un traité soit conclu avec le gouvernement.

Que nous sommes parfaitement d’accord que la police à cheval et les missionnaires restent dans le pays, car nous leurs sommes redevables pour les importants services qu’ils nous rendent.

Que nous avons fait appel à l’honorable Compagnie de la Baie d’Hudson pour la création d’un poste de traite aux abords de la rivière Belly, si le retrait des commerçants américains devait entrer en vigueur.

Attendu que les signataires de la présente pétition ont entièrement confiance que les représentants de notre Vénérable Mère, Sa Majesté la Reine, rendront justice rapidement à ses enfants indiens.

En priant pour que le gouvernement d’Ottawa accepte notre demande ou qu’il fasse en cette affaire ce que vous et votre honorable Conseil du Nord-Ouest pensez être convenable.

[123]  Le Canada a raisonnablement interprété cette lettre et une autre lettre de la Confédération comme une demande de traité. En réponse, le premier ministre Mackenzie a envoyé un télégramme à M. Morris l’autorisant à promettre un traité à la Confédération au cours de l’année suivante.

[124]  Le ministre de l’Intérieur, David Mills [le ministre Mills] a envoyé des instructions à M. Laird et au Colonel Macleod sur le traité qu’ils devaient négocier. Ils ont eu comme directive de tenir les négociations du traité à Fort Macleod et ont eu pour instruction de désigner l’emplacement des réserves [traduction] « aussitôt que possible ». Selon le dossier, cette dernière instruction a probablement été donnée, car le Canada souhaitait savoir le plus tôt possible où le chemin de fer et les colons se situeraient.

b.  Négociations du Traité 7

[125]  L’emplacement des négociations du traité est passé de Fort Macleod à Blackfoot Crossing en réponse aux demandes des chefs Crowfoot et Old Sun, tous les deux des Pieds-Noirs, qui pensait qu’il y aurait un meilleur accès aux bisons et qu’il y aurait moins de commerçants américains pouvant leur voler l’argent du traité. M. Laird déclare que les chefs Blood n’étaient pas satisfaits de ce changement, mais qu’il leur a dit que leurs annuités leur seraient versées à l’emplacement de leur choix.

[126]  Les négociations du Traité ont commencé le lundi 17 septembre 1877, mais peu de Blood, de Sarcee et de Piegan étaient présents a Blackfoot Crossing, les négociations ont donc été repoussées. Les négociations ont repris le mercredi 19 septembre 1877. M. Laird dit que plusieurs Indiens sont arrivés le 18 et il est indiqué dans le récit publié dans The Globe le 30 octobre 1877 qu’ils étaient presque tous présents [14] . M. Laird a présenté les modalités proposées du traité aux personnes assemblées. Selon The Globe, M. Laird s’est adressé aux Indiens assemblés et a notamment dit :

[traduction]

Dans quelques années à peine, il ne restera probablement plus de bisons. C’est pourquoi la Reine veut vous aider à adopter un autre mode de vie. La Reine veut que vous permettiez à ses enfants blancs de venir vivre sur vos terres et d’y élever du bétail et, si vous acceptez, elle vous aidera à élever du bétail et à faire pousser des céréales; elle vous donnera ainsi les moyens d’assurer votre subsistance lorsqu’il n’y aura plus de bisons. Elle vous donnera aussi chaque année, à vous et à vos enfants, de l’argent que vous pourrez dépenser comme bon vous semblera. En étant payés en argent, vous ne pouvez pas vous faire escroquer, puisqu’avec cet argent, vous pouvez acheter ce qui vous semble adéquat.

[…]

Des terres de réserve seront mises de côté pour vous et votre bétail sur lesquelles personne d’autre ne pourra empiéter; une superficie sera allouée dans cette réserve à raison d’un mille carré par famille de cinq personnes où vous pourrez couper des arbres et faire des préparer du bois de chauffage ou à d’autres fins. Les officiers de la Reine ne permettront pas à des hommes blancs ou à des Sangs-Mêlés de construire ou de couper du bois dans vos réserves.

[…]

J’ai parlé. Je vous ai fait connaître les principales modalités du traité que l’on vous demande de signer.

Vous souhaiterez peut-être en discuter dans vos conseils; vous ne saurez peut-être pas quoi faire avant d’avoir exprimé vos pensées en conseil. Convoquez par conséquent votre conseil, et j’espère que vous pourrez me donner une réponse demain.

[127]  M. Laird [15] et The Globe déclarent que le vendredi 21 septembre 1877, les modalités du traité ont été acceptées et les commissaires ont avisé les Premières Nations assemblées qu’elles [traduction] « prépareraient le traité et l’apporteraient demain pour le signer ».

[128]  Il est déclaré dans The Globe que Red Crow s’est exprimé le 21 septembre indiquant qu’il faisait [traduction] confiance à M. Macleod, qu’il [traduction] « lui laisserait tout » et qu’il signerait le traité. Cela contredit le récit de M. Laird qui dit que Red Crow est arrivé le soir du vendredi 21 septembre 1877 ou le samedi 22 septembre, jour où il a été présenté aux commissaires.

[129]  M. Laird indique qu’après avoir pris en note l’accord des personnes présentes le 21 septembre relativement aux modalités proposées, la seule [traduction] « question difficile » en suspens était celle des emplacements de la réserve. Les commissaires ont décidé qu’il valait mieux ne pas tenter de la régler lors d’une réunion publique. M. Macleod a convenu qu’il rencontrerait séparément les chefs pour établir l’emplacement de la réserve pendant que M. Laird préparerait les modalités. M. Laird déclare : [traduction] « Sa mission a été un tel succès que nous avons été en mesure de nommer les endroits choisis dans le traité ». Notamment un emplacement pour la réserve des Blood aux abords de la rivière Bow, près de celle des Pieds-Noirs.

[130]  Je crois qu’il est peu probable que des membres des Blood aient été consultés quant à l’emplacement de la réserve la tribu des Blood précisé dans le Traité 7. Je crois qu’il est improbable que Red Crow ait été consulté sur cet emplacement de réserve pour plusieurs raisons. Premièrement, il était absent le vendredi 21 septembre 1877, lorsque les modalités ont été rédigées. Elles n’ont été présentées aux commissaires que le jour suivant, le samedi 22 septembre 1877, jour où le Traité 7 a été signé.

[131]  Des éléments de preuve indiquent que Red Crow a bien exprimé sa volonté au moment de la conclusion du traité. Lors d’une réunion le 2 février 1888, avec M. Pocklington et d’autres, Red Crow aurait déclaré :

[traduction]

L’homme blanc a parlé et nous a demandé de dire où nous voulions la réserve. Dieu a créé les montagnes pour nous et a mis le bois là et nous avons dit à ce moment-là que nous voulions le territoire où étaient les montagnes et le bois.

[132]  Cette déclaration ne permet pas de savoir précisément si cette région a été choisie par Red Crow au moment de la conclusion du traité ou après coup, lorsque l’emplacement de la réserve a changé. Je crois que cette dernière hypothèse est probable. Si la déclaration quant à son choix de l’emplacement de la réserve a été faite au moment de la conclusion du traité, il faut donc conclure que les commissaires n’ont pas tenu compte de ce choix lorsqu’ils ont établi l’emplacement de la réserve dans le traité. Il n’y a aucune raison de penser qu’ils auraient délibérément fait fi des volontés de Red Crow.

[133]  Deuxièmement, dès que le Traité 7 a été conclu, Red Crow est parti pour rejoindre les buttes Belly. S’il avait choisi la rivière Bow comme emplacement de la réserve, on s’attendrait à ce qu’il y soit resté.

[134]  Selon l’histoire orale de la tribu des Blood, Red Crow a fait savoir peu de temps après avoir signé le Traité 7 qu’il voulait que la réserve des Blood se situe aux buttes Belly et non aux abords de la rivière Bow, avec les Pieds-Noirs, comme l’indique le Traité. Voilà qui confirme que s’ils ont joué un rôle dans le choix de la réserve établie dans le Traité 7, il était de faible importance. Joe Chief Body, dans un entretien du 12 novembre 1973, a déclaré :

[traduction]

Cet homme, appelé Grand Homme Blanc [M. Laird] a dit à Crowfoot, c’est juste ici, où nous avons procédé à la négociation du traité de paix, que votre réserve sera mise de côté, car elle sera arpentée. L’est et l’ouest sont satisfaits de ces terres et Crowfoot a répondu : oui, je le suis. Il s’est ensuite adressé à Red Crow, vous êtes le suivant. À l’est ou à ouest de la réserve de Pied-de-Corbeau? Choisissez la région que vous voulez pour vos réserves. L’autre bout sera attribué à la tribu Peigan. Lorsque l’aide du gouvernement arrivera, ils seront envoyés au même endroit. C’est ce que le Grand Homme Blanc a dit à Red Crow qui lui a répondu : « Non, je retourne aux buttes Belly et Whoop-Up, et c’est là que je m’établirai ». Grand Homme Blanc a répondu et dit à Red Crow : « Vous avez signé un traité de paix. C’est indiscutable. Ce que je vous dis se fera. Nous ajournerons la réunion à demain. Quand vous entendrez le premier coup de canon au matin, cela voudra dire que vous devrez vous préparer à venir à la réunion. Le deuxième coup de canon signifiera que la réunion commence.

Le lendemain matin, le premier coup de canon a retenti et les pouvoirs spirituels de Red Crow était déjà prêts, pouvoirs qu’il utilisait sur les sentiers de guerre. Le deuxième coup a retenti et il s’est rendu là où la réunion devait avoir lieu. Il est arrivé en dernier. Grand Homme Blanc et les autres hauts fonctionnaires ainsi que tous les autres chefs tribaux l’attendait déjà. Il s’est dirigé directement où Grand Homme Blanc était assis et lui offert de lui serrer la main, ce que Grand Homme Blanc a accepté. C’est alors qu’il a dit à Grand Homme Blanc : « Ce que je vais vous dire, c’est exactement ce qui va se passer, alors que vous me regardez. Cette terre que vous voyez est ce que je possède et tous les gens qui sont ici la possèdent aussi. Je donnerai les ordres. Pour vous qui êtes nés au-delà des grandes eaux, c’est là que vous donnerez vos ordres. J’ai signé la traité de paix pour que nous soyons frères toute notre vie, et à l’avenir, alors que vous me regardez, mon père, ma mère et mes liens de sang et mes proches sont tous enterrés aux buttes Belly et Whoop-Up, et c’est aussi valable pour l’ensemble de la tribu des Blood, car je connais pertinemment cette partie du pays. En hiver, les bisons meurent de froid aux buttes Belly et Whoop-Up. Il y a de nombreux abris où camper et les bisons passent aussi l’hiver dans cette région. » Quand il a fini de parler à Grand Homme Blanc, il s’est simplement rassis sur sa chaise et il a répondu : « Ce que vous venez de dire est vrai. Vous avez tout à fait le droit de choisir la terre où que vous souhaitiez garder pendant les négociations. » Dans le traité de paix, Grand Homme Blanc n’a jamais mentionné d’entente foncière lorsqu’il a promis de payer 12 $ par an tant que le soleil brillera et que les rivières couleront.

[135]  Selon la preuve documentaire, au moment de la conclusion du Traité 7 ou très peu de temps après, Red Crow a fait savoir qu’il ne prendrait pas de réserve à l’emplacement de la rivière Bow, mais il voulait être aux buttes Belly, comme cela a été mentionné précédemment, dès que le traité a été signé, il a quitté Blackfoot Crossing pour rejoindre les buttes Belly.

[136]  En ce qui a trait au choix des emplacements des réserves dans le Traité 7, j’opte pour le point de vue exprimé par Mme Carter qui écrit :

[traduction]

Il est remarquable que [le colonel] Macleod ait été en mesure de rendre visite à tous les peuples visés par le Traité 7 (Sikiska, Piikani, Kainai, Tsuu T’ina, Stoney-Nakada) qui campaient à Blackfoot Crossing et d’obtenir leur accord quant aux emplacements de réserve en si peu de temps. Il aurait ensuite dû donner les descriptions à M. Laird, qui préparait l’« ébauche » du traité aux fins de conclusion du traité le samedi 22 septembre.

[137]  L’accord allégué a peu d’importance étant donné que l’emplacement de la réserve des Blood au moment de la conclusion du Traité 7 a ensuite été modifié par consentement. Toutefois, le choix unilatéral par les hommes blancs ou le fait de ne pas prendre en compte les volontés de la tribu des Blood, indique que les Blood ont été traités sans ménagement par les hommes blancs concernant leur réserve et que ce traitement laisse présager de futures actions.

[138]  Initialement, M. Potts, un interprète de la P.C.N.-O., était chargé de l’interprétation, mais il est entendu qu’il n’était pas à la hauteur. Selon certains autres éléments de preuve, y compris des éléments de preuve fondés sur l’histoire orale, M. Potts aimait boire et était ivre la plupart du temps. M. Evans indique que M. Bird était marié à une femme Blood (la tante de Red Crow) et qu’il avait tenu le rôle d’interprète lors de la conclusion du Traité de Lame Bull.

[139]  M. Laird souligne que le 22 septembre, [traduction] « le traité ayant été interprété aux Indiens », les chefs, y compris Red Crow, en ont accepté les modalités et [traduction« M. L’Heureux, qui connaît la langue pied-noir, a inscrit le nom des chefs sur le document à leur demande et a été témoin de leurs marques ». En effet, le nom de M. L’Heureux figure à titre de témoin sur le Traité 7 où il est indiqué qu’il a été [traduction] « Signé par les chefs et conseillers [...] en présence des témoins suivants, ledit traité ayant été au préalable lu et expliqué par James Bird, interprète ». Il est noté que M. Laird était d’avis que M. L’Heureux [traduction] « connaissait » la langue pied-noir, tandis que les Pieds-Noirs eux-mêmes pensaient qu’il ne maîtrisait pas assez la langue pour être leur interprète lors de la conclusion du Traité 7. Quoi qu’il en soit, d’après le récit de M. Laird, il semble que M. L’heureux n’a fait qu’écrire les noms des chefs sur le document qui avait été préparé la veille, et servir de témoin.

[140]  En ce qui a trait aux réserves pour les Indiens, le Traité 7 prévoie la mise [traduction« à part des réserves propres à la culture de la terre, pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites, et lesdites réserves seront placées aux endroits suivants [...] ». Voici une description des trois réserves : une seule parcelle de terre du côté nord des rivières Bow et South Saskatchewan pour les réserves [traduction] « des Pieds-Noirs, des Blood, et des Sarcis » et des réserves distinctes pour les bandes des Peigan et des Stoney.

[141]  Après la signature du traité, les commissaires ont distribué des versements aux personnes assemblées. M. Laird indique que 4 392 personnes ont été payées. Il convient de souligner que dans son rapport annuel pour l’année s’étant terminée le 30 juin 1877, le ministre Mills écrit que quelque 14 949 indiens ont été payés aux termes des traités 4, 6 et 7 et que :

[TRADUCTION]

Mis à part les Indiens qui ont reçu des paiements, certains n’ont toujours reçu aucun paiement relativement aux deux traités 4 et 6, et encore plus pour le traité 7, signé l’année dernière. M. Laird est convaincu que (y compris les Indiens ayant été payés) le nombre total d’Indiens visés par un traité sous sa surintendance peut être estimé à près de 17 000. [Non souligné dans l’original.]

[142]  Le ministre Mills indique que les terres cédées aux termes du Traité 7 représentent environ 50 000 milles carrés de terre. Il indique que 4 392 Indiens (des bandes des Pieds-Noirs, des Blood, des Sarcis, des Peigan et des Stoney) ont perçu des gratifications au moment de la conclusion du Traité et qu’ [traduction] « aucune estimation du nombre d’Indiens absent n’est donnée, mais le nombre total de limites visées par le Traité ne sera probablement pas inférieur à 5 000 ».

[143]  La liste des bénéficiaires de versements aux termes du Traité pour 1877 montre qu’à la conclusion du Traité 7 en 1877, 1 234 Pieds-Noirs, 1 810 Blood et 589 Peigan ont été payés. La liste des bénéficiaires de versements aux termes du Traité pour 1878 montre que 2 488 membres de la tribu des Blood ont été payés. Selon cette liste, bon nombre de ces membres ont aussi reçu le versement de 1877 comme ils n’étaient pas présents à Blackfoot Crossing. Les versements indiqués dans les listes de bénéficiaires d’annuités du Traité pour les Pieds-Noirs, les Blood et les Peigan, sont résumés à l’annexe 2 du rapport du M. Evans et figure à l’annexe E.

c.  Sélection de l’emplacement de la réserve des Blood et accord avec Red Crow

[144]  En septembre et en octobre 1878, William Ogilvie a commencé un levé des réserves aux abords de la rivière Bow. Il n’a jamais achevé le levé, car il est clairement apparu que ni les Blood ni les Sarcee ne voulaient y établir leurs réserves.

[145]  Mme Carter et M. Holmes disent toutes les deux qu’en 1878, lors des versements d’annuités à la tribu des Blood à Fort Kipp, Red Crow a informé les commissaires qu’il établirait sa réserve aux abords de la rivière Belly. Mme Carter écrit :

[traduction]

Dans son mémoire [Cecil Denny, The Riders of the Plains (Calgary: The Herald Company, 1905), aux pages 106, 112 à 113], Cecil Denny, de la P.C.N.-O., se rappelle qu’en 1878, il a dû informer Crowfoot que les Blood [traduction] « se verraient attribuer une réserve distincte dans le Sud » et que [traduction] « les arpenteurs viendraient le jour suivant pour délimiter toutes les réserves ». M. Denny a écrit que [traduction] « pendant deux jours, il [Crowfoot] ne voulait rien entendre, insistant pour dire que les Blood et les Pieds-Noirs devraient avoir une réserve ensemble, tel que cela a été entendu dans le traité de l’année précédente [...] C’est la tâche la plus difficile que j’ai entreprise pour qu’il accepte le changement, et ce n’est qu’après deux jours de discussions constantes qu’il a finalement cédé.

[146]  Elles se sont aussi fondées sur des déclarations similaires de Hugh Dempsey [M. Dempsey] dans son livre The Great Blackfoot Treaties (Calgary: Heritage House Co. Ltd., 2015) à la page 130. M. Dempsey semble se fonder sur une déclaration dans un mémoire de M. Denny pour offrir ce renseignement. M. Evans ne pense pas que cette déclaration soit correcte. Il pense que la déclaration de Red Crow selon laquelle les Blood souhaitaient une réserve distincte a été faite lors des versements des annuités aux termes du Traité de 1879 et non lors des versements 1878.

[147]  M. Evans souligne que le manque de notes et de rapports de l’époque permettant de conclure que l’emplacement de la réserve n’a probablement pas été mentionné à ce moment-là. Il pense que le souvenir de M. Denny en 1905 est probablement erroné, puisque du temps s’était écoulé depuis l’événement et il souligne le manque de renvois de la part de M. Dempsey à l’appui de sa déclaration. M. Evans écrit que le colonel Macleod a rencontré les chefs à ce moment-là et qu’ils n’ont pas soulevé la question. Enfin, il souligne que M. Denny n’est pas nommé en tant que personne présente lors des versements des annuités aux termes du Traité de 1878. Je souligne que dans son rapport, M. Evans ne fait nullement allusion à la présence de M. Denny lors d’un versement d’annuités avant 1883.

[148]  Peu repose sur la question de savoir si M. Denny a raison de dire ou non que Red Crow a fait cette déclaration aux commissaires lors des versements des annuités de 1878. Même M. Evans reconnaît qu’il a fait une telle déclaration à M. Dewdney en 1879. Je souligne que M. Denny n’a pas dit que la déclaration lui avait été faite directement; elle a pu être faite à une autre personne et rapportée à M. Denny. Quoi qu’il en soit, je préfère accepter le souvenir de M. Denny plutôt que l’opinion de M. Evans qui est fondée sur l’hypothèse que la déclaration a été faite directement à M. Denny. Je le préfère même si le mémoire a été écrit quelques années plus tard. Comme je le dis, rien ne dépend vraiment de ce point. Red Crow a été clair au sujet de ce qu’il souhaitait en 1879, peut-être même avant en 1877, après la signature du Traité 7, il est parti pour rejoindre les buttes Belly.

[149]  En juillet 1879, M. Dewdney a demandé à Allan Patrick [M. Patrick] et à John C. Nelson [M. Nelson] de l’accompagner [traduction] « pendant qu’il sélectionnait l’emplacement de [...] la réserve des Peigan ». M. Patrick a laissé M. Nelson arpenter cette réserve pendant qu’il a accompagné M. Dewdney à Calgary [traduction] « afin que l’on décide d’une réserve pour les Indiens Stony ». Il indique qu’il [traduction] « a demandé à M. Nelson d’achever la réserve des Peigan, dont le levé, comme je l’ai découvert à mon retour, avait été fait de manière satisfaisante ».

[150]  Dans son rapport du 2 janvier 1880, M. Dewdney mentionne que la réserve des Blood n’a pas encore été établie :

[traduction]

Les Indiens Blood, la plus grande tribu de la nation des Pieds-Noirs, ne se sont pas encore établis dans sa réserve; ils ont toutefois exprimé à plusieurs reprises leur intention de le faire.

J’ai signalé l’intégralité de leurs volontés pour ce qui est de leur réserve, et j’espère que l’été prochain, bon nombre d’entre eux se livreront à l’agriculture et à l’élevage. [Non souligné dans l’original.]

[151]  M. Dewdney, dans une lettre adressée à M. Vankoughnet, datée du 15 décembre 1879, détaille les volontés de la tribu des Blood concernant leur réserve :

[traduction]

J’ai l’honneur de vous informer que la tribu des Blood souhaite avoir une réserve distincte de celles des autres Indiens de la nation des Pieds-Noirs et m’a présenté une demande officielle en ce sens à l’occasion d’un entretien avec la tribu il y a environ deux mois. « Mekasto », le chef principal, a parlé en premier, puis « Running Rabbit » et tous les sous-chefs ont exprimés les uns après les autres la même opinion. Ils ont indiqué être tous du même avis. Ils voulaient leur réserve aux environs de Fort Kipp, où vivent selon eux la plupart de leurs Indiens, et où reposent les os de leurs ancêtres. Après que je leur eus dit que je n’étais pas investi du pouvoir de modifier le traité auquel ils avaient donné leur accord, ils ont demandé que je fasse part de leurs volontés au gouvernement lorsque je me rendrais à Ottawa.

Je leur ai dit que l’une des objections que j’y voyais était qu’après la conclusion du Traité avec eux en 1877, plusieurs hommes blancs s’étaient établis dans cette localité, qu’ils y avaient apporté de considérables améliorations et que le gouvernement devrait leur demander de s’en séparer. Ils ont répondu qu’ils n’étaient que deux là-bas et qu’ils ne leur causeraient pas d’ennuis. J’ai promis de me pencher sur cette question pour eux dès mon arrivée à Ottawa et que je leur donnerai une réponse tôt.

Sauf qu’au moment où le Traité a été signé et qu’il a été décidé cette année qu’il était plus pratique d’effectuer des versements à Fort Macleod, les « Blood » ont obtenu leurs annuités à Fort Kip par consentement.

Crowfoot, le chef d’un autre groupe des Pieds-Noirs était contrarié par ce fait lorsque Mekasto a demandé à être payé là-bas pour la première fois, étant donné qu’il (Crowfoot), au moment de la conclusion du Traité avait pris le devant des négociations et avait été mis en avant par M. Jean L’Heureux comme chef principal ou roi de la nation des Pieds-Noirs et il n’a pas apprécié que son autorité soit minée par le déplacement des « Blood » dans une autre réserve.

Lors des versements cette année, l’atmosphère était froide ou plutôt les relations entre les « Blood » et les « Pieds-Noirs » s’étaient refroidies et lorsque « Three Bulls », sous-chef, soldat en chef et frère de « Crowfoot », est arrivé de Cyprus à Fort Macleod (où il chassait le bison) pour les versements, les « Blood » sont partis s’installer de l’autre côté de la rivière dès qu’ils ont appris que les « Pieds-Noirs » avaient l’intention d’installer leur campement près d’eux et qu’ils ne se mélangeaient pas du tout.

Les « Blood » représentent près de la moitié de la nation des « Pieds-Noirs » et je suis d’avis qu’il serait souhaitable qu’ils aient le droit d’avoir une réserve indépendamment des autres et évitent ainsi la centralisation d’un si grand nombre d’Indiens à un seul endroit.

Je vous saurais gré de transmettre cela au très honorable surintendant général des affaires des Sauvages aussitôt que possible, tout comme il serait jugé souhaitable de réaliser les volontés des Indiens « Blood »; je propose de les aviser afin que des travaux soient effectués dans la réserve ce printemps.

[152]  M. Evans souligne dans son rapport que [traduction] « les commentaires des chefs des Blood étaient conformes à des sources antérieures qui lient les Blood à d’autres tribus pieds-noirs dans la région de la rivière Belly, au moins depuis les années 1830 ».

[153]  Après avoir reçu la demande de M. Dewdney, le 19 décembre 1879, M. Vankoughnet écrit à l’arpenteur général, Lindsay Russell [M. Russell] pour le demander si la réserve des Blood peut être établie séparément, près de Fort Kipp. Cette lettre est égarée jusqu’au 14 mars 1880, lorsque M. Russell répond qu’il n’a connaissance d’aucune objection aux intérêts des terres fédérales relativement à la demande d’établir la réserve à Fort Kipp.

[154]  Le 16 mars 1880, M. Vankoughnet écrit à M. Macdonald, en joignant la lettre de M. Dewdney et recommande qu’une réserve des Blood distincte soit établie, tel que cela est demandé. Voici ce qu’il écrit :

Les Indiens Blood sont réputés constituer au moins la moitié de la tribu des Pieds-Noirs; par conséquent, si une réserve leur est attribuée ailleurs que ce qui a été initialement été entendu, il faudrait déduire l’équivalent de la réserve attribuée par le Traité à la nation des Pieds-Noirs [...].

[155]  M. Macdonald prépare un rapport daté du 19 mars 1880 à l’attention du conseil privé sur les recommandations et les commentaires de M. Vankoughnet selon lesquels M. Dewdney et le colonel Macleod auraient besoin d’obtenir une cession par la tribu des Blood de son intérêt dans la réserve attribuée aux termes du Traité 7. Le rapport du Conseil privé, approuvé par le gouverneur général est devenu le décret 564. En voici un passage pertinent :

Pour les motifs énoncés dans le rapport, le ministre recommande qu’aux termes des paragraphes 1 et 2 de l’article 26 de l’Acte relatif aux Sauvages de 1876, Monsieur C. Dewdney, commissaire des Indiens des Territoires du Nord-Ouest et du Manitoba, ainsi que le lieutenant-colonel Macleod, commissaire de la Police à cheval du Nord-Ouest, soient autorisés à participer à un conseil de la nation des Pieds-Noirs intéressé par ladite réserve, convoqué par M. Dewdney aux fins proposées; et à présenter à la nation une proposition selon laquelle cette dernière céderait une partie de la réserve lui ayant été attribuée aux termes du Traité, d’une superficie correspondant à la part que l’on attribuerait à la bande des Blood si cette bande avait choisi de s’établir dans ladite réserve, en vue de la création d’une réserve à l’intention de la bande des Blood aux environs de Fort Kipp, conformément à leurs volontés. Si les Indiens acceptent la proposition, les messieurs susmentionnés doivent consigner la cession en bonne et due forme conformément aux dispositions de l’Acte des Sauvages, 1876 à cet égard.

[156]  Les dispositions relatives à la cession des articles 36 et 37 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 nécessitaient, entre autres, un vote des hommes de la bande ratifiant la cession des terres de réserve. Ces dispositions sont ainsi rédigées :

[traduction]

36. Nulle réserve ou partie de réserve ne pourra être vendue, aliénée ou affermée avant d’avoir été cédée ou abandonnée à la Couronne pour les objets prévus au présent acte; mais, dans le cas de Sauvages âgés, malades ou infirmes et de veuves ou enfants sans tuteur, le Surintendant-Général aura le pouvoir de donner à bail pour leur soutien et profit les terres auxquelles ils auront droit.

37. Nulle cession ou abandon d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou de tout Sauvage individuel ne sera valide ou obligatoire s’il n’est fait aux conditions suivantes :—

1. La cession ou abandon sera ratifié par la majorité des hommes de la bande qui auront atteint l’âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou conseil convoqué à cette fin conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du Surintendant-Général, ou d’un officier régulièrement autorisé par le Gouverneur en conseil ou le Surintendant- Général à y assister; mais nul Sauvage ne pourra voter ou assister à ce conseil s’il ne réside habituellement sur la réserve en question ou près de cette réserve, et s’il n’y a un intérêt :

2. Le fait que la cession ou abandon a été consenti par la bande à ce conseil ou assemblée devra être attesté sous serment devant un juge d’une cour supérieure, cour de comté ou de district, ou devant un magistrat stipendiaire, par le Surintendant-Général ou par l’officier autorisé par lui à assister à ce conseil ou assemblée, et par l’un des chefs ou principaux ayants-droit de vote qui y aura assisté ; et après que ledit fait aura été ainsi certifié, le consentement sera soumis au Gouverneur en conseil, pour qu’il l’accepte ou le refuse.

[157]  La teneur du décret est transmise à M. Dewdney à qui on demande d’en faire appliquer les modalités. Par une lettre signée le 18 septembre 1880 à l’attention de M. Vankoughnet, M. Dewdney indique qu’à son retour il a [traduction] « avisé les Blood qu[’il] convoquerai[t] un conseil avec eux, d’ici là [il] espère que le colonel Macleod sera de retour ».

[158]  Dans une autre lettre du même jour, M. Dewdney décrit la situation qu’il constate à Fort Macleod :

[traduction]

Un grand nombre de Blood étaient ici, près de 800. Ils recevaient tous des rations et très peu de travail est fait en échange. Aucun accord n’a été conclu relativement à cette réserve. Ils refusent d’aller à Blackfoot Crossing; Crowfoot étant de l’autre côté de la frontière et ne sachant pas avec certitude quand il reviendra, je ne sais pas quoi faire.

Micasto, le chef principal, et un homme très bon, est très impatient d’aller dans sa réserve pour commencer à travailler et il a honte d’attendre comme il le fait sans avoir nulle part où aller, les Circee, une petite bande incluse dans la réserve de Blackfoot Crossing, sont aussi impatients de s’établir seuls; ils ne parviennent pas à s’entendre avec les Pieds-Noirs et ne s’entendront jamais. À moins qu’ils soient séparés, cela mènera à une dispute. Selon moi, il est très souhaitable que les Pieds-Noirs, les Blood et les Circee soient séparés et si Crowfoot ne revient pas avant mon départ, je pense que je dois endosser la responsabilité de prendre des dispositions. Ils reçoivent tous des vivres et nous perdons du temps, une autre saison sera perdue si nous ne prenons pas un peu d’avance avec ces Indiens cet automne.

Le colonel Macleod est parti, mais on s’attend à son retour d’un jour à l’autre. Je ne ferai rien avant de l’avoir vu, mais quelque chose doit être fait, nous en sommes au point où il va falloir distribuer des vivres à des milliers d’Indiens dans ce secteur sud s’ils traversent la frontière de nouveau (il n’y a pas de gibier dans le secteur nord de la frontière et les dépenses seront considérables par rapport à ce qu’elles ont été par le passé), car au cours de la dernière année, les Indiens ont dû chasser de l’autre côté de la frontière, mais ils ont aussi dû protéger leurs vies et leurs biens, bon nombre de ceux-ci ont été perdus et à leur retour, ils ne rentreront pas aux États-Unis.

[159]  Compte tenu de l’urgence perçue telle qu’elle est décrite ci-dessus, et en l’absence de Crowfoot, M. Dewdney prend effectivement les choses en mains et demande à Red Crow de procéder à une [traduction] « cession » pour permettre aux Blood de commencer à s’établir près de Fort Kipp. Cette cession fait état de l’établissement d’ [traduction] « une réserve sur la rivière Belly aux environs de l’embouchure de la rivière Kootenai » et indique que les Blood cèdent tous leurs droits, titres et privilèges liés à leur réserve partagée, si une réserve distincte leur est attribuée. L’accord est daté du 25 septembre 1880 [l’accord de Red Crow], joint en tant qu’annexe F, est rédigé ainsi :

[traduction]

Attendu qu’un traité a été fait et conclu le vingt-deuxième jour de septembre de l’an de grâce mil huit cent soixante-dix-sept, entre Sa très Gracieuse Majesté la Reine de Grande-Bretagne et d’Irlande, par ses commissaires, l’honorable David Laird, lieutenant-gouverneur et surintendant des Indiens des Territoires du Nord-Ouest, et James Farquharson Macleod, CMG, commissaire de la Police à cheval du Nord-Ouest, d’une part, et les tribus des Pieds-Noirs, des Blood, des Peigan, des Sarcis, des Stoney d’autres tribus, d’autre part.

Et attendu qu’il a été convenu dans ledit traité que la réserve des bandes d’Indiens Pieds-Noirs, Blood et Sarcis se composera d’une lisière de terre située sur le côté nord des rivières Bow et Saskatchewan, d’une largeur moyenne de quatre milles sur le bord desdites rivières en suivant le cours de l’eau, à partir d’un endroit sur la rivière Bow, située à vingt milles dans une direction nord-ouest de la traverse des Pieds-Noirs, et se prolongeant jusqu’à la rivière du Cerf à sa jonction avec la South Saskatchewan, je « Mekasto » ou « Red Crow », chef principal des Indiens Blood, pour le compte des Indiens Blood visés par le Traité et avec leur consentement, cède par la présente tous nos droits, titres et privilèges quelconques aux terres prévues dans ledit Traité, étant entendu que le gouvernement nous attribuera une réserve sur la rivière Belly aux environs de l’embouchure de la rivière Kootenay.

[Non souligné dans l’original.]

[160]  Dans ce rapport daté du 31 décembre 1880, M. Dewdney écrit avoir dit à Red Crow ce qui se passera à la signature de cette cession :

[traduction]

Je le ferais accompagner, lui et sa bande à l’endroit qu’il choisirait, par un instructeur, et [...] on pourrait y construire des maisons et préparer la terre pour la prochaine saison; et [...] je recommanderais, à mon retour, au gouvernement de leur donner une réserve à cet endroit. Ceci a grandement ravi le chef et ses Indiens qui étaient avec lui.

En un jour ou deux, ils étaient tous partis, accompagnés par un instructeur, depuis, j’ai entendu dire que chaque famille avait une maison où vivre et quelque vingt ou trente acres de terre ont été réservés.

[161]  Quelques jours après avoir signé l’accord de Red Crow, l’agent Macleod a accompagné Red Crow choisir une réserve. Le fils de l’agent Macleod, qui les a accompagnés, a plus tard écrit à son sujet et au sujet de son père qu’ils avaient été réveillés par M. Potts qui leur a dit que Red Crow souhaitait leur parler. Voici ce qu’il écrit :

[traduction]

Curieux comme toujours, j’ai suivi jusqu’à l’endroit où Red Crow était assis sur le bord du haut rivage en face des buttes Belly. Voici ce qu’il a dit, selon l’interprétation de Jerry : « Voilà où je souhaite vivre le reste de ma vie et mourir ».

[162]  Ils ont vu qu’à la jonction des rivières Kootenay et Belly se trouvait une grande terre et qu’un ranch de colon avait déjà été établi en amont. Le reste de la partie en aval était composée de sols pauvres et présentant un risque d’inondation. Son fils a ensuite écrit qu’après le petit déjeuner, ils se sont rendus en voiture au site choisi par Red Crow :

[traduction]

Le temps avait alors changé et il y avait une bruine constante, et en raison des fondations en gombo, les désavantages étaient clairement visibles et lui ont été montrés, mais la même réponse qu’avant a été donnée. C’était donc à lui de trancher la question.

[163]  Son père, l’agent Macleod, a rédigé un récit quelque peu différent, et compte tenu du fait qu’il a été écrit moins longtemps après l’événement et par un adulte à l’époque, je préfère retenir sa version puisqu’elle est davantage susceptible d’être exacte. Il dit qu’il pensait que le site choisi n’était pas adéquat et qu’ils ont donc voyagé au nord jusqu’à un poste de traite de Whisky, « Slideout », et qu’ils ont finalement choisi une terre à l’est de la rivière Belly, de l’autre côté de Kootenai, et aux pieds des buttes Belly. Le 15 octobre 1880, il écrit, dans son rapport :

[traduction]

J’ai l’honneur de vous informer que selon vos instructions, je me suis rendu à la rivière Belly le 29 [illisible], accompagné par Red Crow, chef principal des Indiens Blood, dans le but de choisir un emplacement pour leur réserve. Je me suis rendu à la jonction des rivières Kootenay et Belly, où j’ai trouvé une grande terre, dont la partie supérieure est occupée par le ranch de M. Fred Wachter; en aval se trouve un petit ranch appartenant à un homme du nom de Murray, et la partie restante se compose principalement de gravier et de sable, avec très peu de terre; le secteur avait été inondé pendant les crues de l’été, et on n’y trouve pas beaucoup de bois de charpente.

Il s’agit de la terre où Red Crow souhaitait à un moment s’établir, mais que j’estimais inadéquate. En aval de l’embouchure de la rivière Kootenai à l’est et le long du côté nord de la rivière Belly, le haut rivage court sur plusieurs milles dans les environs de « Slidout », laissant peu d’espace entre cet endroit et la rivière, à l’exception d’un point où se trouve une grande terre détrempée de graviers; le secteur le long de la partie supérieure de ce rivage est constitué de graviers et de pierres. Il y a du bon bois d’œuvre le long de ce côté. Ensuite, j’ai traversé la rivière Belly pour rejoindre le côté sud, et de l’embouchure de la rivière Kootenai à l’est et allant de la rivière au pied des buttes Belly se trouve de grandes étendues de bonne terre argileuse avec une grande quantité de bois de construction et de clôture à l’extrémité opposée de Kootenai; j’ai décidé que c’était le meilleur endroit dans cette partie du pays. J’avais emmené M. John MacDougall avec moi et une petite quantité de matériel et d’outils et il a commencé immédiatement à construire une petite maison pour lui-même ainsi qu’un petit magasin.

Près de 300 Indiens Blood ont emménagé dans la réserve et ont commencé à se mettre au travail avec enthousiasme pour se construire des maisons. J’espère leur réserver des terres cet automne. J’ai fait venir une paire de bœufs de la ferme des Sarcee pour les besoins de la réserve. « Red Crow » était plutôt satisfait du choix de l’emplacement que j’avais fait.

[164]  M. Evans indique dans son rapport qu’à la fin de l’année 1880, la tribu des Blood [traduction] « avait “construit quarante-cinq maisons” sur le plat sélectionné par [l’agent] Macleod entre les buttes Belly et la rivière Belly ou quelque milles au nord de la communauté moderne des Blood de Standoff. »

[165]  Le 13 novembre 1880, M. Dewdney a envoyé un rapport auquel était joint l’accord de Red Crow à Ottawa, dans lequel il indiquait espérer qu’ils approuvent la cession conditionnelle. Il explique que quelque 800 membres de la tribu des Blood campent à Fort Macleod ou près de Fort Macleod et que bien qu’il souhaite que toutes les bandes de la Confédération soient d’accord, Crowfoot était parti depuis 12 mois et il était d’avis qu’il fallait agir pour établir la tribu des Blood. Il écrit qu’il a rencontré Red Crow et quelques sous-chefs le 25 septembre 1880, à leur demande, étant donné qu’ils voulaient connaître la réponse du gouvernement à leur demande de réserve distincte :

[traduction]

Ils voulaient savoir si j’avais présenté au gouvernement leurs volontés quant au changement de leur réserve qu’ils m’avaient soumises l’hiver dernier.

Ils ont ensuite indiqué qu’ils avaient obtenu des rations depuis un certain temps et qu’il n’avait pas travaillé, mais qu’ils n’iraient pas à la Traverse; qu’au moment de la conclusion du Traité, ils n’ont jamais accepté d’y établir leur réserve, que la rivière Belly était leur pays et qu’ils n’avaient pas changé d’avis depuis l’automne dernier.

Je leur ai dit que j’avais présenté leur demande de modification de la réserve au gouvernement à Ottawa et que j’avais été autorisé, avec le colonel Macleod, à prendre des dispositions en conseil avec les bandes des Pieds-Noirs (Crowfoot) et eux-mêmes pour que leurs volontés soient réalisées, mais il a été jugé nécessaire, étant donné que le Traité a été conclu entre les Pieds-Noirs et les Blood, que tous soient présents pour qu’il n’y ait aucun malentendu à l’avenir.

Ils ont dit qu’ils étaient impatients que la question soit réglée, car ils voulaient se construire des maisons pour l’hiver, leurs gîtes étant pratiquement inutilisables, et plusieurs familles étaient regroupées dans un gîte, ils m’ont dit de m’adresser à M. MacLeod qui avait vu l’état dans lequel ils étaient lorsque le temps était pluvieux, ils ont aussi dit que Crowfoot était parti depuis 12 mois et qu’ils ne pensaient pas qu’il reviendrait cet hiver.

Comme je les ai trouvé très sincères dans leurs appels et que je ne connais aucune autre façon de les faire travailler pour les vivres qu’ils reçoivent, j’ai décidé de consigner la cession de MaKasto (Red Crow) au nom des Indiens Blood de tous leurs droits, titres et intérêts relatifs à la réserve de Blackfeet Crossing, qu’ils ont accepté avec enthousiasme, MaKastro indiquant après avoir signé qu’il espérait ne jamais revoir la Traverse.

[Non souligné dans l’original.]

[166]  Le 31 janvier 1881, M. Dewdney écrit à M. Macdonald pour lui dire que les Sarcee veulent aussi leur propre réserve distincte des Pieds-Noirs. Il le recommande et demande d’avoir l’autorisation de consigner une cession comme il l’avait fait dans le cas des Blood où la situation était semblable. Dans une lettre datée du 14 février 1881, M. Dewdney est avisé que le Ministère approuve sa suggestion, mais on lui a rappelé qu’il est quand même nécessaire qu’une cession ait lieu pour la portion des Blood de la réserve au titre du Traité 7. Le 18, M. Dewdney a répondu qu’il devait [traduction] « prendre les dispositions qui s’imposent ».

d.  Les terres entre les rivières Kootenai et Belly

[167]  Au printemps 1881, d’autres membres de la tribu des Blood ont quitté les États-Unis pour revenir au Canada et s’établir dans la région désignée pour leur réserve. L’agent Macleod écrit à M. Dewdney dans son rapport du 31 décembre 1881 que, pendant les mois de mai et de juin, la tribu des Blood a commencé à retraverser la frontière, faisant passer le nombre de membres de cette tribu de 700 à 3 500. Bien que certains se soient établis au sud de la rivière Belly, il ressort clairement du dossier que certains se sont établis dans la région située entre les rivières Kootenai et Belly.

[168]  M. Dempsey fait le récit de leur établissement entre les deux rivières :

[traduction]

En 1880, lorsque Red Crow est allé aux buttes Belly avec l’agent Macleod, il a choisi les terres du côté sud de la rivière Belly pour sa tribu. L’année suivante, une délégation de Blood a rencontré le Marquis de Lorne, le gouverneur général du Canada, au cours de sa visite de l’Ouest et a demandé à ce que la réserve soit élargie pour inclure la terre de Standoff, entre les rivières Belly et Waterton. Quelle que fût la réponse du titulaire vice-royal, les Blood l’ont interprétée comme une indication d’approbation, et bon nombre d’entre eux ont commencé à construire des cabanes et à jeter leurs gîtes au fond de la rivière.

Lorsque l’agent Denny a été nommé [en 1881], il a dit aux Blood qu’ils ne pouvaient pas revendiquer la terre de Standoff et que leur réserve était toujours du côté sud de la rivière Belly [traduction] « 17 milles en amont et 17 milles en aval » de l’agence [16] .

[169]  M. Dempsey tire sa source à cet égard d’une lettre imprimée dans la Macleod Gazette du 8 juillet 1882 intitulée Where is the Blood Reservation? La lettre est rédigée ainsi :

[traduction]

Monsieur – Où se trouve la réserve des Blood? J’essaie de la trouver depuis deux ans, mais je ne trouve personne pour me renseigner. Lors de la conclusion du Traité à Blackfoot Crossing en 1877, les Blood se sont vus attribuer une réserve adjacente aux Pieds-Noirs, ou en tout cas, dans ces environs. À l’automne 1880, M. N. Macleod, alors agent des Indiens, M. John McDougall, instructeur de ferme, et Red Crow, chef des Blood, ont choisi l’emplacement le long du rivage en aval de Stand Off, sur la rivière Belly, comme étant adéquat, ce qui a semblé satisfaisant à toutes les personnes concernées à l’époque. Après un essai d’un an, ils ont trouvé que l’emplacement était plus adapté à la pose de briques qu’à la culture de légumes, après d’importantes dépenses aux frais du gouvernement. [L]’an dernier, en 1881, les Blood sont allés collectivement présenter leurs doléances au gouverneur général, Lord Lorne. Je ne suis pas en mesure de dire ce que Son Excellence leur a dit, on me l’a raconté. Les Blood voulaient les terres situées à Stand Off, où ils pouvaient s’adonner à la culture du sol et à l’élevage; ils y sont retournés pensant que le gouverneur les leur avait accordées, et, par conséquent, ont entrepris des travaux de construction sur les terres en question. Par la suite, M. Dewdney, par l’entremise de ses agents, a informé les Indiens du fait que leur réserve s’étendait 17 milles en amont et 17 milles en aval du côté sud de la rivière Belly, ce qui semblait les satisfaire, car ils se sont tous déplacés de l’autre côté de la rivière et ont démantelé les bâtiments érigés sur les terres à Stand Off.

[170]  M. Evans note que le [traduction] « fait que les familles Blood se soient déplacées de l’autre côté de la rivière dès qu’ils ont été informés de leur erreur a été corroboré par un affidavit de Lief Crozier, agent de la P.C.N.-O., daté de janvier 1887, dans lequel il indique avoir acheté [TRADUCTION] « plusieurs bâtiments » aux « Indiens Blood » sur « les terres à Stand Off en 1881 ». Il dit que ceux-ci ont été [TRADUCTION] « construits avant que la réserve Blood soit mise de côté ». M. Crozier a ensuite loué ces bâtiments à la P.C.N.-O. pour son détachement de Stand Off.

[171]  L’histoire orale des Blood concernant la réinstallation de ces familles de la région du nord de la rivière Belly contredit le récit selon lequel elles se sont déplacées de leur plein gré. Wilton Goodstriker a témoigné qu’ils ont été déplacés de force par la P.C.N.-O. et que certains ont perdu la vie :

[traduction]

À un moment donné, la police du nord-ouest – je ne pourrais pas donner de date, mais la P.C.N.-O. a dit aux gens qui vivaient entre les deux rivières : vous devez partir. Cette zone va être inondée. Nous protègerons ces terres pour vous, mais vous devez partir à l’est de la rivière Belly et nous surveillerons cette zone. Du bétail arrive et sera utilisé pour vous nourrir votre peuple en ce qui a trait aux rations. Nous les établirons entre les deux rivières. Nous montrerons la garde et nous installerons notre poste entre les deux rivières et nous surveillerons cet endroit. Certains membres de notre peuple ont refusé de partir, et une fois encore, l’histoire selon laquelle ils ont été déplacés de force et surmenés, et en fait, certains ont perdu la vie en raison de l’ordre de les déplacer de ce côté de la rivière Belly.

[172]  Wilton Goodstriker et Mary First Rider ont témoigné que les terres entre les rivières Kootenai et Belly avaient une importance particulière pour la tribu des Blood et étaient utilisées pour les cérémonies, les courses de chevaux et la cueillette d’herbes et de plantes médicinales et cérémoniales.

[173]  M. Evans renvoie à un mémoire confidentiel rédigé par William Pearce [M. Pearce], surintendant des mines, à ses supérieurs au ministère de l’Intérieur. M. Evans écrit que M. Pearce [traduction] « a accusé pratiquement chaque fonctionnaire en poste ou ancien des Prairies de se livrer à des opérations immobilières douteuses » et M. Crozier en faisait partie. Voici ce qu’a écrit M. Pearce à son sujet :

[traduction]

Est réputé avoir une revendication liée à un ranch aux abords de la rivière Belly, en amont de Slide Out, qui est détenu au nom d’un certain Jerry Potts, interprète à la Police à cheval et au ministère des Affaires indiennes à Macleod. Il est indiqué que par l’intermédiaire des personnes intéressées par la revendication et grâce à leur influence sur les Indiens Blood, leur réserve est considérablement différente de celle que les Indiens avaient demandée et ne cadre pas avec le lieu où il aurait été dans l’intérêt public de la placer.

[174]  En effet, dans son affidavit M. Crozier formule une telle revendication :

[traduction]

Attendu qu’au cours de la saison de 1881, j’ai occupé ce qui était connu comme « les terres de Stand Off », juste au nord ou en aval du ranch de Fred Watcher (Dutch Fred), une revendication de 320 acres s’étendant du nord de la revendication de Fred Watcher à la jonction des rivières Kootenay et Belly, ladite revendication était devant ce qui était sur cette rivière.

[175]  Je suis d’accord avec M. Evans pour dire que M. Pearce n’avait aucune connaissance préalable des faits qu’il énonce. Toutefois, le fait que M. Crozier ait revendiqué un grand ranch dans la région entre les rivières Kootenai et Belly en 1881, la région même où les Blood construisaient des maisons et y réservaient la terre, et son achat subséquent de ces maisons, soulève une question quant à sa motivation pour les déplacer et quant à savoir s’ils se sont déplacés volontairement, tel que cela est dit. La terre entre ces rivières était une terre agricole de valeur, comme le montre la déclaration de M. Pearce et d’un autre chroniqueur dans la Macleod Gazette qui écrit :

[traduction]

Il y a maintenant neuf ou dix fermes sur les rivières Belly et Kootenay qui ont prouvé qu’il s’agit de l’un des meilleurs secteurs agricoles du Nord-Ouest. Leur rendement en grains et en plantes racines s’est avéré le meilleur en un an comparativement à toute autre ferme du pays.

[176]  Il ressort clairement de tout cela qu’à un moment donné, la tribu des Blood a envisagé que sa réserve inclut les terres entre les rivières Belly et Kootenai. La question de savoir s’ils ont [traduction] « cédé » ces terres se plaindre ou s’il a jamais été entendu que cela ferait partie de leur réserve.

e.  Le levé de la réserve des Blood de 1882

[177]  En décembre 1881, M. Dewdney est devenu lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, remplaçant M. Laird. Le 28 février 1882, il a envoyé une carte au ministre de l’Intérieur faisant état des réserves aux termes du Traité 7. M. Evans est d’avis qu’il a probablement préparé la carte lui-même. Malheureusement, la carte n’existe plus et il n’y a aucun moyen de déterminer où il avait tracé la limite sud de la réserve des Blood.

[178]  M. Evans a aussi dit qu’il pensait que M. Dewney avait fourni une copie de la carte perdue à M. Nelson avant son levé des réserves de 1882. La tribu des Blood prétend que le plan de la réserve des Blood a été fourni à M. Nelson avant son voyage dans le sud de l’Alberta en 1882 pour procéder à son premier levé. Je crois que c’est probablement ce qui s’est passé. L’information ou les instructions données à M. Nelson ne pèsent pas dans ce jugement puis que les instructions précises données à M. Nelson ne nous sont pas parvenues. Néanmoins, je pense qu’il est probable que ces instructions aient été fondées sur la carte préparée par M. Dewdney ou sur l’information relative à la taille globale de la tribu des Blood. Rien n’indique au dossier que la population de la tribu des Blood a été indiquée à M. Nelson pour déterminer la taille de la réserve selon les DFIT. Toutefois, comme les fonctionnaires gouvernementaux, y compris M. Macdonald, pensaient que les Blood représentaient la moitié de la population de la Confédération des Pieds-Noirs, j’estime que s’il avait eu de l’information sur la population, ce fait aurait été reflété. Subsidiairement, et à mon avis vraisemblablement, il aurait juste été avisé que la réserve des Blood devrait être d’une taille égale au total des réserves des Pieds-Noirs et des Peigan.

[179]  Je fonde cette conclusion sur le fait que les éléments de preuve dont je suis saisi indiquent que la réserve des Peigan de 183,4 milles carrés a été arpentée par M. Nelson en septembre 1882, au cours d’une pause dans l’arpentage de la réserve des Blood. M. Nelson a ensuite terminé la réserve des Blood et a commencé l’arpentage de la réserve des Pieds-Noirs à la rivière Bow en octobre 1882. Il dit dans ses notes de 1882 qu’il obtenait une bande de 120 milles de long (le long de la rivière) et de 4 milles de profondeur. M. Nelson, qui a arpenté la réserve en 1883, dit que cela occupait une zone de 470 milles carrés. Ensemble, ces réserves telles qu’elles ont été arpentées occupent 653,4 milles carrés, soit une zone à peu près égale aux 650 milles carrés de la réserve des Blood arpentée par M. Nelson en 1882.

[180]  Les annuités aux termes du Traité de 1882 ont été versées à la tribu des Blood à la fin du mois de septembre de cette année et 3 542 membres de la tribu des Blood de cette année ont été payés. Si la taille de la réserve était fondée sur ce nombre, alors la réserve aurait dû être d’une superficie de 708,4 milles carrés dans la zone, soit quelque 58,4 milles carrés de plus que le levé de 1882.

[181]  Le 5 octobre 1882, M. Galt a présenté un rapport au commissaire des Indiens par suite de sa récente visite dans les réserves établies aux termes du Traité 7. Voici ce qu’il écrit :

[traduction]

Je suis honoré de vous remettre le rapport suivant sur la condition des Affaires indiennes dans ce Traité, et je commencerais par indiquer que j’ai visité la réserve des Pieds-Noirs deux fois, la réserve des Sarcee une fois, la réserve des Piegan deux fois, la réserve des Blood une fois et les fermes d’approvisionnement à Fish Creek et à Picher Creek, une fois chacune [17] .

[182]  M. Galt indique qu’en ce qui a trait à la réserve des Blood, [traduction] « le levé de cette réserve a été achevé l’été dernier ». Dans son rapport au surintendant général des Affaires indiennes, daté du 29 décembre 1882, M. Nelson écrit qu’il est arrivé à Blackfoot Crossing le 28 juin 1882 et qu’après avoir fait le levé de la réserve des Sarcee le 24 juillet 1882, il a quitté la réserve des Blood pour commencer son levé. Il a commencé le levé à Whoop-up et a procédé à un levé à la rivière St. Mary jusqu’à Lee’s Creek, il s’est ensuite penché sur la limite sud au sujet de laquelle il a dit : [traduction] « Cette ligne allant de l’est à l’ouest se trouve à neuf milles environ au nord de la frontière internationale ». Il semble qu’il ait ensuite commencé le levé de la rivière Belly, mais il est parti pendant quelque temps pour arpenter la réserve des Peigan. Il est revenu le 26 septembre 1882, pour terminer le levé de la rivière Belly le 12 octobre 1882. Quand M. Galt a dit que le levé était terminé, il faisait vraisemblablement référence à l’achèvement de la limite sud. Comme les autres limites étaient des rivières, des aspects géographiques naturels, une fois la limite sud délimitée, il est raisonnable d’affirmer que la réserve était établie.

[183]  M. Galt écrit aussi dans son rapport, en ce qui a trait à la réserve des Blood, que [traduction] « le nombre d’Indiens vivant dans cette réserve est très important et se chiffre à tout le moins à 3 600 personnes ». C’est un nombre supérieur au nombre cité dans le rapport de fin d’année de M. Denny du 31 décembre 1882 dans lequel il a consigné que la tribu des Blood s’établissait à 3 400 personnes. Thomas P. Wadsworth [M. Wadsworth], inspecteur de l’agence indienne, qui a aussi visité la réserve en 1882 a dit que la population de la tribu des Blood en 1882 était de 3 615 personnes. Un autre rapport de l’époque établit la population à 3 542 personnes, soit le nombre de personnes ayant reçu les versements de l’annuité pour cette année-là.

[184]  M. Galt déclare aussi qu’[traduction] « [u]n résultat considérable dans la gestion des Affaires indiennes dans ce Traité a été atteint, à savoir l’établissement de tous les Indiens dans leurs réserves respectives [...]. » [Souligné dans l’original.]

[185]  Le 22 novembre 1882, après le premier levé de M. Nelson, M. Vankoughnet a écrit à M. Dewdney pour lui demander une déclaration et des croquis des terres de réserve afin que leur emplacement puisse être communiqué au ministère de l’Intérieur [traduction] « dans le but de prévenir les complications qui pourraient se survenir si les terres ainsi réservées devaient être vendues pour être colonisées ».

[186]  Si M. Dewdney a répondu, ce n’est pas dans le dossier. M. Nelson, toutefois, dans son rapport du 29 décembre 1882 au surintendant général des Affaires indiennes a écrit : [traduction] « les levés ont maintenant si bien avancé que toute complication susceptible de survenir relativement à la volonté de connaître leur emplacement ou leur étendue sera évitée ». Il a indiqué que la réserve des Blood était de 650 milles carrés et a écrit :

[traduction]

Cette grande réserve occupe un district borné par les rivières St. Mary et Belly, à partir de leur confluent en aval de Whoop-up jusqu’à une ligne allant de l’est à l’ouest qui forme la limite sud, comme l’indique l’esquisse ci-jointe, marquée (e). Cette ligne allant de l’est à l’ouest se trouve à neuf milles environ au nord de la frontière internationale [18] .

f.  Baux de pâturage

[187]  Il ressort clairement de nombreux documents au dossier que le gouvernement tenait à arpenter des terres de réserve et des terres hors réserves afin de savoir, comme l’a dit E. Deville, inspecteur en chef des levés, [traduction] « quelles parties des terres domaniales sont ouvertes à la colonisation ». C’est à cette époque que le gouvernement concluait des baux de pâturage dans les terres domaniales du sud de l’Alberta.

[188]  Des baux de pâturage ont été autorisés aux termes du décret 1882-722, daté du 11 avril 1882. Trois baux sont pertinents en l’espèce.

[189]  Le bail no 13, comprenant quelque 77 000 acres, a été accordé à la York Grazing Compagny, rédigé ainsi :

[traduction]

La partie du township deux, rang vingt-six, située à l’ouest de Lee’s Creek, le township deux, rang vingt-sept; la partie du township deux, rang vingt-huit, située à l’est de la rivière Belly; la moitié ouest du township un, rang vingt-sept, et le township un, rang vingt-huit, tous situés à l’ouest du quatrième méridien.

[190]  Le bail no 17, comprenant quelque 66 000 acres, a été accordé à John H. Parks [M. Parks], rédigé ainsi :

[traduction]

Township un, puis une partie à Lee’s Creek dans le township deux, rang vingt-six. La partie du tiers nord du township un, située à l’ouest de la rivière St. Mary, puis la totalité du territoire situé à l’ouest de ladite rivière dans le township deux, rang vingt-cinq, puis la partie située à l’ouest de ladite rivière dans le township deux, rang vingt-quatre, en plus de la moitié est du township un, rang vingt-sept, tous situés à l’ouest du quatrième méridien.

Ce bail a ensuite été attribué à la North-West Land and Grazing Company [NWLGC], dont M. Parks était le président.

[191]  Le bail no 18, comprenant quelque 100 000 acres, a été accordé à MM. Shereton et autres, rédigé ainsi :

[traduction]

Townships un et deux, rang vingt-trois, et township un, puis la partie située à l’est de la rivière St. Mary, dans le township deux, et dans la moitié sud du township trois, rang vingt-quatre, la partie située dans le tiers est du township un, à l’est de ladite rivière, tous situés à l’ouest du quatrième méridien.

[192]  La forme de bail prévue aux termes de ce décret excluait des terres décrites dans le bail les terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et les terres réservées à l’éducation, aux sentiers, aux chemins publics et aux routes. Aucune référence précise n’a été faite aux terres de réserve; même s’il a pu être indiqué qu’elles pourraient être retirées du bail étant donné que [traduction] « ces terres qui peuvent, aux termes des dispositions et des conditions des présentes, être retirées de l’exploitation de ceux-ci » sont aussi exemptées de la forme de bail.

[193]  L’annexe G est une carte jointe au décret indiquant l’emplacement de deux de ces baux, tel que l’a désigné Mme Robidoux, ainsi que l’emplacement de la limite sud du levé de 1882 de M. Nelson, désigné par moi. Tel qu’il ressort clairement de la carte et de la description des baux, les limites les plus au nord des baux nos 13 et 17 se situaient à 12 milles au nord de la frontière internationale, qui est aussi indiquée comme étant la limite sud de la réserve des Blood sur la carte. Les baux ont été accordé avant tout arpentage de la réserve des Blood et il n’est pas clair de quelle manière a été fixée la limite sud de la réserve sur cette carte ni par qui.

[194]  Il convient aussi de noter que [traduction] « la moitié sud du township trois, rang vingt-quatre » est inclus dans le bail no 18, ce qui comprend le coin triangulaire du sud-est de la réserve des Blood, tel qu’il figure sur la carte, soit une petite zone à l’ouest de la rivière St. Mary et adjacente à celle-ci. Dans mon évaluation, ce fait devient pertinent lorsque l’on se demande pourquoi la limite sud de la réserve des Blood a été déplacée de l’endroit déterminé lors du relevé de 1882 à celui du relevé de 1883.

[195]  Les baux de pâturage et la limite de la réserve des Blood deviennent un enjeu important en 1883. Le 1er mai 1883, M. Russell a écrit à M. Vankoughnet pour lui demander [traduction] « d’informer ce Ministère si les moitiés situées au nord des townships numéro deux, rangs vingt-cinq et vingt-six et la partie de la moitié nord du township deux, située à l’ouest de la rivière St. Mary, rang vingt-quatre, tous situés à l’ouest du quatrième méridien du district d’Alberta sont dans une réserve indienne ». Vu la formulation de sa demande, il semble que M. Russell savait que le levé de 1882 ne comprenait que les moitiés nord de ces townships dans la réserve. M. Vankoughnet répond le 14 mai 1882 que les régions au sujet desquelles il s’est enquis [traduction] « sont dans une réserve indienne ». Par conséquent, le 22 juin 1883, M. Russel a écrit à la NWLGC pour l’informer qu’[traduction] « une partie du ranch loué à M. Parks a été incluse dans une réserve indienne et [que] les terres décrites dans le bail devront être modifiées ». En fin de compte, cela n’a été ni requis ni fait. La limite sud de la réserve a été déplacée au nord. Le motif sera abordé plus en détail lors de l’examen de la revendication de DFIT.

g.  L’accord de 1883 et le levé de 1883

[196]  Le 28 juin 1883, M. Nelson déclare qu’il a rencontré M. Dewdney à Fort Macleod [traduction] « conformément à de précédents arrangements » et qu’il a [traduction] « reçu des instructions supplémentaires concernant certains changements apportés aux limites de la réserve des Blood » [non souligné dans l’original]. Cela établit, à ma satisfaction, que c’est M. Dewdney qui a décidé que la limite sud telle qu’elle avait été définie dans le levé de 1882 devait être déplacée vers le nord. Quelques jours plus tard, le 2 juillet 1883, M. Dewdney, M. Nelson et d’autres personnes ont rencontré la tribu des Blood en vue de conclure un accord en vertu duquel elle cédait son intérêt dans les terres de la rivière Bow décrites dans le Traité 7 en échange d’une réserve près de Fort Kipp, comme elle l’avait demandé. L’annexe H est une transcription de cet accord (l’accord de 1883).

[197]  Une caractéristique notable de l’accord de 1883 est qu’il définit la limite sud de la nouvelle réserve des Blood au moyen du point de latitude 49º 12’ 16”. Je reconnais qu’aucun membre de la tribu des Blood – ni même, d’ailleurs, la plupart des non-membres de la tribu des Blood – n’aurait eu la moindre idée de l’emplacement concret de cette ligne. L’accord de 1883 précise qu’il a été signé en présence de sept témoins, y compris M. Denny, M. Crozier et M. Nelson, après [traduction] « que des explications aient d’abord été fournies » aux membres de la tribu des Blood par l’entremise de [traduction] « David Mills, interprète pour les Pieds-Noirs ». Il n’y a aucune indication de la façon dont M. Mills aurait compris ce que signifiait ce point de latitude en termes géographiques, ni de comment il aurait [traduction] « expliqué » celui-ci à la tribu des Blood. Alors que les autres limites de la réserve sont des caractéristiques géographiques naturelles (c.-à-d. des rivières), ce n’est pas le cas pour la limite sud.

[198]  Bien des années plus tard, la preuve indique que M. Mills n’aurait jamais expliqué où devait se situer cette limite. Le 2 février 1888, Red Crow, White Calf et d’autres membres de la bande des Blood ont rencontré M. Pocklington et M. Springett du ministère des Affaires indiennes, en présence de M. Potts et de M. Mills. Le surintendant P.R. Neale (M. Neale) du détachement de la P.C.N.-O. a pris des notes pendant cette rencontre. Ils ont discuté d’un large éventail de sujets, notamment de l’absence du colonel Macleod, du meurtre d’Indiens, de l’insuffisance des rations et, ce qui importe surtout pour les fins de la présente, de la réserve et de la concession forestière.

[199]  M. Neale écrit que Red Crow avait expliqué que les Blood ne souhaitaient pas signer de traité à Blackfoot Crossing en 1877 :

[traduction]

Tout le monde sait ce qui nous a été dit à Blackfoot Crossing quand le traité a été conclu. Nous étions satisfaits. Au départ, nous ne voulions pas conclure de traité. Les hommes blancs ont parlé et nous ont demandé de dire où nous voulions la réserve. Dieu a créé les montagnes pour nous et a mis le bois là et nous avons dit à ce moment-là que nous voulions le territoire où étaient les montagnes et le bois. Le gouvernement a dit qu’il serait bon pour nous. Nous avons pris ce que le gouvernement nous a offert. À une certaine époque, tout le territoire nous appartenait et nous interdisions l’accès aux autres Indiens. Depuis le traité, ils sont de nouveau tous ensemble. Nous sommes tous amis et Dieu a retiré tout le gibier.

White Calf a ensuite soulevé la question de la réserve et de la concession forestière auprès de M. Pocklington :

[traduction]

Les Blancs coupent tous les arbres de la réserve et nous n’en savons rien. Nous revendiquons les terres entre les deux rivières (Belly et St. Mary) jusqu’aux montagnes. Maintenant, c’est sur le territoire de l’homme blanc que nous prenons le bois.

[200]  C’est alors que M. Pocklington a posé la question suivante : [traduction] « Qui était l’interprète quand on vous a dit où seraient situées les limites de votre réserve? » Red Crow a répondu : [traduction] « Dave Mills. » M. Neale ensuite écrit que M. Pocklington s’est entretenu avec M. Mills et lui a demandé : [traduction] « Avez-vous expliqué à M. Nelson où la ligne passerait? » M. Neale écrit que M. Mills a ensuite posé cette question à Red Crow, qui a répondu : [traduction] « Je ne lui ai jamais dit où marquer [les limites de] la réserve. » White Calf est intervenu en disant : « Maintenant, la réserve que nous avons est petite et les Blancs nous maltraitent. »

[201]  M. Neale écrit que, vers la fin de cette discussion, M. Pocklington [traduction] « a répondu à leurs plaintes à l’égard des limites de la réserve des Blood et des rations »; cependant, aucune précision n’est fournie quant à la nature de cette explication. Tel qu’il est reproduit ci-dessous, M. Pocklington fournit l’explication suivante au moment de détailler cette rencontre par écrit : Avant de partir, Bull Horn retourne à la réserve, et dit à M. Pocklington :

[traduction]

Nous n’aimons pas que notre concession forestière se trouve sur le territoire de l’homme blanc. Nous voulons qu’elle soit sur la réserve. Là où ils ont tracé la ligne, c’est comme dans la prairie, il n’y a pas beaucoup de bois. La vérité, c’est que les arpenteurs ont tracé les lignes sans dire aux Indiens où elles allaient être. Nous ne couperons plus d’autre bois sur notre réserve. Si un Indien avait fait passer une limite sur la réserve de l’homme blanc, l’homme blanc aurait été furieux. Je vous demande à vous trois de nous aider.

[202]  Tel qu’il est indiqué sur la carte présentée à l’annexe A, la concession forestière de la bande des Blood se trouve sur la rive ouest de la rivière Belly, tout juste au sud de la frontière internationale. Elle est située à l’extérieur du secteur défini dans les levés de 1882 et de 1883, mais à l’intérieur du secteur visé par la grande revendication.

[203]  Ce rapport suggère fortement que M. Pocklington était à tout le moins d’avis que les limites de la réserve avaient été choisies par Red Crow, qui en avait informé M. Nelson. Comme nous le savons, cette limite avait déjà été définie par M. Dewdney. Étant donné que David Mills n’est pas intervenu lors de cette discussion pour informer M. Pocklington de ce fait, il y a lieu de se demander s’il avait compris où se trouvait la limite en question. Le rapport fournit également une preuve de la part de Red Crow étayant qu’il avait mentionné que les Blood voulait que la réserve soit située sur [traduction] « le territoire où se trouvaient les montagnes et le bois », et que ce secteur allait comprendre la concession forestière arpentée. Ce point de vue se reflète aussi dans le rapport de M. Pocklington au sujet de la même rencontre.

[204]  Le rapport de M. Pocklington au sujet de cette rencontre est daté du 4 février 1888 :

[traduction]

En ce qui concerne la réserve, « Red Crow » a dit qu’il a revendiqué tout le territoire entre les rivières St. Mary et Belly, de Fort Kipp jusqu’aux montagnes. [...] En ce qui concerne sa réserve, il voulait savoir pourquoi, lorsque l’arpentage a été fait, on ne lui a pas demandé de se rendre sur place pour le voir puisqu’il n’aurait accepté aucune réserve qui ne se rendrait pas jusqu’aux montagnes.

 […]

Je me suis efforcé d’expliquer à « Red Crow » que, quand le traité a été fait avec les Indiens, ils devaient recevoir un certain nombre d’acres de terre pour chaque famille de cinq et que lorsque l’arpentage a été effectué, l’étendue des terres qui leur ont été données était conforme au traité. Cependant, il ne semblait pas satisfait et a répété qu’il revendiquait jusqu’aux montagnes. Je pense que c’est extrêmement dommage que « Red Crow » n’ait pas été présent lors de l’arpentage. [Non souligné dans l’original.]

[205]  Ces rapports me convainquent que Red Crow a toujours cru que la réserve s’étendrait jusqu’aux montagnes. Ils établissent également que Red Crow n’a jamais réellement été consulté pour ce qui est de l’emplacement de la limite sud telle qu’elle a été énoncée dans l’accord de 1883 et telle qu’elle a été définie dans le levée de 1883.

h.  Visite de la limite sud en 1888

[206]  Il ressort clairement du dossier que la limite sud posait problème à Ottawa avant la rencontre de février 1888. Le 2 décembre 1887, M. Nelson a écrit au commissaire adjoint des Indiens Hayter Reed (M. Reed) en réponse à la question qu’il avait posée le 22 décembre 1886 au sujet des limites de la réserve. M. Nelson écrit que la bande des Blood n’a aucun droit sur le territoire au sud de la réserve actuelle, confirmant ses dires au moyen de la description incluse dans l’accord de 1883.

[207]  Le 8 février 1888, M. Reed a proposé que M. Nelson, qui serait bientôt de passage dans la région, redéfinisse les limites au besoin et montre la limite de la réserve à Red Crow afin de le [traduction] « détromper » de l’idée que la tribu des Blood avait un droit sur les terres situées au sud.

[208]  Dans son rapport du 12 novembre 1888, M. Nelson indique que la visite à la limite sud avait porté ses fruits et que Red Crow était satisfait après avoir vu les limites de la réserve. Le Canada s’appuie fortement sur ce rapport pour établir que Red Crow avait accepté la réserve telle qu’elle lui avait été présentée. Les parties pertinentes de son rapport sont reproduites ci-dessous. Il vaut la peine de le reproduire de façon assez détaillée, conjointement avec les inscriptions faites dans son journal. Il écrit, dans son rapport :

[traduction]

Le lundi 20 [août 1888], nous nous sommes rendu au camp sud de la bande des Blood pour consulter Red Crow. Nous avons tenu un conseil avec lui et les sous-chefs, et nous avons expliqué le but de notre visite. Red Crow a indiqué qu’il avait demandé, lors du traité, le territoire situé entre les rivières Belly et St. Mary, depuis Whoop-Up jusqu’aux montagnes, et qu’il croyait que ce territoire lui avait peut-être été octroyé. Il a dit que Jerry Potts, qui agissait comme interprète, n’a pas correctement traduit, mais ici j’ai été en mesure de le corriger, parce que j’étais présent lors du traité et que j’ai entendu M. Potts lui dire que la limite sud de la réserve irait de Lee’s Creek à Fish Creek. De plus, je savais que M. Potts connaissait parfaitement la topographie du territoire et qu’il avait la compétence pour décrire les limites de façon que les Indiens ne pourraient pas ne pas comprendre. Je savais aussi, et je l’ai dit à Red Crow, que M. Potts avait montré la ligne au chef « One Spot » à la suite de l’arpentage, et que celui-ci avait dit, lors du traité, qu’il souhaitait la voir. Nous avons montré la ligne au chef « One Spot » à partir de la butte sur la route près du coin sud-est, la limite sud de la réserve, en nous basant autant que possible sur des caractéristiques topographiques du territoire. Il n’a toutefois pas suivi la ligne arpentée; d’ailleurs, nous doutons qu’il aurait même réalisé s’il l’avait fait. J’ai constaté que ces Indiens ne comprenaient aucunement la notion de limite artificielle (une série de buttes, par exemple), leur méthode de reconnaissance du territoire s’appuyant plutôt sur des limites naturelles comme les rivières, les lacs et les montagnes; toute autre méthode leur paraissait incompréhensible. Red Crow a dit qu’il se rendrait à la limite sud avec nous, et après l’avoir vue, qu’il saurait où elle se trouvait. M. Pocklington a expliqué que le secteur leur ayant été attribué dépasse la superficie normalement accordée pour une population comme la leur, selon les dispositions du traité original conclu à Blackfoot Crossing. En outre, une partie du territoire revendiqué par Red Crow se trouve aux États-Unis. Il a également précisé que lui-même n’avait jamais vu les lignes, que Red Crow était impatient de les voir, et que le groupe qui accompagnerait l’arpenteur comprendrait Red Crow, la « Vieille femme pied-noir » et lui-même. C’est alors que le chef White Calf a dit : « Eagle Rib (le nom indien de M. Pocklington), tout comme moi, vous n’étiez pas présent au traité. Étant donné que nous souhaitons tous deux voir les lignes, je crois qu’il convient que nous y allions ensemble. » [Non souligné dans l’original.]

[209]  Le groupe formé de M. Nelson, de M. Pocklington, de M. Mills et des représentants de la tribu des Blood sont arrivés à la [traduction] « colonie de mormons établie à Lee’s Creek ». M. Nelson relate dans son journal que, le 22 août 1888, il a [traduction] « placé un piquet de fer au coin sud-ouest de la réserve des Blood », et affirme qu’il a commencé à [traduction« redéfinir la limite sud, fait [qu’il avait] mentionné aux chefs ». Il a continué de redéfinir la limite sud jusqu’au samedi 25 août 1888, date à laquelle il a écrit dans son journal qu’il avait placé un piquet de fer au coin sud-ouest, à la rivière Belly. M. Nelson raconte qu’il a ensuite visité le ranch Cochrane, et qu’ils sont retournés à leur campement bien après le coucher du soleil.

[210]  Le lundi 27 août 1888, M. Nelson relate ce qui suit dans son journal : [traduction« Guidé par le chef Red Crow, nous avons déplacé le campement à la rivière Belly ». M. Nelson dit avoir indiqué les limites de la concession forestière de la bande des Blood aux chefs, et que Red Crow et lui-même ont tenu une [traduction] « longue discussion » près de la butte située sur la rive gauche de la rivière Belly, au niveau d’un canyon. Il précise d’ailleurs que [traduction] « Red Crow a nommé cet endroit Council Hill en souvenir de [leur] visite ». M. Nelson indique que le matin suivant, alors que les autres avaient pris le chemin du retour, il est allé [traduction] « définir les limites de la concession forestière en [illisible] la limite nord située deux milles à l’ouest du canyon, de là vers l’ouest ». Il semble avoir participé à ce levé jusqu’au 1er septembre, lorsqu’il est parti à Whoop-Up.

[211]  Il convient de noter qu’aucune entrée du journal de M. Nelson à la même époque ne fait mention d’une réponse de la part de Red Crow pendant le voyage effectué pour voir la limite sud. Cependant, dans son rapport du 12 novembre 1888, près de trois mois plus tard, il fournit une description fort détaillée. Il raconte ce qui suit :

[traduction]

Le 25, nous avons terminé la remise en état des buttes et avons placé un piquet de fer au coin sud-ouest, à la rivière Belly. Les Indiens ont pris soin de repérer la position de chaque piquet. Red Crow s’est alors fait demander s’il était satisfait et il a donné une réponse affirmative. [Non souligné dans l’original.]

Il décrit que les membres du groupe se sont déplacés jusqu’à la concession forestière [traduction] « près de la limite internationale » et qu’ils ont tenu une longue discussion :

[traduction]

Red Crow a nommé l’endroit Council Hill, et a indiqué que les frontières de sa réserve telles qu’elles étaient maintenant établies ne seraient plus jamais remises en question. [Non souligné dans l’original.]

[212]  Dans une lettre datée du 30 août 1888, M. Pocklington fait rapport du voyage et confirme qu’il a expliqué à Red Crow que la superficie de la réserve qui avait été octroyée à la tribu des Blood était plus importante que celle à laquelle elle avait droit aux termes du traité et que, après avoir vu la limite sud, Red Crow avait affirmé qu’il [traduction] « était satisfait ». M. Pocklington n’aurait pas eu directement connaissance du fait que la superficie de la réserve telle qu’elle avait été établie dans le levé de 1883 était plus importante que celle à laquelle la tribu des Blood avait droit en vertu des DFIT puisqu’il est seulement devenu agent des Indiens en 1884.

i.  Décision de déplacer la limite sud

[213]  M. Evans souligne que la raison pour laquelle la limite sud avait été déplacée est parce qu’une caractéristique de l’accord de 1883 avait été [traduction] « mal expliquée ». La seule explication au dossier est fournie par M. Nelson qui, dans son rapport de 1883, explique que ce déplacement était nécessaire [traduction] « en raison de la décroissance rapide de la population de cette tribu » et qu’il [traduction] « fallait réduire dans une mesure importante la superficie de la réserve » [non souligné dans l’original]. Nonobstant cette explication, qui a vraisemblablement été fournie par M. Dewdney à M. Nelson, aucune preuve n’a été produite quant au chiffre de population ayant servi à établir la nouvelle limite sud.

[214]  Il y a certains éléments de preuve au dossier qui étayent une diminution de la population de la tribu des Blood à la fin de l’année 1883. Le Rapport annuel du département des affaires des Sauvages pour l’année expirée le 31 décembre 1883 indique 2 589 membres de la bande des Blood comparativement à 3 542 en 1882. Ces chiffres prennent en compte les annuités versées au cours de ces années. Cependant, les annuités de 1883 ont été versées seulement après le levé de 1883, et seulement après l’accord de 1883. Par conséquent, M. Dewdney ne disposait pas de ces données démographiques lorsqu’il a déterminé où devrait se trouver la limite sud.

[215]  L’interprétation la plus libérale possible de la réduction de la superficie de la réserve par M. Dewdney en fonction de la population est qu’il s’agissait de la « meilleure approximation » de la population. Pour les motifs exposés aux présentes, je suis d’avis qu’aucune supposition n’a été faite; M. Dewdney a plutôt pris des mesures pour s’assurer que la limite sud de la réserve ne traverserait pas les terres louées par le Canada. Je conclus que l’emplacement de la limite sud déterminé par M. Dewdney était le fruit d’une décision délibérée, et qu’il n’avait rien à voir avec les DFIT de la tribu des Blood aux termes du Traité 7.

[216]  Les demandeurs soutiennent – et je suis d’accord – que les baux de pâturage conclus par le Canada avaient un lien direct avec le déplacement de la limite sud. La limite sud établie par le levé de 1882 passe au milieu du rang 2, séparant la partie nord des baux nos 13 et 17. La limite sud établie par l’accord de 1883 et le levé de 1883 traverse le rang 3, à peu près au milieu de celui-ci. Elle est donc située à deux ou trois milles au nord des baux nos 13 et 17. Si le but de M. Dewdney était de situer la réserve au-delà de ces baux, ce qui, selon moi, est la théorie la plus probable, il y a lieu de se demander pourquoi il n’a pas établi la limite sud de la réserve comme la limite nord de ces baux. À mon avis, la réponse à cette question est le bail no 18.

[217]  Aucune partie n’a évoqué le bail no 18; cependant, la Cour ne peut qu’observer qu’il inclut une petite section triangulaire, soit la partie sud-ouest du township 3, rang 24. Si la limite sud de la réserve avait été établie à la limite nord des baux nos 13 et 17, cette petite parcelle de terre triangulaire de la réserve aurait fait partie des 100 000 acres loués à M. Shereton et à d’autres aux termes du bail no 18. En déplaçant d’environ deux milles plus au nord la limite sud de la réserve, le chevauchement entre les terres de la réserve et le bail no 18 était ainsi évité.

[218]  Je conviens qu’aucune preuve directe n’établit que M. Dewdney était au courant des frontières du bail no 18; cependant, le fait que la limite sud de la réserve ait été déplacée à un endroit qui évite un chevauchement me semble si significatif que je conclus qu’il n’a pas été fait par pur hasard. M. Dewdney était arpenteur et, en connaissant l’emplacement de ces baux, il aurait su où il fallait établir la limite. Il a fourni le point de latitude 49º 12’ 16” dans l’accord de 1888. Il aurait su que l’établissement de la limite sud de la réserve à cet endroit permettrait d’éviter tout chevauchement des baux de pâturage. Compte tenu de ces faits, et étant donné que M. Dewdney n’avait aucun nouveau chiffre de population qui lui permettait de justifier la réduction de la superficie de la réserve, l’explication la plus vraisemblable pour le déplacement de la limite sud de la réserve en 1883 et le choix du nouvel emplacement de celle-ci était pour éviter tout chevauchement des baux de pâturage. C’est ce que j’en conclus.

[219]  Cette conclusion ne tranche pas la question de savoir si une réserve avait été créée avant le levé de 1883 et l’accord de 1883, et ne permet pas d’établir la superficie de la réserve à laquelle avait droit la tribu des Blood en vertu des DFIT.

III.  DROITS FONCIERS ISSUS DE TRAITÉ (DFIT)

[220]  J’examinerai d’abord l’allégation de la tribu des Blood selon laquelle sa réserve, telle qu’elle avait été définie en 1882 ou en 1883, ne respectait pas les DFIT établis aux termes du Traité 7 parce la superficie de chacune était inférieure à celle à laquelle la tribu des Blood avait droit compte tenu de sa population au moment en question.

[221]  Les demandeurs soutiennent que le défaut du Canada d’avoir fourni à la tribu des Blood la réserve qui lui avait été promise aux termes du Traité 7 constitue à la fois un manquement au traité et un manquement à ses obligations fiduciaires, et qu’un seul ensemble de faits peut donner lieu à plus d’une cause d’action : Central Trust Co. c Rafuse, [1986] 2 RCS 147.

[222]  Bien qu’un manquement à un traité ne soit pas la même chose qu’une violation de contrat, c’est ce qui s’en rapproche le plus. Une réclamation liée à un manquement à des obligations fiduciaires est une réclamation en equity.

[223]  À mon avis, Luscar Ltd v Pembina Resources Limited, 1994 ABCA 356 [Luscar] peut nous éclairer. La Cour d’appel de l’Alberta a conclu qu’il peut y avoir des causes d’action simultanées en ce qui concerne l’equity et un contrat :

[traduction]

Par analogie, dans une situation où un contrat et une equity sont appliqués au même ensemble de faits, le simple fait que les parties aient expressément traité de la question dans leur contrat ne signifie pas nécessairement qu’elles avaient l’intention d’exclure le droit d’intenter une action en equity, si un tel droit indépendant existe. Il ne devrait pas être interdit à des parties de demander la réparation appropriée pour la faute commise. Sur le plan conceptuel, il n’y a rien qui justifie qu’une obligation ne puisse pas donner lieu à une cause d’action en equity ainsi qu’à une cause d’action contractuelle. Cela dépend de la qualité du tort. Il est primordial de déterminer s’il y a une obligation en equity indépendante.

[224]  À l’instar de l’affaire dont je suis saisi, Luscar impliquait le contournement d’un délai de prescription en plaidant un manquement aux obligations fiduciaires en plus d’une rupture de contrat.

[225]  Je désire souligner qu’il n’est pas rare qu’un manquement à un traité et un manquement à des obligations fiduciaires soient invoqués dans des litiges impliquant des Autochtones : voir Adam v Canada (Minister of Indian Affairs & Northern Development), 2000 ABQB 1017; Horseman c Canada, 2015 CF 1149; Bande de Peepeekisis c Canada, 2012 CF 915.

[226]  Aux termes des dispositions du Traité 7, la tribu des Blood avait droit à une réserve dont la superficie était déterminée en fonction de sa population. Elle avait droit à [traduction] « un mille carré pour chaque famille de cinq, ou dans cette proportion pour les familles plus ou moins nombreuses ». La méthode employée pour le calcul de la superficie de la réserve est demeurée en vigueur même lorsque la tribu des Blood a renoncé à son intérêt dans la réserve d’origine qui était décrite dans le Traité 7, en échange d’une réserve près de Fort Kipp.

[227]  Il ressort de la preuve soumise à notre Cour que la tribu des Blood a un lien étroit qui tient de la vénération avec ses terres. Il y a aussi des éléments de preuve indiquant qu’elle n’était pas familière avec les concepts européens de mille et de mille carré au moment où le Traité 7 ou les accords ultérieurs ont été conclus. Il est probable que c’est pour cette raison que les arpenteurs avaient l’habitude d’emmener des représentants des Premières Nations visiter les frontières de la réserve afin qu’ils puissent se familiariser avec celle-ci. Aucune visite de ce genre n’a été faite avec la tribu des Blood sauf plusieurs années après la création de la réserve, selon les dires du Canada.

[228]  Deux questions se posent en ce qui concerne les DFIT de la tribu des Blood. Premièrement, quel était le moment opportun pour déterminer la population de la tribu des Blood aux fins du calcul des DFIT? Deuxièmement, quelle était la population de la tribu des Blood à cette époque?

A.  Date servant à déterminer la population

[229]  Comme nous le verrons au moment d’analyser la seconde question, la population déclarée pour la tribu des Blood depuis les années antérieures au Traité 7 jusqu’à 1890 varie considérablement, allant de 956 à 3 560. Chaque partie accuse l’autre d’avoir choisi un moment pour déterminer la population qui étaye la thèse qu’elle avance en l’espèce.

[230]  La tribu des Blood prétend que la Cour doit suivre les traces de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Lac La Ronge Indian Band v. Canada, 2001 SKCA 619 [Lac La Ronge], et estime que la population doit être déterminée en fonction du moment où le premier levé ou le premier recensement a été effectué après la signature du traité. Selon la thèse des demandeurs, il faut se servir des annuités versées en 1881 (3 560) pour déterminer la superficie de la réserve à arpenter en 1882 (c’est-à-dire une réserve de 712 milles carrés), et des annuités versées en 1882 (3 542) pour déterminer la superficie de la réserve à arpenter en 1883 (c’est-à-dire une réserve de 708,4 milles carrés). Les deux se traduisent par une réserve dont la superficie est supérieure à celle arpentée en 1882 (650 milles carrés) ou en 1883 (547,5 milles carrés).

[231]  Le Canada soutient qu’il faut déterminer la population non pas en fonction de la date du premier levé, mais en fonction de la date de la conclusion du Traité 7, à savoir le 22 septembre 1877.

[232]  La Tribu des Blood soutient que le Canada ne peut pas adopter cette position étant donné qu’il ne l’a pas plaidé et parce qu’il n’a présenté cette affirmation à aucun des témoins, ce qui est contraire à la règle énoncée dans Browne v. Dunn, (1893) 6 R 67 (H.L.). Selon cette règle, si un avocat entend produire une preuve qui contredit un témoignage dans le cadre de son plaidoyer, il doit présenter cette version des faits au témoin au cours du contre-interrogatoire. Il s’agit de la règle du caractère équitable. À mon avis, il appartient à la Cour d’établir la date à utiliser pour déterminer la population en fonction de sa conclusion à l’égard des intentions qui étaient communes aux parties au moment de la signature du Traité 7. J’estime sans importance ce qu’un témoin peut dire, ou ce qu’un avocat peut plaider. La règle énoncée dans Browne v. Dunn ne s’applique aucunement.

[233]  L’approche adoptée par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Lac La Ronge ne convient pas en l’espèce. Dans cette affaire, la Cour se penchait sur le Traité 6 et l’adhésion de la bande à celui-ci quelque 13 ans plus tard. Contrairement au cas qui nous occupe, le Traité 6 précise la date à laquelle la réserve doit être mise de côté comme étant la date à laquelle le surintendant en chef des Affaires indiennes [traduction] « devra députer et envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner les réserves pour chaque bande ». Aucune directive de ce genre n’est fournie dans le Traité 7 en ce qui concerne la date de la création de la réserve. En outre, dans cette affaire, il était question de déterminer si le chiffre de la population devait être établi en fonction de la population à la date du premier levé ou plus tard. Dans le cas en l’espèce, la question est de déterminer s’il faut utiliser la date du traité ou la date du premier levé.

[234]  Contrairement à l’arrêt Lac La Ronge, dans le cas en l’espèce, des éléments de preuve indiquent qu’il était dans l’intention du Canada et des Premières Nations que les réserves soient définies peu de temps après la signature du traité. Effectivement, le fait que l’emplacement de la réserve – quoique celui-ci ait été modifié par la suite dans le cas de la tribu des Blood – fût décrit dans le Traité 7 établit une distinction entre l’intention des parties de ce traité et celles du Traité 6.

[235]  Le Traité 7 a été conclu le 22 septembre 1877. M. Evans décrit dans son rapport les divers levés effectués pour les réserves après la conclusion du Traité 7. William Ogilvie [traduction] « a défini les frontières de la réserve des Pieds-Noirs vers la fin de l’été et le début de l’automne de 1878 ». M. Evans précise que cette réserve était [traduction] « plutôt petite, faisant à peine 118 milles carrés ». Le [traduction] « dernier levé » de la réserve des Pieds-Noirs a été réalisé par M. Nelson en juillet 1883. Son équipe avait alors délimité une réserve de 470 milles carrés qui, selon M. Evans, était suffisamment grande pour une bande composée de 2 350 personnes. Je tiens à souligner que, bien que ce nombre se rapproche du nombre de versements d’annuités recensé en 1882 (2 255) et en 1883 (2 158), il est inférieur au nombre de versements d’annuités recensé en 1881 (2 974). En 1882, M. Nelson a délimité une réserve de 181,4 milles carrés pour les Peigan, ce qui était suffisant pour une bande de plus ou moins 905 personnes. Encore une fois, je tiens à souligner que ce nombre se rapproche du nombre de versements d’annuités recensé en 1882 (849) et en 1883 (893), mais est inférieur au nombre de versements d’annuités recensé en 1881 (1 012).

[236]  Tout porte à croire que la réserve des Blood aurait également été arpentée au cours de la période où la réserve des Pieds-Noirs avait également été arpentée par M. Ogilvie, en supposant que la tribu des Blood avait effectivement accepté que celle-ci soit située à Blackfoot Crossing comme il était indiqué dans le traité.

[237]  Au moment de la signature du Traité 7, les troupeaux de bisons déclinaient rapidement et il était urgent pour le Canada d’avoir des terres à la disposition des colons qui se dirigeaient vers l’ouest. Il était donc dans l’intérêt des deux parties de déterminer dans les plus brefs délais l’emplacement des réserves.

[238]  Pour ces motifs, je suis d’accord avec le Canada que la population de la tribu des Blood doit être établie, aux fins du calcul des DFIT, en fonction de la date de la signature du Traité 7. Cela nous mène à la seconde question.

B.  La population de la tribu des Blood le 22 septembre 1877

[239]  Combien de membres la tribu des Blood comptait-elle à la date de signature du Traité 7 aux fins du calcul des DFIT?

[240]  La Tribu des Blood s’oppose à l’utilisation des recensements et des listes de bénéficiaires de versements ultérieurs au 2 juillet 1883 pour remettre en question la véracité des données des listes de bénéficiaires d’annuités antérieures. Elle affirme qu’il y a une présomption de régularité en ce qui concerne les dénombrements précédents effectués par les représentants du Canada à qui il incombait de verser des paiements et de consigner l’information, et ce, avec exactitude. Comme elle le fait remarquer, le Canada n’a produit aucune preuve à l’appui d’une quelconque irrégularité en ce qui concerne ces versements. Il s’appuie plutôt sur des éléments de preuve relatifs aux versements subséquents pour laisser entendre que les données antérieures doivent forcément être erronées.

[241]  Après m’être penché sur la question, j’arrive à la conclusion, comme je l’explique ci-après, que les chiffres de population plus récents auxquels la Cour devrait se fier selon le Canada ont une valeur probante limitée en ce qui concerne la population de la tribu des Blood à l’époque pertinente. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur la soi-disant doctrine de régularité, comme le demandent les demandeurs.

[242]  Comme nous avons vu dans l’analyse qui précède, il appert que la population des Peigan et des Pieds-Noirs servant au calcul des DFIT était basée sur les annuités versées en 1882 et en 1883, ou coïncidait avec celles-ci.

[243]  Je suis d’accord avec les observations du Canada voulant que, bien que l’année déterminante pertinente sur le plan juridique soit 1877, [traduction] « aucun élément de preuve n’établit qu’il y a eu un changement notable dans les populations historiques de la tribu des Blood entre les années 1877 et 1883 ».

[244]  Dans leur plaidoirie, les demandeurs ont tenté de présenter des faits (et non des éléments de preuve) pour laisser entendre que la population de la tribu des Blood avait effectivement diminué à compter de 1877; néanmoins, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui vient étayer leur observation. En outre, il n’y a aucun élément de preuve à l’appui d’un réel changement au chapitre des populations des tribus des Peigan et des Pieds-Noirs entre les années 1877 et 1883.

[245]  Il y a une abondance d’éléments de preuve soumis à la Cour quant aux états de la population de la tribu des Blood. À compter de la signature du Traité 7, le Canada a versé des annuités aux membres de chaque Première Nation. M. Evans résume ces versements dans son annexe 2, qui (excluant ses sources et ses commentaires et incluant l’ajout de la colonne « Total ») se présente comme suit :

Année

Pieds-Noirs

Blood

Peigan

Total

1877

1 234

1 810

589

3 633

1878

1 946

2 488

750

5 184

1879

2 240

3 065

941

6 246

1880

272

956

738

1 966

1881

2 974

3 560

1 012

7 546

1882

2 255

3 542

849

6 646

1883

2 158

2 589

893

5 640

1884

2 173

2 270

922

5 365

1885

2 147

2 329

941

5 417

1886

2 046

2 254

929

5 229

1887

1 952

2 202

931

5 085

1888

1 816

2 135

932

4 883

1889

1 827

2 041

924

4 792

1890

1 746

1 703

914

4 363

[246]  Selon Mme Carter, la chute remarquable du nombre de personnes à qui des annuités étaient versées en 1880 est imputable aux actions concertées et [traduction] « malveillantes » de M. Dewdney. Elle écrit, à la page 44 :

[traduction]

Au début de l’automne 1879, M. Dewdney cherchait aussi à faire économiser de l’argent à employeur en exhortant les Pieds-Noirs, y compris les Blood, à chasser le bison au sud de la frontière. L’année suivante, les Pieds-Noirs ont dépêché un messager depuis le Montana jusqu’à M. Dewdney pour lui demander s’ils devraient revenir pour se prévaloir de leurs annuités. M. Dewdney leur a conseillé de rester là où se trouvait le bison. Dans une lettre à l’intention de M. Macdonald, M. Dewdney a proclamé : « J’estime que le fait qu’ils soient restés là-bas a permis au gouvernement d’économiser au moins 100 000 $. »

[247]  Comme l’indique clairement la carte, après 1880, les membres de la tribu des Blood ont fini par quitter les États-Unis pour retourner au Canada. Les économies réalisées ont donc été de courte durée. En revanche, cette déclaration faite par M. Dewdney révèle qu’il aspirait à faire réaliser des économies à son employeur, et qu’il s’était vanté de cet exploit. Il faut garder cela à l’esprit au moment d’examiner la réduction des chiffres de population en 1883 et au cours des années subséquentes, ce qui a été fait sous la supervision de M. Dewdney.

[248]  Le Canada prétend que des éléments de preuve historiques preuve étayent qu’il y avait [traduction] « un problème généralisé et récurrent de fraudes [commises par la tribu des Blood] ». Selon lui, c’est ce qui expliquerait les chiffres de population élevés en 1881. Les deux parties conviennent que les chiffres peu élevés recensés en 1880 sont anormaux en raison du fait que les membres de ces Premières Nations étaient partis à la chasse au bison aux États-Unis, et que bon nombre d’entre eux ne sont pas revenus au pays pour se prévaloir de leurs annuités.

[249]  En octobre 1882, M. Denny a assuré le versement des annuités pour les Pieds-Noirs et les Peigan. Il affirme avoir pu réduire le nombre de bénéficiaires des annuités en réduisant les cas de fraude.

[250]  Aucune mesure de ce genre n’a été prise auprès des Blood avant les annuités de septembre 1883. C’est à ce moment que nous constatons une baisse d’un peu moins de 30 % pour ce qui est du nombre de bénéficiaires d’annuités. Il s’agit d’une diminution exceptionnelle. Encore plus exceptionnel et difficile à comprendre est le fait que, avant le versement des annuités en septembre 1883, M. Nelson, qui, tout comme M. Dewdney, était présent lors de la signature de l’accord de 1883, affirmait que la limite sud de la réserve devait être rajustée par rapport à celle définie en 1882 [traduction] « afin de tenir compte de la décroissance rapide de la population de cette tribu ». Or, aucun recensement fondé sur les versements d’annuités aux termes du Traité n’avait eu lieu, et il faudrait attendre encore plus de deux mois avant qu’un tel recensement ne soit effectué.

[251]  Tel qu’il a été expliqué ci-dessus, j’ai conclu que M. Dewdney a déplacé la limite sud vers le nord pour faire en sorte que les baux de pâturage ne soient pas touchés par l’emplacement de la réserve des Blood. Bien que M. Dewdney ait peut-être soupçonné que la population bénéficiaire des annuités à l’automne de 1883 serait inférieure à celle de l’année précédente, il lui était impossible de connaître l’ampleur de cette diminution, le cas échéant. Ayant déjà réduit la superficie de la réserve, il avait ses raisons de faire en sorte que les annuités qui seraient versées plus tard cette année-là correspondent à la taille de réserve qu’il avait prédéterminée.

[252]  Le Canada prétend que les membres de la tribu des Blood était satisfaite des versements d’annuités de 1883, puisqu’ils ne s’étaient jamais plaints à cet égard. Cependant, comme la tribu des Blood l’a signalé en réplique, Calf Shirt de la tribu des Blood avait aidé M. Pocklington dans cette entreprise, et M. Pocklington avait affirmé ce qui suit : [traduction] « Calf Shirt mérite également quelque chose, étant donné qu’il s’est attiré les foudres de chaque Indien de la réserve ces dernières années ». La réduction du nombre de personnes admissibles aux annuités a certainement été une source de mécontentement.

[253]  Les données sur les bénéficiaires des annuités ne constituent pas le seul élément de preuve tiré des dossiers du Canada. Chaque année, le Ministère a publié un document intitulé « Census Return of Resident and Nomadic Indians in the Dominion of Canada, By Provinces ». Pour chacune des années s’échelonnant de 1877 à 1886, le nombre d’Indiens visés par le Traité 7 indiqué dans le recensement est supérieur au nombre de membres des trois tribus ayant reçu l’annuité. Cela s’explique probablement par le fait que le total du recensement pour le Traité 7 comprend les tribus Sarsi et Stoney ainsi que les trois tribus de la Confédération indiquées dans la liste des annuités de M. Evans. Les données du recensement sont les suivantes :

Année

Total en fonction des annuités

Total du recensement

1877

3 633

5 050

1878

5 184

4 928

1879

6 246

6 159

1880

1 966

7 549

1881

7 546

7 789

1882

6 646

8 642

1883

5 640

7 681

1884

5 365

6 673

1885

5 417

6 415

1886

5 229

6 495

[254]  M. Evans affirme qu’il ignore d’où proviennent ces chiffres, croyant toutefois que certains d’entre eux sont basés sur les chiffres des listes de bénéficiaires d’annuités. Il suggère donc qu’il ne faut pas s’y fier en tant qu’indicateur de la population. Bien qu’il appert que la source est ambiguë, une chose est sûre : le Canada a publié ces chiffres dans ses rapports officiels et ne l’aurait probablement pas fait à moins d’avoir été convaincu à l’époque qu’ils étaient exacts. Ne fût-ce que pour cette raison, je suis d’avis qu’il est approprié que j’examine ces chiffres, et je rejette la proposition du Canada voulant qu’ils soient inexacts. Ces chiffres prouvent qu’en 1882 et en 1883, moment où les levés ont été réalisés, la Confédération des Pieds-Noirs comptait plus de 7 500 membres.

[255]  En outre, il y a d’autres éléments de preuve au dossier concernant la taille de la tribu des Blood avant la date du levé de 1883. Les voici :

  • Le 15 décembre 1879, M. Dewdney écrit dans son rapport qu’étant donné que la population des Blood est près de la moitié de celle des Pieds-Noirs, il serait souhaitable de permettre aux Blood d’avoir une réserve indépendante, ce qui, accessoirement, contrerait la centralisation [19] .

  • Le 16 mars 1880, M. Vankoughnet écrit que [traduction] « la population d’Indiens Blood est, semble-t-il, au moins la moitié de celle de la tribu des Pieds-Noirs » [20] .

  • Le 12 mai 1881, M. Wadsworth indique que des rations sont distribuées à 2 917 personnes d’après la [traduction] « liste des rations » des Blood, et que ce nombre devrait passer à 3 000 dans quelques semaines [21] .

  • Le 30 mai 1881, M. Wadsworth indique que des rations sont distribuées à 3 146 personnes d’après la [traduction] « liste des rations » des Blood [22] .

  • En juin 1881, l’agent Macleod écrit que, pendant les mois de mai et de juin, la tribu des Blood a commencé à retraverser la frontière, faisant passer le nombre de 700 à 3 500 [23] .

  • Le 28 juillet 1881, l’agent Macleod indique que le nombre approximatif de personnes recevant des rations s’élève à 3 450 [24] .

  • En août 1881, lors de son passage dans la région à la recherche de charbon, George Mercer Dawson de la Commission géologique du Canada consigne que le nombre d’Indiens Blood s’élève à 3 600 [25] .

  • Le 31 octobre 1881, l’agent Macleod inscrit le nombre 3 640 dans son rapport, soit le même nombre que celui indiqué dans un tableau du rapport du 31 décembre [26] .

  • Le 12 octobre 1882, M. Galt, qui a visité la réserve à l’automne, écrit que celle-ci ne compte pas moins de 3 600 membres [27] .

  • Le 10 novembre 1882, M. Denny écrit que la [traduction] « [l]a tribu est la plus importante de toute l’Agence, comptant plus de 3 400 Indiens » [28] .

  • Le 9 décembre 1882, M. Wadsworth, qui avait fait une visite pendant l’année, rédige un rapport dans lequel il indique que la population à 3 615 personnes [29] .

  • Le 15 décembre 1882, le Rapport annuel indique que la population s’élève à 3 542 personnes (ce chiffre étant probablement basé sur les versements d’annuités de cette année-là) [30] .

  • Le 15 décembre 1882, M. Dewdney écrit qu’il y a [traduction] « 3 500 Indiens dans la réserve [des Blood] » [31] .

  • Le 31 décembre 1882, M. Macdonald, surintendant général des Affaires indiennes, indique que [traduction] « [l]e nombre d’Indiens Blood se chiffre à 3 400 » [32] .

  • Le 25 août 1883, le révérend McLean estime à 3 000 la population des Blood dans une lettre au révérend Wigram [33] .

[256]  Selon M. Evans, les chiffres relatifs aux annuités sont gonflés. Au moment des versements de 1888, le nombre avait diminué à 4 883 au total pour la Confédération, alors que celui des membres de la tribu des Blood avait diminué à 2 135. M. Evans croit que 1883 est un pas dans la bonne direction, mais estime néanmoins que les chiffres ne sont pas exacts :

[traduction]

Les listes de bénéficiaires d’annuités du traité et la correspondance connexe laissent entendre que la population réelle de la tribu au moment du traité et de la cession en 1883 se situait probablement entre 2 200 et 2 300. Ainsi, la tribu aurait eu droit à une réserve d’une superficie de 440 à 460 milles carrés, soit environ 100 milles carrés de moins que ce que la tribu avait obtenu en raison du traité de 1883 et du déplacement subséquent de la limite sud de la réserve par l’arpenteur fédéral Nelson. À 650 milles carrés, la réserve que M. Nelson avait initialement définie en 1882 était près de 50 % plus grande que celle à laquelle la tribu avait droit aux termes du traité et, selon l’avis de l’auteur, la décision de réduire la superficie de la réserve à 547,5 milles carrés en 1883 était un compromis raisonnable, voire, avec le recul, quelque peu généreux, étant donné l’information dont disposait le gouvernement au sujet de la taille de la population de la tribu des Blood.

[257]  M. Evans est d’avis que la population de la tribu des Blood au moment de la conclusion de l’accord de 1883 était de 2 200 à 2 300 membres. Supposant que la tribu des Blood représentait la moitié de la Confédération des Pieds-Noirs au Canada, cela voudrait dire que la population dans l’ensemble aurait été de 4 400 à 4 600 personnes. Aucun des chiffres dont disposait le Ministère à cette époque relativement aux versements d’annuités ou aux recensements n’était aussi peu élevé.

[258]  Je préfère me baser sur les chiffres indiqués dans les listes de bénéficiaires d’annuités, et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, ils correspondent aux estimations faites par d’autres à l’époque. Cela laisse fortement entendre qu’ils ne sont pas erronés, comme l’allèguent le Canada et M. Evans. Ensuite, ils cadrent généralement avec l’avis partagé par plusieurs à l’époque que la tribu des Blood représentait la moitié de la population de la Confédération des Pieds-Noirs. Ce n’est qu’avec le chiffre de 1883 et les versements d’annuités ultérieurs que le pourcentage des membres de la tribu des Blood chute à plus ou moins 45 % du total.

[259]  Pour cette raison, j’accorde peu d’importance au point de vue exprimé par M. Evans selon lequel les chiffres antérieurs à 1888 étaient [traduction] « gonflés ».

[260]  Dans sa conclusion, M. Evans a également déclaré que [traduction] « des estimations éclairées des Pieds-Noirs depuis le début des années 1820 jusqu’à la moitié des années 1870 désignent systématiquement la tribu des Peigan comme étant la plus importante des trois tribus, représentant environ 40 % de la population totale, alors que les 60 % restants étaient répartis de façon à peu près égale entre la tribu des Pieds-Noirs et la tribu des Blood ». La preuve présentée au procès a démontré de manière constante que la tribu des Blood au Canada était la plus importante des trois tribus, et la tribu Peigan, la plus petite des trois. En outre, un certain nombre de sources indiquent que la tribu des Blood au Canada représente environ la moitié de la population de la Confédération des Pieds-Noirs. En définitive, c’est la population au Canada qui compte.

[261]  En dépit du fait M. Evans ait fait référence à des annuités [traduction] « inexactes » qui auraient été versées aux membres de la tribu des Blood en 1882 et en 1883, en contre‑interrogatoire, il a admis qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la liste de bénéficiaires d’annuités de 1881. Or, le nombre recensé en 1881 est plus important que les nombres recensés dans les listes de bénéficiaires d’annuités de 1882 et de 1883. M. Evans et le déposant de l’interrogatoire préalable pour le Canada ont tous deux convenu que les listes de bénéficiaires d’annuités étaient de facto un recensement, et M. Evans convient qu’elles étaient [traduction« probablement la source la plus efficace pour évaluer les populations des Premières Nations » aux fins du calcul des DFIT.

[262]  Pour ces motifs, et parce que la crédibilité de M. Evans a été si sérieusement mise en doute lors du contre-interrogatoire, j’accorde peu d’importance à son estimation de la population de la tribu des Blood.

[263]  Il incombe à la tribu des Blood de me persuader, selon la prépondérance des probabilités, que, le 22 septembre 1877, sa population était supérieure à 2 438, soit le nombre des DFIT correspondant à la région visée par le levé de 1883.

[264]  La meilleure façon de déterminer la population de la tribu des Blood au moment de la conclusion du Traité 7 est de se baser sur les éléments de preuve étayant sa population à cette époque. J’estime que la preuve fondée sur les versements d’annuités en 1877 et les trois années subséquentes (de 1878 à 1881) pour déterminer la population est faible et peu fiable, étant donné que les membres de la tribu des Blood passaient, à cette époque, d’un style de vie nomade à une vie de réserve. Bon nombre d’entre eux n’étaient pas encore revenus des États-Unis.

[265]  Comme je l’ai déjà souligné, le Canada soutient que le chiffre de population exact pour la tribu des Blood correspond aux annuités versées en 1883 et, plus précisément, pour les années subséquentes. Il prétend que la preuve démontre qu’il y avait une pratique de double indemnisation généralisée qui n’a été enrayée qu’en 1883 et par la suite. Selon la preuve présentée au procès, M. Denny a réduit le nombre de personnes qui recevaient des rations et des annuités. Dans une lettre datée du 27 février 1883, il indique au surintendant général intérimaire des Affaires indiennes qu’[traduction] « il avait apporté une réduction importante au nombre d’Indiens Blood à qui des rations devraient être distribuées ». Par ailleurs, le 10 juillet 1883, il déclare ce qui suit : [traduction] « Nous avons également réduit le nombre d’Indiens à qui des rations sont distribuées dans la réserve des Blood, étant donné que j’ai déterminé, après avoir passé beaucoup de temps à réaliser un recensement exact, que le nombre de membres avait été considérablement surestimé. »

[266]  Tout comme les représentants avaient des raisons de réduire le nombre d’annuités versées de façon à ce qu’il corresponde à la superficie réduite de la réserve, ils avaient également des raisons de vouloir réduire le nombre de membres à qui des rations étaient distribuées. J’ai conclu que cette réduction du nombre de rations distribuées ne prouve pas nécessairement que les nombres précédents étaient inexacts ou aussi inexacts que le prétend le Canada, et ce, pour un certain nombre de raisons.

[267]  Tout d’abord, comme le souligne M. Carter, 1883 marquait le début d’une période économique difficile au Canada, et le gouvernement se tournait vers ses représentants pour réduire autant que possible les coûts. À plusieurs reprises, des individus ayant rédigé des rapports et des lettres ont souligné les coûts considérables découlant de la distribution de rations à la tribu des Blood et aux autres membres des Premières Nations pour le Canada. Un coût semblable est associé aux annuités devant être versées. Chaque réduction se traduit par des économies pour le Canada. Cela peut expliquer, en partie, l’empressement de M. Denny à réduire le nombre de personnes recevant des rations et des annuités. Un empressement à faire des réductions dans le but de plaire à des supérieurs peut priver certaines personnes des rations et des annuités auxquelles elles ont légitimement droit.

[268]  Deuxièmement, le dossier n’indique pas clairement que l’on peut conclure que le nombre de membres de la tribu des Blood au Canada correspondait au nombre de personnes qui recevaient des rations.

[269]  Troisièmement, il ne m’apparaît pas évident que tous les membres de la tribu des Blood sont demeurés au Canada à cette époque. Dans son rapport, M. Evans fait référence à M. Denny, qui, dans son rapport de juillet 1883, a affirmé que les [traduction] « Blood étaient les principaux Indiens qui traversaient la frontière accompagnés des Peigan du Sud dans leurs expéditions ». Les documents indiquent que ces membres au sud de la frontière ne seraient pas inclus dans les nombres recensés par le gouvernement. Encore une fois, le dossier fait abondamment référence à des rations et à des annuités qui n’étaient plus distribuées à ceux qui se rendaient au sud de la frontière. Cependant, ce n’est pas parce qu’ils se trouvaient au sud du Canada qu’ils n’étaient pas des membres de la tribu des Blood qui devaient être pris en compte aux fins du calcul des DFIT. Il faut se rappeler que la tribu des Blood était un peuple nomade, et il ressort clairement de la preuve présentée par les aînés que la frontière entre le Canada et les États-Unis avait peu d’importance aux yeux des membres de la tribu à l’époque, tout comme aujourd’hui, d’ailleurs.

[270]  Il était également suggéré que les chiffres des listes de bénéficiaires d’annuités de 1882 de 1883 étaient gonflés parce qu’un certain nombre de Peigan du Sud sont venus des États-Unis pour recevoir des rations et des annuités au Canada avec les membres de la tribu des Blood. Cependant, M. Pocklington et d’autres ont souligné qu’il y avait des intermariages entre les Blood et les Peigan du Sud. Ils étaient donc peut-être admissibles à ces rations et annuités. Les nombres ont été réduits au cours des années subséquentes, car M. Pocklington et les autres ne leur ont pas [traduction] « donné de nourriture ni fait sentir comme s’ils étaient les bienvenus », si bien qu’ils ont fini par quitter le Canada. Le fait qu’ils aient quitté le Canada après avoir été traités avec très peu d’égards par les représentants gouvernementaux ne signifie pas que ces gens n’avaient pas le droit d’être au Canada, ou qu’ils ne faisaient pas partie de la tribu des Blood au moment de la conclusion du Traité 7.

[271]  J’estime que la preuve relative à la population de 1883 et des années ultérieures est suspecte et ne représente pas fidèlement la population réelle de la tribu des Blood en 1877, moment où le Traité 7 a été signé. Tel qu’il est susmentionné, M. Denny (et d’autres) était résolu à réduire le nombre de personnes à qui des rations et des annuités étaient distribuées. Les raisons expliquant cette démarche étaient partiellement de nature financière et partiellement dans le but de donner une très bonne image de sa gouvernance afin de plaire à ses supérieurs.

[272]  M. Denny avait tout particulièrement une bonne raison de chercher à s’attirer les bonnes grâces de M. Dewdney, et selon les rapports à son sujet, il y avait lieu de douter de son intégrité. Dans son rapport, Mme Carter souligne que M. Denny avait été nommé agent des Indiens par M. Dewdney en décembre 1881, après qu’il avait été forcé de quitter la P.C.N.-O. pour avoir eu une liaison avec l’épouse d’un autre officier. À bien des égards, sa conduite était perçue par les autres comme étant discutable :

[traduction]

M. Dewdney avait confiance en M. Denny, mais on ne pouvait pas en dire autant des autres. Selon M. Wadsworth, M. Denny était « un homme arrogant, un ivrogne et un coureur de jupons », déclarant que « son haleine empestait toujours l’alcool, au point tel qu’il aurait pu assommer un cheval ». L’inspecteur Wadsworth avait écrit à M. Dewdney pour l’avertir que « la carrière de M. Denny au sein de la Police à cheval du Nord-Ouest avait pris fin dans la disgrâce, probablement en raison de ses folies de jeunesse ». De plus, il était « un homme malhonnête, sournois, paresseux et irrespectueux envers les femmes qui se comportait comme un tyran et qui n’avait pas du tout la bosse des affaires [...] ». M. Denny a informé M. Wadsworth que M. Dewdney le tenait en haute estime, et qu’il n’avait pas besoin de tenir compte des critiques à son sujet.

[273]  Mme Carter a également décrit la relation de M. Denny avec Red Crow d’une façon qui laisse entendre qu’il avait ses raisons de ne pas traiter les membres de la tribu des Blood avec égards :

[traduction]

M. Denny a occupé le poste d’agent pendant deux ans. Il avait une relation « froide et distante » avec Red Crow; selon Hugh Dempsey, il « n’était pas d’accord avec les vastes pouvoirs du chef et cherchait résolument à les saper ou à les contourner », ayant tenté pendant deux ans de « s’emparer du contrôle de la réserve qui était entre les mains de Red Crow ».

[274]  Bien qu’il y ait sûrement eu quelques comportements et conduites qualifiés par le Canada et M. Evans de [traduction] « frauduleux », je ne crois pas que ce fût aussi courant qu’ils le laissent entendre. Il n’existe pas de raisons sérieuses de douter de l’honnêteté des membres de la tribu des Blood dans son ensemble, alors qu’il y a des raisons de mettre en doute l’exactitude des chiffres de 1883 produits par M. Denny.

[275]  À mon avis, la meilleure preuve de la population de la tribu des Blood en 1877 est les versements d’annuités en 1881 et en 1882, c’est-à-dire 3 560 et 3 542 membres, et les déclarations de ceux-ci à l’époque (M. Galt, M. Denny et M. Wadsworth), c’est-à-dire 3 600, 3 400 et 3 615. Selon ces chiffres, la tribu des Blood avait droit, en vertu des DFIT, à une réserve d’une superficie de 680 à 723 milles carrés.

[276]  La détermination de la population réelle de la tribu des Blood en 1877 aux fins du calcul des DFIT englobe l’évaluation de facteurs concurrents, l’exercice de jugement et, ultimement, l’établissement d’une conclusion. J’ai évalué la preuve souvent contradictoire de la population sur de nombreuses années, et pris en compte les opinions des experts et les observations des parties.

[277]  Sur le fondement de la preuve produite, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, la tribu des Blood comptait 3 550 membres à la date de signature du Traité 7 aux fins du calcul des DFIT. Par conséquent, conformément au traité, la tribu des Blood avait droit à une réserve d’une superficie de 710 milles carrés.

IV.  LA CRÉATION D’UNE RÉSERVE

[278]  Les demandeurs soutiennent qu’une réserve a été créée à leur intention avant le 2 juillet 1883, date à laquelle le Canada et la tribu des Blood ont conclu l’accord de 1883 qui a [traduction] « retiré 102,5 milles carrés de la réserve des Blood ». Ils allèguent que ce territoire ne pouvait pas être retiré de la réserve autrement qu’en conformité avec les dispositions de cession énoncées dans l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 :

[traduction]

36. Nulle réserve ou partie de réserve ne pourra être vendue, aliénée ou affermée avant d’avoir été cédée ou abandonnée à la Couronne pour les objets prévus au présent acte; mais, dans le cas de Sauvages âgés, malades ou infirmes et de veuves ou enfants sans tuteur, le Surintendant-Général aura le pouvoir de donner à bail pour leur soutien et profit les terres auxquelles ils auront droit.

37. Nulle cession ou abandon d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou de tout Sauvage individuel ne sera valide ou obligatoire s’il n’est fait aux conditions suivantes :—

1. La cession ou abandon sera ratifié par la majorité des hommes de la bande qui auront atteint l’âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou conseil convoqué à cette fin conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du Surintendant-Général, ou d’un officier régulièrement autorisé par le Gouverneur en conseil ou le Surintendant- Général à y assister; mais nul Sauvage ne pourra voter ou assister à ce conseil s’il ne réside habituellement sur la réserve en question ou près de cette réserve, et s’il n’y a un intérêt :

2. Le fait que la cession ou abandon a été consenti par la bande à ce conseil ou assemblée devra être attesté sous serment devant un juge d’une cour supérieure, cour de comté ou de district, ou devant un magistrat stipendiaire, par le Surintendant-Général ou par l’officier autorisé par lui à assister à ce conseil ou assemblée, et par l’un des chefs ou principaux ayants-droit de vote qui y aura assisté ; et après que ledit fait aura été ainsi certifié, le consentement sera soumis au Gouverneur en conseil, pour qu’il l’accepte ou le refuse.

[279]  Il ne fait aucun doute que si une réserve avait été créée pour la tribu des Blood avant le 2 juillet 1883, la réduction de la superficie de cette réserve en 1883 aurait contrevenu aux dispositions de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, étant donné qu’aucune cession n’avait été obtenue.

[280]  En outre, les demandeurs soutiennent que le Canada a manqué à son obligation fiduciaire en leur demandant d’exécuter l’accord de 1883, et prétendent que celui-ci n’est pas valide et qu’il ne lie pas la tribu des Blood. Cette observation sera abordée plus loin.

[281]  Le Canada, s’appuyant sur la décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Lac La Ronge, aux paragraphes 193 et 194, soutient que, [traduction] « pour qu’une réserve indienne soit créée, il doit y avoir une intention claire de la part de la Couronne de mettre de côté une bande de terre précise comme réserve indienne ». Le Canada semble avoir adopté la position qu’il était clair dans l’accord de 1883 qu’une bande de terre serait mise de côté comme réserve pour les Blood et que la réserve avait été créée à cette date, pas avant.

[282]  Le terme [traduction] « réserve » est défini comme suit à l’article 2, paragraphe 6 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 :

[traduction]

Le terme « réserve » signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière d’Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n’a pas été rétrocédée à la Couronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l’intérieur du sol.

Cette définition n’indique aucunement comment une réserve est créée autre que par le fait que cette étendue de terre est mise de côté par Sa Majesté au moyen d’un traité [traduction] « ou autrement » pour l’usage d’une bande d’Indiens.

[283]  L’arrêt-clé en matière de création de réserves, et la décision sur laquelle s’appuient les deux parties, est l’arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54 [Ross River]. Il n’y avait aucun traité en cause dans Ross River. L’affaire découlait d’une demande de remboursement de la taxe sur le tabac présentée par un magasin situé dans un petit village du Yukon. Il avait présenté une demande d’exemption sur la base que le village se trouvait dans une réserve. La Cour suprême du Territoire du Yukon, dans l’arrêt [1998] 3 C.N.L.R. 284, souscrivait à la prétention de la bande que le village était situé dans une réserve. Ce jugement a été infirmé en appel devant la Cour d’appel du Territoire du Yukon, (1999), 182 DLR (4th) 116, 1999 BCCA 750. Le pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été rejeté, la Cour ayant conclu que, bien que des terres avaient été mises de côté, les personnes habilitées à lier la Couronne n’avaient nullement l’intention de créer une réserve.

[284]  Le juge Lebel, au nom de la majorité, traite du droit relatif à la création de réserves au paragraphe 67 :

Par conséquent, tant au Yukon qu’ailleurs au Canada, il ne semble pas exister une seule et unique procédure de création de réserves, quoique la prise d’un décret ait été la mesure la plus courante et, indubitablement, la meilleure et la plus claire des procédures utilisées à cette fin. (Voir : Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, p. 674-675; Woodward, op. cit., p. 233‑237.) Quelle que soit la méthode utilisée, la Couronne doit avoir eu l’intention de créer une réserve. Il faut que ce soit des représentants de la Couronne investis de l’autorité suffisante pour lier celle-ci qui aient eu cette intention. Par exemple, cette intention peut être dégagée soit de l’exercice du pouvoir de l’exécutif — par exemple la prise d’un décret — soit de l’application de certaines dispositions législatives créant une réserve particulière. Des mesures doivent être prises lorsqu’on veut mettre des terres à part. Cette mise à part doit être faite au profit des Indiens. Et, enfin, la bande visée doit avoir accepté la mise à part et avoir commencé à utiliser les terres en question. Le processus demeure donc fonction des faits. L’évaluation de ses effets juridiques repose sur une analyse éminemment contextuelle et factuelle. En conséquence, l’analyse doit être effectuée au regard des éléments de preuve au dossier.

[285]  Le juge Lebel n’avait pas l’intention que Ross River soit une discussion approfondie sur la création de réserves. Au paragraphe 41, il a exprimé ce qui suit :

Une mise en garde s’impose en amorçant l’examen du processus de création des réserves. Des intervenants ou des parties ont tenté d’élargir la portée du présent pourvoi qui, à leur avis, donne à notre Cour l’occasion de se prononcer de façon définitive et exhaustive sur les conditions légales de création des réserves prévues par la Loi sur les Indiens. Cependant, aussi intéressante et difficile que puisse sembler une telle démarche, elle serait prématurée et nuirait à l’évolution normale du droit dans ce domaine. Malgré son importance, le présent pourvoi s’attachera à la situation juridique au Yukon et à l’expérience observée historiquement en matière de création des réserves dans ce territoire, et non à l’évolution historique et juridique de cette question pendant près de quatre siècles dans les diverses régions du Canada.

[286]  En dépit de cette mise en garde, le « critère » Ross River a été utilisé et appliqué sans aucun changement par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 [Wewaykum], et l’arrêt Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4 [Williams Lake].

[287]  Au moment de décrire le critère de création de réserves énoncé par la Cour suprême du Canada dans cette trilogie d’arrêts, les parties à la présente action ont chacune mentionné que ce critère englobait les quatre principes suivants :

  1. La Couronne doit avoir eu l’intention de créer une réserve.

  2. Il faut que ce soit des représentants de la Couronne investis de l’autorité suffisante pour lier celle-ci qui aient eu cette intention.

  3. Il faut prendre des mesures pour mettre à part des terres, et cette mise à part des terres doit être dans l’intérêt des Indiens.

  4. La bande visée doit avoir accepté la mise à part et avoir commencé à utiliser les terres en question.

[288]  La Cour d’appel de la Saskatchewan, au paragraphe 207 de l’arrêt Lac La Ronge, a également discuté des principes nécessaires à la création d’une réserve :

[traduction]

Le juge qui préside a conclu qu’il n’y a aucune procédure particulière ou unique qui, à elle seule, permet la création d’une réserve. Il y a quatre éléments essentiels à la création d’une réserve :

1. La Couronne doit avoir délibérément décidé de créer une réserve.

2. Il doit y avoir eu consultation de la bande.

3. Il doit y avoir une délimitation claire des terres.

4. La Couronne doit avoir manifesté d’une quelconque façon son intention de créer une réserve avec ces terres.

[289]  Les demandeurs soutiennent que les critères se chevauchent; cependant, il y a des différences fondamentales. Selon le critère de la Cour suprême, la bande doit accepter les terres et commencer à les utiliser. Ce principe n’est pas mentionné dans l’arrêt Lac La Ronge. Cet arrêt comporte une exigence selon laquelle une consultation doit avoir lieu avant la création d’une réserve. Ce principe n’est pas mentionné dans la trilogie d’arrêts de la Cour suprême. La Cour suprême fait référence à l’arrêt Lac La Ronge dans les arrêts Williams Lake et Wewaykum pour des affirmations liées à une obligation fiduciaire, mais elle n’a pas recours à sa discussion relative à la création de réserves. Par conséquent, je vais me concentrer sur le « critère » énoncé par la Cour suprême du Canada. Bien que je ne l’aie pas jugé nécessaire, si le volet de consultation dont il est question dans l’arrêt Lac La Ronge était un critère dont il aurait fallu tenir compte, j’aurais conclu qu’il aurait été satisfait puisque l’agent Macleod avait conduit Red Crow jusqu’aux terres et lui avait demandé d’indiquer où sa tribu aimerait que la réserve soit située.

A.  Intention de la Couronne

[290]  Le premier élément consiste à déterminer si la Couronne avait l’intention de créer une réserve. La jurisprudence ne précise pas si l’intention doit être de créer une réserve précise ou si une intention générale est suffisante. Suffit-il que les demandeurs établissent que le Canada avait l’intention de créer une réserve dans les environs de Fort Kipp, ou faut-il une intention expresse en ce qui a trait à ses limites? Les demandeurs avancent que le critère d’intention est satisfait parce qu’il a été démontré que le Canada avait l’intention de créer une réserve pour la bande des Blood dont la superficie correspondait à la formule des DFIT. Le Canada soutient que l’intention de créer une réserve nécessite également la définition précise des frontières et de la superficie de ladite réserve. Il affirme ce qui suit [traduction] : « Pour que la Cour puisse conclure que les travaux effectués par M. Nelson sur le terrain en 1882 ont engendré la création d’une réserve sur le plan juridique, les demandeurs doivent prouver, contrairement à tous les instruments officiels, que la Couronne avait l’intention que la délimitation et la superficie établies en 1882, et aucune autre délimitation ni superficie, devaient constituer les frontières de la réserve de la bande des Blood. » [En italiques dans l’original.]

[291]  Au paragraphe 50 de l’arrêt Ross River, le juge LeBel a fait remarquer que « [l]a mise de côté d’une parcelle de terrain à titre de réserve [...] suppose à la fois une action et une intention ». En ce qui concerne l’intention, il a fait remarquer que certaines mesures juridiques prises par la Couronne ont « un caractère tellement définitif ou concluant qu’il devient inutile de prouver que cette dernière avait subjectivement l’intention de mettre de côté des terres pour créer une réserve ». La signature d’un traité et la prise d’un décret étaient cités comme deux exemples de telles mesures juridiques prises par la Couronne.

[292]  Dans le cas qui nous occupe, la Couronne a signé un traité avec la tribu des Blood et d’autres tribus le 22 septembre 1877. Avant la signature de ce traité, le commissaire Laird, qui avait été autorisé par le Canada à conclure le traité, aurait apparemment dit ce qui suit aux gens rassemblés à Blackfoot Crossing : « Des terres de réserve seront mises de côté pour vous et votre bétail sur lesquelles personne d’autre ne pourra empiéter; une superficie sera allouée dans cette réserve à raison d’un mille carré par famille de cinq personnes où vous pourrez couper des arbres et faire des préparer du bois de chauffage ou à d’autres fins. » [Non souligné dans l’original [34] .] Cette déclaration vient étayer l’intention du Canada que, concurremment avec la signature du traité, une réserve serait établie.

[293]  En outre, le Traité 7 lui-même établit clairement cette intention, énonçant que seront [traduction] « [mises] à part [c’est-à-dire à l’intention des Premières Nations signataires] des réserves propres à la culture de la terre , pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites, et lesdites réserves seront placées aux endroits suivants [...] ». Même si l’emplacement général des réserves des Blood, des Pieds-Noirs et des Sarcee était décrit dans le Traité 7, aucun levé n’avait eu lieu à la date de signature du traité. Néanmoins, conformément aux observations formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ross River, le Traité 7 est d’une telle autorité que l’intention de la Couronne est implicite ou présumée. Le Canada n’a produit aucune preuve qui démontrerait le contraire.

[294]  À mon avis, l’intention du Canada de créer une réserve pour la tribu des Blood n’a pas été contrecarrée par les événements ultérieurs liés au déplacement géographique de la réserve dans les environs de Fort Kipp. Rien n’indique que, à compter de la signature du Traité 7, le Canada n’avait autre intention que de créer une réserve pour la tribu des Blood conformément à la formule des DFIT.

[295]  C’est l’emplacement géographique où l’on donnerait suite à cette intention qui a changé. Dans un mémoire présenté au Conseil privé datant du 26 mars 1880, M. Macdonald a indiqué que la tribu des Blood avait demandé une réserve distincte [traduction] « à proximité de Fort Kipp », ce qui avait été accueilli favorablement par le gouvernement. Ce mémoire a donné lieu au décret 565 daté du 26 mars 1880, qui autorisait le colonel Macleod et M. Dewdney à assister à un conseil de la nation des Pieds-Noirs pour que ceux-ci acceptent que les Blood cèdent une partie de la réserve précisée dans le Traité 7 en échange d’une [traduction] « réserve à l’intention de la bande des Blood aux environs de Fort Kipp, conformément à leurs volontés ».

[296]  La tribu des Blood a accepté cet échange, comme en témoigne l’accord de Red Crow. Canada a admis que, à la date de cet accord, il [traduction] « avait conclu une entente avec la tribu des Blood selon laquelle il lui offrirait une réserve sur la rivière Belly à condition qu’elle accepte de renoncer à ses droits à une réserve sur la rivière Bow ».

[297]  Encore une fois, conformément aux observations formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ross River, le décret daté du 26 mars 1880, conjugué aux événements survenus ultérieurement, est d’une telle autorité que l’intention de la Couronne de créer une réserve est implicite ou présumée.

[298]  Pour en venir à une conclusion différente, il faudrait conclure que le Canada avait fait preuve de mauvaise foi au moment de fournir des directives à l’égard des négociations avec les Blood et lors de la conclusion de l’accord de Red Crow avec la tribu des Blood en vue d’offrir une réserve sur la rivière Belly à celle-ci.

[299]  À mon avis, il n’est pas nécessaire que l’intention de créer une réserve soit une intention de créer une réserve précise avec des frontières définies. L’intention peut être de nature plus générale, en sachant que les détails seront précisés par la suite. Il est suffisant que le Canada eût l’intention de créer une réserve près de Fort Kipp selon la formule des DFIT. L’intention du Canada de créer une réserve précédait de longtemps le levé de 1882.

B.  Il faut que ce soit des représentants de la Couronne qui aient l’intention de créer une réserve

[300]  Ce principe est satisfait. L’intention de créer la réserve a été établie par le gouverneur général agissant sur l’avis du Conseil privé. De plus, ceux qui ont négocié le Traité 7, et ceux qui ont conclu l’accord de Red Crow subséquent, suivaient les instructions expresses du Conseil privé.

C.  Mesures pour mettre de côté des terres dans l’intérêt de la tribu des Blood

[301]  Tout comme pour le reste du processus de création de réserves, le troisième élément, soit la mise de côté des terres, a été décrit par la Cour suprême du Canada au paragraphe 37 de l’arrêt Ross River comme s’inscrivant dans un contexte factuel tout à fait particulier et propre au dossier.

[302]  Le Canada soutient que [traduction] « l’action [...] de création d’une réserve doit être liée à une parcelle de terrain en particulier, et non à une proximité générale ». Je conviens que la mise de côté de terres nécessite que les terres en question soient précisées dans une certaine mesure. Les demandeurs n’adoptent pas un point de vue contraire. Dans le cas en l’espèce, l’accord de la Couronne et de la tribu des Blood voulant qu’une « réserve [soit créée] à l’intention de la bande des Blood aux environs de Fort Kipp, conformément à leurs volontés » ne satisfait pas au degré de précision nécessaire pour être en mesure d’affirmer que cet accord prévoit la mise de côté de terres en vue de la création de la réserve. Il en est ainsi parce que personne – c’est-à-dire ni le Canada, ni les membres de la tribu des Blood, ni les colons – n’était en mesure de déterminer si une parcelle de terrain située [traduction] « près de Fort Kipp » faisait ou non partie de la réserve.

[303]  Le Canada affirme que dans le cadre de la création d’une réserve, procéder à une [traduction] « mise à part » nécessite l’arpentage des terres qui constitueront la réserve. Il soutient également, selon la preuve présentée par M. Ballantyne, qu’un levé est un processus qui [traduction] « n’est pas terminé tant qu’il n’a pas été approuvé ». Je suis prêt à convenir que les levés ne sont pas [traduction] « officiels » tant et aussi longtemps que toutes les étapes nécessaires en matière de validation et d’approbation n’auront pas été effectuées. Cependant, je ne conviens pas que l’on peut mettre de côté des terres sans procéder à un arpentage.

[304]  L’accord de 1883, en guise d’exemple, met de côté une parcelle de terrain très précise avant que celle-ci n’ait été arpentée par M. Nelson. Cet accord comprend la description suivante de l’aire réservée :

[traduction]

L’entière superficie de la bande de terre en question dans les Territoires du Nord-Ouest, au Canada, confinée et délimitée comme suit, c’est-à-dire : commençant sur la rive nord de la rivière St. Mary au point de latitude Nord de quarante-neuf degrés, douze minutes et seize secondes (49° 12’ 16”); puis descendant ladite rive de ladite rivière jusqu’à sa jonction avec la rivière Belly; puis remontant la rive sud de cette dernière rivière jusqu’au point de latitude Nord de quarante-neuf degrés, douze minutes et seize secondes (49° 12’ 16”); puis vers l’est le long d’une ligne droite jusqu’au point de départ; à l’exclusion de l’une ou l’autre partie du quadrilatère nord-est de la section numéro trois, dans le township numéro huit, rang vingt-deux, à l’ouest du quatrième méridien principal, pouvant empiéter sur l’une ou l’autre des limites susmentionnées; laquelle bande de terre sera détenue à perpétuité par les Indiens Blood et réservée à leur usage.

[305]  Un exemple moins complexe illustrant la mise de côté de terres en l’absence d’un levé est le recours à des clôtures. Le fait de clôturer une parcelle de terrain a pour effet de la délimiter sans qu’un arpentage n’ait été effectué. À mon avis, le Canada adopte une approche déraisonnablement technique quant à la question de savoir comment il faut procéder pour mettre de côté des terres en vue de la création d’une réserve. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada au paragraphe 67 de l’arrêt Ross River, « il ne semble pas exister une seule et unique procédure de création de réserves [...] ».

[306]  Le Canada et ses experts décrivent le levé de 1882 au moyen des termes [traduction« travaux sur le terrain » et [traduction] « de nature préliminaire ». Le levé ne se traduit donc pas par la mise de côté d’une parcelle de terrain tel qu’il est requis pour établir une réserve. On a demandé au Canada s’il serait en mesure de fournir des exemples où un levé [traduction] « préliminaire » aurait subséquemment été rajusté dans les mêmes proportions que le rajustement ayant été effectué entre le levé de 1882 et le levé de 1883, soit une réduction de 102,5 milles carrés, ou plus de 15 % de la superficie initiale arpentée. Le Canada a fait mention de deux autres levés qui avait été effectués en lien avec le Traité 7 :

[traduction]

À l’époque, il arrivait souvent que les frontières potentielles des futures réserves indiennes soient déplacées après que certains travaux d’arpentage préliminaires avaient été effectués sur le terrain. Par exemple, un levé préliminaire comportant environ 118 milles carrés pour une réserve des Pieds-Noirs a été effectué par l’arpenteur William Ogilvie en 1878. Un dernier levé de la réserve des Pieds-Noirs comportant une superficie de 470 milles carrés a été réalisé immédiatement après que le chef Crowfoot et d’autres chefs des Pieds-Noirs ont signé un traité modifié le 20 juin 1883 et ont renoncé à leur revendication quant à la réserve précisée dans le Traité 7 initial. De même, un levé préliminaire pour une réserve des Peigan comportant environ 80 milles carrés a été réalisé par l’arpenteur A.P. Patrick en 1879. En septembre 1882, M. Nelson a de nouveau arpenté la réserve des Peigan en vue de l’agrandir [à 181,4 milles carrés] et de la réorienter.

[307]  Il y a une différence importante et notable entre ces exemples, où la superficie de la réserve a été augmentée et, dans le cas qui nous occupe, où la superficie de la réserve a été réduite. Dans l’exemple des Pieds-Noirs comme dans celui des Peigan, il est compatible avec la preuve de conclure que les [traduction] « levés préliminaires » ont mis de côté des parcelles de terrain pour ces réserves, satisfaisant ainsi à l’un des principes liés à la création de réserves. Si tous les autres principes étaient satisfaits, leurs réserves étaient créées à ce moment-là. Toutefois, aucun obstacle juridique n’empêchait le Canada d’accroître la superficie de ces réserves à une date ultérieure, surtout si c’était dans le but de respecter les DFIT. Il y a un obstacle juridique considérable à la réduction de la superficie d’une réserve qui a été créée – une cession des terres devant être retirées d’une réserve doit être accordée par la bande. Il en est ainsi même si la réserve initialement crée, par erreur ou par inadvertance, était plus grande que ce qui était dicté par les DFIT. L’Acte relatif aux Sauvages, 1880 ne renferme rien qui puisse permettre au Canada de réduire unilatéralement la superficie d’une telle réserve une fois que celle-ci a été créée. On pourrait faire valoir que si ce n’était effectivement pas l’intention du Canada de créer une réserve avec la réserve initiale, il aurait unitéralement rectifié son erreur sans faire appel à l’Acte relatif aux Sauvages, 1880; cependant, même si tel était le cas, j’estime que le Canada avait l’intention de créer la réserve qui a été créée par l’intermédiaire du levé de 1882.

[308]  Un autre exemple entre ces différences et le cas dont la Cour est saisie est qu’il n’y a aucun élément de preuve au dossier relatif à la raison pour laquelle les réserves des Pieds-Noirs et des Peigan ont initialement été arpentées de cette manière ni à la raison pour laquelle elles ont été modifiées par la suite. En ce qui a trait à la réserve des Pieds-Noirs, M. Evans affirme qu’il semblait y avoir eu [traduction] « une mesure ou un moyen de précaution visant à rassurer les chefs principaux Crowfoot et Old Sun que leur intérêt dans la réserve partagée serait protégé, car la réserve qu’il a établie était assez petite, d’un peu moins de 118 milles carrés, et elle ne couvrait que la portion la plus à l’ouest de la réserve partagée ou conjointe, soit là où les Pieds-Noirs ont fini par s’installer (la région atour de Blackfoot Crossing et à l’ouest de ce point jusqu’à la limite ouest de la réserve conjointe) ». Il ne cite aucun document de l’époque pour appuyer ce point de vue. M. Evans n’offre pas non plus d’explication quant à la taille et à la configuration de la première réserve des Peigan arpentée. L’hypothèse de M. Evans n’est pas une preuve.

[309]  En évaluant si des terres ont été mises de côté pour en faire une réserve, il est pertinent d’examiner pourquoi une mise de côté est un facteur en premier lieu. Dans mon évaluation, c’est pertinent, car il est important que la bande, le Canada et d’autres sachent où les personnes qui ne sont pas membres de la bande peuvent s’établir et où seuls les membres de la bande peuvent s’établir. Cela correspond à la définition d’une réserve donnée par M. Laird aux membres de la Première Nation assemblés à Blackfoot Crossing pour conclure le traité.

[310]  Le dossier regorge d’exemples dans lesquels, après le levé de 1882, les fonctionnaires canadiens n’avaient aucune difficulté à déterminer où se trouvait la réserve des Indiens Blood. Ils n’ont peut-être pas pu le faire avec la précision fournie dans l’accord de 1883, mais ils ont reconnu la réserve des Blood créée grâce au levé de 1882.

[311]  Le Canada a prétendu que la simple utilisation du mot « réserve » ne signifie pas qu’une réserve avait été créée :

[traduction]

Le simple fait que les fonctionnaires ont désigné la région en tant que réserve ne nous permet pas de déduire que leur intention était de faire référence aux limites définitives. C’est ce qu’il est facile d’établir en consultant la correspondance qui date même d’avant les travaux sur le terrain de M. Nelson en 1882.

Je suis d’accord avec le Canada pour dire que le terme « réserve » était utilisé avant les travaux sur le terrain de M. Nelson pour faire référence, de manière générale, à la tribu des Blood vivant près de Fort Kipp. Toutefois, dans chacun des exemples suivants, les fonctionnaires, à mon avis, parlent d’une réserve qui avait été créée en raison de ses limites définitives et cela ressort clairement du contexte.

[312]  Dans son rapport à M. Dewdney, daté du 5 octobre 1882, M. Galt indique qu’il a [traduction] « visité la réserve des Pieds-Noirs deux fois, la réserve des Sarcee une fois, la réserve des Piegan deux fois, la réserve des Blood une fois et les fermes d’approvisionnement à Fish Creek et à Picher Creek, une fois chacune ». Je pense qu’il est pertinent qu’il ait seulement mentionné un arpentage en ce qui concerne la réserve des Blood. Voici ce qu’il écrit :

[traduction]

Le levé de cette réserve a été mené à bien l’été dernier. Ces Indiens vivent de façon assez stable dans leur réserve depuis l’automne dernier. [Non souligné dans l’original.]

Il est aussi pertinent qu’il parle du [traduction] « levé » et non du levé [traduction] « préliminaire » réalisé en 1882. En outre, il est pertinent qu’il parle du levé étant [traduction] « mené à bien ». Une fois le levé en main, M. Galt était en mesure de déterminer ses limites et le secteur où la tribu avait le seul et unique droit d’en être les occupants.

[313]  Dans son Rapport annuel du Département des Affaires des Sauvages pour l’année expirée le 31 décembre 1882, M. Dewdney a joint en annexe à son rapport le rapport de M. Denny qui mentionne l’arpentage des réserves :

[traduction]

Les Blood et les Pieds-Noirs ont vivement désiré qu’on arpentât leurs réserves. Cet ouvrage a été exécuté pour les Blood, les Piegan, les Sarcis et les Stoney. La réserve des Pieds-Noirs n’est toutefois pas établie, et plus son établissement est retardé, plus il sera difficile de l’établir, étant donné qu’aucune cession de la tribu des Pieds-Noirs n’a encore été consignée pour la partie de la réserve qui serait revenue aux Blood et aux Sarcis si le gouvernement ne leur avait pas donné des réserves ailleurs. [Non souligné dans l’original.]

[314]  Comme M. Galt, M. Denny décrit ici un levé définitif des réserves des Blood et des Peigan réalisé en 1882 par M. Nelson. Il est intéressant qu’il souligne que le levé de la réserve des Pieds-Noirs après le retrait des Blood et des Sarcis de l’emplacement aux termes du Traité 7 n’avait pas encore eu lieu. Encore une fois, comme pour M. Galt, rien n’indique que le levé de la réserve des Blood n’était pas adéquat pour permettre à M. Denny et aux autres de savoir où se trouvaient ses limites.

[315]  Le 14 juin 1883, dans une lettre à M. Dewdney, M. Vankoughnet a approuvé le rachat à M. Cochrane de ses terres et de ses améliorations qui ont [traduction] « par la suite été attribuées à titre de réserve aux Indiens Blood ».

[traduction]

En réponse à votre lettre du 29 du mois dernier [35] , j’ai l’honneur de vous informer que le surintendant général a approuvé la recommandation faite par le regretté commissaire adjoint des Indiens pour les Territoires du Nord-Ouest, voulant que M. Cochrane soit payé 850 $ compte tenu des terres qu’il a prises sur l’étendue de terrain par la suite attribuée à titre de réserve aux Indiens Blood, ainsi que pour les améliorations apportées et les bâtiments construits par lui à cet endroit, et que lui soit versé 400 $ en plus de la somme d’argent susmentionnée compte tenu du fait que M. Cochrane est obligé de démonter sa maison.

Selon le surintendant général, cette faveur pouvait être accordée à M. Cochrane dans la mesure où il a pris possession des terres avant que l’étendue de terrain qu’il occupait soit incluse dans la réserve indienne.

[316]  Une fois encore, je souligne que les limites de la réserve des Blood avaient été établie avec assez de précision pour que deux hauts fonctionnaires canadiens puissent déterminer que le ranch de M. Cochrone se trouvait dans la réserve, et pour autoriser la dépense de fonds publics pour l’acheter.

[317]  Lorsqu’on a demandé si les baux de pâturage récemment accordés occupaient une partie de la réserve des Blood, M. Vankoughnet n’a eu aucun mal à informer M. Russell le 14 mai 1883 que c’était le cas :

[traduction]

En réponse à votre lettre du 1er courant, j’ai l’honneur de vous informer que les moitiés situées au nord des townships numéro deux, rangs vingt-cinq et vingt-six et la partie de la moitié nord du township deux, située à l’ouest de la rivière St. Mary, rang vingt-quatre, tous situés à l’ouest du quatrième méridien principal du district d’Alberta sont dans une réserve indienne ».

[318]  M. Vankoughnet a répété cette information dans une lettre au sous-ministre de l’intérieur datée du 17 novembre 1883, environ trois mois après le levé M. Nelson en 1883 :

J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre du 12 du mois dernier de votre Ministère dans laquelle il est demandé si les moitiés situées au nord des townships numéro deux, rangs vingt-cinq et vingt-six et la partie de la moitié nord du township deux, située à l’ouest de la rivière St. Mary, rang vingt-quatre, tous situés à l’ouest du quatrième méridien principal, devaient être incluses dans la réserve indienne à cet endroit et pour vous informer que M. Nelson, arpenteur de terres fédérales, qui a arpenté la réserve a affirmé verbalement que la réserve comprend les terres décrites ci-dessus, mais que les rapports des travaux d’arpentage de la réserve auxquels il est fait référence n’ont pas encore été reçus.

[319]  Même l’arpenteur, M. Nelson, après son levé de 1882 était d’avis que les terres de la réserve des Blood mises de côté étaient bien définies lorsqu’il écrit son rapport daté du 29 décembre 1882 :

[traduction]

Je suis ravi d’avoir l’honneur de vous rapporter que les levés ont maintenant si bien avancé que toute complication susceptible de survenir relativement à la volonté de connaître leur emplacement ou leur étendue sera évitée.

Voici une liste de ce qui a été fait :

Réserves indiennes principales  220 milles carrés

Bande de Muskow-peetung      58,8    

Réserve des Sarcis      110   

Blood         650   

Piegan         183,4   

Pâturages           95   

[320]  Ce rapport indique qu’à la fin de l’année 1882, M. Nelson ne savait pas du tout que la limite sud de la réserve des Blood qu’il a arpentée pouvait ne pas être bonne.

[321]  Il est aussi révélateur et important que le gouvernement du Canada ait publié au moins deux cartes à cette époque qui délimitaient clairement la limite sud de la réserve des Blood comme celle établie par M. Nelson dans le levé de 1882 [36] .

[322]  Le Canada répond, citant le rapport de M. Ballantyne, que [traduction] « les cartes ne sont pas déterminantes quant à l’existence et à l’emplacement des limites; les plans d’arpentage sont déterminants ».

[323]  Concernant l’utilisation et la nature des cartes par rapport aux levés, M. Ballantyne affirme ce qui suit :

Une carte est un bon serviteur, mais un mauvais maître (pour ce qui est d’illustrer les limites des parcelles). Les plans de levé illustrent plutôt des limites de parcelles. Au cours de la période allant de 1875 à 1891, les cartes et les plans de levé avaient deux objectifs différents. Les cartes dressées au cours de ce contentieux étaient généralement des images à petite échelle de vastes régions (p. ex. l’Ouest canadien) dont le but était d’aider les colons, limiter les conflits ou les chevauchements entre une réserve et les arpenteurs des townships, illustrer la grandeur considérable du Canada, encourager l’investissement et le développement socioculturel et affirmer la souveraineté. Les cartes étaient établies à partir de différentes sources et contenait de nombreux renseignements sur la topographie, les formes de relief, les emplacements, les distances et les utilisations proposées. Elles découlaient de la Couronne, des explorations ferroviaires et des politiques et les orientaient. Elles n’étaient pas définitives quant aux parcelles ou aux limites.

[324]  J’admets qu’aucun tribunal ne règlerait un contentieux concernant un différend relatif à la propriété entre deux voisins en se fondant sur une carte dessinée par l’un d’eux : le tribunal examinerait le levé enregistré officiel. Toutefois, cela ne veut pas dire que la carte est inutile ou sans valeur. Une carte établie par un voisin 40 ans plus tôt peut être la preuve qu’une autre personne était considérée comme occupant (possédant) la terre, établissant ainsi une possession acquisitive. Les cartes ont une valeur et une carte dressée par une partie peut être utilisée contre ses intérêts.

[325]  En l’espèce, j’estime que les deux cartes en question sont une preuve du point de vue du ministère de l’Intérieur du Canada, qui comprenait les Affaires indiennes, quant à la frontière [traduction] « approximative » de la réserve des Blood.

[326]  Pour ces motifs, je conclus qu’avec le levé de 1882, les terres qui y figurent ont été mises de côté pour la réserve des Blood.

D.  La bande doit accepter la mise de côté

[327]  Au paragraphe 67 de l’arrêt Ross River, la Cour suprême du Canada affirme que « la bande visée doit avoir accepté la mise à part et avoir commencé à utiliser les terres en question ».

[328]  Les demandeurs affirment qu’utiliser une partie de la terre mise de côté suffit pour que la mise de côté ait été acceptée. Le Canada affirme qu’afin d’accepter la mise de côté, la bande devrait être au courant des détails du secteur mis de côté. En somme, elle devrait être au courant des limites exactes de sa réserve.

[329]  Les demandeurs se fondent sur la jurisprudence liée aux biens pour appuyer leur thèse. Ils disent qu’en matière de droit des biens, la possession de toute partie d’une parcelle constitue la possession d’une parcelle entière, citant l’arrêt Bentley v Peppard Estate (1903), 33 SCR 444, 1903 CanLII 69 (CSC), au paragraphe 4 :

[traduction]

Toutefois, lorsqu’une personne de bonne foi sur le fondement d’un acte écrit d’une personne censée être le propriétaire fait l’acquisition d’un bien-fonds – une zone territoriale – son occupation réelle d’une partie – si petite soit-elle – en l’absence d’occupation adversative réelle par une autre personne, lui donne une possession utile du bien-fonds dans son intégralité. Il l’a selon l’expression sous « apparence de titre ».

[330]  Toutefois, les règles qui s’appliquent aux biens ne s’appliquent pas nécessairement aux réserves ou aux terres réservées aux Premières Nations. Dans l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, au paragraphe 43, la Cour suprême du Canada a commenté :

Premièrement, il est clair que les principes traditionnels du droit des biens en common law peuvent ne pas s’avérer utiles dans le contexte des droits fonciers des Autochtones : Bande indienne de St. Mary’s, précité. Les tribunaux « doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law » afin de donner effet à l’objet véritable des opérations relatives aux terres de réserve : voir Bande indienne de la rivière Blueberry, précité, par. 7, le juge Gonthier.

[331]  Une remarque semblable est faite dans l’arrêt Wewaykum, au paragraphe 43, selon laquelle lorsqu’il s’agit des réserves indiennes, la forme ne doit pas primer sur le fond :

Notre Cour a à plusieurs reprises souligné que, dans l’examen des droits des Indiens sur les réserves, « nous devons veiller à ce que la forme ne l’emporte pas sur le fond » (Bande indienne de St. Mary’s c Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657, par. 16), ou à ce que des règles « de forme » de la common law ne viennent pas frustrer l’intention véritable des parties (Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, par. 6).

[332]  Le défi pour les demandeurs en l’espèce est que la tribu des Blood fait valoir qu’elle n’a jamais accepté la réserve telle qu’elle a été tracée lors du levé de 1882 ou lors du levé de 1883. Elle revendique la « grande revendication » comme étant le secteur auquel elle avait droit. C’est ce qu’elle fait valoir dans son mémoire écrire, rédigé ainsi :

[traduction]

La tribu des Blood allègue que les terres entre les rivières St. Mary et Kootenay (Waterton), jusqu’aux montagnes et à la frontière internationale (le « territoire de la grande revendication ») leur ont été réservées et la tribu n’a jamais supposé ou voulu que le territoire de la grande revendication fasse l’objet d’une cession à la signature du Traité.

Par conséquent, peut-on dire que la tribu des Blood a « accepté la mise à part et [...] commencé à utiliser les terres », tel que cela est établi dans l’arrêt Ross River?

[333]  J’estime que la thèse avancée par la tribu des Blood selon laquelle elle a et a toujours eu droit aux terres de la grande revendication ne veut pas dire qu’elle n’a pas accepté ou utilisé le territoire mis de côté lors du levé de 1882. Même si soutenir la grande revendication de la tribu des Blood signifie qu’elle n’a pas accepté le territoire mis de côté lors du levé de 1882, il faudrait aussi conclure qu’elle n’a pas non plus accepté les terres mises de côté lors du levé de 1883, ou qu’elle n’a jamais accepté aucune terre mise de côté. Cela donnerait lieu à une conclusion selon laquelle aucune réserve de la tribu des Blood n’a été créée sur le plan juridique. Aucune des parties ne soutient cette thèse qui n’est pas étayée par des éléments de preuve.

[334]  Il existe des éléments de preuve relatifs à un nombre important de membres de la tribu des Blood s’établissant dans la réserve future après l’accord de Red Crow de 1880 sur son emplacement général. Dans son rapport de fin d’année 1881, résume sa visite à la tribu des Blood du 21 mai 1881 :

[traduction]

J’ai trouvé un grand nombre d’Indiens rassemblés, 3 146 personnes figurant sur la liste de rations, les deux tiers d’entre eux venaient d’arriver de l’autre côté de la frontière où ils avaient suivi les bisons il y a deux ans.

[335]  Dans son rapport de fin d’année en 1882, M. Macdonald a écrit :

[traduction]

Il y a 3 400 Blood. Ils ont beaucoup travaillé pendant l’année; ils ont planté leurs propres pommes de terre, clôturé leurs champs et labouré avec leurs propres chevaux. Ils ont été divisés en plusieurs collectivités et vivaient dans des villages séparés. Leurs terres étaient bien clôturées, bien que le bois à cette fin ne soit pas abondant. Les Indiens ont commencé à occuper des emplacements distincts dans la réserve. Ils ont cultivé une quantité importante de pommes de terre (environ 200 000 lb), mais aussi des navets, de l’avoine et de l’orge.

[336]  Je suis d’accord avec l’observation des demandeurs selon laquelle [traduction« [l]’occupation et l’utilisation extensives de la réserve des Blood par les membres de la bande au cours de la période visée d’octobre 1880 au 2 juillet 1883 est incontestable ».

[337]  Je n’admets pas l’observation du Canada selon laquelle une bande n’a pas accepté une mise de côté à moins d’avoir occupé ou utilisé chaque partie du secteur. Premièrement, la réserve venait d’être arpentée et les membres de la tribu des Blood venaient de s’installer dans leurs nouvelles maisons : il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’ils utilisent des centaines de milles carrés de prairie si peu de temps après l’arpentage, tout particulièrement compte tenu du fait qu’ils apprenaient encore à cultiver la terre. Deuxièmement, le Canada avait envisagé que la réserve, comme le garantissaient les DFIT du Traité 7, soit assez grande pour répondre à la future croissance de la tribu des Blood. M. Morris déclare que lors de la signature du Traité 7, M. Laird a dit aux personnes assemblées : [traduction] « [N]ous souhaitons vous donner autant de terre que vous avez besoin, voire plus » [37] . Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’une seule partie de la terre doive être utilisée par la génération actuelle. Troisièmement, les chefs de la tribu des Blood n’ont pas été emmenés voir les limites de la réserve et pouvaient ne pas être certains de là où elles se trouvaient. On ne sait pas clairement ce que la tribu des Blood savait du levé de 1882 et il n’est pas surprenant que leurs efforts aient été portés sur les colonies existantes, toutes plus au nord de la limite sud.

[338]  Ce qui est clair, toutefois, est que la tribu des Blood connaissait et avait accepté l’emplacement de sa réserve qui était alors mise de côté lors du relevé de 1882 par le Canada. Exiger que la tribu des Blood connaisse les limites précises de la réserve ou utilise l’ensemble des terres serait ne pas tenir compte de la prudence de la Cour suprême et permettre à la forme de primer sur le fond.

[339]  Pour ces motifs, j’estime que la tribu des Blood a accepté la mise de côté des terres de réserve désignées par le levé de 1882.

E.  Conclusion

[340]  Après avoir conclu que les quatre facteurs de l’arrêt Ross River ont été satisfaits, je conclus qu’une réserve pour la tribu des Blood a été créée avant le 2 juillet 1883. La réserve qui a été mise de côté pour cette tribu est celle qui a été tracée par le levé de 1882. Sa taille ne pouvait pas être réduite sans obtenir une cession de la tribu des Blood.

[341]  Le Canada ne prétend pas que l’accord de 1883 constitue une cession. Ce n’est pas le cas. Premièrement, il n’affirme pas que la tribu des Blood cède des terres. Deuxièmement, aucun processus de cession n’a eu lieu, comme l’exige l’Acte relatif aux Sauvages, 1880. Troisièmement, ni l’accord de 1883 ni son compte rendu ne fait état du fait que le Canada n’ait jamais informé la tribu des Blood que sa réserve était réduite. À cette date, la tribu des Blood n’avait pas été emmenée voir les limites établies par la réserve de 1882 et rien n’indique qu’elle était informée du fait que les limites étaient réduites ni de l’ampleur de la réduction.

[342]  La tribu des Blood a fait valoir que l’accord de 1883 est déraisonnable, oppressif et abusif et est ainsi entaché de nullité. Compte tenu de la conclusion que je tire ci-dessous, il n’est pas nécessaire d’examiner cette observation.

V.  LA GRANDE REVENDICATION

[343]  La grande revendication de la tribu des Blood et son fondement sont énoncés aux paragraphes 13 et 15 de sa déclaration modifiée, rédigés ainsi :

[traduction]

Le 25 septembre 1880, ou aux alentours de cette date, un accord a été conclu entre la tribu des Blood et la défenderesse quant à l’emplacement et l’étendue de la nouvelle réserve.

Les demandeurs affirment, et le fait est que l’accord visait à ce que la nouvelle réserve se trouve entre la rivière Kootenay (maintenant Waterton) et la rivière St. Mary jusqu’à Chief Mountain et la frontière internationale au 49e parallèle. Ces terres se trouvent toutes dans la province maintenant appelée l’Alberta.

Les demandeurs affirment, et le fait est qu’une réserve a été légalement établie pour la tribu des Blood en 1880, selon les limites naturelles, comme convenu le 25 septembre 1880 ou aux alentours de cette date.

[344]  Dans le Rapport annuel du Département des Affaires des sauvages pour l’année expirée le 31 décembre 1880, M. Dewdney indique que conformément au décret de 1880 l’autorisant lui et le colonel Macleod à rencontrer la tribu des Blood et à [traduction] « tenter de conclure un accord satisfaisant » relativement à un nouvel emplacement de réserve, ils se sont rencontrés à Fort Macleod en septembre 1880 :

[traduction]

En arrivant à Fort Macleod, j’ai trouvé une grande partie de Blood qui attendaient mon arrivée pour connaître la décision du gouvernement relativement à cette question[...] J’informai le chef des Blood que s’il voulait m’abandonner tous ses droits à la réserve située à Blackfoot Crossing, à condition que le gouvernement lui en donne une autre à l’endroit qu’il indiquerait, je le ferais accompagner, lui et sa bande, à l’endroit qu’il choisirait, par un instructeur, et que l’on pourrait y construire des maisons et préparer la terre pour la prochaine saison; et que je recommanderais, à mon retour, au gouvernement de leur donner une réserve à cet endroit.

[345]  Lors de cette rencontre entre Red Crow et M. Dewdney, l’accord de Red Crow, dont ont été témoins l’agent Macleod et le préposé de l’agence, Percy G.H Robinson, a été conclu. Il prévoit que les Blood cèdent tous leurs droits à la terre décrite dans le Traité 7, [traduction« étant entendu que le gouvernement nous attribuera une réserve sur la rivière Belly aux environs de l’embouchure de la rivière Kootenay ».

[346]  La tribu des Blood prétend que l’accord de Red Crow est un traité et qu’elle avait compris, compte tenu de l’assurance de M. Dewdney, que la tribu des Blood se verrait attribuer une réserve à l’endroit indiqué par Red Crow. Tel qu’il est décrit par les aînés dans les éléments de preuve fondés sur l’histoire orale susmentionnés, cet endroit correspond à la terre située entre les rivières Kootenai et Belly, de Fort Kipp aux montagnes.

[347]  La tribu des Blood prétend que ce traité doit être interprété de la manière lui étant la plus favorable et que toute ambiguïté soit dissipée en sa faveur. Le Canada prétend que l’accord de Red Crow n’est pas un traité :

[traduction]

Les demandeurs affirment à tort que l’accord de 1880 était un traité. Le document même n’est pas désigné comme un traité. Il n’est pas désigné comme un traité dans les documents historiques. Le document décrit uniquement l’emplacement général de la tribu des Blood souhaité pour sa réserve et ne fait pas état de limites précises. En outre, seul Red Crow a signé le document. Aucun des experts, y compris les experts des demandeurs, ne prétend que le document était un traité. En réalité, Mme Holmes, fait référence au document en tant qu’[traduction] « accord de Red Crow » et Mme Carter le désigne comme [traduction] « un document ».

[348]  Je suis d’accord avec le Canada pour dire que ce document a peu, voire aucune, des caractéristiques d’un traité des Premières Nations. Rien ne prouve non plus le caractère officiel ou solennel que nous voyons à Blackfoot Crossing, lorsque le Traité 7 a été négocié et conclu. Il n’y a pas eu de cérémonie du calumet, quelque chose qui, selon les aînés, faisait partie de tout accord de traité d’alliance.

[349]  Bien que la Cour suprême du Canada du Canada dans l’arrêt Sioui, à la page 1035, ait observé que « nous devrions ainsi adopter une interprétation large et généreuse de ce qui constitue un traité », il est aussi observé que tous les accords entre le Canada et une Première Nation ne sont pas des traités. Elle a noté plus précisément qu’il faut s’attacher à la façon dont toutes les parties comprenaient la nature de l’entreprise contenue dans le document au moment où il a été signé. À mon avis, toutes les parties ont compris qu’il s’agissait d’un accord de la tribu des Blood a renoncé à aux droits qu’elle avait aux termes du Traité 7.

[350]  Conclure l’accord de Red Crow était autorisé par le Canada dans le décret 565 daté du 26 mars 1880. Il prévoie dans un passage pertinent que M. Dewdney et le colonel Macleod soient autorisés à participer à un conseil de la nation des Pieds-Noirs [traduction] « aux fins proposées; et à présenter à la nation une proposition selon laquelle cette dernière céderait une partie de la réserve lui ayant été attribuée aux termes du Traité, d’une superficie correspondant à la part que l’on attribuerait à la bande des Blood si cette bande avait choisi de s’établir dans ladite réserve, en vue de la création d’une réserve à l’intention de la bande des Blood aux environs de Fort Kipp, conformément à leurs volontés » [38] .

[351]  L’accord de Red Crow reflète cette cession et cette promesse :

[traduction]

Je, « Mekasto » ou « Red Crow », chef principal des Indiens Blood, pour le compte des Indiens Blood visés par le Traité et avec leur consentement, cède par la présente tous nos droits, titres et privilèges quelconques aux terres prévues dans ledit Traité, étant entendu que le gouvernement nous attribuera une réserve sur la rivière Belly aux environs de l’embouchure de la rivière Kootenay.

[352]  L’accord de Red Crow n’est pas un traité. C’est exactement ce qu’il y est dit, une cession conditionnelle de terres issues d’un traité.

[353]  Même si je concluais que l’accord de Red Crow était un traité, je ne conclurais pas qu’une réserve par suite de la grande revendication a été établie par celle-ci ou par des événements subséquents. En effet, selon les événements subséquents, ni le Canada ni la tribu des Blood n’ont eu l’intention d’établir une réserve dans le cadre de la grande revendication.

[354]  Tout d’abord, je souligne que la grande revendication donnerait lieu à une réserve qui serait bien plus grande que les DFIT énoncés dans le Traité 7. Il n’existe aucune preuve ni aucune indication de la raison pour laquelle le Canada serait disposé à faire fi des DFIT qu’il avait inclus dans le traité trois ans plus tôt.

[355]  Ensuite, je ne peux pas conclure qu’un nombre suffisant des quatre facteurs de l’arrêt Lac La Ronge portant sur la création de réserves a été satisfait en ce qui a trait aux terres de la grande revendication.

[356]  J’admets que le Canada et la tribu des Blood avait l’intention de créer une réserve dans le secteur général issu de la grande revendication. Le Canada a bien créé une telle réserve, en 1882, tel que je l’ai conclu, ou en 1883, tel que le reconnaît le Canada. J’admets aussi que M. Dewdney et le colonel Macleod étaient investis de l’autorité nécessaire pour lier la Couronne.

[357]  Toutefois, rien ne prouve que le Canada ou la tribu des Blood ont pris des mesures pour mettre de côté des terres d’une superficie égale à celle issue de la grande revendication. Plus précisément, rien ne prouve que le Canada n’ait jamais mis de côté les terres entre la rivière Belly et la rivière Kootenai, et en réalité, des éléments de preuve montrent que les membres de la tribu des Blood ont été délogés de cette zone en 1881, car le Canada a dit qu’elle ne faisait pas partie de leur réserve. Rien ne prouve que le Canada n’ait jamais mis de côté les terres au sud de la frontière internationale à titre de réserve pour la tribu des Blood.

[358]  Je dois conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la grande revendication n’est pas établie.

VI.  MANQUEMENT À UNE OBLIGATION FIDUCIAIRE

[359]  Les demandeurs soutiennent qu’ils ont prouvé que le Canada avait manqué à son obligation fiduciaire envers la tribu des Blood. Les manquements qu’ils allèguent ont tous eu lieu après l’accord de Red Crow en septembre 1880, aux termes duquel les parties ont convenu que la tribu ait une réserve [traduction] « près de Fort Kipp ». La conduite du Canada, qui selon eux constitue des manquements à l’obligation du Canada envers la tribu des Blood, est la suivante :

  1. Le Canada n’a pas [traduction] « protégé l’intérêt reconnu dans les terres “entre les rivières jusqu’aux montagnes” aux termes des DFIT de l’accord de Red Crow »;
  2. Le Canada a conclu des baux de pâturage avec des tiers concernant des [traduction« terres faisant l’objet d’un intérêt reconnu »;
  3. Le Canada a établi les limites de la réserve dans l’accord de 1883 contraires aux DFIT issus du Traité 7 et a induit en erreur la tribu des Blood concernant les accords conclus le 2 juillet 1883.
  4. Le Canada a caché sa conduite énoncée aux points a) à c) et a porté la tribu des Blood à croire qu’elle recevait plus de terre que ce à quoi elle avait droit au titre des DFIT.
  5. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien après que la CRI a jugé que la tribu des Blood n’avait pas de revendication valide.

A.  Obligation du Canada envers les Premières Nations

[360]  Le titre de propriété d’une terre aborigène ou indien est un droit légal provenant du fait qu’ils ont toujours occupé ou possédé leurs terres tribales.

[361]  Comme en l’espèce, de nombreuses bandes ont négocié des traités avec la Couronne aux termes desquels elles ont cédé leur titre et leurs terres ancestrales en échange d’avantages que la Couronne a consentis à fournir. Lorsqu’une réserve est créée aux termes d’un traité pour une bande, le titre sur les terres ne sont pas transmis à la bande, mais c’est plutôt la Couronne qui détient le titre en fief simple : arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, 130 DLR (4th) 193, au paragraphe 34 [arrêt rivière Blueberry]. Cela ne veut pas dire que la Couronne peut faire ce qu’elle veut avec la terre de réserve. Comme le juge Dickson l’a observé dans l’arrêt Guerin c La Reine [1984] 2 RCS 335, à la page 376, 13 DLR (4th) [arrêt Guerin], le Canada a une obligation d’equity d’utiliser ces terres au profit des Indiens.

À mon avis, la nature du titre des Indiens et les modalités prévues par la Loi relativement à l’aliénation de leurs terres imposent à Sa Majesté une obligation d’equity, exécutoire en justice, d’utiliser ces terres au profit des Indiens. Cette obligation ne constitue pas une fiducie au sens du droit privé. Il s’agit plutôt d’une obligation de fiduciaire. Si, toutefois, Sa Majesté manque à cette obligation de fiduciaire, elle assumera envers les Indiens exactement la même responsabilité qu’aurait imposée une telle fiducie.

[362]  Dans l’arrêt Guerin, la Cour suprême du Canada a aussi observé que même avant la création d’une réserve, un rapport fiduciaire entre la Couronne et la Première Nation peut naître. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Wewakyum, au paragraphe 86, avant de créer une réserve, « l’obligation de la Couronne à cet égard se limite aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation ».

[363]  La portée de cette obligation fiduciaire est ensuite élargie après la création d’une réserve :

Après la création de la réserve, la portée de l’obligation de fiduciaire de la Couronne s’élargit et vise la préservation de l’intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard.

Au paragraphe 100, lorsqu’il aborde la protection contre l’exploitation, le juge Binnie affirme que « la Couronne doit faire montre de la diligence ordinaire requise pour éviter l’empiétement ou la destruction de l’intérêt quasi propriétal de la bande en raison d’un marché abusif avec des tiers, voire de mesures qui seraient prises par la Couronne elle-même et constitueraient de l’exploitation ». [Non souligné dans l’original.]

[364]  Le juge Binnie a aussi observé, au paragraphe 86, que le « contenu de l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger ». À cet égard, je note qu’aucune affaire canadienne n’a été invoquée par les parties dans laquelle il a été conclu que l’intérêt d’un peuple aborigène dans sa réserve n’est pas de la plus grande importance.

[365]  En plus de ces obligations, la Cour a aussi conclu que la Couronne avait l’obligation de consulter une Première Nation en ce qui concerne ses terres. Dans la décision Fairford First Nation c Canada (Procureur général) (1998), [1999] 2 CF 48, 156 FTR 1 (CF 1re inst.) [décision Fairford], aux paragraphes 198 et 199, le juge Rothstein a examiné l’obligation fiduciaire de consultation particulière de la Couronne, citant le juge en chef Lamer dans l’arrêt Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4th) 193 [arrêt Delgamuukw], au paragraphe 168 :

Cet aspect du titre aborigène indique qu’il est possible de respecter les rapports de fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones en faisant participer les peuples autochtones à la prise des décisions concernant leurs terres. Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si un groupe autochtone a été consulté est pertinente pour décider si l’atteinte au titre aborigène est justifiée, au même titre que le fait pour la Couronne de ne pas consulter un groupe autochtone au sujet des conditions auxquelles des terres d’une réserve sont cédées à bail peut constituer un manquement à l’obligation de fiduciaire de celle‑ci en common law: Guerin. La nature et l’étendue de l’obligation de consultation dépendront des circonstances. Occasionnellement, lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s’agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises au sujet des terres détenues en vertu d’un titre aborigène. Évidemment, même dans les rares cas où la norme minimale acceptable est la consultation, celle-ci doit être menée de bonne foi, dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu. Dans la plupart des cas, l’obligation exigera beaucoup plus qu’une simple consultation. Certaines situations pourraient même exiger l’obtention du consentement d’une nation autochtone, particulièrement lorsque des provinces prennent des règlements de chasse et de pêche visant des territoires autochtones. [Non souligné dans l’original.]

[366]  Compte tenu de ces précédents, je conclus que le Canada avait les obligations fiduciaires suivantes à l’égard de la tribu des Blood en raison de la conclusion du Traité 7, tel qu’il a été modifié par l’accord de Red Crow :

[367]  Ces obligations fiduciaires sont très larges. Nous allons chercher à savoir si le Canada a respecté ses obligations relativement à une conduite précise. Les demandeurs ont formulé un certain nombre de plaintes relativement à la conduite du Canada. Je préfère aborder la question du manquement à l’obligation fiduciaire du Canada en tenant compte des deux revendications principales de la tribu des Blood : 1) le défaut de mettre en application les DFIT issus du Traité et 2) la prise des terres incluses dans le levé de 1882.

[368]  La tribu des Blood allègue aussi un manquement à l’obligation fiduciaire lié à la grande revendication; toutefois, comme j’ai estimé que la grande revendication n’avait pas été prouvée selon la prépondérance des probabilités, on ne peut pas conclure que le Canada a manqué à son obligation à l’égard de la tribu des Blood à cet égard.

B.  Obligation de mettre en œuvre le Traité

[369]  Le Canada a l’obligation de respecter les promesses contenues dans les traités avec honneur et intégrité. Le juge Hennessy l’a récemment bien exprimé dans l’arrêt Restoule v Canada (Attorney General), 2018 ONSC 7701 [arrêt Restoule], aux paragraphes 3 et 538 :

[traduction]

Le principe de l’honneur de la Couronne et la doctrine de l’obligation fiduciaire imposent à la Couronne l’obligation de satisfaire à la promesse des traités avec diligence pour arriver à ses fins (p. ex. refléter la valeur des territoires dans les annuités) et respecter d’autres obligations dont on peut saisir les tribunaux.

[…]

L’honneur de la Couronne nécessite que la Couronne respecte les promesses des traités avec honneur, diligence et intégrité. L’obligation d’honneur inclut aussi l’obligation d’interpréter et de mettre en œuvre les traités téléologiquement et de manière libérale et généreuse.

[370]  En appliquant le Traité 7, tel qu’il a été modifié par l’accord de Red Crow, tel que cela est expliqué dans l’arrêt Delgamuukw, le Canada a l’obligation de consulter la tribu des Blood concernant l’emplacement de sa réserve. C’est ce que le Canada a fait. Il ressort du dossier que le Canada a consulté la tribu des Blood et la première indication du fait que le Canada a appris qu’elle pourrait revendiquer un intérêt à l’égard d’un secteur plus grand semble avoir été en 1888. Je ne suis pas convaincu qu’une consultation plus approfondie de la banque que celle qui a eu lieu avant de tracer la réserve dans le levé de 1882 aurait divulgué que la tribu des Blood affirmait un tel intérêt. De plus, il est clair que même si cela avait été le cas, la zone de la grande revendication revendiquée va bien au-delà de la formule des DFIT, même avec le chiffre de population que j’ai déterminé. Pour ces motifs, je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’obligation de consultation lors de la mise en œuvre du Traité tel qu’il a été modifié.

[371]  Le Canada, ayant promis à la tribu des Blood une réserve égale à un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, devait d’abord déterminer de la population de la tribu des Blood. J’admets que ce n’était pas une tâche facile étant donné que les Blood étaient un peuple nomade à cette époque et qu’ils prenaient activement part à la chasse au bison.

[372]  Le défi lié à la vérification auprès de la population explique vraisemblablement pourquoi, comme l’on dit les experts, le Canada utilisait habituellement le nombre de personnes recevant les annuités aux termes du Traité comme le recensement de fait d’une bande. Cela explique probablement aussi pourquoi, comme l’ont dit les experts, le tracé des réserves était généralement plus grand que ce qui était nécessaire compte tenu de ce chiffre établi de fait pour laisser une marge d’erreur.

[373]  Il n’y a aucun élément de preuve sur la manière dont le Canada en est arrivé à une réserve de 650 milles carrés créée par le levé de 1882. La taille de la réserve semble fondée sur une population de 3 250 membres de la tribu des Blood. Sans preuve de la manière dont le Canada en est arrivé au chiffre de population qu’il semble avoir utilisé, et compte tenu de ma conclusion selon laquelle la population réelle était de 3 550 personnes, je conclus que le Canada n’a pas respecté son obligation issues du traité de fournir une réserve égale aux DFIT.

C.  L’obligation du Canada à l’égard de la tribu des Blood après la création de la réserve

[374]  J’ai conclu que la réserve des Blood a été créée par le sondage de 1882. Une zone de 650 milles carrés a été mise de côté. Le Canada avait ensuite l’obligation de protéger et de préserver cette réserve. J’estime que le Canada n’a pas respecté cette obligation.

[375]  D’abord, en avril 1882, le Canada a loué une partie de la réserve telle qu’elle est définie par le levé de 1882 à des tierces parties aux termes de baux de pâturage.

[376]  Après avoir loué la terre, ce n’est qu’en mai 1883 que le Canada s’est renseigné pour vérifier s’il existait un chevauchement entre la réserve et la terre louée; il a ensuite découvert que c’était le cas. Le Canada a ensuite pris les mesures pertinentes pour informer les loueurs que la description des terres louées allait devoir être modifiée. Toutefois, les descriptions n’ont pas été modifiées.

[377]  Ce qui s’est passé, comme cela a été expliqué plus tôt, c’est que les fonctionnaires canadiens du ministère des Affaires indiennes ont pris des mesures pour déplacer la limite sud de la réserve pour qu’il n’y ait pas de chevauchement de la terre louée. Cela a été fait sans que la tribu des Blood en soit jamais informée – un manquement à l’obligation du Canada. Cela a été fait sans que la tribu des Blood ait été consultée – un manquement à l’obligation du Canada. Cela a été fait sans l’obtention d’une cession de la bande – un manquement à l’obligation du Canada. Cela a aussi été fait sans que la terre prise avec d’autres terres ne soit remplacée, ce qui était donc aussi un manquement à la formule des DFIT – un manquement à l’obligation du Canada. En bref, le Canada a manqué son obligation fiduciaire à l’égard de la tribu des Blood et a manqué à son honneur en faisant passer les intérêts des titulaires de domaine à bail blancs devant les intérêts dans la terre, qu’elle devait préserver et protéger.

[378]  J’estime aussi que le Canada a manqué à son obligation à l’égard de la tribu des Blood en 1888, quand ses fonctionnaires ont dit à Red Crow et à d’autres que la réserve telle qu’elle avait été tracée par le levé de 1883 leur donnait une réserve plus grande que ce à quoi ils avaient droit aux termes des modalités du Traité 7. Premièrement, cette déclaration est erronée compte tenu du chiffre de population déterminé en l’espèce. Deuxièmement, rien n’indique que M. Pocklington, qui a fait cette déclaration, s’était renseigné pour en vérifier la véracité ou savait personnellement qu’elle était exacte. Troisièmement, en faisant cette déclaration, le Canada a effectivement porté la tribu des Blood à mettre de côté toute considération selon laquelle elle avait droit à plus. Cela explique, en partie, le fait d’avoir tardé à soulever la revendication selon laquelle la réserve des Blood n’était pas aussi grande qu’elle devrait l’être.

[379]  Pour ces motifs, je conclus que la tribu des Blood, selon la prépondérance des probabilités, a prouvé que le Canada avait manqué à son obligation fiduciaire à l’égard de la bande lors de l’application le Traité 7 et dans en traitant avec la bande après la création de la réserve des Blood.

VII.  MOYEN DE DÉFENSE FONDÉ SUR LA PRESCRIPTION

[380]  Le Canada invoque le délai de prescription légal et la prescription en equity de la diligence, de l’acquiescement, de l’élection, du retard, de l’exemption et de l’irrecevabilité. Je vais d’abord analyser les moyens de défense du Canada selon les lois incorporées par le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, notamment la Loi sur la responsabilité de la Couronne, la Limitation of Actions Act de 1935, SA 1935, c 8 [la Limitation of Actions Act de 1935], la Limitation of Actions Act, RSA 1970, c 209 [la Limitation of Actions Act de 1970], et la Limitation of Actions Act, RSA 1980, c L-15 [la Limitation of Actions Act de 1980]. J’examinerai ensuite les moyens de défense en equity que le Canada a invoqués dans sa défense modifiée.

A.  Application de la Loi sur la responsabilité de la Couronne

[381]  Le Canada a prétendu dans sa plaidoirie que la Loi sur la responsabilité de la Couronne éteint la capacité des demandeurs d’intenter une action contre la Couronne. Le paragraphe 24(1) est rédigé ainsi :

[traduction]

Il ne peut être engagé de procédures contre la Couronne en vertu de la présente Loi à raison d’un acte, d’une omission, d’une transaction, d’une question ou d’une chose s’étant produits ou ayant existé avant le 14e jour du mois de mai 1953.

[382]  Le Canada prétend qu’étant donné que les événements propres à la présente instance se sont produits avant 1953, le manquement à l’obligation fiduciaire et le manquement aux revendications du traité sont prescrits. La tribu des Blood prétend en réponse que la Loi sur la responsabilité de la Couronne ne s’applique pas à la présente revendication, car elle ne fait qu’établir le droit d’intenter des actions contre la Couronne pour responsabilité délictuelle. Le droit d’intenter une action contre la Couronne pour manquement à une obligation fiduciaire existe indépendamment de cette Loi.

[383]  Je suis d’accord avec la tribu des Blood pour dire que la Loi sur la responsabilité de la Couronne ne s’applique pas à la présente action. Le paragraphe 24(1) prévoit expressément que la prescription ne s’applique qu’aux « procédures intentées contre la Couronne aux termes de la présente loi ». [Non souligné dans l’original.] Il ressort d’un examen de cette loi que des procédures peuvent être intentées sous son régime en ce qui a trait à la responsabilité délictuelle, mais il n’y a aucune mention d’obligation fiduciaire, de manquement à un traité ou de toute autre disposition générale. Je suis d’accord avec la tribu des Blood pour dire que la capacité d’intenter une action contre la Couronne pour manquement à son obligation fiduciaire est indépendante de cette loi : voir, par exemple l’arrêt Guerin, aux paragraphes 94 à 105. Il en va de même pour le manquement au traité, qui est abordé ci-dessous.

B.  Application des lois provinciales sur la prescription au Traité et aux droits ancestraux

[384]  La tribu des Blood prétend que les lois provinciales sur la prescription ne s’appliquent pas à sa revendication portant sur la réserve créée par le levé de 1882 ni à sa revendication selon laquelle les DFIT n’ont pas été respectés, ni à la grande revendication.

[385]  Concernant la réserve créée par le levé de 1882, la tribu des Blood a affirmé qu’une [traduction] « une loi provinciale sur la prescription ne peut pas priver la tribu des Blood de “terres réservées pour les Indiens” une fois qu’une réserve est créée ». En ce qui a trait à la revendication concernant les DFIT, elle affirme qu’[traduction] « une loi provinciale sur la prescription ne peut pas éteindre un droit issu de traités » et elle affirme que les DFIT sont des droits issus de traités.

[386]  Elle fait valoir qu’opposer la prescription de ces revendications aurait une incidence sur les « terres réservées pour les Indiens », ce qui relève de la compétence du gouvernement fédéral aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de1867, 30 et 31 Victoria, c 3 (R.-U.).

[387]  Les lois provinciales sur la prescription s’appliquent aux termes du paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [la Loi] :

Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

[388]  Le Canada prétend que cet argument avancé par la tribu des Blood a déjà été examiné et a été écarté par la Cour et par des tribunaux d’instance supérieure. Le juge Russell a récemment abordé la question dans la décision Première nation Samson c Canada, 2015 CF 836 [décision Samson], aux paragraphes 111 à 113. Se fondant sur les décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Wewaykum et Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14 (sub nom Papaschase) [arrêt Lameman], il a conclu, au paragraphe 112, que les « lois en matière de prescription ainsi que les principes du manque de diligence et de l’acquiescement s’appliquent aux demandes faites contre le Canada même lorsque les droits en jeu sont des droits issus de traités et des droits ancestraux protégés par la Constitution ». Son jugement a été confirmé en appel [39] et une demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada a été rejetée [40] .

[389]  La tribu des Blood affirme que ces décisions antérieures n’empêchent pas son observation. Ces décisions ne sont pas comme la présente action, car elles avaient trait à des revendications personnelles et les demandeurs ne cherchaient pas à obtenir des terres ou une indemnisation tenant lieu de celles-ci. En l’espèce, la tribu des Blood affirme, selon ses dires, présenter une revendication réelle relative aux terres de réserves.

[390]  Les demandeurs affirment aussi que l’article 88 de la Loi sur les Indiens étaye leur thèse selon laquelle la terre n’était pas censée à être touchée par la prescription provinciale. Même s’il prévoit que les lois d’application générales en vigueur dans une province sont applicables aux Indiens, il ne contient aucune référence à de telles lois s’appliquant aux réserves ou aux terres réservées pour les Indiens. Selon eux, ces objets sont tout particulièrement exclus.

[391]  Le Canada prétend que les revendications des demandeurs sont en réalité personnelles étant donné qu’il demande des dommages-intérêt. Il cite l’arrêt Blood Band v Canadian Pacific Railway, 2017 ABQB 292 pour affirmer que la différence entre une revendication réelle et personnelle est une question de fond et non de forme. Le Canada a attiré l’attention de la Cour sur la déclaration modifiée dans laquelle les demandeurs sollicitent une indemnisation et des dommages-intérêts généraux. En outre, bien qu’il reconnaisse que la tribu des Blood demande aussi des terres, il affirme que la tribu des Blood ne demande pas de bien précis.

[392]  Je rejette l’observation de la tribu des Blood selon laquelle les lois provinciales sur la prescription ne peuvent pas s’appliquer aux revendications en l’espèce, et ce, pour au moins deux raisons.

[393]  D’abord, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blueberry River, au paragraphe 104 et dans l’arrêt Wewaykum, au paragraphe 108, en invoquant un moyen de défense fondé sur la prescription prévu par les lois provinciales, un défendeur n’applique pas les lois provinciales sur la prescription proprement dites. L’article 39 des Loi sur les Cours fédérales a pour effet d’intégrer dans la loi fédérale les délais de prescription provinciaux en vigueur dans la province où la cause d’action a pris naissance. Bien qu’il semble appliquer la loi provinciale, le moyen de défense du Canada applique la loi fédérale. C’est clairement ce qu’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wewaykum, au paragraphe 116 :

Le Parlement peut, dans l’exercice de sa compétence législative exclusive, faire sienne la loi d’un autre législateur : Coughlin c Ontario Highway Transport Board, [1968] RCS 569; Attorney General for Ontario c. Scott, [1956] RCS 137. C’est précisément ce qu’il a fait en édictant la disposition qui est maintenant le par. 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

Par conséquent, l’interprétation que fait la tribu des Blood de l’article 88 ne s’applique pas, puisque c’est une loi fédérale et non provinciale qui régit les réserves et les terres réservées pour les Indiens.

[394]  Ensuite, l’observation des demandeurs selon laquelle les lois sur la prescription les privent de terres de réserve ou éteignent un droit issu de traités est entachée d’un vice fondamental. Ce n’est pas l’effet de la prescription; elle prévoit qu’une instance relative à une revendication concernant des terres de réserve ou un droit issu de traités doit être introduire au cours d’une certaine période après la communication de la revendication. L’impossibilité ultérieure de donner suite à la revendication tient à l’inaction du demandeur. Il existe une différence importante entre une loi qui éteint un droit et une loi qui établit le délai dans lequel un droit peut être exercé sur un autre.

[395]  Cet argument a effectivement été mis en avant par le juge Russell dans l’arrêt Samson, au paragraphe 129 :

Selon le deuxième argument de Samson, l’application d’un délai de prescription a pour effet d’anéantir des droits ancestraux et issus de traités enchâssés dans la Constitution ou d’y porter atteinte. À mon avis, Samson demande simplement à la Cour de faire fi de précédents clairs qui nous enseignent que les délais de prescription n’éteignent pas de droits, mais ne font que rendre irrecevables les recours fondés sur ces droits. Comme l’arrêt Chippewas, précité, l’indique clairement, une demande de réparation n’est pas un droit ancestral ou issu d’un traité, et les délais de prescription ne font qu’empêcher d’obtenir la réparation. Samson ne tient pas compte de la jurisprudence qui établit une distinction entre une règle de fond et une règle de procédure dans le contexte de la prescription et invoque l’arrêt Tolofson, précité, une affaire de droit international privé, au soutien de la requête dont la Cour est maintenant saisie alors que, selon une jurisprudence bien établie sur la question, la Cour suprême du Canada a affirmé que les délais de prescription s’appliquent à ce type d’affaires.

[396]  La tribu des Blood prétend aussi que la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba Metis Federation Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14 [arrêt Manitoba Métis] permet d’affirmer que les principes de réconciliation peuvent militer contre l’application de lois sur la prescription. Selon moi, elle fait valoir qu’un juge qui préside a la discrétion de renoncer aux délais de prescription relativement aux questions de droit indigène pour permettre une réconciliation.

[397]  En réponse, le Canada prétend que l’action en l’espèce est différente de l’arrêt Manitoba Métis, car la tribu des Blood ne sollicite pas de jugement déclaratoire. Bien que des ordonnances déclarant qu’il y a eu un manquement à l’obligation fiduciaire soient sollicitées dans les actes de procédure, le Canada affirme que [traduction] « l’utilisation du mot “déclarant” ne fait pas de la demande en l’espèce un jugement déclaratoire ». Le Canada prétend que, au fond, un redressement sous forme d’indemnisation est sollicité dans les actes de procédure.

[398]  Je n’interprète pas l’arrêt Manitoba Métis comme enseignant que j’ai la discrétion de renoncer au délai de prescription. La Cour suprême du Canada a précisément reconnu, au paragraphe 138, que sa décision ne modifie pas l’ancienne loi en ce qui a trait à l’application des lois sur la prescription :

Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel que ce délai de prescription s’applique aux demandes des Autochtones pour manquement à une obligation fiduciaire relative à la gestion de leurs biens (Wewaykum, par. 121, et Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 R.C.S. 372, par. 13).

[399]  L’arrêt Manitoba Métis porte sur le défaut du gouvernement d’exécuter une disposition de la Loi sur le Manitoba, un document constitutionnel et une demande de jugement déclaratoire. Comme l’ont expliqué la juge en chef McLachlin et la juge Karakatsanis, il n’y a eu aucune sollicitation de réparation personnelle, demande de dommages-intérêts, ni revendication territoriale : le jugement déclaratoire sollicité visant plutôt à faciliter les négociations extrajudiciaires. L’arrêt Manitoba Métis portait plutôt sur une question très différente de celle dont la Cour est saisie en l’espèce. Je suis d’avis que l’arrêt n’enseigne pas qu’un juge qui préside peut renoncer au délai de prescription dans le contexte d’une revendication dans laquelle le demandeur cherche à obtenir des terres ou des dommages-intérêts en tenant lieu.

[400]  Pour conclure, j’écarte l’observation des demandeurs selon laquelle il est inconstitutionnel d’intégrer une loi provinciale dans une loi fédérale aux termes de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales.

C.  Lois provinciales sur la prescription pertinentes

[401]  Au moment où la présente action a été intentée, les terres issues du Traité 7 de la tribu des Blood sont ce qui avait le lien le plus important avec les causes d’action. Ces terres se situent aujourd’hui dans la province de l’Alberta et le Canada affirme que la présente action est prescrite aux termes de la Limitation Act de 2000 et des lois qui l’ont précédée.

[402]  Les demandeurs prétendent qu’il n’est pas possible d’appliquer les lois de l’Alberta sur la prescription à une revendication introduite dans les Territoires du Nord-Ouest [41] . Ils affirment que l’Acte de l’Alberta, 1905, 4‑5 Edouard VII, c 3 (Canada) [l’Acte de l’Alberta], ne confère pas à l’Alberta le pouvoir d’adopter des lois applicables à des événements antérieurs à la création de la province le 5 septembre 1905. Ils soutiennent que l’article 10 de l’Acte de l’Alberta vise à restreindre les pouvoirs réglementaires à appliquer aux questions qui « seront, en tant qu’ils pourront être exercés après l’union, en tant qu’après l’entrée en vigueur de la présente loi ils pourront être exercés relativement au gouvernement de la dite province ». [Non souligné dans l’original.] Ils affirment que l’Acte de l’Alberta n’a jamais conféré à la province de l’Alberta le pouvoir d’adopter des lois qui seraient applicables à des événements s’étant produits avant le 5 septembre 1905, dans les Territoires du Nord-Ouest. Dans leur observation, l’Acte de l’Alberta fait partie de la Loi constitutionnelle de 1982 par l’article 53 et l’annexe; ainsi, toute loi incompatible avec celui-ci serait inconstitutionnelle et inopérante. Par conséquent, ils affirment que la loi sur la prescription pertinente est celle des Territoires du Nord-Ouest actuels, car c’est là où la cause d’action a été introduite : arrêt Tolofson c Jensen, [1994] 3 RCS 1022, 120 DLR (4th) 289. La tribu des Blood affirme que le Canada n’a pas invoqué de loi des Territoires du Nord-Ouest sur la prescription, et que par conséquent, il ne peut pas invoquer un moyen de défense fondé sur la prescription.

[403]  Je suis d’accord avec l’observation du Canada sur la faisabilité de la mise en application de la loi de l’Alberta. Considéré dans son ensemble, l’objet de l’article 10 de l’Acte de l’Alberta n’est pas celui qu’affirment les demandeurs. Il vise plutôt à transférer les pouvoirs du lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest au lieutenant-gouverneur de l’Alberta. Il ne limite pas la capacité de l’Alberta à adopter une loi sur la prescription. Voici l’article en question :

Les pouvoirs, l’autorité et les fonctions qui en vertu de toute loi étaient, avant l’entrée en vigueur de la présente, attribués au lieutenant-gouverneur des territoires du Nord-Ouest et pouvaient être exercés par lui de l’avis, ou de l’avis et du consentement du conseil exécutif de ces territoires, ou avec la coopération de ce conseil ou d’aucun membre du dit conseil, ou par le dit lieutenant-gouverneur individuellement, seront, en tant qu’après l’entrée en vigueur de la présente loi ils pourront être exercés relativement au gouvernement de la dite province, attribués au lieutenant-gouverneur de la dite province et pourront être par lui exercés de l’avis, ou de l’avis et du consentement, ou avec la coopération du conseil exécutif de la dite province ou d’aucun de ses membres ou par le Lieutenant-gouverneur individuellement, selon le cas; mais ils peuvent être mis à néant ou modifies par la législature de la dite province.

[404]  Le Canada prétend, et je suis d’accord, que la section 16 de l’Acte de l’Alberta est la disposition pertinente. Il y est expliqué que l’Alberta a hérité des lois et des tribunaux des Territoires du Nord-Ouest et a la capacité de les modifier :

Toutes les lois et les ordonnances et tous les règlements établis sous leur autorité, en tant qu’ils ne dérogent à aucune disposition de la présente loi ou en ce que la présente loi ne contient pas de disposition destinée à leur être substituée, et tous les tribunaux de juridiction civile et criminelle et les commissions, les pouvoirs, autorités et fonctions, et tous les officiers et fonctionnaires judiciaires, administratifs et ministériels existant immédiatement avant l’entrée en vigueur de la présente loi dans le territoire qu’elle constitue en province, continueront d’exister dans la province d’Alberta comme si la présente loi et l’Acte de la Saskatchewan n’eussent pas été rendus; sauf, toutefois (à l’exception de ce qui a été édicté par actes du parlement de la Grande-Bretagne et du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et de ce qui existe en vertu de ces actes), abrogation, abolition ou modification par le parlement du Canada ou par la législature de la dite province dans l’exercice de l’autorité qu’a le Parlement ou la dite législature. Mais tous les pouvoirs, autorités, et fonctions dont, en vertu d’une loi, d’une ordonnance ou d’un règlement, un officier ou fonctionnaire public des territoires du Nord-Ouest avait l’attribution et qu’il pouvait exercer avant l’entrée en vigueur de la présente loi, continueront d’être attribués à pareils officiers ou fonctionnaires publics de la dite province nommés par l’autorité compétente et peuvent être exercés par eux dans et pour la dite province.

[405]  La situation en l’espèce correspond à celle de l’arrêt R v Lefebvre, [1987] 1 WWR 481, 41 DLR (4th) 311, (Cour d’appel de l’Alberta), dans lequel il a été examiné si un article de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest permettant la tenue de procès en anglais ou en français demeurait en vigueur. La Cour d’appel de l’Alberta a jugé que l’article 16 de l’Acte de l’Alberta maintenait les lois existantes en vigueur, mais ensuite, la province les a modifiées. En l’espèce, l’Alberta a hérité des lois des Territoires du Nord-Ouest, y compris les ordonnances concernant la prescription des actions [42] et qu’elle était libre de les modifier, et c’est ce qu’elle a fait.

[406]  Cette logique ressort aussi de l’examen de différentes lois de l’Alberta sur la prescription. En 1922, l’Alberta a adopté la Limitation of Actions Act, RSA 1922, c-90, qui comprenait une loi sur la prescription en anglais liée aux biens immobiliers adoptée en 1874. Elle contenait des dispositions transitoires à l’article 3 expliquant qu’elle [traduction] « devra être réputée être entrée en vigueur dans la Province et dans les Territoires du Nord-Ouest depuis de son adoption [en 1874] ». La loi de 1935, la Limitation of Actions Act de 1935 a précisément abrogé et remplacé la loi de 1922, qui à son tour a été abrogée et remplacée, jusqu’à la Limitation of Actions Act de 1970.

[407]  Je suis d’avis que l’article 16 de l’Acte de l’Alberta a permis au législateur de l’Alberta de modifier la loi qui portait sur les Territoires du Nord-Ouest en introduisant ses propres lois sur la prescription. Par conséquent, la Limitation of Actions Act de 1970, n’est pas inconstitutionnelle et est applicable à la présente affaire, qui a été introduite dans les limites géographiques définies à l’article 2 de l’Acte de l’Alberta.

[408]  Si j’avais conclu que l’Alberta n’avait pas le pouvoir d’établir une prescription applicable aux Territoires du Nord-Ouest, j’aurais admis l’observation subsidiaire du Canada selon laquelle l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales s’applique. La partie pertinente de l’article 39 est rédigée ainsi : « Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province ». Étant donné que les Territoires du Nord-Ouest ne sont pas une province, la cause d’action « n’est pas survenu[e] dans une province » et est assujettis à un délai de prescription de six ans : voir la décision R v Karl Mueller Const Ltd, [1989] 3 FC 626, 29 FTR 1 (TD), au paragraphe 55, qui portait sur l’article remplacé par l’article 39.

[409]  Pour ces motifs, je conclus que les lois provinciales pertinentes sont celles de l’Alberta.

D.  Loi de l’Alberta sur la prescription

[410]  Les demandeurs ont intenté la présente action le 10 janvier 1980. À cette époque, la loi sur la prescription en vigueur en Alberta était la Limitation of Actions Act de 1970. Bien que les événements ayant donné lieu à la présente action se soient produits bien avant cette loi, et, en effet, comme nous l’avons établi, avant l’établissement de la province de l’Alberta, cette loi s’appliquait aux termes de l’article 3 qui prévoit que [traduction] « [l]es dispositions de la présente Loi s’appliquent à toutes les causes d’action, le cas échéant ». [Non souligné dans l’original].

[411]  Les alinéas de la Limitation of Actions Act de 1970 pertinent en l’espèce sont les alinéas 5(1)e) et g) :

[TRADUCTION]

5(1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci-après :

[…]

e) une action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en equity qui n’est pas régi par les dispositions qui précèdent se prescrit par 6 ans, à compter de la découverte de la cause d’action;

[…]

g) une autre action qui n’est pas expressément régie par une disposition de la présente loi ou d’une autre loi se prescrit par 6 ans, à compter de la naissance de la cause d’action.

[412]  Je suis d’accord avec le Canada pour dire que toutes les causes d’action invoquées par la tribu des Blood sont visées par ces dispositions. Un manquement à l’obligation fiduciaire est une cause d’action en equity et pourrait être visé par l’alinéa 5(1)e), ou subsidiairement, la disposition prévue à l’alinéa 5(1)g). Un manquement au traité n’est pas précisément prévu par la Limitation of Actions Act de 1970 et serait donc visé par l’alinéa 5(1)g).

[413]  Le Canada a aussi invoqué l’ensemble des lois sur la prescription antérieures à la Limitation of Actions Act de 1970, y compris la Limitation of Actions Act de 1935; la Loi de la cour de l’Échiquier SRC 1927, c 140 et la Loi de la cour de l’Échiquier, SRC 1958 c 98, correspondantes. La chronologie des délais de prescription de l’Alberta et ceux des Territoires du Nord-Ouest m’a été bien expliquée par les deux parties et est aussi examinée en profondeur par le juge Slatter dans une décision de première instance dans la décision Papaschase Indian Band No 136 v Canada (Attorney General), 2004 ABQB 655. Toutefois, les deux parties sont d’accord pour dire que si une loi de l’Alberta sur la prescription s’applique, c’est la Limitations of Actions Act de 1970. Je souligne que les périodes de prescription pertinentes sont les mêmes dans la Limitation of Actions Act de 1935, la Limitation of Actions Act de 1970 et la Limitation of Actions Act de 1980.

E.  Exception en matière de fiducie dans la Limitation of Actions Act de 1970

[414]  Les demandeurs prétendent que leurs revendications en matière de manquement à une obligation fiduciaire ne sont pas visées par la période de prescription de six ans, en raison des exceptions en matière de fiducie prévues aux articles 40 et 41 de la Limitation of Actions Act de 1970. Ces articles sont reproduits ici :

[traduction]

40. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, aucune loi portant sur la prescription ne peut être interprétée de façon à limiter le droit du bénéficiaire d’introduire une cause ou une affaire contre le fiduciaire à l’égard des biens qu’il détient en conformité avec une fiducie explicite ou à l’égard de tout manquement de sa part à ses obligations de fiduciaire.

41. (1) Dans le présent article, « fiduciaire » s’entend également de l’exécuteur testamentaire, de l’administrateur, du fiduciaire dont la fiducie est judiciaire ou se déduit du droit, du fiduciaire explicite et du fiduciaire conjoint.

a) les droits et privilèges conférés par la présente loi s’exercent de la même manière et dans la même mesure que si, dans cette action, le fiduciaire ou son ayant droit n’avait pas été un fiduciaire ou un ayant droit du fiduciaire;

b) si l’action est intentée pour recouvrer du numéraire ou d’autres biens et est une action à laquelle ne s’applique aucune disposition de la présente loi relative à la prescription, le fiduciaire ou son ayant droit peut invoquer et opposer à cette action le délai de prescription qu’ils auraient pu invoquer ou opposer

si la réclamation avait été faite contre eux dans une action pour dette et peuvent le faire de la même manière et dans la même mesure que dans ce dernier cas.

(2) Dans une action à l’encontre d’un fiduciaire ou d’un ayant droit du fiduciaire, à l’exclusion d’une demande fondée sur la fraude ou sur un manquement frauduleux aux obligations fiduciaires et dont le fiduciaire en fait partie ou en a connaissance, ou dans une action pour récupérer un bien en fiducie précédemment obtenu par le fiduciaire et aménagé pour être utilisé par ce dernier. 

[415]  Les demandeurs prétendent que le Canada était le fiduciaire des terres de réserve au profit de la tribu des Blood, et ils prétendent que le Canada a manqué à une obligation de fiduciaire en ne tenant pas bien compte de la population des Blood dans la revendication relative aux DFIT.

[416]  Les demandeurs, dans leur réponse, laissent entendre que leurs arguments de manquement aux obligations fiduciaires reposent sur l’existence d’une fiducie par interprétation. Cependant, dans leurs observations orales, ils ont expliqué que pour ce qui est de la prescription, leurs revendications devraient être traitées comme des fiducies explicites parce qu’elles s’inscrivent dans l’exception présentée dans Soar v Ashwell, [1893] 2 QB 390 (CA), étant donné que le Canada détenait un bien en fiducie et n’a pas géré ce bien conformément à une fiducie dont il avait connaissance.

[417]  Ils ont également affirmé, dans leurs observations orales, que leurs revendications s’inscrivaient dans deux des exceptions présentées au paragraphe 41(2) de la Limitation of Actions Act de 1970. Ils ont expliqué que le Canada est un fiduciaire dont la fiducie est judiciaire ou se déduit du droit, et qu’il est aussi un fiduciaire explicite. Ils ajoutent que la prescription ne s’applique pas étant donné que l’action repose sur une fraude ou un manquement frauduleux aux obligations fiduciaires, et parce que leur action vise à récupérer un bien en fiducie précédemment obtenu par le fiduciaire et aménagé pour être utilisé par ce dernier.

[418]  Je conviens avec le Canada que l’article 40 de la Limitation of Actions Act de 1970 ne s’applique pas en l’espèce puisqu’il n’existe pas de fiducie explicite. Comme l’a expliqué le juge Dickson à la page 386 de l’arrêt Guerin, même si la relation s’apparente à une fiducie, les terres d’une réserve ne sont pas détenues en fiducie :

Je suis d’accord avec le juge Le Dain pour dire qu’avant une cession, Sa Majesté ne possède pas les terres en fiducie pour les Indiens. Je suis également d’accord pour dire qu’au moment de la cession l’obligation de Sa Majesté ne se cristallise pas d’une manière ou d’une autre en fiducie explicite ou implicite. Le droit des fiducies constitue un domaine juridique très perfectionné et spécialisé. Pour qu’il y ait fiducie explicite, il faut un disposant, un bénéficiaire, une masse fiduciaire, des mots portant disposition, certitude quant à l’objet et certitude quant à l’obligation. Ces éléments ne sont pas tous présents en l’espèce.

[419]  Pour qu’il y ait fiducie explicite, il faut, entre autres, une certitude quant à l’obligation. Aucun des faits énoncés ne démontre qu’il existait une intention d’établir une fiducie explicite lors de la création de la réserve des Blood avec le levé de 1882. Il en va de même en ce qui concerne le Traité 7 et la formule des DFIT. Cet article ne s’applique donc pas.

[420]  L’article 41 de la Limitation of Actions Act de 1970 ne s’applique pas non plus parce que le Canada n’est pas un fiduciaire au sens prévu par le paragraphe 41(1). Le critère pour déterminer l’existence d’un fiduciaire aux fins d’application du paragraphe 41(1) est couramment appelé la « règle » de Soar v Ashwell. Selon cette règle, comme l’a expliqué le vicomte Cave dans Taylor v Davies, [1920] AC 636 (PC), il faut que la [traduction] « fiducie ait pris naissance avant la survenue de la transaction attaquée, et non qu’elle prenne naissance uniquement en raison de cette transaction ».

[421]  Dans Taylor v Davies, le Conseil privé interprétait une loi de l’Ontario, la Limitations Act, RSO 1914, c 75, article 47, dont le libellé est le même que celui de la Limitation of Actions Act de 1970. L’inspecteur de faillite du défendeur avait acheté pour lui-même une partie des biens du failli. La demanderesse tentait de faire valoir qu’une révision récente de la loi ontarienne, ayant entraîné l’ajout de la phrase [traduction] « un fiduciaire dont la fiducie est judiciaire ou se déduit du droit », signifiait que tous les fiduciaires dans le cadre d’une fiducie par interprétation devaient être inclus. Le vicomte Cave a expliqué, à la page 651, que l’expression [traduction] « fiduciaire par interprétation » renvoie à deux types de fiduciaires différents :

[traduction]

Ces personnes, même si elles n’étaient pas initialement fiduciaires, avaient entrepris de détenir les biens et d’en assurer la gestion au nom d’autres personnes; bien qu’on les ait parfois désignées comme des fiduciaires par interprétation, elles étaient en fait des fiduciaires réels, même si elles n’étaient pas appelées ainsi. Ce faisant, les biens qui leur appartenaient étaient aussi traités comme s’ils appartenaient aux personnes pour lesquelles elles agissaient et, tout comme des fiduciaires explicites, elles ne pouvaient pas profiter de la prescription. Cependant, la position dans ce contexte d’un fiduciaire par interprétation au sens usuel de ces mots — c’est-à-dire la position d’une personne qui, bien qu’ayant pris possession de biens de son propre chef, était susceptible d’être considérée comme un fiduciaire par une cour d’equity — était très différente, et il était établi depuis longtemps que le temps jouait en sa faveur à partir du moment où il a pris possession des biens.

[422]  Le vicomte Cave a ensuite expliqué, auxpages 652 et 653, que l’inclusion de toutes les fiducies par interprétation dans ce paragraphe contreviendrait à l’objet de la prescription, puisque les demandeurs pourraient éviter la prescription en demandant une fiducie par interprétation :

[traduction]

Aucune question ne se pose alors concernant la législation antérieure; mais l’appelante [la demanderesse] soutient que la récente loi a modifié la législation à cet égard. Il est dit que la définition du mot « fiduciaire » donnée au paragraphe 47(1) comprend « un fiduciaire dont la fiducie est judiciaire ou se déduit du droit » et que, par conséquent, l’exclusion du paragraphe 47(2) d’une demande visant à récupérer « les biens détenus en fiducie ou les produits de ces biens conservés par le fiduciaire » doit s’appliquer aux biens détenus par un fiduciaire par interprétation ou par toute personne se réclamant de lui autrement que par un achat moyennant contrepartie sans préavis. Si cette prétention est valable, alors le paragraphe, qui a vraisemblablement été adopté pour aider les fiduciaires, a gravement empiré la position de fiduciaire par interprétation, et (pour reprendre les propos de Sir William Grant dans le dossier susmentionné) un principe a été introduit qui pourrait se révéler « fatal pour la sécurité des biens ». Il ne semble pas à leurs Seigneuries que le paragraphe ait cet effet.

[423]  Pour qu’une fiducie par interprétation soit envisagée aux fins d’application de l’article 41, elle soit respecter la règle énoncée dans Soar v Ashwell, qui veut que la [traduction] « fiducie ait pris naissance avant la survenue de la transaction attaquée, et non qu’elle prenne naissance uniquement en raison de cette transaction. » Autrement dit, il n’y a pas de manquement aux obligations fiduciaires s’il n’existait pas de fiducie au moment de la transaction.

[424]  En l’espèce, les demandeurs affirment qu’ils sont visés par l’exception présentée dans Soar v Ashwell puisque le Canada a détenu des biens en fiducie et ne les a pas gérés conformément à une fiducie dont il avait connaissance. Pour la revendication concernant le levé de 1882 et celle concernant les DFIT dans le Traité 7, la [traduction] « transaction » était la création de la réserve en 1883, puisque c’est cet acte qui a exclu des terres de la réserve de 1882 ou qui a créé une réserve plus petite que ce qui avait été promis conformément à la formule des DFIT. Cependant, comme je l’ai mentionné précédemment, il n’existait pas la moindre fiducie avant les [traduction] « transactions attaquées » et le Canada n’avait pas connaissance de l’existence d’une fiducie quelconque.

[425]  Je sais que l’application de la règle suivie dans Soar v Ashwell et dans Taylor v Davies a posé problème (cette question est notamment abordée par Donovan W.M. Waters, éd., dans Waters’ Law of Trusts in Canada, 4e éd. (Toronto, Carswell, 2012), à la p. 1316) et a depuis été réformée par l’Alberta et par la plupart des autres provinces (Limitations Act, RSA 2000, c L-12). Je constate cependant qu’avant la réforme, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta a rendu des décisions semblables au sujet des fiducies par interprétation, dans JLO Ranch Ltd. v Logan, [1987] AWLD 1244, 81 AR 261 (ACQB) (aux paragraphes 36 à 41), et dans Angeletakis v Thymaras [1989] AWLD 450, 95 AR 81 (ACQB) (aux paragraphes 22 à 32), en ce qui concerne la Limitation of Actions Act de 1980. Comme l’a expliqué le juge Conrad au paragraphe 31 de la décision Angeletakis v Thymaras :

[traduction]

Le bien n’est pas un bien en fiducie appartenant [au défendeur] au moment où il en prend possession. En effet, la nature d’une action fondée sur une fiducie par interprétation est de faire en sorte qu’un bien qui n’est pas détenu en fiducie soit déclaré comme étant assujetti à une fiducie pour des raisons d’équité. À mon avis, la logique de la règle d’absence de prescription pour les fiducies est que le fiduciaire saurait, de façon expresse ou implicite, que le bien qu’il détient est assujetti à une fiducie. Ce n’est pas le cas avec une fiducie par interprétation comme celle qui nous occupe. Il n’existe de fiducie que lorsque la Cour l’a déclaré.

[426]  Cette observation vaut également en l’espèce. Par conséquent, aucune de ces exceptions en matière de fiducie ne s’applique.

F.  Leurre/abus de procédure

[427]  Les demandeurs affirment que même si les causes d’action ont pris naissance plus de six ans avant le dépôt de leur déclaration, le délai de prescription n’aurait pas pu courir pendant une certaine période au cours des années 1970 parce qu’ils ont été leurrés. Ils prétendent que le document de 1969 intitulé « La politique indienne du gouvernement du Canada » (également appelée le « Livre blanc ») et la « déclaration de principe concernant les terres indiennes » de 1973 ont persuadé les Premières Nations qu’elles ne pouvaient s’adresser aux tribunaux pour demander des réparations, mais devaient se tourner vers le gouvernement canadien. Ce leurre a amené les demandeurs à prendre part au processus de la Commission des revendications des Indiens au lieu de déposer une déclaration. Selon ce que je comprends des observations des demandeurs, le délai de prescription n’aurait repris qu’en juin 1978, lorsque le Commission des revendications des Indiens a refusé la revendication de la tribu des Blood concernant les DFIT. Les demandeurs affirment que la décision Zbryski v Calgary (City of) (1965), 51 DLR (2d) 54 (AB QB) [Zbryski], confirme qu’il ne peut y avoir de prescription au moment du leurre. Ils ajoutent que ce leurre pourrait être un abus de procédure susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire : arrêt R c Nixon, 2011 CSC 34.

[428]  Le Canada affirme que ces allégations sont infondées et ne sont appuyées par aucun élément de preuve.

[429]  Je ne suis pas persuadé que le leurre prolonge le délai de prescription en l’espèce.

[430]  Tout d’abord, je ne suis pas convaincu que le leurre ait effectivement pour conséquence de suspendre la prescription, comme l’ont affirmé les demandeurs. La décision Zbryski est assez différente de l’espèce. Dans Zbryski, les demandeurs affirmaient avoir la possession contraire de certains terrains près de Calgary. Ils croyaient que leur terrain incluait certains terrains voisins, qu’ils utilisaient depuis 1927 et pour lesquels ils payaient des impôts. Les terrains en question appartenaient en fait à un district municipal local. En 1962, la Direction de l’immobilier de la ville a été informée de la situation et a commencé à négocier avec M. Zybryski. La Direction de l’immobilier de la ville a alors dit à M. Zybryski qu’elle s’adresserait au comité des terres lors de sa prochaine réunion afin de transférer les terrains à M. Zybryski; toutefois, la Direction a plutôt convaincu le bureau d’enregistrement des titres fonciers de transférer le titre des terrains du district municipal à la ville. L’intimée a ensuite tenté de s’appuyer sur la City Act, RSA 1955, c 42, article 731, qui empêche l’aboutissement des revendications de possession contraire à l’encontre d’une ville.

[431]  À mon avis, la décision Zbryski ne montre pas que le leurre suspend la prescription, comme l’affirment les demandeurs. En fait, la prescription n’est même pas examinée. Si la Limitation of Actions Act, RSA 1955 c 177, est évoquée dans la décision, c’est seulement à cause de son lien avec le droit relatif à la possession contraire.

[432]  De plus, je ne suis pas d’avis que la Limitation of Actions Act de 1970 permet à un juge de suspendre la prescription, même s’il pense que l’imposition d’un délai de prescription à l’action conformément à la loi crée une injustice pour un demandeur.

[433]  En outre, je n’accepte pas l’argument selon lequel l’arrêt Nixon ou la doctrine de l’abus de procédure qui y est analysée s’appliquent en l’espèce. L’arrêt Nixon portait sur la négociation de plaidoyer dans un contexte criminel, ainsi que sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11. Il n’existe pas d’application présumée de l’article 7 en l’espèce et cette doctrine ne semble pas s’appliquer à l’action qui m’a été présentée.

[434]  À titre subsidiaire, cependant, même si la décision Zbryski va dans le sens de ce qu’affirment les demandeurs et même si j’ai toute latitude pour ne pas tenir compte de la Limitation of Actions Act de 1970, je n’estime pas que les exigences nécessaires pour parler de leurre sont satisfaites. Dans Zbryski, un très grand nombre d’éléments de preuve ont été fournis quant aux discussions qui ont eu lieu entre les avocats de M. Zbryski et la Direction de l’immobilier. Il n’existe quasiment pas d’éléments de preuve similaires en l’espèce.

[435]  Voici ce que les demandeurs ont déposé : a) un mémoire de 1973 montrant que le Canada et les demandeurs se sont entendus pour examiner la revendication de la tribu des Blood quant à la superficie de la réserve; b) une lettre de 1976 provenant du dépôt de la revendication des demandeurs concernant les DFIT au cours de la même année; et c) une lettre de 1978 adressée au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien par les avocats des plaignants à l’époque, afin de demander une réponse à la revendication concernant les DFIT.

[436]   Rien n’indique que le Canada a informé la tribu des Blood ou toute autre Première Nation qu’il n’était plus possible de s’adresser aux tribunaux pour demander des réparations et qu’il fallait solliciter directement le gouvernement canadien. Même si les avocats des demandeurs laissent entendre qu’ils pourraient avoir tiré ces conclusions en lisant la politique du gouvernement, rien n’indique que cette politique a été examinée ni que ces conclusions ont été tirées. Les demandeurs ont déposé une revendication concernant les DFIT dans les années 1970. Le fait qu’ils aient participé à ce processus de revendication au lieu d’entamer la présente action relève de la conjecture. Compte tenu du dossier, je ne puis conclure que le Canada a leurré les demandeurs.

G.  Découverte ou possibilité de découverte des faits qui sous-tendent les revendications

[437]  J’ai conclu qu’un délai de prescription de six ans s’applique aux revendications de la tribu des Blood. La question est maintenant de savoir à quel moment la tribu des Blood a découvert ou aurait dû découvrir les faits qui sous-tendent les revendications.

[438]  Comme je l’ai indiqué précédemment, les alinéas 5e) et g) de la Limitation of Actions Act de 1970 régissent les revendications invoquées dans la présente action : chaque alinéa prévoit un délai de prescription de six ans. Ces alinéas sont ainsi libellés :

[traduction]

e) une action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en equity qui n’est pas régi par les dispositions qui précèdent se prescrit par 6 ans, à compter de la découverte de la cause d’action;

[…]

g) une autre action qui n’est pas expressément régie par une disposition de la présente loi ou d’une autre loi se prescrit par 6 ans, à compter de la naissance de la cause d’action.

[439]  Je conviens avec le Canada qu’en ce qui concerne la prescription évoquée à l’alinéa 5e) en lien avec les réclamations en equity dans la présente action, il existe un délai de prescription de six ans à compter de la découverte réelle de la cause d’action. Cela diffère de la période concernant les réclamations dont il est question à l’alinéa 5g), laquelle commence lorsque la cause d’action est susceptible d’être découverte. Cette distinction a été confirmée par la Cour suprême du Canada qui, au paragraphe 15 de l’arrêt Lameman, a interprété des dispositions essentiellement semblables de la Limitation of Actions Act de 1980.

[440]  La date à laquelle la découverte devient possible a été présentée par la Cour suprême du Canada, dans Central Trust Co c Rafuse, [1986] 2 RCS 147, à la page 224, 31 DLR (4th) 481, comme étant « lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action [...] auraient dû [être découverts par le demandeur] s’il avait fait preuve de diligence raisonnable ».

[441]  Puisque le Canada a invoqué une défense fondée sur la prescription, il incombe à la tribu des Blood de prouver qu’elle n’avait pas connaissance de la cause d’action et ne pouvait pas la découvrir : James A Meek Trust v San Juan Resources Inc, 2005 ABCA 448, au paragraphe 28, et Authorson (Litigation Guardian of) v Canada (Attorney General), 2007 ONCA 501, au paragraphe 137.

[442]  Le moment auquel la tribu des Blood a découvert les faits substantiels qui sous-tendent les trois causes d’action pourrait être différent du moment où elle aurait dû, en faisant preuve de diligence raisonnable, découvrir ces faits. Par conséquent, ces deux moments seront examinés séparément. La question commune sera abordée par la suite.

a.  La grande revendication

[443]  Tel qu’il est indiqué plus haut, voici la description que la tribu des Blood donne de la grande revendication :

[traduction]

La tribu des Blood allègue que les terres entre les rivières St. Mary et Kootenay (Waterton), jusqu’aux montagnes et à la frontière internationale (le « territoire de la grande revendication ») leur ont été réservées et la tribu n’a jamais supposé ou voulu que le territoire de la grande revendication fasse l’objet d’une cession à la signature du Traité.

[444]  Les éléments de preuve soumis à la Cour prouvent que la tribu des Blood savait, très peu de temps après la création de la réserve en 1883, que le territoire de la grande revendication n’en faisait pas partie. Voici les éléments de preuve sur lesquels repose cette conclusion :

  • (i) En 1881, les membres de la tribu des Blood qui étaient installés entre les rivières Kootenai et Belly ont été déplacés vers le sud de la rivière Belly, et on leur a dit que le territoire situé entre ces rivières ne faisait pas partie de leur réserve.

  • (ii) En 1888, lorsque Red Crow a posé des questions sur l’emplacement de la limite sud de la réserve, M. Nelson et d’autres personnes ont fait avec lui une visite de la limite sud établie par arpentage en 1883. Lors de ce déplacement, Red Crow aurait découvert ou aurait raisonnablement dû découvrir que la ville de Cardston (qui se trouve dans le secteur visé par la grande revendication) était au sud de la limite sud de la réserve et donc en dehors de la réserve, et que la limite sud de la réserve ne correspondait pas à la frontière internationale.

  • (iii) M. Evans relate qu’en 1899, le Canada a décidé de clôturer la limite sud de la réserve de la tribu des Blood [TRADUCTION] « pour empêcher le bétail des colons de s’y introduire ». Cela semble avoir été fait; toutefois, Red Crow et d’autres personnes ont protesté, affirmant que la clôture ne suivait pas les buttes mises en place par M. Nelson en 1883 pour indiquer la limite. La construction de cette clôture et le débat qui a suivi avec les représentants ont permis ou auraient dû permettre à Red Crow de découvrir que la limite sud de la réserve ne correspondait pas à la frontière internationale comme le voudrait la grande revendication. En outre, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il découvre, s’il n’en avait pas été informé, que des colons se trouvaient sur le territoire de la grande revendication au sud de la réserve.

[445]  Bien que des éléments de preuve indiquent que Red Crow et la tribu des Blood ont toujours cru que la colonie mormone de Cardston était située dans leur réserve, peu d’éléments de preuve viennent soutenir cette conviction. À mon avis, la preuve du contraire la plus convaincante est la visite de la limite sud entreprise par M. Nelson et Red Crow en 1888. Cette visite a eu lieu après l’installation des mormons dans le sud de l’Alberta, et Red Crow aurait constaté lors de la visite que la limite de sa réserve se trouvait au nord de Cardston. La Cour a entendu des témoignages à propos de recherches infructueuses menées au XXe siècle afin de retrouver un bail qui, selon certaines personnes, aurait été conclu par les mormons et la tribu des Blood, mais je ne crois pas que ces éléments de preuve réfutent le fait que Red Crow avait découvert, à la fin des années 1880, que la réserve ne s’étendait ni jusqu’à la frontière internationale, ni jusqu’aux montagnes.

[446]  Pour ces motifs, je conclus qu’en ce qui concerne la grande revendication, même si des preuves avaient appuyé celle-ci, cette action dépasse largement le délai de prescription applicable et doit donc être rejetée parce qu’elle est prescrite.

b.  La revendication quant à la réserve délimitée en 1882

[447]  J’ai conclu, précédemment, que le levé de 1882 avait délimité une réserve pour la tribu des Blood. La tribu des Blood, en dépit de la convention, n’a pas été invitée par M. Nelson a faire une visite des limites de la réserve, et rien ne prouve qu’elle a été informée de l’existence du levé de 1882. Elle avait précédemment été informée que le Canada enverrait un arpenteur pour délimiter la réserve. Le fait que la tribu ne connaissait pas les limites exactes définies dans le levé de 1882 ne signifie pas, comme il a été vu précédemment, qu’aucune réserve n’a été créée en 1882.

[448]  Dorothy First Rider nous a apporté les éléments de preuve quant à la découverte, par la tribu des Blood, du levé de 1882. Le 5 août 1969, lors d’une réunion du conseil de la tribu des Blood, Leroy Little Bear a présenté des renseignements sur le levé de 1882. Voici ce qui était indiqué dans le procès-verbal de cette réunion :

[traduction]

Leroy apporte des carnets, des journaux et des cartes en lien avec la loi indienne et informe le conseil que d’après ces carnets, il n’a jamais été question de nous renvoyer dans le Traité de 1855 [sic]; il n’y a rien contre nous. Les cartes sont nos points forts; selon le rapport de J.C. Nelson, la carte indiquait que notre réserve s’étendait jusqu’à neuf milles au sud de la frontière. Leroy indique que son rapport écrit n’est pas prêt, mais qu’il présentera ceci au Conseil à la fin de son contrat.

[449]  Même s’il est indiqué, dans le procès-verbal, que le levé place la limite de la réserve à [traduction] « neuf milles au sud de la frontière » [non souligné dans l’original], je suis d’accord avec le Canada pour dire qu’il s’agit clairement d’une erreur et qu’on voulait faire référence au levé de 1882 qui établissait que la réserve prenait fin à neuf milles au nord de la frontière internationale. La tribu des Blood a confirmé que la carte à laquelle on fait référence dans le procès-verbal est la pièce 24 du présent procès : [TRADUCTION] « Carte de la partie des districts d’Assiniboia et d’Alberta illustrant les levés des terres fédérales au 31 décembre 1882, publiée avec l’autorisation du ministre de l’Intérieur ». Selon cette carte, la limite sud passe au sud du poste de la P.C.N.-O. situé sur la rivière St. Mary; cependant, d’après le levé de 1883, la limite sud passe au nord du poste de police.

[450]  Le rapport préparé par Leroy Little Bear a été mis à la disposition des membres de la tribu des Blood au plus tard le 4 novembre 1969.

[451]  C’est donc au plus tard en 1969, soit onze ans avant d’intenter la présente action, que la tribu des Blood a eu connaissance de l’emplacement de la limite sud établie par le levé de 1882. Par conséquent, cette revendication de la tribu des Blood est frappée de prescription.

c.   La revendication concernant les DFIT

[452]  Leroy Little Bear s’est rendu à Ottawa en août 1971 et a demandé des renseignements au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien au sujet du [traduction] « nombre total de membres que comptait la bande des Blood pour les années 1879 à 1884 ». Le ministère lui a répondu quelques jours plus tard en fournissant des renseignements [traduction] « extraits des listes de bénéficiaires d’annuités ». Selon le résumé fourni par le ministère, la tribu des Blood comptait, au total, 3 521 membres en 1882, et 2 589 en 1883. Le Canada soutient qu’à partir d’août 1971, la tribu des Blood savait quelle était sa population lorsque les levés ont été produits et pouvait donc déterminer ses DFIT et savoir si la superficie de la réserve existante respectait les critères. D’après l’information fournie en 1971, la superficie de la réserve serait de 704,2 milles carrés selon la liste de bénéficiaires d’annuités de 1882, et de 516 milles carrés selon la liste de 1883. Actuellement, la réserve a une superficie de 547,5 milles carrés. Le Canada soutient que la revendication concernant les DFIT est donc frappée de prescription.

[453]  Une question évidente se pose en voyant les chiffres fournis par le ministère pour ces deux années : de quelle année doit-on tenir compte pour établir les DFIT? De la réponse à cette question découle naturellement une autre question : ces annuités ont-elles été payées? La réponse pouvait facilement être obtenue en posant au ministère les questions complémentaires qui s’imposaient. Il était aisé de découvrir que le chiffre de 1883 avait été établi après le levé de 1882 et, par conséquent, la tribu des Blood aurait pu découvrir en 1971 quelle était sa population aux fins d’établissement des DFIT.

[454]  Sous réserve de l’examen qui suit concernant la dissimulation frauduleuse dont le Canada serait coupable, et concernant la date à laquelle ce délai de prescription a commencé à courir, je conviens avec le Canada que la revendication concernant les DFIT est également frappée de prescription.

d.  Dissimulation frauduleuse

[455]  La tribu des Blood prétend que le délai de prescription ne s’applique pas aux revendications reposant sur le manquement à une obligation fiduciaire dans la mise en œuvre du traité et sur le manquement au traité en ce qui concerne les DFIT, parce que le Canada a dissimulé de manière frauduleuse l’existence de la cause d’action. Selon cette théorie, la période de prescription ne commence pas à courir avant la date à laquelle cette fraude est découverte ou la date à laquelle, en faisant preuve de diligence raisonnable, on aurait pu la découvrir [43] .

[456]  L’article 6 de la Limitation of Actions Act de 1970 aborde expressément la question de la dissimulation frauduleuse :

[traduction]

Quand l’existence d’une cause d’action a été cachée par une manœuvre frauduleuse de la personne qui invoque en défense la présente partie ou la partie 2, la cause d’action est réputée avoir pris naissance au moment où la manoeuvre frauduleuse a d’abord été connue ou découverte.

[457]  La tribu des Blood cite la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Guerin, au paragraphe 115, à l’appui de l’affirmation selon laquelle une fraude d’equity suffit à atteindre le seuil de la dissimulation frauduleuse.

Il est bien établi qu’en cas de dissimulation frauduleuse de l’existence d’une cause d’action, le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le demandeur découvre la fraude, ou du moment où, en faisant preuve de diligence raisonnable, il aurait dû la découvrir. Il n’est pas nécessaire que la dissimulation frauduleuse requise pour interrompre ou suspendre l’application de la loi constitue une tromperie ou une fraude de common law. Il suffit qu’il y ait fraude d’equity qui est définie, dans la décision Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563, comme [traduction] « une conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l’une envers l’autre ».

[458]  Le juge Wittman, au paragraphe 28 de la décision Huet v Lynch, 2000 ABCA 97, a expliqué qu’il doit exister un lien entre la fraude et la cause d’action :

[traduction]

Pour contourner une défense aux termes de l’article 57 de la [Limitation of Actions Act], le demandeur ne peut pas se contenter de prouver que l’intimé a commis une fraude quelconque, par exemple une fraude d’equity. Il doit également démontrer que la fraude a caché l’existence de la sa cause d’action, c’est-à-dire que la fraude doit avoir caché un fait important que le demandeur doit prouver pour obtenir gain de cause au procès : Photinopoulos, précité; Cooke v. Gill (1873), L.R. 8 C.P. 107 (Eng. C.P.); et Shtitz v. Canadian National Railway, [1927] 1 D.L.R. 951 (Sask. C.A.).

[459]  La tribu des Blood affirme que le Canada a eu, pendant des décennies, un comportement répréhensible quant à la superficie de sa réserve selon les modalités du Traité 7. Tout d’abord, selon elle, en 1888, lorsque M. Nelson et M. Pocklington ont fait [traduction] « de fausses déclarations aux Blood en disant que les DFIT étaient respectés » lorsqu’ils ont déclaré à Red Crow que, comme l’a écrit M. Pocklington dans sa lettre du 30 août 1888 : [traduction« la réserve actuelle renfermait beaucoup plus de terres que ce à quoi ils avaient droit ».

[460]  Elle prétend que cette tromperie a continué en 1971, lorsqu’au moment de fournir un recensement de la population fondé sur les versements d’annuités, le Canada [traduction« n’a pas indiqué les dates réelles du chiffre de population figurant sur les listes de bénéficiaires de versements de 1882 et 1883 ». La tribu des Blood souligne tout particulièrement qu’il n’a pas indiqué que les versements de 1883 se sont [traduction« achevés le 27 septembre 1883, bien après le document de juillet 1883 [l’accord de Red Crow] établissant la taille de la réserve ».

[461]  Bien que je sois d’accord avec la tribu des Blood pour dire que la conduite de M. Pocklington et de M. Nelson en 1888 au sujet de la taille de la réserve étant plus grande que ce à quoi elle a eu droit est inadmissible, compte tenu des faits établis, tout retard relatif à la prescription serait donc éteint dès lors où la tribu des Blood, avec une diligence raisonnable, l’aurait découvert.

[462]  La tribu des Blood affirme que bien qu’elle « se soit informée de la revendication concernant les DFIT auprès du Canada dans les années 1960 et 1970, […] le Canada a omis de divulguer des faits essentiels qu’il était le seul à connaître » [Non souligné dans l’original.] Les faits essentiels dont il est question sont apparemment les dates auxquelles ont été versées les annuités aux termes du Traité.

[463]  J’ai plusieurs réserves quant à cette affirmation. Premièrement, la tribu des Blood n’a pas produit la moindre preuve indiquant qu’elle ne savait pas quand les annuités avaient été versées au cours des années en cause. Elle n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve montrant que le calendrier général des versements d’annuités aux termes du Traité était alors différent de celui qui prévaut actuellement. Deuxièmement, rien ne prouve que Leroy Little Bear a demandé au Canada, en 1971 ou par la suite, à quel moment ces versements ont eu lieu. Puisque la tribu connaissait la date de signature de l’accord de Red Crow et était au courant du levé de 1883, et puisqu’elle n’ignorait pas, en 1971, l’existence du levé de 1882 ainsi que d’une carte, il me semble que la question du calendrier était évidente. Troisièmement, rien ne prouve que le Canada n’aurait pas fourni de réponse honnête si la question lui avait été posée.

[464]  J’en conclus donc que la tribu des Blood, si elle avait fait preuve de diligence raisonnable en 1971, aurait alors découvert ce qu’elle qualifie à présent de [traduction] « fraude » commise par le Canada au sujet des DFIT. Par conséquent, même si je reconnais que le comportement du Canada en 1888 était inadmissible, on aurait raisonnablement pu découvrir ce comportement en 1971 ou peu après; cette revendication est donc frappée de prescription, sous réserve de l’analyse permettant de déterminer si le manquement à un traité constitue un motif légitime de plainte avant 1982.

H.  Moyens de défense en equity

[465]  Le Canada a invoqué les doctrines de la diligence, de l’acquiescement, de l’élection, du retard, de l’exemption et de l’irrecevabilité en equity. La seule observation faite par le Canada après le procès était que [traduction] « si la Cour juge qu’aucune loi sur la prescription ne s’applique, alors les doctrines de la diligence et de l’acquiescement s’appliquent et font que la revendication est prescrite ».

[466]  Puisque j’ai déterminé qu’il existe effectivement une loi sur la prescription applicable, je n’ai pas besoin d’examiner l’autre argument voulant que le Canada ait un moyen de défense en equity.

I.  Conclusion

[467]  Je conclus que la revendication de la tribu des Blood voulant que le Canada ait manqué à son obligation fiduciaire, sa revendication concernant la réserve créée par le levé de 1882, ainsi que sa grande revendication, sont toutes prescrites aux termes de la Limitations of Actions Act de 1970 de l’Alberta. Il reste donc la revendication selon laquelle le Canada n’a pas respecté le Traité 7 en n’accordant pas à la tribu des Blood la superficie de réserve à laquelle elle avait droit au titre des DFIT.

[468]  La tribu des Blood affirme qu’aucun délai de prescription ne s’applique à cette revendication étant donné que le manquement à un traité n’était pas un recours possible avant l’adoption de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

VIII.  LE MANQUEMENT AU TRAITÉ EN TANT QUE RECOURS POSSIBLE

[469]  La tribu des Blood affirme qu’il ne peut y avoir aucun délai de prescription avant qu’un demandeur ait une cause d’action qu’il peut immédiatement faire valoir en cour, et ce, même si les faits qui sous-tendent cette cause d’action se sont produits et ont été découverts plus tôt. Selon les demandeurs, ce principe a été établi par la Cour d’appel dans l’arrêt Musurus Bey v Gadban & Others, [1894] 2 QB 352. Dans cette affaire, l’exécuteur testamentaire de Musurus Pacha a tenté d’invoquer le délai de prescription de six ans prévu dans le Statute of Limitations pour contrer une réclamation contre l’actif émanant d’une partie qui avait prêté de l’argent au testateur 20 ans plus tôt, en 1873. Au moment du prêt, le testateur était ambassadeur à Londres et jouissait de l’immunité diplomatique, et cela a été le cas jusqu’à son rappel par le sultan de Turquie en 1885. Si le délai de prescription a commencé à courir à la date du prêt, alors il y avait prescription. La Cour d’appel a conclu que le prêteur n’avait aucune cause d’action quant au remboursement du prêt avant la levée de l’immunité diplomatique du testataire.

[470]  Les tribunaux canadiens ont adopté un point de vue semblable : voir Méthot c Commission de Transport de Montréal (1971), [1972] RCS 387, 25 DLR (3d) 324 [Méthot]. Dans Costello v Calgary (City), 60 DLR (4th) 732, 1989 ABCA 194 (CanLII), autorisation d’interjeter appel refusée, (1990) 65 DLR (4th) viii (CSC), au paragraphe 21, la Cour d’appel a déclaré : [traduction] « Aucun délai ne commence à courir lorsqu’il n’y a pas de possibilité d’entamer des poursuites. » Si l’on concluait autrement, le droit d’action serait mort-né, comme l’a indiqué le juge Hall dans l’arrêt Méthot.

[471]  La tribu des Blood affirme qu’avant le 17 avril 1982, date à laquelle l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est entré en vigueur afin de reconnaître les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones, elle n’avait aucun droit recevable de faire appliquer les obligations du Canada aux termes du traité. Elle prétend donc qu’aucun délai de prescription ne peut courir concernant une allégation de manquement au traité avant la date où celle-ci est devenue recevable, c’est-à-dire le 17 avril 1982. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est ainsi libellé :

35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

[472]  Les demandeurs affirment que la Cour suprême du Canada a reconnu qu’aucune cause d’action créée par la Loi constitutionnelle de 1982 ne pouvait prendre naissance concernant un délai de prescription avant l’entrée en vigueur de la disposition constitutionnelle pertinente, même si les faits qui sous-tendent la cause d’action ont été découverts alors que la disposition n’existait pas encore. Dans l’arrêt Ravndahl c Saskatchewan, 2009 CSC 7, la demanderesse a engagé des poursuites civiles pour réclamer des dommages-intérêts au motif qu’une prestation lui avait été supprimée en violation de la Charte par une loi qui était entrée en vigueur avant la Charte. La juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré que la cause d’action avait pris naissance seulement lors de l’entrée en vigueur de la Charte :

Afin de déterminer si les demandes de réparations personnelles de l’appelante sont prescrites, il est nécessaire d’arrêter le moment où sa cause d’action a pris naissance. Selon moi, sa cause d’action a pris naissance le 17 avril 1985, lorsque l’art. 15 de la Charte est entré en vigueur [44] . S’il est vrai que les prestations lui ont été refusées en application du par. 68(1) de la Loi de 1978, l’appelante ne disposait d’aucun droit reconnu pour étayer sa demande avant que l’art. 15 de la Charte n’entre en vigueur. [Non souligné dans l’original.]

[473]  Le Canada prétend que la thèse de la tribu des Blood n’est pas fondée.

[474]  Premièrement, le Canada soumet que [traduction] « les droits ancestraux et les droits issus de traités, qui ont été reconnus en 1982, n’ont pas été créés par l’article 35 ». Je suis d’accord avec le Canada, mais je suis également d’accord avec la tribu des Blood qui affirme qu’avec cet argument, le Canada ne fait pas la distinction entre les [traduction] « droits » et les [traduction] « droits reconnus » qui donnent ouverture à action. Il ne fait aucun doute que la tribu des Blood avait acquis, à partir de 1877, les droits établis dans le Traité 7. Le fait de reconnaître qu’elle détenait certains droits issus de traités ne répond pas à la question de savoir si, avant 1982, la tribu des Blood pouvait faire appliquer dans un tribunal ces droits issus de traités.

[475]  Deuxièmement, le Canada avance que si j’accepte l’observation formulée par les demandeurs, les Premières Nations bénéficieront alors d’une [traduction] « large exemption quant à l’application des délais de prescription » n’allant pas dans le sens des [traduction« motifs clairs justifiant ces délais » et [traduction] « n’allant pas dans le sens de la jurisprudence ayant force obligatoire de la CSC ». Les délais sont établis d’après les principes directeurs que sont la certitude, les questions de preuve et la diligence. Le Canada a peut-être raison d’affirmer que ces trois principes sont contrecarrés par la nouvelle cause d’action qu’est le manquement au traité, mais il oublie de reconnaître qu’il n’existait précédemment aucune cause d’action, ce qui fait que ce délai de prescription n’avait pas légalement commencé à courir. C’est le Canada qui a donné naissance à cette nouvelle cause d’action en inscrivant les droits issus de traités existants dans la constitution canadienne. En bref, le Canada ne fait pas la distinction entre les actions qui auraient pu être intentées plus tôt mais ne peuvent plus l’être maintenant à cause d’une défense fondée sur la prescription, et les actions qui ne pouvaient être intentées jusqu’à tout récemment. Dans les deux cas, le délai de prescription s’applique dans le seul cas où un recours est possible, et uniquement à partir du moment où il est possible.

[476]  Ni le Canada ni la tribu des Blood n’invoquent de décisions judiciaires à quelque niveau que ce soit voulant qu’une Première Nation puisse ou non intenter une action pour faire appliquer ses droits issus de traités avant 1982. C’est la première fois, semble-t-il, que la question est posée directement.

[477]  Le Canada cite les décisions Weywakem et Guerin pour étayer l’argument selon lequel les droits dont il est question dans l’article 35 [TRADUCTION] « découlent de traités ou de l’occupation et de la possession antérieures, par les Autochtones, du territoire qui est maintenant le Canada ». Il s’ensuit, selon le Canada, que [traduction] « les droits ancestraux existaient et pourraient justifier une cause d’action avant 1982 ». Pour étayer ses propos, le Canada affirme que [traduction] « ces droits préexistants permettaient aux peuples autochtones d’entamer des poursuites, ce qu’ils ont fait », et il cite la décision Dreaver v The King (1935), 5 CNLC 92 (Ex Ct) [Dreaver], comme étant, selon lui, l’un des [traduction]« nombreux cas dans la jurisprudence canadienne où des groupes autochtones ont intenté des poursuites sur la base de droits issus de traités avant l’entrée en vigueur de l’article 35 ».

[478]  Dans la décision Dreaver, les membres de la bande de Mistawasis ont déposé une pétition de droit contre le Canada. La réserve des demandeurs avait été établie aux termes d’un traité conclu avec le Canada en 1876. Par la suite, la bande a renoncé à des parties de sa réserve à condition que le Canada vende les terres au prix indiqué et utilise le produit de la vente de la manière indiquée dans les actes de cession. Les terres ont été vendues et le Canada a remis ses comptes à la bande, présentant les recettes et les dépenses du département des Affaires des sauvages. La bande a affirmé que certaines dépenses étaient inappropriées et a tenté de se faire rembourser ces sommes détenues par le département.

[479]  Une des dépenses contestées était la somme de 4 489,95 $ pour [traduction] « des médicaments, des fournitures médicales ou des remèdes ». La bande estimait que le Canada était tenu de fournir les médicaments gratuitement, conformément à la disposition suivante du traité :

[traduction]

Qu’il sera tenu un buffet à médicaments au domicile de tout agent des Indiens pour l’usage et l’avantage des Indiens, à la discrétion de tel agent.

Le Canada a répondu à la pétition en affirmant que cette dépense et toutes les autres dépenses contestées étaient [traduction] « faites et imputées aux fonds de la bande comme le permettait la loi ».

[480]  La Cour de l’Échiquier du Canada a considéré que la disposition du traité signifiait que [traduction] « l’ensemble des remèdes, des médicaments et des fournitures médicales dont les Indiens de la bande de Mistawasis pourraient avoir besoin doivent leur être fournis gratuitement ». La Cour a donc conclu que le Canada avait eu tort de déduire le coût de ces médicaments du produit de la vente. La revendication de la bande était bien fondée.

[481]  Je ne suis pas convaincu qu’il faille prendre la décision Dreaver comme un exemple de Première Nation intentant une action pour faire appliquer un droit issu de traité. Il n’y est pas question d’une bande qui fait appliquer son droit à des médicaments gratuits aux termes d’un traité; il s’agit plutôt d’une poursuite afin que le Canada rende les fonds prélevés de façon irrégulière sur le compte en fiducie de la bande. Afin d’établir que le Canada avait agi de façon illégale, la bande a fait mention de son traité et du droit qui s’y rattache de recevoir gratuitement les médicaments. Il n’a jamais été question, dans la décision Dreaver, de savoir si le Canada respectait ses obligations issues de traité; le dossier était centré sur le fait que le Canada s’était approprié de manière illégitime les fonds en fiducie. C’est d’ailleurs sur cette base que la cour a ordonné au Canada de rembourser les fonds en question.

[482]  Le Canada a évoqué d’autres affaires présentées comme des exemples de bandes faisant appliquer leurs droits issus de traités avant 1982 : Henry; R v Taylor (1981), 3 CNLR 114, 34 OR (2d) 360 (ON CA) [Taylor]; R v White (1964), 50 DLR (2d), 1964 BCJ No 212 (CanLII) (BC CA) [White]; R v Moses; [1970] 5 CCC 356, 13 DLR (3d) 50 [Moses] (Cour de district de l’Ontario); et R v Wesley, [1932] 2 WWR 337, [1932] 4 DLR 775 (AB SC (AD)) [Wesley].

[483]  Dans Henry, les Mississaugas de la « rivière Credit » intentaient des poursuites par voie d’une pétition de droit afin que lui soit versée une somme d’argent accordée aux termes d’un traité et prétendument retenue par le Canada. Le Traité 19, signé le 28 octobre 1818 avec ce qui était alors la Province du Canada, faisait état d’une obligation de verser aux Mississaugas une annuité fixe de 2 090 $. Après la Confédération, cette obligation a été assumée par le Canada.

[484]  On a déterminé que c’était au cours de l’année financière 1889-1890 que la bande avait reçu l’annuité complète pour la dernière fois. La juge qui présidait a conclu que l’annuité aurait dû être versée chaque année à la bande et que [traduction] « puisque leur droit repose sur le traité ou contrat établi entre eux et la Couronne, ainsi que sur l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 la Cour a, semble-t-il, compétence pour faire cette déclaration » [Non souligné dans l’original.].

[485]  La poursuite comprenait d’autres réclamations en plus des versements d’annuités non effectués, mais aucune ne s’avère pertinente dans la présente analyse. Les motifs du juge indiquent clairement qu’il a longuement réfléchi afin de décider si la Cour de l’Échiquier avait compétence pour entendre ces diverses revendications. Il fait remarquer que l’article 15 de la Loi de la cour de l’Échiquier, 50-51 Vict. c 16, est rédigé ainsi :

[traduction]

15. La cour de l’Echiquier aura juridiction exclusive, en première instance, dans tous les cas où demande sera faite ou recours sera cherché au sujet de toute matière qui pourrait, en Angleterre, faire le sujet d’une poursuite ou action contre la Couronne ; et pour plus de certitude, mais non pas de manière à restreindre la généralité des termes ci-dessus, elle aura juridiction exclusive, en première instance, dans tous les cas où des terrains, effets ou deniers du sujet seront en la possession de la Couronne, ou dans lesquels la réclamation proviendra d’un contrat passé par la Couronne ou en son nom.

 

[486]  Le juge qui présidait a conclu, à l’égard des revendications formulées, qu’il n’existait en Angleterre aucun dossier dans lequel une réparation a été accordée à l’encontre de la Couronne en tant que fiduciaire. Il a également conclu que les revendications n’étaient pas liées à des fonds appartenant à la bande, mais détenus par la Couronne à ce moment-là, puisque les versements n’avaient pas eu lieu et que la bande cherchait à les obtenir. En revanche, il a conclu que la Cour avait compétence aux termes d’un contrat :

[traduction]

Cependant, pour ce qui est de la disposition de l’article qui donne compétence à la cour dans tout dossier dans lequel la revendication découle d’un contrat conclu par la Couronne ou au nom de celle-ci, il me semble que la cour est compétente dans la mesure où la prétention est étayée par la cession, l’entente ou le traité auquel on renvoie.

[487]  L’interprétation raisonnable des motifs permet de conclure que la Cour a estimé qu’elle avait compétence seulement s’il s’agissait d’un contrat avec la Couronne, et qu’elle a considéré que le traité signé avec la bande équivalait à un contrat. Rien n’indique que l’une ou l’autre des parties a affirmé que la question en litige n’était pas une question de contrat ou qu’un traité ne constituait pas un contrat. Par conséquent, la question dont notre Cour est saisie en l’espèce diffère de la cause d’action dans Henry. L’observation du Canada, qui affirme qu’il s’agit d’un exemple de bande revendiquant le manquement à un traité, n’est pas appuyée puisque cette affaire a été examinée uniquement comme une violation de contrat.

[488]  En outre, il y a lieu de croire que l’affaire pourrait faire l’objet d’une décision différente de nos jours. Les traités signés par les Premières Nations ne sont plus considérés comme de simples contrats; ils bénéficient à présent d’un statut unique : voir R. c Sundown, [1999] 1 RCS 393, [1999] 2 CNLR 289, au paragraphe 24, et First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2017 CSC 58, au paragraphe 37.

[489]  Le Canada a également cité la décision Taylor, dans laquelle certains membres de la Première Nation des Chippewas ont été accusés et déclarés coupables d’avoir pris des ouaouarons sur des terres domaniales inoccupées afin de nourrir leurs familles, en contravention du Règlement pris en application du « Game and Fish Act (The) » de l’Ontario, LRO 1970, c 186. Les terres où ont été pris les ouaouarons étaient visées par un traité conclu en 1818. On a conclu, dans cette décision, que les Chippewas n’avaient pas renoncé à leur droit traditionnel de chasser et de pêcher sur ces terres. La Cour d’appel a déclaré que les lois provinciales d’application générale concernant la chasse et la pêche ne s’appliquaient pas aux Indiens parce que ces droits avaient été préservés par la Proclamation royale de 1763, qui est indépendante de la Loi sur les Indiens.

[490]  Dans Taylor, tout comme dans Dreaver, les Indiens ont utilisé les droits issus de traité comme moyen de défense contre les actions intentées par la Couronne. Ils n’utilisent pas leurs droits issus de traité pour présenter une réclamation contre la Couronne au motif que celle-ci n’a pas respecté ces droits. En bref, le traité est un moyen défensif face aux actions de la Couronne, et non un moyen offensif pour faire appliquer les droits.

[491]  Les décisions White, Moses et Wesley sont d’autres exemples d’utilisation des droits issus de traité afin de se défendre contre des accusations de non-respect des lois provinciales ou fédérales. Il n’est question dans aucune d’elle d’une bande ou d’un membre de bande qui cherche à faire appliquer les droits positifs conférés par un traité.

[492]  La tribu des Blood affirme que son action concernant les DFIT est une revendication de manquement à un traité. Bien que les faits de la cause d’action sous-jacente se soient déroulés dans les années 1880, les membres de la tribu soutiennent que le manquement au traité n’est devenu un recours possible que le 17 avril 1982, lorsque les droits issus de traités ont été inscrits à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[493]  Les demandeurs mentionnent la jurisprudence anglaise antérieure au Traité 7. Voici ce qu’a déclaré le Comité judiciaire du Conseil privé à la page 28 de la décision Secretary of State for India v Sahaba, [1859] UKPC 19 :

[traduction]

Quelle que soit l’apparence de raison, le principe général de droit n’était pas (et n’aurait pas pu être) le litige. Les transactions effectuées entre des États indépendants sont régies par des lois différentes de celles qu’administrent les tribunaux locaux : ces cours n’ont ni les moyens de décider ce qui convient, ni le pouvoir de faire appliquer les décisions qu’elles ont prises.

[494]  Les demandeurs ont également renvoyé la Cour à la décision du Conseil privé dans Vajesingji Joravarsingji v Secretary of State for India, (1924) LR 51 Ind App 357, [1924] UKPC 5 (PC). Dans cette affaire, les demandeurs, des membres de la noblesse indienne, poursuivaient le gouvernement indien afin d’obtenir une déclaration indiquant qu’ils étaient propriétaires des terres visées par le litige. Le 12 décembre 1860, la famille Scindia de l’État de Gwalior avait signé un traité par lequel elle cédait le territoire au gouvernement britannique.

[495]  Le Conseil privé a conclu, aux pages 360 et 361, qu’aucun tribunal ne pouvait traiter la question puisque la revendication portait sur l’interprétation et l’application d’un traité :

[traduction]

Mais voici à quoi se résume l’affaire : lorsqu’un territoire est acquis pour la première fois par un État souverain, il s’agit d’un acte de gouvernement. La façon dont l’acquisition s’est faite n’a aucune importance. Il peut s’agit d’une conquête, d’une cession à la suite d’un traité, ou encore de l’occupation d’un territoire qui n’était jusqu’alors occupé par aucun dirigeant reconnu. Le résultat est le même dans tous les cas. Tout habitant du territoire peut faire valoir, devant les tribunaux locaux établis par le nouveau souverain, uniquement les droits que ce souverain a reconnus par l’intermédiaire de ses représentants. Les droits qu’il avait sous le règne de ses prédécesseurs ne lui sont d’aucun secours. De plus, même si un traité de cession précise que certains habitants doivent bénéficier de certains droits, cela ne donne pas à ces habitants le droit de faire appliquer ces dispositions devant les tribunaux locaux. Le droit de faire exécuter ces dispositions revient uniquement aux hautes parties contractantes. Lord Atkinson l’a indiqué assez clairement [dans Secretary of State for India v Bai Rajbai, (1916) LR 42 IA 229], à la page 238, lorsque, citant le cas du Pondoland dont il était question dans Cook v Sprigg, [1899] AC 572], il a déclaré : « Il a été conclu que l’annexation de territoire était un acte de gouvernement et que toute obligation assumée aux termes d’un traité, que ce soit envers le souverain qui cède le territoire ou envers des personnes, n’est pas une obligation que les tribunaux locaux sont autorisés à faire appliquer. » [Non souligné dans l’original.]

[496]  La capacité d’intenter une action civile pour faire respecter un droit issu de traité a une nouvelle fois été examinée par le Conseil privé dans Hoani Te Heuheu Tukino v Aotea District Maori Land Board, 1941 AC 308 (PC). Cette affaire portait sur un traité signé par un peuple autochtone lors de la cession de ses terres à la Couronne; elle ressemble donc beaucoup à l’affaire dont je suis saisi. Dans Hoani Te Heuheu Tukino v Aotea District Maori Land Board, les Maoris se sont tournés vers un tribunal pour tenter de faire respecter des droits prévus par le traité de Waitangi. En signant ce traité, les Maoris de Nouvelle-Zélande ont cédé leurs terres à la Couronne en échange de promesses solennelles. Le Conseil privé a conclu que les Maoris de Nouvelle-Zélande n’avaient pas le droit d’intenter d’actions pour faire respecter leurs droits issus de traité devant quelque tribunal que ce soit, et voici ce que le vicomte Simon a déclaré, aux pages 324 et 325 :

[traduction]

Il est bien établi qu’il est impossible de faire valoir devant les tribunaux les droits censés être conférés par un tel traité de cession, sauf s’ils ont été intégrés dans la législation municipale.

[...]

Dans la mesure où l’appelant demande l’aide de la cour, il ne peut clairement pas fonder sa revendication sur le Traité de Waitangi et il doit renvoyer la cour à une reconnaissance législative du droit qu’il revendique. [Non souligné dans l’original.]

[497]  Les demandeurs indiquent que les appels devant le Conseil privé du jugement rendu par la Cour suprême du Canada se sont poursuivis jusqu’en 1949 et affirment donc que cette décision est [traduction] « très convaincante, voire contraignante, au Canada ». Plus important encore, ils affirment que la Cour suprême du Canada a suivi cette approche dans l’arrêt Francis v The Queen, [1956] SCR 618, 3 DLR (2d) 641. Dans cette affaire, l’appelant résidait dans une réserve indienne située au Québec et adjacente à une réserve indienne située dans l’État de New York. Il a ramené au Canada certains articles en provenance des États-Unis, sans payer les frais de douane requis. Ces biens ont été saisis par la Couronne et l’appelant, tout en protestant, a payé la somme exigée. L’appelant a déposé une pétition de droit pour récupérer son argent et obtenir une déclaration selon laquelle il n’avait pas à payer de taxes ou de droits de douane quant à ces biens, du fait de l’article III du traité Jay. La Cour de l’Échiquier du Canada a rejeté sa demande. En rejetant l’appel, le juge en chef Kerwin de la Cour suprême du Canada a déclaré, à la page 621 de l’arrêt [cité dans le RCS] :

[traduction]

[…] il est évident qu’au Canada, les droits et privilèges ici défendus de personnes assujetties à une partie contractante à un traité ne sont exécutoires en justice que lorsque traité a été mis en œuvre ou sanctionné par la loi.

[498]  La Cour suprême du Canada, dans Simon c La Reine, [1985] 2 RCS 387, à la page 404, 24 DLR (4th) 390, a indiqué que les traités signés avec des Premières Nations au Canada sont différents des traités signés entre des pays indépendants. Pourtant, voici ce qu’a indiqué la Cour d’appel de l’Ontario dans R v Agawa (1988), 65 OR (2d) 505, à la page 509, 53 DLR (4th) 101 [Agawa] :

[TRADUCTION]

Les traités indiens, toutefois, sont semblables à un égard aux traités internationaux signés par le Canada. Ils ne sont pas automatiquement exécutoires et peuvent avoir force exécutoire au Canada seulement dans la mesure où ils sont protégés par la Constitution ou par une loi. [Non souligné dans l’original.]

[499]  Avant 1982, la seule loi susceptible de s’appliquer à la revendication concernant les DFIT était la Loi sur les Indiens. Pour les motifs indiqués aux pages 509 et 510 de la décision Agawa, cette loi ne donne à ces demandeurs aucun droit recevable à l’encontre du Canada afin de faire respecter les droits issus de traité :

D’un point de vue pratique, cependant, le seul outil efficace pour protéger les droits issus de traités des Indiens avant 1982 était la Loi sur les Indiens, LRC 1970, c I-6, adoptée par le Parlement du Canada en vertu de son pouvoir, aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, d’adopter des lois concernant « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». L’article 88, qui n’a été inséré dans la Loi qu’en 1951 (LC 1951, c 29, article 87), est rédigé ainsi :

88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d’application générale et en vigueur, à l’occasion, dans une province sont applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou y ressortissant.

La Cour suprême du Canada a établi que la phrase « toutes lois d’application générale et en vigueur [...] dans une province » de l’article 88 fait seulement référence aux lois provinciales, et non aux lois fédérales. Ainsi, en cas de conflit, les droits issus de traités des Indiens ont préséance sur les lois provinciales : R. v. White and Bob (1966), 1965 CanLII 643 (CSC), 52 DLR. (2d) 481n, [1965] RCS vi (CSC); Simon v. The Queen, précité. En revanche, lorsque les droits issus de traités sont incompatibles avec les lois fédérales, ces dernières ont préséance, comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans les arrêts Sikyea v. The Queen, 1964 CanLII 62 (CSC), [1965] 2 CCC 129, 50 DLR (2d) 80, [1964] RCS 642 (CSC), et R. v. George, 1966 CanLII 2 (CSC), [1966] 3 CCC 137, 55 DLR (2d) 386, [1966] RCS 267 (CSC). Voici ce que le juge Martland a déclaré dans l’arrêt George (CCC : p. 151, DLR : p. 398, RCS : p. 281) :

[traduction]

Cet article ne vise pas à déclarer la suprématie des traités sur la législation fédérale. Le renvoi aux traités a été inclus dans un article dont l’objet est de rendre les lois provinciales applicables aux Indiens, de façon à empêcher tout conflit entre les droits reconnus par les traités et l’effet des lois provinciales.

[500]  Par conséquent, les Premières Nations du Canada ont été privées de la possibilité de formuler des revendications de manquement à un traité contre la Couronne en dehors du cadre législatif de la Loi sur les Indiens : rien dans cette loi ne permet à une Première Nation d’intenter une action pour faire appliquer les DFIT aux termes d’un Traité.

[501]  Je suis convaincu que la tribu des Blood a raison d’affirmer qu’avant 1982, un tribunal canadien bien informé n’aurait pas pu entendre une demande de la tribu selon laquelle le Canada n’avait pas respecté la promesse contenue dans le traité relativement aux DFIT. De ce fait, aucune période de prescription ne peut exister avant que la revendication ne devienne recevable, c’est-à-dire avant l’adoption de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[502]  Le Canada affirme que même si la revendication de manquement à un traité n’était pas recevable avant 1982, la tribu des Blood n’a pas fait cette revendication avant le dépôt de sa déclaration modifiée en 1999, et il était alors trop tard pour soulever la cause d’action. Le paragraphe de la déclaration modifiée dont il est question dans cet argument est le paragraphe 7 :

[traduction]

Les membres de la tribu des Blood ont des droits autochtones et issus de traités qui sont protégés par la constitution, conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[503]  Les demandeurs répondent en premier en soulignant que le bon moment pour le Canada de présenter cette opposition était le moment où la requête en modification a été présentée en 1999. Le Canada ne l’a pas fait alors et les demandeurs affirment qu’il ne peut pas le faire aujourd’hui. Deuxièmement, ils soulignent que les faits présentés dans la déclaration initiale de 1980 à l’appui de la déclaration n’ont pas changé en 1999. La modification, selon eux, est donc en vigueur depuis le dépôt initial de 1980 aux fins du délai de prescription. À l’appui de cette affirmation, la tribu des Blood cite la décision Bande indienne de Fox Lake c Reid Crowthers & Partners Ltd., 2002 CF 1re inst. 630 [décision Fox Lake].

[504]  La décision Fox Lake, une décision du protonotaire Hargrave, a été rendue relativement à une requête en modification de la déclaration pour ajouter une demande de remboursement invoquant le quantum meruit et l’enrichissement sans cause. La Couronne s’est opposée à la modification pour le motif que la nouvelle revendication était frappée de prescription. La modification a été autorisée, la Cour affirmant au paragraphe 26 « que lorsque les mêmes faits, tels qu’ils ont été allégués, ou des faits essentiellement similaires donnent naissance à une cause d’action apparemment raisonnable, il convient d’autoriser la modification visant à ajouter cette cause d’action, même s’il y a prescription ». [Non souligné dans l’original.] Les demandeurs s’appuient aussi sur l’article 77 des Règles des Cours fédérales, rédigé ainsi : « [l]a Cour peut autoriser une modification en vertu de la règle 76 même si le délai de prescription est expiré, pourvu qu’il ne l’ait pas été à la date du début de l’instance ».

[505]  Après un examen minutieux, j’ai conclu que la revendication de manquement à un traité n’était pas frappée de prescription. Bien que les demandeurs aient renvoyé la Cour à la modification de 1999 et à l’autre acte de procédure aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, cet acte de procédure n’a rien ajouté aux revendications énoncées dans la déclaration initiale, comme je l’ai conclu précédemment. Par conséquent, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les observations des demandeurs en se fondant sur la décision Fox Lake. En effet, je suis d’avis qu’il n’était pas nécessaire d’invoquer le droit tel que cela a été fait. Selon l’article 175, devant la Cour une partie « peut », dans son acte de procédure, soulever des points de droit, mais n’est pas tenue de le faire.

[506]  Les faits substantiels, tels qu’ils sont exposés dans la déclaration initiale, sont que la tribu des Blood était partie au Traité 7; qu’aux termes du Traité, la tribu des Blood avait droit à une réserve d’une taille devant être déterminée selon les DFIT; que le Canada a fourni une réserve, mais que la réserve fournie n’était pas de la taille requise aux termes des DFIT. La tribu des Blood a demandé un jugement déclarant qu’elle a droit à des terres supplémentaires, ou subsidiairement, à des dommages-intérêts. Ce sont des faits substantiels qui ont trait à la revendication de manquement à un traité. Ils sont peu nombreux et très clairs.

[507]  Comme l’a observé lord Denning, et tel que l’a approuvé la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Conohan et Paradis Honey, les demandeurs « [TRADUCTION]  peu[ven]t, dans [leur] argumentation, présenter toute conséquence juridique justifiée par les faits ». Une des conséquences juridiques des faits allégués est que le Canada a manqué au Traité 7 relativement aux DFIT de la tribu des Blood.

[508]  Selon l’alinéa 5(1)g) de la Limitation of Actions Act de 1970, une action doit être intentée dans les six années suivant le moment où la cause d’action a pris naissance. Cela peut paraître étrange, mais en l’espèce, la tribu des Blood a intenté cette action deux ans avant le moment où la cause d’action a pris naissance. Tel a été le cas, car elle a invoqué l’action comme s’il s’agissait d’une revendication fondée sur une rupture de contrat. En raison du point de vue de la Cour suprême du Canada selon lequel les traités ne sont pas des contrats, il s’est avéré que la revendication de la tribu des Blood ne relève pas d’une rupture de contrat, mais qu’il s’agit plutôt d’une revendication de manquement à un traité.

[509]  Depuis qu’elle a entamé la présente action, la tribu des Blood a bénéficié de l’inscription de droits issus de traités dans la Constitution de 1982 et des prononcés de la Cour suprême du Canada, toutefois, ces conséquences sont ce qu’elles sont et on ne saurait reprocher aux demandeurs d’avoir tiré avantage de ces changements du droit. Le Canada n’a pas présenté d’observations sur l’application temporelle de la Loi constitutionnelle de 1982 indiquant qu’elle ne s’appliquerait pas à une action en cours.

[510]  Pour ces motifs, la revendication de la tribu des Blood concernant un manquement à la promesse de DFIT du Traité 7 n’est pas frappée de prescription.

IX.  CONCLUSION

[511]  Pour les motifs qui précèdent, la revendication de la tribu des Blood est accueillie en partie. La Cour juge que le Canada ne respecte pas la formule des droits fonciers issus de traités indiquée dans le Traité 7 pour ce qui est de la superficie de la réserve des Blood. La formule des droits fonciers issus de traités donnait une réserve de 710 milles carrés aux demandeurs, mais la réserve actuelle a une superficie de 547,5 milles carrés. Le Canada est responsable envers la tribu des Blood de ce manquement à un traité. Toutes les autres revendications sont rejetées parce qu’elles sont prescrites.

[512]  La Cour organisera une conférence de gestion de l’instruction pour établir le calendrier de la phase III du procès afin d’examiner la question de la réparation, ainsi que la question des dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-238-80

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Conformément aux dispositions du Traité 7 concernant les droits fonciers issus de traités, la tribu des Blood avait droit à une réserve d’une superficie de 710 milles carrés.

  2. Le Canada a donné à la tribu des Blood une réserve d’une superficie de 547,5 milles carrés, et contrevient donc aux dispositions du Traité 7 concernant les droits fonciers issus de traités.

  3. En dehors de la revendication concernant les droits fonciers issus de traités découlant du manquement, par le Canada, au Traité 7, toutes les revendications de la tribu des Blood sont frappées de prescription en raison de la Limitation of Actions Act, RSA 1970, c 209, rendue applicable à cette action par l’article 38 de la Loi sur les Cours fédérales, RSC 1985 c F-7.

  4. La Cour fera le nécessaire pour organiser une conférence de gestion de l’instruction afin de discuter de l’établissement du calendrier de la phase III qui portera sur la réparation, ainsi que la question des dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-238-80

 

INTITULÉ :

JIM SHOT BOTH SIDES ET AL c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEUX DE L’AUDIENCE :

STANDOFF ET CALGARY (ALBERTA)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

DU 4 AU 6, DU 9 AU 11, DU 16 AU 20 ET LES 24 ET 25 MAI 2018 (STANDOFF)

DU 14 AU 17, DU 22 AU 25 ET LES 28 ET 29 MAI 2018; DU 4 AU 7, DU 11 AU 14, DU 18 AU 20 ET DU 25 AU 27 JUIN 2018 (CALGARY)

LES 4, 5 ET 6 DÉCEMBRE 2018 (CALGARY)

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Gary Befus

Brendan Miller

Joanne Crook

Paul Reid

POUR LES DEMANDEURS

 

Wayne Malcom Schafer, c.r.

Marianne Panenka

Bruce Piller

Damon Park

Amber Elliott

Olivia Furlong

Nathan Wiebe

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Walsh LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice Canada

Région des Prairies

Edmonton (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 



[1] Une concession forestière de 6,5 milles carrés, présentée comme la réserve no 149B, s’étend également au sud et à l’ouest de la réserve. Bien qu’il en soit question dans les présents motifs, cette concession forestière n’est pas visée par la présente action.

[2] On les appelle aussi les Aakainawa.

[3] Parfois appelée la rivière St. Marys ou St. Mary’s.

[4] La rivière Belly est un affluent de la rivière Oldman.

[5] Parfois orthographiée « Kootenay »; ne pas confondre avec l’actuelle rivière Kootenay, qui parcourt la Colombie-Britannique, le Montana et l’Idaho.

[6]  Les noms sont parfois épelés de façon différente ou inexacte dans les parties des pièces exposées dans les présents motifs. J’ai reproduit textuellement les passages, sans apporter de corrections ni indiquer les éventuelles fautes d’orthographe puisque, dans tous les cas, on comprend clairement de qui il s’agit.

[7]  Dans bon nombre de ces documents anciens, l’orthographe ou les tournures sont inexactes ou discutables. J’ai fait de mon mieux pour transcrire les passages cités d’après les déclarations des témoins et le contenu du texte source, sans omettre les erreurs d’orthographe, les archaïsmes ou toute autre orthographe non standard. Ces erreurs, variations orthographiques et archaïsmes étant nombreux, j’ai décidé de ne pas employer la locution latine « sic » pour indiquer que le passage cité reprend le texte tel qu’il est écrit, confiant que le lecteur saura s’en rendre compte dans chaque cas.

[8] Les buttes Belly ont été mentionnées fréquemment et sont indiquées sur un certain nombre de cartes déposées en preuve, mais la Cour n’a reçu aucun élément de preuve quant à l’emplacement de la montagne Chief, et celle-ci n’a été évoquée que rarement en dehors de cette mention.

[9] Mme Sarah Carter a été reconnue comme historienne entendue à titre d’experte pour témoigner dans le domaine de l’histoire des relations entre la tribu des Blood et le gouvernement du Canada pour la période allant du prélude au Traité des Pieds-Noirs jusqu’à la période où la communauté mormone s’est établie à proximité de la frontière sud de la réserve, soit une période allant de 1875 à 1888, mais aussi pour se prononcer sur l’état de la tribu des Blood pour la période allant du Traité des Pieds-Noirs à l’accord du 2 juillet 1883.

Elle a également été reconnue comme experte en analyse historique.

[10] M. Clint Evans, après un voir dire vigoureusement contesté, été reconnue comme historien entendu à titre d’expert avec une expertise dans le domaine particulier de l’histoire autochtone dans l’Ouest canadien, y compris les traités numérotés, les politiques et les pratiques du gouvernement fédéral, les traités numérotés, les estimations des populations historiques et l’histoire des Premières Nations des Prairies. Il a expressément été jugé non qualifié pour se prononcer sur la population de la tribu des Blood aux fins de la DFIT.

[11] M. Ballantyne, bien qu’il ne soit pas un arpenteur certifié, était qualifié pour livrer un témoignage d’opinion dans le domaine de l’arpentage et de la délimitation, y compris, sans toutefois s’y limiter, les principes relatifs aux limites, les aspects techniques de l’arpentage, y compris donner des instructions aux arpenteurs, fixer des limites, examiner des rapports des travaux d’arpentage, interpréter des plans de levés, des cartes, des croquis, des notes de terrain et des carnets de terrain, les procédures et les pratiques liées aux travaux d’arpentage et la pratique en matière d’arpentage dans l’Ouest canadien, y compris les levés des réserves indiennes et de terres fédérales.

[12] Mme Robidoux était qualifiée en tant qu’experte pour livrer un témoignage d’opinion en tant qu’arpenteuse du Canada sur les travaux d’arpentage réalisés par John C. Nelson et ses associés dans la réserve des Blood.

[13] Avec le consentement du Canada, elle a été reconnue comme spécialiste de la recherche historique et historienne en documents historiques et archivistiques entendue à titre d’experte en lien avec l’établissement de la réserve des Blood.

[14] The Globe était un journal torontois qui plus tard est devenu The Globe and Mail.

[15] Tel que cela est consigné dans The Treaties of Canada Morris, Alexander, (Toronto: Belfords, Clarke & Co., 1880), à la page 259.

[16] M. Dempsey, Red Crow, Warrior Chief (Saskatoon: Western Produce Prairie Books, 1980), à la page 135. Notes de bas de page à la fin de ce passage, Fort Macleod Gazette, 8 juillet 1882.

[17] Il convient de noter la référence à la ferme d’approvisionnement de Fish Creek. Tel que cela a été mentionné plus tôt, il s’agit d’une référence à la ville moderne de Mountain View.

[18] L’esquisse marquée (e) dans ce rapport n’a pas été trouvée.

[19] Lettre de M. Dewdney à M. Vankoughnet datée du 15 décembre 1879.

[20] Lettre de M. Vankoughnet au surintendant général des Affaires indiennes datée du 16 mars 1880.

[21] Rapport de M. Wadsworth à M. Dewdney daté du 12 mai 1881.

[22] Rapport de M. Wadsworth daté du 30 mai 1881 et Rapport annuel du Département des Affaires des sauvages pour l’année expirée le 31 décembre 1881.

[23] Rapport de l’agent des Indiens Macleod à M. Dewdney, 31 décembre 1881.

[24] Télégramme du bureau du commissaire des Indiens à Winnipeg à l’intention de M. Vankoughnet, 28 juillet 1881.

[25] Carnet de terrain de George Dawson, août 1881.

[26] Rapport de l’agent Macleod, 31 octobre 1881.

[27] Rapport du commissaire adjoint des Indiens Galt au commissaire des Indiens, le 5 octobre 1882.

[28] Lettre de M. Denny au surintendant général des Affaires indiennes datée du 10 novembre 1882.

[29] Rapport annuel du Département des Affaires des sauvages pour l’année expirée le 31 décembre 1882.

[30] Rapport annuel du Département des Affaires des sauvages pour l’année expirée le 31 décembre 1882.

[31] Lettre de M. Dewdney au surintendant général des Affaires indiennes datée du 15 décembre 1882, incluse dans le Rapport annuel de 1882 du Ministère.

[32] Rapport annuel du Département des Affaires des sauvages pour l’année expirée le 31 décembre 1882.

[33] Lettre du révérend McLean au révérend Wigram.

[34] Morris, Alexander, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and The North-West Territories, (Toronto : Belfords, Clarke & Co., 1880), pages 268 à 269.

[35] L’expression ultimo mense a été utilisée dans la version anglaise.

[36] Mme Carter écrit à la page 59 de son rapport : [TRADUCTION] « Deux cartes officielles sur lesquelles figurent cette réserve ont été dressées par le gouvernement fédéral après le levé de M. Nelson. La première, dressée par le gouvernement en février 1883, était intitulée [TRADUCTION] « Carte du Territoires du Nord-Ouest du Dominion du Canada de la partie des districts d’Assiniboia et d’Alberta illustrant les levés des terres fédérales au 31 déc. 1882 ». Elle a été publiée avec l’autorisation du ministre de l’Intérieur, J. A. Macdonald et par Lindsay Russell. Une deuxième carte, [TRADUCTION] « Dominion du Canada, carte générale de la partie des Territoires du Nord-Ouest, y compris la Province du Manitoba illustrant les levés des terres fédérales au 31 décembre 1882, a été publiée par un arrêté du ministre de l’Intérieur John A. Macdonald. La carte contenait des [TRADUCTION] « ajouts et corrections au 15 mars 1883 ».

[37] Morris, à la page 205.

[38] Les demandeurs insistent sur la phrase [traduction] « conformément à leurs volontés », affirmant que cela signifie conformément à la portée et à la taille de réserve qu’ils souhaitent. Je ne l’interprète pas de cette façon. Cela veut plutôt dire que la réserve, conformément à leur volonté exprimée, sera située près de Fort Kipp. À mon avis, on ne peut pas l’interpréter comme voulant dire que la tribu des Blood a droit à une réserve de la taille qu’elle souhaite sans tenir compte des DFIT issus du Traité 7.

[39] Arrêt Samson Indian Nation and Band v Canada, 2016 FCA 223.

[40] Ermineskin Indian Band and Nation v Canada, 37280 (9 mars 2017).

[41] Dans les Revised Statutes of Canada of 1906 (version anglaise seulement), la graphie de « North-West Territories » est devenue « Northwest Territories ».

[42] An Ordinance Respecting Limitations of Actions in Certain Cases, RSNWT 1898, c 31, The Trustee Ordinance, 1903, Sess 2 c 11.

[43]  En fait, la Limitation of Actions Act de 1970 dispose que la période de prescription est [TRADUCTION] « réputée avoir pris naissance lorsque la fraude a été découverte » ne fait pas explicitement référence au fait qu’il soit possible de découvrir la fraude en faisant preuve de diligence raisonnable. Toutefois, la Cour suprême du Canada a fait la déclaration suivante dans l’arrêt Guerin : « Il est bien établi [que] [...] le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le demandeur découvre la fraude, ou du moment où, en faisant preuve de diligence raisonnable, il aurait dû la découvrir. »  Dans l’arrêt Guerin, le concept de diligence raisonnable pour la découverte d’une fraude était en fait présenté à l’article 38 de la Statute of Limitations, RSBC 1960, c 370, mais ce passage a été cité depuis par de nombreux tribunaux pour décrire la fraude d’equity de façon générale aux termes de différentes lois sur la prescription, notamment les tribunaux de l’Alberta (voir Lynch, au paragraphe 29, examinant la Limitation of Actions Act, RSA 1980, c L-15) et la Cour fédérale (voir Bande de Peepeekisis c Canada, 2012 CF 915, conf. par 2013 CAF 191, examinant la Limitations Act, SS 2004, c L-16.1). En l’espèce, les deux parties citent avec approbation ce passage de l’arrêt Guerin, et ni l’une ni l’autre ne plaide en faveur du libellé strict de la Loi.

[44]  Conformément au paragraphe 32(2), l’article 15 de la Charte n’est entré en vigueur que trois ans après le reste de la Charte.

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