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Date : 20190611


Dossier : T-1200-18

Référence : 2019 CF 800

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

LE MINISTRE DE CULTE DAVID WILLIAMS

demandeur

et

JULIE PAYETTE, CHRYSTIA FREELAND, JOHN D. ROOKE, JODY WILSON‑RAYBOULD, YASIR NAQVI, PAUL BONIFERRO, CORNELIA MEWS, J. GARY MCMAHON, LOWELL HUNKING, SUSAN STOTHART, NATALIE BEAUSOLEIL, STEVEN SCHARGER, BRIAN BENCZE, WESLEY BEATTY, E. SIMPSON, VINCE HAWKS, MIKE GORDON, RICK MACKAY, DAWN CONNOR, SHAWN RETZLER, CHARLES CONSTABLE, DAVID CASS, TARYN MCCORMICK, DAVID LEWIS, NORMAN SABOURIN, DAN MAYER ET MARTHA MILCZYNSKI

défendeurs

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE HENEGHAN

I.  INTRODUCTION

[1]  Le ministre de culte David Williams (le demandeur) a intenté une action en déposant le 22 juin 2018 une déclaration dans laquelle il poursuit personnellement les personnes suivantes :

  1. Julie Payette;

  2. Chrystia Freeland;

  3. John D. Rooke;

  4. Jody Wilson‑Raybould;

  5. Yasir Naqvi;

  6. Paul Boniferro;

  7. Cornella Mews;

  8. J. Gary McMahon;

  9. Lowell Hunking;

  10. Susan Stothart;

  11. Natalie Beausoleil;

  12. Steven Scharger;

  13. Brian Bencze;

  14. Wesley Beatty;

  15. E. Simpson;

  16. Vince Hawks;

  17. Mike Gordon;

  18. Rick MacKay;

  19. Dawn Connor;

  20. Shawn Retzler;

  21. Charles Constable;

  22. David Cass;

  23. Taryn McCormick;

  24. David Lewis;

  25. Norman Sabourin;

  26. Dan Mayer;

  27. Martha Milczynski.

[2]  La déclaration du demandeur comporte 124 paragraphes et les titres suivants :

A.  La demande

B.  Introduction

C.  Le groupe

D.  Le demandeur

E.  Causes d’action, comportant les sous-titres suivants : Négligence et responsabilité civile, Manquement à l’obligation fiduciaire, Abus de l’autorité gouvernementale, Atteinte à la vie privée et infliction intentionnelle de souffrances morales, Non-respect de la Charte canadienne des droits et libertés, Non-respect de la Loi canadienne sur les droits de la personne, Non-respect de la Loi ontarienne des droits de la personne, Non-respect de la Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur la croyance – Obligation d’accommodement (PPDFC – OA) de la Commission canadienne des droits de la personne, Non-respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Non-respect du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et Délit intentionnel, de négligence, de responsabilité stricte ou absolue.

F.  Dommages‑intérêts, notamment tous les dommages‑intérêts pécuniaires découlant des actions ou de l’inaction des défendeurs; dommages‑intérêts non pécuniaires pour préjudice émotionnel et psychologique, notamment; dommages‑intérêts exemplaires et punitifs relativement à l’abus d’autorité qui aurait été commis par les défendeurs; dommages‑intérêts fondés sur la Charte; ainsi que la somme de 100 000 000 $ CAN.

G.  Lois : le demandeur invoque les lois et règlements suivants : a) Charte canadienne des droits et libertés; b) Loi canadienne sur les droits de la personne; c) Code des droits de la personne de l’Ontario; d) Politique sur la prévention de la discrimination fondée sur la croyance – Obligation d’accommodement de la Commission ontarienne des droits de la personne; e) Pacte international relatif aux droits civils et politiques; f) Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; g) Délit intentionnel, de négligence, de responsabilité stricte ou absolue.

[3]  Dans sa déclaration, le demandeur indique qu’il est un ministre de culte et qu’il a déménagé à Parry Sound (Ontario) le 1er avril 2017 [traduction] « pour suivre sa vocation de ministre de culte ». Il affirme qu’il a établi un [traduction] « sanctuaire religieux » au 15, rue Forest, à Parry Sound, et qu’à l’été 2015, des [traduction] « panneaux portant la mention “propriété privée” » ont été affichés sur l’immeuble sis à cette adresse.

[4]  Aux paragraphes B.1 à B.38 inclusivement, le demandeur relate une série d’incidents qui ont débuté le 5 octobre 2017, ou vers cette date, et qui ont pris fin le 16 janvier 2018, ou vers cette date, lors desquels un [traduction] « certain M. St. Amant » et un collègue de celui‑ci du nom de Shawn Retzler ont tenté de procéder à l’arrestation du demandeur.

[5]  Le demandeur allègue que le 12 octobre 2017, ou vers cette date, ledit Shawn Retzler a procédé à son arrestation après être entré dans les lieux sans autorisation et avoir [traduction] « porté atteinte » à la personne du demandeur.

[6]  Le demandeur souligne la participation d’une certaine Dawn Connor, mais il ne décrit pas directement la fonction ou le rôle qu’elle occupe mis à part sa qualité de [traduction] « superviseure » de Shawn Retzler. Il allègue que ses biens et ceux de l’Église ont été saisis, et que la Police provinciale de l’Ontario et la Gendarmerie royale du Canada ont commis des actes illégaux.

[7]  Aux paragraphes 37 et 38 de sa déclaration, le demandeur allègue ce qui suit :

[traduction]

37. Le 16 janvier 2018, à 12 h 06, un agent de police ou un exécutant qui était à bord d’un véhicule banalisé a immobilisé son véhicule près du sanctuaire du demandeur pour prendre des photos du sanctuaire. Le fait qu’au moment où l’homme est arrivé, la glace du côté conducteur était déjà abaissée et qu’il avait en main un vrai appareil photo pour prendre de vraies photographies, démontre qu’il a agi de manière préméditée. L’agent de police ou exécutant a continué de prendre des photos jusqu’à ce que le demandeur commence à le filmer, auquel moment l’intrus a quitté les lieux.

38. Tout ce qui précède a été aggravé et exacerbé par la collusion entre toutes les parties en cause, par le fait qu’ils n’avaient aucune obligation de rendre compte, par leur complaisance et par leur refus et défaut de se conformer au PIRDCP, au PIRDESC, à la Charte, à la LCDP, à la LODP, à la PPDFC-OA, aux dispositions fédérales et provinciales sur les droits de la personne en vigueur au Canada, ainsi qu’aux articles 176, 180, 336, 337, 423 et 794 du Code criminel, et d’accomplir les actes précis que la loi oblige ces organismes à accomplir et qui relèvent de la charge publique.

[8]  Le 11 juin 2019, la Cour a rendu des ordonnances par lesquelles elle accueillait les requêtes en radiation, avec motifs à suivre. Voici les motifs.

II.  LES REQUÊTES

[9]  Cinq requêtes écrites ont été déposées, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), lesquelles visaient toutes à faire radier la déclaration du demandeur.

[10]  La première requête, datée du 13 juillet 2018, porte le numéro 17 dans le répertoire des inscriptions enregistrées (le répertoire); elle a été déposée pour le compte des juges de paix de l’Ontario Cornelia Mews et Gary McMahon (les défendeurs de la magistrature de l’Ontario). Cette requête a également été déposée pour le compte de Yasir Naqvi, de Paul Bonifero, du commissaire Vince Hawks, de Lowell Hunking, de Susan Stothart, de Natalie Beausoleil, de Steven Scharger, de Brian Bencze, de Wesley Beatty, de Mike Gordon, de Rick MacKay, de Dawn Connor, de Shawn Retzler et de David Lewis (les défendeurs de l’Ontario).

[11]  Ces défendeurs soutiennent que la Cour fédérale n’a pas compétence pour statuer sur la demande vu l’absence de lien avec la Couronne du chef du Canada. Ils soutiennent en outre que la Cour peut rendre une décision sur une question de droit, en particulier sur la question de l’immunité judiciaire relativement aux défendeurs de la magistrature de l’Ontario, conformément à l’alinéa 221(1)a) des Règles.

[12]  Toujours en s’appuyant sur l’alinéa 221(1)a) des Règles, les défendeurs font valoir qu’il est [traduction] « évident » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable.

[13]  Collectivement, ces défendeurs soutiennent, sur le fondement des alinéas 221(1)c) et f) des Règles, que la déclaration du demandeur est vexatoire et constitue un abus de procédure. À leur avis, la demande a les caractéristiques d’une instance qui repose sur des [traduction« arguments commerciaux pseudojuridiques organisés », laquelle est présumée vexatoire et abusive.

[14]  La requête du 2 août 2018, qui porte le numéro 23 dans le répertoire, a été déposée pour le compte du juge en chef adjoint John D. Rooke, de la protonotaire Martha Milczynski (les défendeurs de la magistrature fédérale) et de M. Dan Mayer (M. Mayer).

[15]  Selon ces défendeurs, la Cour devrait radier la déclaration, sur le fondement de l’alinéa 221(1)a) des Règles, car le demandeur ne s’appuie sur aucun fait substantiel pour démontrer l’inaction de l’un ou de l’autre d’entre eux envers le demandeur pouvant donner ouverture à un droit d’action, ou pour démontrer l’existence d’une obligation de leur part envers lui.

[16]  S’appuyant sur les alinéas 221(1)c) et f), ces défendeurs soutiennent en outre que la demande est frivole et vexatoire. Ils allèguent que le demandeur n’invoque aucune cause d’action contre eux et affirment qu’il est inapproprié de les poursuivre sur le fondement d’une arrestation à laquelle ils n’ont pas pris part.

[17]  Ces défendeurs s’appuient également sur les observations présentées par les défendeurs de la magistrature de l’Ontario et les défendeurs de l’Ontario relativement à la présence d’arguments commerciaux pseudojuridiques organisés dans la déclaration du demandeur.

[18]  Enfin, le juge en chef adjoint Rooke et la protonotaire Milczynski invoquent le principe de l’immunité judiciaire. La protonotaire Milczynski s’appuie sur le paragraphe 12(6) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, à cet égard.

[19]  Le juge en chef adjoint Rooke et la protonotaire Milczynski soutiennent tous deux que le principe de l’immunité judiciaire les met à l’abri de toute poursuite relativement à l’exercice de leurs fonctions judiciaires, cet élément n’ayant d’ailleurs pas été allégué.

[20]  Ces défendeurs soutiennent en outre que, en tout état de cause, ils n’avaient aucune obligation envers le demandeur et qu’en conséquence, ils ne peuvent être tenus responsables d’un manquement à une obligation.

[21]  La requête déposée pour le compte des défendeurs de la magistrature fédérale et de M. Mayer est appuyée par l’affidavit de Mme Julie Peacock, commis juridique au cabinet Borden Ladner Gervais, les avocats de ces défendeurs. Elle avoir été informée par l’avocat de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta que le défendeur le juge en chef adjoint Rooke n’a [traduction] « eu aucun contact avec le demandeur ».

[22]  Madame Peacock précise également que la protonotaire Milczynski a reçu certains courriels du demandeur en janvier et février 2018, avant le dépôt de la présente action. Des copies de ces courriels sont jointes à titre de pièces à l’affidavit de Mme Peacock.

[23]  Madame Peacock affirme également que M. Mayer lui a donné des renseignements au sujet de la correspondance par courriel et des communications téléphoniques avec le demandeur, et de courriels reçus de la part d’une personne se désignant lui-même par le nom de [traduction] « serviteur Edward Jay‑Robin ». Cette personne a reçu de la part du demandeur une copie de la correspondance par courriel. Des copies des courriels en question sont jointes à titre de pièces à l’affidavit de Mme Peacock.

[24]  Madame Peacock affirme qu’en février 2018, ou vers cette date, M. Mayer était directeur général intérimaire, Services de sécurité, pour le Service administratif des tribunaux judiciaires à Ottawa (Ontario).

[25]  Madame Peacock précise également qu’à la date où elle a signé son affidavit, soit le 2 août 2018, M. Mayer était le directeur principal des opérations, Services de sécurité, du Service administratif des tribunaux judiciaires à Ottawa (Ontario).

[26]  La troisième requête, datée du 8 août 2018, porte le numéro 26 dans le répertoire; elle a été déposée pour le compte de M. David Cass et de Mme Taryn McCormick.

[27]  Selon ces défendeurs, la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire; elle constitue un abus de procédure; et elle devrait être radiée suivant les alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles.

[28]  La quatrième requête, datée du 10 août 2018, porte le numéro 32 dans le répertoire; elle a été déposée pour le compte de la gouverneure générale Julie Payette, de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland et de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada Jody Wilson‑Raybould (tel était alors son titre) (les défenderesses de l’autorité fédérale).

[29]  Quant aux défenderesses de l’autorité fédérale, elles soutiennent que la déclaration constitue un abus de procédure visé à l’alinéa 221(1)f) des Règles. Elles soutiennent qu’elles ne sont visées par aucune allégation dans la déclaration, qu’elles ne sont désignées que dans l’intitulé et n’apparaissent nulle part dans le contenu de l’acte de procédure.

[30]  Les défenderesses de l’autorité fédérale soutiennent en outre que la déclaration est frivole et vexatoire, suivant l’alinéa 221(1)c) des Règles, et qu’elle est remplie d’allégations scandaleuses non étayées.

[31]  La requête déposée pour le compte des défenderesses de l’autorité fédérale est appuyée par l’affidavit de Mme Wendy Dennis.

[32]  Madame Dennis est parajuriste au service du Bureau régional de l’Ontario du ministère de la Justice du Canada et, en cette qualité, elle travaille avec Me Jon Bricker, avocat des défenderesses de l’autorité fédérale.

[33]  Madame Dennis affirme que Me Bricker lui a donné des renseignements, notamment au sujet de certains courriels reçus de la part de Me Jeremy Glick, avocat des défendeurs de l’autorité provinciale.

[34]  Madame Dennis joint à titre de pièces à son affidavit des copies des courriels en question. Certains de ces courriels contenaient des lettres envoyées à divers destinataires, dont le greffier de la Cour fédérale à Toronto.

[35]  La cinquième requête, datée du 15 août 2018, porte le numéro 37 dans le répertoire; elle a été déposée pour le compte d’Edie Simpson. À son avis, la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable et devrait être radiée sur le fondement de l’alinéa 221(1)a) des Règles.

[36]  Cette défenderesse soutient également que la déclaration est frivole et vexatoire, et qu’elle constitue un abus de procédure au sens des alinéas 221(1)c) et f). Elle affirme en outre que la déclaration semble contenir des arguments commerciaux pseudojuridiques organisés. Enfin, elle soutient que l’article 448 de la Loi de 2001 sur les municipalités, LO 2001, c 25 — une loi de l’Ontario —, la dégage de toute responsabilité.

[37]  Le demandeur a répondu aux nombreuses requêtes sollicitant la radiation de sa déclaration.

[38]  Premièrement, le demandeur a présenté un avis de requête dans lequel il sollicitait une ordonnance visant à faire radier les requêtes, les observations, les défenses et autres, déposés par les parties requérantes. S’appuyant sur les alinéas 221(1)b), c), d), e) et f) des Règles, il soutient que les documents déposés par les défendeurs y contreviennent.

[39]  Le demandeur soulève d’autres arguments, notamment celui selon lequel les défendeurs [traduction] « pervertissent » la magistrature en dénonçant la présence dans son action d’arguments commerciaux pseudojuridiques organisés, et celui selon lequel il subirait un préjudice grave, notamment en raison d’une atteinte à ses droits de la personne, si les requêtes des défendeurs étaient accueillies.

[40]  Dans une lettre datée du 23 octobre 2018, le demandeur soutient qu’il a intenté une action par laquelle il poursuit les défendeurs non pas en leur qualité de fonctionnaires ou d’employés du « gouvernement », mais « personnellement ». Il affirme que les défendeurs et le personnel du greffe de la Cour fédérale ne l’ont pas respecté parce qu’ils n’ont pas tenu compte de ses croyances religieuses.

III.  ANALYSE ET DÉCISION

[41]  Les parties requérantes invoquent, à l’appui de leurs requêtes, les alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles, le principe de l’immunité judiciaire pour les défendeurs de la magistrature de l’Ontario et de la magistrature fédérale, ainsi que l’immunité que la Loi sur les municipalités, précitée, accorde à Mme Simpson. De nombreux défendeurs soutiennent également que la déclaration est offensante parce qu’elle est fondée sur des arguments commerciaux pseudojuridiques organisés, ce genre d’affaire ayant été vivement critiquée et rejetée dans Meads c. Meads, [2013] 3 WWR 419.

[42]  Les alinéas 221(1)a), c) et f) du Règlement sont ainsi libellés :

Radiation d’actes de procédure

Striking Out Pleadings

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

[…]

[…]

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

[…]

[…]

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[43]  Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête en radiation invoquant le motif visé à l’alinéa 221(1)a) des Règles, à savoir que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable (voir le paragraphe 221(2) des Règles). La Cour doit accepter comme étant véridiques les allégations susceptibles d’être prouvées (voir Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959). Ce principe ne s’applique pas aux allégations fondées sur les conjectures et les hypothèses (voir Operation Dismantle Inc. c La Reine (1985), 18 DLR (4th) 481 (CSC), [1985] 1 RCS 441, aux pages 486 et 487, 490 et 491).

[44]  S’agissant du contenu de la déclaration et des observations des parties, j’estime qu’il y a lieu de radier la déclaration, puisqu’elle ne révèle aucune cause d’action valable.

[45]  Suivant Bérubé c Canada (2009), 348 FTR 246, au paragraphe 24, pour qu’une déclaration révèle une cause d’action valable, elle doit :

i.  alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action;

ii.  indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits;

iii.  et préciser le redressement sollicité qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit être compétente pour accorder.

[46]  Les défendeurs soutiennent que le demandeur n’appuie sa déclaration sur aucun fait substantiel [traduction] « raisonnablement apte » à étayer une cause d’action.

[47]  Je suis d’accord.

[48]  La déclaration du demandeur est décousue et incohérente : il reproche à des agents de police, à savoir des membres de la Police provinciale de l’Ontario (la PPO) ou de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC), d’avoir commis une sorte d’inconduite apparemment causée par son statut de ministre de culte présidant un sanctuaire religieux à Parry Sound.

[49]  Le demandeur allègue qu’il a été victime de harcèlement et de discrimination parce qu’il était un ministre de culte chrétien. Les paragraphes 3, 14 et 53 de sa déclaration énoncent ces allégations :

[traduction]

3. Le 12 octobre 2017, vers 10 h 20, Shawn Retzler est entré dans les lieux sans autorisation et a porté atteinte à la personne du ministre de culte David Williams en recourant à la menace, à la force, à la violence, à l’intimidation et au terrorisme et en procédant à une arrestation illégale; il a illégalement empêché le ministre de culte connu sous le nom de David Williams d’exercer ses fonctions, l’a empêché d’accomplir son service divin, et l’a empêché d’exercer ses fonctions afférentes à sa vocation. Toutes les mesures prises par Shawn Retzler contre le ministre de culte David Williams et les biens de l’église ont été commises dans des lieux où il était clairement indiqué qu’il s’agissait d’une propriété privée, et Shawn Retzler a agi sans mandat ni autorisation dans les lieux identifiés comme étant une propriété privée.

14. Le demandeur a subi un préjudice parce que ses croyances bien ancrées, sa foi, sa vocation divine ont été ignorées et parce que les défendeurs ont sciemment et délibérément fait preuve d’entrave d’intimidation, de nuisance, de menaces, de violence, d’enlèvement, d’extorsion; ils sont entrés dans les lieux sans autorisation; ils ont procédé à une arrestation illicite sans motif ainsi qu’à un emprisonnement; ils ont commis des voies de fait, du vol, des actes d’extorsion, de terrorisme, de fraude, de nuisance commune; lui ont fait craindre des lésions corporelles, un traumatisme et un danger pour sa santé et sa sécurité […]

53. L’expression de la foi chrétienne et le fait d’être ministre de culte ont donné lieu à d’énormes préjugés, exprimés collectivement par les défendeurs et leurs collègues, et ont en outre envoyé le message que les tenants de la foi chrétienne et les ministres de culte chrétiens devaient faire l’objet d’une discrimination parce qu’ils sont considérés comme des terroristes. Cela a effectivement perpétué le point de vue selon lequel les chrétiens et les ministres de culte chrétiens sont moins dignes que les autres de protection, notamment juridique, et qu’ils ne sont pas dignes des mêmes protections que celles accordées au commun des mortels.

[50]  Le demandeur allègue que les actes des défendeurs ont porté atteinte aux droits que lui confère l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, étant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11, et que ces actes constituent une pratique discriminatoire dénoncée par la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC, 1985, c H‑6, le Code des droits de la personne, LRO 1990, c H. 19, et la Politique de la Commission ontarienne des droits de la personne sur la prévention de la discrimination fondée sur la croyance.

[51]  Aucun fait n’a été invoqué à l’appui d’une cause d’action l’un ou l’autre des défendeurs. Les allégations sont soit non fondées, soit hypothétiques. Les paragraphes suivants sont un exemple des allégations formulées par le demandeur :

[traduction]

35. Bien que le demandeur ait proposé à trois reprises de pardonner à toutes les personnes en cause, il a été informé que la seule conclusion acceptable serait qu’il trahisse sa foi et fasse, sous la contrainte, une déclaration de culpabilité complètement fausse aux yeux de tous, et qu’il paie de lourdes amendes. Le ministre de culte David Williams a subi de force l’extorsion découlant des actions et inactions collusoires commises par les défendeurs et les hommes et femmes chargés de l’exécution civile, des procureurs de la Couronne et des juges de paix qui, ignorant complètement les faits, ont ainsi fait des fausses déclarations sous serment, fraudé le tribunal et agi comme complices dans l’infraction de fraude.

36. Il était évident, d’après les faits, que rien n’a été reproché au ministre de culte David Williams, et ne pouvait l’être, relativement aux infractions visées aux articles 176, 180, 336, 337, 423 et 794 du Code criminel.

[52]  Aucune allégation précise n’a été faite à l’égard des défendeurs de la magistrature de l’Ontario ou de la magistrature fédérale en leur qualité de juges, ni à l’égard de tout acte qu’ils auraient pu accomplir personnellement.

[53]  Selon Tsai v. Klug, [2005] OTC 480, conf. par 207 OAC 225, autorisation d’appel à la CSC refusée, 31427 (17 août 2006), l’immunité absolue s’applique aux personnes exerçant des fonctions judiciaires en raison d’actes accomplis dans le cadre de leur fonction judiciaire. Voici le paragraphe 6 de la décision :

[traduction]

[…] Bien que l’immunité ne s’applique pas aux actes qu’ils accomplissent strictement personnellement, la responsabilité des juges n’est toutefois pas engagée lorsqu’ils accomplissent des actes relativement à leurs fonctions judiciaires. […]

[54]  Ces défendeurs ne sont désignés que dans l’intitulé. Cela ne constitue pas une « cause d’action ». En l’absence de toute allégation suffisante concernant les défendeurs de la magistrature de l’Ontario et de la magistrature fédérale, la déclaration doit être rejetée.

[55]  Dans sa déclaration, le demandeur désigne personnellement Julie Payette en tant que première défenderesse.

[56]  Madame Payette est la gouverneure générale du Canada, un poste créé par la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Victoria, c 3, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5. Aucune allégation n’est faite à l’égard de Mme Payette.

[57]  Madame Freeland est la ministre des Affaires étrangères du gouvernement du Canada. Maître Wilson‑Raybould est l’ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada.

[58]  Aucune allégation précise n’a été formulée contre ces défenderesses. Il n’existe aucune cause d’action valable apparente dans la déclaration.

[59]  Le demandeur renvoie vaguement à M. Mayer, un employé du Service administratif des tribunaux judiciaires. Aucune allégation n’a clairement été formulée à l’égard de M. Mayer.

[60]  Par conséquent, la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable à l’égard des défenderesses de l’autorité fédérale ou de M. Mayer.

[61]  Selon les observations écrites déposées pour le compte des défendeurs de l’Ontario, ceux-ci sont constitués de membres de la Police provinciale de l’Ontario, de procureurs de la Couronne et de directeurs régionaux des opérations de la Couronne.

[62]  Aucune allégation particulière ou précise n’est formulée à l’égard de ces personnes. Aucune cause d’action valable n’est révélée à l’égard des défendeurs de l’Ontario.

[63]  Messieurs Cass et McCormick ne sont pas désignés dans le contenu de la déclaration. Ils ne sont désignés que dans l’intitulé. Cela ne constitue pas une « cause d’action ».

[64]  Madame Simpson affirme que la Loi de 2011 sur les municipalités, précitée, lui confère une protection. Cette loi ne confère aucune compétence à la Cour. Aucune cause d’action valable n’existe contre cette défenderesse.

[65]  Je tiens à faire quelques remarques brèves sur les observations des défendeurs selon lesquelles la déclaration du demandeur devrait être radiée sur le fondement de l’alinéa 221(1)c), en raison de son caractère scandaleux, frivole et vexatoire. Lorsque la Cour examine une requête en radiation pour ces motifs, elle doit tenir compte du bien‑fondé de la demande (voir Blackshear c Canada, 2013 CF 590, au paragraphe 12).

[66]  Les allégations contenues dans la déclaration ne sont pas suffisantes. Rien ne permet d’évaluer le bien‑fondé de la demande.

[67]  À mon avis, la déclaration devrait également être radiée sur le fondement de l’alinéa 222(1)c) des Règles.

[68]  Étant donné que la déclaration ne révèle pas de cause d’action valable et qu’elle comporte par ailleurs les irrégularités visées à l’alinéa 221(1)c), j’estime qu’elle constitue un abus de procédure au sens de l’alinéa 221(1)f).

[69]  Selon les défendeurs, la déclaration est du demandeur est fondée sur des arguments commerciaux pseudojuridiques organisés.

[70]  Suivant Meads, précitée, au paragraphe 4, un plaideur qui fonde sa thèse sur des arguments commerciaux pseudojuridiques organisés est celui qui exprime :

[traduction]

un rejet général de l’autorité des tribunaux et de l’État […]. L’on retrouve des arguments et des allégations de cette nature dans toutes sortes de procédures judiciaires, quelle que soit l’instance judiciaire ou administrative visée. Ce groupe a les éléments suivants en commun :

1 ils ont un ensemble distinctif de stratégies (nuancées, selon le groupe);

2. ils adoptent des formalités et un libellé précis, mais non pertinents, qu’ils semblent considérer comme importants (ou qu’ils décrivent comme tels);

3. ils citent les sources commerciales d’où proviennent leurs idées et leurs documents.

Cette catégorie de plaideurs possède une autre caractéristique essentielle, à savoir qu’ils ne respecteront les obligations issues de l’État, de la réglementation, des contrats, de la famille, des rapports fiduciaires, de l’équité et du droit pénal qu’à leur guise. Et règle générale, ils ne le font pas.

[71]  Le demandeur semble faire une affirmation générale selon laquelle les défendeurs désignés ont porté atteinte aux droits que lui confèrent les lois qu’il invoque dans sa déclaration. Aucun droit d’action ne saurait découler d’un manquement à une loi, ainsi que l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans La Reine c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205, à la page 225 :

Pour tous ces motifs, je serais opposé à ce qu'on reconnaisse au Canada l'existence d'un délit civil spécial de manquement à une obligation légale. La violation d'une loi, lorsqu'elle a une incidence sur la responsabilité civile, doit être considérée dans le contexte du droit général de la responsabilité pour négligence. La notion de négligence et celle d'obligation de diligence qui s'y rattache en common law sont assez fortes pour servir aux fins invoquées à l'appui de l'existence de l'action fondée sur l'infraction à une loi.

[72]  Pour obtenir une réparation découlant de la violation d’une loi, le demandeur doit établir qu’il y a eu manquement à l’obligation de diligence prévue par la common law. Le demandeur n’a pas démontré que l’un ou l’autre des défendeurs avaient envers lui une obligation de diligence.

[73]  Je retiens les arguments des défendeurs selon lesquels le demandeur cherche à fonder sa poursuite sur des arguments commerciaux pseudojuridiques organisés. De par sa nature, une telle démarche est vexatoire.

[74]  Le demandeur a répondu aux requêtes en radiation en déposant un dossier de requête et en sollicitant la radiation de tous les [traduction] « documents » déposés par les défendeurs. Il conteste les arguments selon lesquels sa déclaration comporte des arguments commerciaux pseudojuridiques organisés en faisant valoir qu’ils ne doivent être invoqués qu’à l’égard d’instances de nature commerciale, et que les allégations qu’il a formulées ne sont pas de cette nature.

[75]  Le demandeur conteste par ailleurs le [traduction] « droit » des défendeurs de présenter leurs requêtes et fait valoir qu’il cherchait, par l’action qu’il a intentée contre eux, à les poursuivre personnellement et non relativement à l’exercice de leurs charges publiques.

[76]  À mon avis, aucun des arguments et des observations du demandeur ne remédie aux vices de la déclaration tels qu’ils ont été allégués par les parties requérantes. Au contraire, les observations appuient les critiques formulées à l’égard de la déclaration relativement à l’absence d’une cause d’action valable et au non-respect des règles habituelles relatives aux actes de procédure.

[77]  De plus, les observations du demandeur tendent à confirmer qu’il est effectivement un plaideur qui fonde sa thèse sur des arguments commerciaux pseudojuridiques organisés et qui cherche à se soustraire à l’application des règles générales de pratique et de procédure.

[78]  La Cour donnera l’autorisation de modifier les actes de procédure lorsqu’il est possible de remédier aux vices qu’ils contiennent (voir Simon c Canada (2011), 410 NR 374 (CAF). À mon avis, il n’existe pas, en l’espèce, de tel vice auquel il est possible de remédier.

[79]  Je conclus que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable, qu’elle est frivole, scandaleuse et fondamentalement vexatoire. De plus, j’estime qu’aucune modification ne pourrait être apportée à la déclaration pour remédier aux vices fondamentaux qu’elle contient.

[80]  Par conséquent, la déclaration est radiée, sans autorisation de la modifier. Quant aux dépens de la requête, je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens devraient suivre l’issue de la cause.

[81]  Il s’ensuit que les requêtes des défendeurs sont accueillies et que la déclaration est radiée, sans autorisation de la modifier.

[82]  Des directives seront données au sujet des dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 11 juin 2019

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de juillet 2019

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1200‑18

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE CULTE DAVID WILLIAMS c JULIE PAYETTE, CHRYSTIA FREELAND, JOHN D. ROOKE, JODY WILSON‑RAYBOULD, YASIR NAQVI, PAUL BONIFERRO, CORNELIA MEWS, J. GARY MCMAHON, LOWELL HUNKING, SUSAN STOTHART, NATALIE BEAUSOLEIL, STEVEN SCHARGER, BRIAN BENCZE, WESLEY BEATTY, E. SIMPSON, VINCE HAWKS, MIKE GORDON, RICK MACKAY, DAWN CONNOR, SHAWN RETZLER, CHARLES CONSTABLE, DAVID CASS, TARYN MCCORMICK, DAVID LEWIS, NORMAN SABOURIN, DAN MAYER ET MARTHA MILCZYNSKI

 

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À TORONTO (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE heneghan

DATE DES MOTIFS :

LE 11 jUIN 2019

ARGUMENTATION ÉCRITE :

Le ministre de culte David Williams

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Michael M. Miller

POUR LA DÉFENDERESSE Edie Simpson

(E. SImpson)

Nadia Effendi

Christine Muir

POUR LES DÉFENDEURS JOHN D. rOOKE, MARTHA MILCZYNSKI ET DAN MAYER

Jeremy Glick

POUR LES DÉFENDEURS DE LA MAGISTRATURE de l’ontario ET LES DÉFENDEURS DE L’ontario

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Russell, Christie, LLP

Avocats

Orillia (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE Edie Simpson

(E. SImpson)

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS JOHN D. rOOKE, MARTHA MILCZYNSKI ET DAN MAYER

Ministère du procureur général

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS DE LA MAGISTRATURE DE L’ONTARIO ET LES DÉFENDEURS DE L’ontario

 

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