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Date : 20190531


Dossier : T-1384-15

Référence : 2019 CF 768

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ

ENTRE :

ROBIN BEASSE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF

DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, Robin Beasse, sollicite par voie de requête un procès sommaire contre la défenderesse, la Garde côtière canadienne (GCC), pour la perte de son remorqueur en bois construit en 1902 et baptisé l’Elf. Le 14 janvier 2014, l’Elf a sombré dans le port de Squamish, en Colombie‑Britannique (le premier naufrage). Après avoir renfloué le bâtiment, la GCC a estimé qu’il devait être remorqué jusqu’à un chantier de réparation pour y subir une inspection plus poussée, dans une optique de protection de la zone, jugée écosensible. La GCC a retenu les services d’un remorqueur pour conduire l’Elf jusqu’à un chantier naval. Le 17 janvier 2014, l’Elf s’est abîmé une nouvelle fois en eaux profondes (le second naufrage) près de la pointe Atkinson, en Colombie-Britannique.

[2]  L’Elf n’était pas immatriculé comme bâtiment commercial, ne possédait pas de licence d’embarcation de plaisance et n’était pas non plus assuré.

[3]  Le juge Manson a traité directement de la question du premier naufrage dans la décision Canada (Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires) c Beasse, 2018 CF 39 (Beasse 1).

[4]  Le juge Manson a conclu que M. Beasse, qui était défendeur dans l’affaire Beasse 1, était fautif. Il a accueilli la requête en jugement sommaire et adjugé les dépens en faveur du demandeur. Au paragraphe 43 de sa décision, il donne les précisions suivantes :

Le remorqueur était impropre à la navigation et il a coulé; le défendeur n’a pas exposé dans ses éléments de preuve, selon la prépondérance des probabilités, une défense fondée sur l’alinéa 77(3)b) de la LRMM, en ce qui concerne la responsabilité d’une tierce personne relativement au premier naufrage. Il ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait, à savoir présenter ses meilleurs arguments. En tant que propriétaire du remorqueur, il incombe au défendeur de prendre les mesures de dépollution requises.

[5]  À l’audience, les parties ont confirmé que la présente requête portait sur le second naufrage.

II.  Questions en litige

[6]  Il s’agit en l’espèce de trancher les deux questions suivantes :

  1. Est-ce qu’un procès sommaire est approprié en l’espèce?

  2. Est-ce que la défenderesse est responsable du second naufrage de l’Elf?

III.  Dispositions législatives applicables (annexe A)

[7]  Les dispositions législatives applicables figurant à l’annexe A des présents motifs.

IV.  Analyse

[8]  L’intitulé sera modifié afin de désigner « Sa Majesté la Reine du chef du Canada », la défenderesse appropriée.

La preuve

[9]  La preuve du demandeur est constituée des affidavits suivants :

  1. affidavit de Robin Beasse, souscrit le 9 septembre 2018 — affiant contre-interrogé les 15 juillet 2016, 15 mai 2017 et 7 janvier 2019;

  2. affidavit de Dean Holonko, souscrit le 4 novembre 2017 — affiant contre-interrogé le 29 novembre 2017.

[10]  La preuve de la défenderesse est constituée des affidavits suivants :

  1. affidavits de Jeffrey Brady, de l’organisme d’intervention environnementale de la Garde côtière canadienne, souscrits le 31 octobre 2017 et le 9 décembre 2018;

  2. affidavit de Philip Murdock, surintendant à la Direction générale de l’intervention environnementale de la Garde côtière canadienne, Région de l’Ouest, souscrit le 10 décembre 2018;

  3. affidavit de Chris Jenkins, pilote de bateau‑taxi travaillant pour Squamish Marine Services Ltd., souscrit le 6 décembre 2018;

  4. affidavit de Steven Roon, chef de bord de Valley Towing, souscrit le 6 décembre 2018;

  5. affidavit d’Elizabeth Silva, assistante juridique aux bureaux de Vancouver du ministère de la Justice, souscrit le 10 décembre 2018.

[11]  Les faits de l’affaire, établis d’après la preuve déposée, sont exposés dans les paragraphes qui suivent. Soulignons que les faits pertinents consignés au dossier ne sont pas contestés par les parties.

[12]  L’Elf, un remorqueur en bois dont la construction remonte à 1902, avait été immatriculé aux États‑Unis, mais jamais au Canada.

[13]  Le 15 octobre 2012, l’épouse du demandeur a acquis l’Elf auprès de ses propriétaires américains, les Van Diest. Même si Mme Beasse en était l’acheteuse, c’est le demandeur qui avait trouvé le bâtiment et l’avait inspecté; il en avait aussi négocié l’achat aux côtés de son épouse. Un acte de vente au montant de 16 500 $ US a été conclu entre le couple Van Diest et Mme Beasse.

[14]  Ni Mme Beasse ni le demandeur n’avait été propriétaire d’un bâtiment à coque de bois par le passé. En revanche, ils avaient possédé d’autres embarcations faites soit d’aluminium soit de fibre de verre.

[15]  Le 1er décembre 2013, Mme Beasse a transféré la propriété de l’Elf à son mari pour la somme de 100 $. Le demandeur a omis d’immatriculer ce dernier comme navire commercial; il n’a pas non plus obtenu de licence d’embarcation de plaisance ni assuré le bien.

[16]  Après avoir acquis l’Elf, le demandeur l’a conduit jusqu’au port de Squamish et l’a amarré aux côtés d’une barge, le King Arthur, qui se trouvait dans le bras mort de Mamquam. La barge appartenait à un particulier du nom de Steen Larsen.

[17]  M. Larsen était autorisé à se servir de l’Elf comme il l’entendait et la preuve indique qu’en échange, il s’engageait à en prendre soin. M. Larsen ne détenait aucun titre de propriété ni aucun intérêt relativement à l’Elf, mais comme nous le verrons plus loin, il s’est présenté à la GCC comme étant son propriétaire à de nombreuses occasions.

[18]  Le demandeur pensait que l’Elf était propre à la navigation avant que ne survienne le premier naufrage, le 14 janvier 2014.

[19]  Comme le signale le juge Manson dans la décision Beasse 1, le demandeur a appris le matin même que le remorqueur avait coulé. Il n’était pas monté à bord de l’Elf dans les sept à quatorze jours précédant le premier naufrage. Informée tôt en matinée du premier naufrage, la GCC est intervenue pour limiter la pollution causée par les hydrocarbures rejetés par l’Elf, qui remontaient à la surface.

[20]  Jeffrey Brady, qui occupait à titre intérimaire la fonction d’agent principal d’intervention environnementale à l’époque des faits et dont l’affidavit est crucial dans la présente requête, est arrivé sur les lieux de l’incident, au port de Squamish, vers 12 h 30. M. Larsen s’est présenté faussement à lui comme le propriétaire de l’Elf, ajoutant qu’il n’avait pas d’assurance et qu’il ne comptait pas s’occuper des hydrocarbures remontant à la surface et qu’il n’engagerait pas non plus d’entrepreneur pour procéder à la dépollution.

[21]  En cas d’événement de pollution, lorsque le pollueur refuse de prendre des mesures pour contrer, limiter ou prévenir les dommages dus à la pollution causée par un navire, qu’il en est incapable ou que l’on ignore s’il compte prendre de telles mesures, l’organisme d’intervention environnementale de la GCC est tenu par la loi de prendre les mesures nécessaires pour assurer une intervention appropriée. Dans son affidavit, M. Brady affirme avoir observé sur l’eau une pellicule argentée ou arc-en-ciel. Il signale également avoir été informé par le Centre National des urgences environnementales (CNUE) que le port de Squamish était un important habitat pour les oiseaux et les poissons et qu’il était extrêmement sensible aux polluants.

[22]  Compte tenu de ces constats préoccupants, la GCC a entouré d’un barrage flottant le lieu où les hydrocarbures rejetés par l’Elf, immergé, remontaient à la surface, puis elle a installé des matelas absorbants à l’intérieur du périmètre.

[23]  Le demandeur savait, ce 14 janvier 2014, que l’Elf avait coulé; il était également conscient que les deux grands réservoirs de carburants qui étaient à bord avaient causé de la pollution; cependant, dans son témoignage, il a déclaré qu’il n’avait rien fait ce jour-là concernant la pollution, parce qu’il n’avait ni l’expérience ni le matériel nécessaires et que la GCC s’occupait du déversement.

[24]  En tentant d’obtenir la confirmation de l’identité du propriétaire enregistré de l’Elf auprès de Transports Canada, M. Brady a appris que le bâtiment n’était pas régulièrement immatriculé.

[25]  Le soir du 14 janvier 2014, tous les intervenants se sont réunis pour discuter de l’opération de nettoyage et notamment, définir les objectifs et les priorités. Les discussions ont porté sur le plan du lendemain. Des réunions de cette nature ont eu lieu tous les soirs jusqu’au 17 janvier, et une dernière réunion a rassemblé la direction le 20 janvier 2014.

[26]  La GCC a informé M. Larsen que le propriétaire de l’Elf serait tenu d’assumer tous les coûts de dépollution. M. Larsen s’est engagé, le 14 janvier, à déployer des plongeurs et des coussins gonflables sur les lieux le lendemain. M. Larsen a été avisé que des réunions auraient lieu tous les soirs afin de discuter des efforts requis pour contrer la pollution, et il a été prié de fournir un plan d’intervention pour que la GCC puisse évaluer la capacité d’intervention du propriétaire en ce sens. Il a assisté à la première réunion, le 14 janvier 2014, mais au moment de s’en aller, il a déclaré qu’il ne pourrait pas fournir de plongeurs ni de coussins gonflables le 15 janvier, et qu’il le ferait plutôt le 16 janvier, ajoutant que de toute façon, il ne donnerait aucune autre précision à la GCC. Quant au demandeur, il n’a pas non plus assisté aux autres réunions quotidiennes.

[27]  Le 15 janvier 2014, du matériel absorbant supplémentaire et un récupérateur ont été emmenés sur les lieux. Les plongeurs professionnels de l’entreprise Hydra Marine Services Inc. (Hydra) ont procédé à une évaluation initiale de l’Elf sous la ligne de flottaison sans rien trouver d’évident pour expliquer le naufrage. En revanche, ils ont repéré une importante fuite de diesel qu’ils ont colmatée du mieux qu’ils le pouvaient, mais des hydrocarbures ont quand même continué de s’échapper de l’Elf.

[28]  Toujours le 15 janvier 2014, le demandeur et M. Larsen ont rencontré Philip Murdock, surintendant de la GCC et supérieur de M. Brady, sur les lieux du naufrage. Le demandeur, toutefois, s’est une fois de plus abstenu de se présenter comme le propriétaire de l’Elf. Au cours de la conversation, M. Larsen a de nouveau promis qu’il y aurait sur les lieux, pour le 16 janvier 2014, des plongeurs, un bateau de déploiement, des coussins gonflables et du matériel pour remonter le bâtiment à la surface. La déclaration a laissé M. Murdock sceptique étant donné que M. Larsen avait omis d’honorer la promesse faite antérieurement à M. Brady. À l’insu de M. Murdock, le demandeur a subrepticement enregistré la conversation entre les trois hommes au moyen de son téléphone cellulaire et a déposé l’enregistrement en preuve au procès.

[29]  Le 16 janvier 2014, vers 11 h, le demandeur s’est présenté sur la scène de l’incident, alors que la GCC, la Vancouver Pile Driving Ltd. (Vancouver Pile), une entreprise de construction maritime, et les plongeurs d’Hydra terminaient les préparatifs pour la remontée de l’Elf. L’équipe de plongée avait disposé des élingues sous le bâtiment et la grue de Vancouver Pile était prête à le soulever.

[30]  Se présentant enfin à la GCC comme le propriétaire de l’Elf, le demandeur a prié M. Brady et le grutier d’interrompre l’opération pour lui permettre de tenter de récupérer par lui‑même le bâtiment.

[31]  Plus tôt, M. Brady avait consulté le Service canadien de la faune, Environnement Canada et le CNUE au sujet d’un signalement qui avait été fait précédemment : des oiseaux en détresse avaient été observés dans la zone du port de Squamish. En raison de l’écosensibilité de la zone en question, M. Brady avait confié à Focus Wildlife le mandat d’effectuer une évaluation de la faune dans le port de Squamish. À la fin de son évaluation, Focus Wildlife a indiqué qu’aucune autre mesure d’intervention n’était requise concernant la faune.

[32]  Une fois toutes ces considérations prises en compte et les préparatifs nécessaires terminés, il ne restait plus qu’à remonter l’Elf. La GCC a donc procédé à la remontée puis à l’assèchement du bâtiment.

[33]  Plus tard, M. Brady a découvert que le demandeur avait apporté les coussins gonflables et d’autre matériel sur les lieux, mais aucun autre équipement de sauvetage, et aucun plongeur professionnel n’était présent. Dans son affidavit et lors de son contre‑interrogatoire, le demandeur a déclaré que son certificat d’aptitude à la plongée ne s’appliquait qu’à la plongée récréative et qu’il n’avait jamais pénétré à l’intérieur d’un bâtiment coulé ni gonflé de coussins gonflables au moyen de tuyaux. La grue terrestre du demandeur était alors en disponibilité sur un chantier de Delta, en Colombie‑Britannique, et on n’avait pas entrepris de la transporter.

[34]  Ainsi, à aucun moment M. Larsen, le demandeur ou leurs représentants ont fait quoi que ce soit pour contenir, limiter ou nettoyer la pollution causée par l’Elf. Pareillement, M. Larsen et le demandeur n’ont remis aucun plan d’intervention à la GCC précisant les prochaines mesures qu’ils comptaient prendre.

[35]  Les plongeurs d’Hydra n’ont rien observé sous la ligne de flottaison qui puisse expliquer le naufrage, et lorsque l’Elf a été remonté à la surface, aucune source apparente d’infiltration d’eau n’a été constatée. Par la suite, on a multiplié les efforts pour tenter de déterminer la cause du premier naufrage. Aucune des personnes qui ont inspecté ou examiné l’Elf n’a été en mesure de déterminer exactement pourquoi le bâtiment avait coulé; toutefois, trois éléments d’information importants se dégagent.

[36]  Premier élément : Jim Small, un expert maritime retenu par la GCC, est monté à bord du bâtiment pour l’inspecter. M. Small a recommandé que l’Elf soit sorti de l’eau pour une inspection complète qui permettrait de déterminer sa condition actuelle, sa navigabilité et sa valeur.

[37]  Deuxième élément : Dean Holonko, un expert maritime retenu par l’administrateur de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, est lui aussi monté à bord de l’Elf pour l’inspecter. M. Holonko n’a pu trouver aucun signe d’une infiltration d’eau ou de ce qui était à l’origine du naufrage. Il a déclaré dans un témoignage ultérieur que le premier naufrage avait probablement été causé par un bordage en bois submergé qui aurait cédé, laissant pénétrer l’eau à l’intérieur du bateau. Selon lui, sur les vieux bateaux, les chevilles ont tendance à lâcher et à se détériorer sous la pression d’un bordage disjoint.

[38]  Troisième élément : le demandeur et M. Larsen sont eux aussi montés à bord de l’Elf pour mener une inspection qui a duré au moins 45 minutes, en compagnie de M. Small et de M. Holonko, et ils ont été tout aussi incapables de repérer la cause du premier naufrage.

[39]  Quoi qu’il en soit, M. Brady a observé la présence de résidus d’hydrocarbures et d’eau lorsqu’il est monté à bord de l’Elf après que celui-ci eut été remonté à la surface et asséché. Le rejet de combustible se poursuivait, mais le débit était réduit. L’objectif restait de prévenir, de contenir et de limiter les dommages dus à la pollution, qui représentait un risque important pour le port de Squamish, un milieu écosensible; or, puisque le propriétaire de l’Elf ne lui avait pas remis de plan, la GCC a pris les devants en commandant une expertise du bâtiment afin de pouvoir définir le plan des opérations. La marina Shelter Island, située sur le bas Fraser, était considérée comme l’endroit le plus rapproché et sensé pour y tracter l’Elf hors de l’eau et permettre ainsi à M. Small de procéder à l’évaluation du bâtiment, qui flottait à nouveau par lui‑même.

[40]  La GCC a pris les dispositions nécessaires pour le remorquage de l’Elf, en trois étapes, jusqu’à la marina Shelter Island. Dans un premier temps, le bâtiment serait toué derrière la barge de Vancouver Pile depuis le bras mort de Mamquam jusqu’à une estacade près du ruisseau Shannon (l’étape 1). Ensuite, il serait toué de la même manière à proximité de la pointe Atkinson (l’étape 2). Les deux premières étapes seraient exécutées par Squamish Marine Services Ltd. (SMS), une entreprise de remorquage. Enfin, arrivé à la pointe Atkinson, l’Elf serait confié à une autre entreprise de remorquage, Valley Towing Ltd. (Valley Towing), qui terminerait le trajet jusqu’à la marina Shelter Island (l’étape 3).

[41]  M. Brady a demandé que, pendant toute la durée du remorquage, une pompe préalablement amorcée soit présente à bord de l’Elf pour qu’elle soit prête à fonctionner au besoin. Ce dernier devait être placé sous surveillance du début à la fin du remorquage, conformément à la recommandation faite par M. Small. Au cours de l’étape 1, Chris Jenkins a piloté le bateau‑taxi qui a suivi le convoi formé de l’Elf, de la barge de Vancouver Pile et du remorquer de SMS du bras mort de Mamquam jusqu’à l’estacade située près du ruisseau Shannon. L’Elf a été attaché aux extrémités bâbord et tribord de la poupe de la barge au moyen de deux gros attelages. SMS a demandé à M. Jenkins d’assurer la sécurité des lieux en surveillant l’Elf pendant qu’il se trouvait amarré à l’estacade et en veillant à ce que personne ne puisse toucher au bâtiment.

[42]  Après avoir amarré l’Elf à l’estacade, près du ruisseau Shannon, M. Brady et M. Holonko ont de nouveau examiné le bâtiment. N’ayant pu trouver de source d’infiltration d’eau, les deux hommes n’ont donc pas été en mesure de déterminer avec précision la source de la fuite.

[43]  Lorsque M. Brady a laissé l’Elf sur les lieux de l’estacade, vers 17 h le 16 janvier, celui-ci flottait toujours par lui-même. M. Jenkins est demeuré sur place pour continuer de surveiller le bâtiment.

[44]  L’étape 2 du remorquage a débuté vers 23 h 30, en conservant la même configuration et les mêmes câbles de remorquage que pendant l’étape 1. À l’étape 2 du remorquage, M. Jenkins a également surveillé l’Elf jusqu’à la pointe Atkinson. Durant cette étape, le bateau‑ taxi est resté attaché à la hanche tribord de l’Elf jusqu’aux environs de 2 h 45, le 17 janvier, heure à laquelle les vagues produites par un grand navire hauturier qui passait au large ont fait sauter le cordage qui reliait le bateau‑taxi à l’Elf. Après cela, le bateau-water s’est contenté de suivre de près le bâtiment ou de rester à ses côtés. Pendant toute la durée de l’étape 2 du remorquage, M. Jenkins a surveillé les balises, le gîte et l’état de l’Elf et n’a observé aucun changement. Il n’a pas eu à faire fonctionner la pompe au cours du remorquage. SMS a remis l’Elf à Valley Towing vers 4 h 15, le 17 janvier, près de la pointe Atkinson et de l’île Passage. C’est à partir de ce moment que les choses se sont mises à aller de mal en pis.

[45]  Lors de l’étape 3 du remorquage, Steven Roon était le matelot de pont du Seatow, le bâtiment de Valley Towing. Pendant que l’Elf était remis à cette dernière, les projecteurs du Seatow étaient allumés. M. Roon est monté à bord de l’Elf. Il a vérifié la salle des machines, où il a vu de la graisse au sol et des hydrocarbures et des débris un peu partout. Il a remarqué la pompe près de la salle des machines et a obtenu de M. Jenkins la confirmation qu’on n’avait pas eu à l’utiliser. Puis, M. Roon a détaché l’Elf de la barge de Vancouver Pile pour l’arrimer au Seatow au moyen d’une corde de traction de polypropylène. Il a ensuite fixé des lampes portatives à bâbord, à tribord et à la poupe, puis a regagné le Seatow.

[46]  Après avoir halé le cordage de polypropylène, M. Roon est remonté sur l’Elf et a substitué à ce cordage un câble de remorquage à patte d’oie et le treuil. Lorsqu’il a entendu son collègue à bord du Seatow lui dire que l’Elf paraissait en difficulté, M. Roon s’est immédiatement rendu à la poupe du bâtiment pour démarrer la pompe. Il a remarqué que l’eau était en train d’inonder le pont arrière.

[47]  Alors que M. Roon revenait vers la proue de l’Elf, son collègue lui a crié de larguer le câble de remorquage et de remonter à bord. M. Roon a alors récupéré les lampes portatives installées à bâbord et à tribord, mais il n’a pu reprendre celle qui se trouvait à la poupe, car la manœuvre aurait été trop risquée. Comme le pont était glissant, il a dû se cramponner aux flancs du bâtiment. Après avoir largué le câble de remorquage, il s’est hissé tant bien que mal à bord du Seatow. Quelques minutes à peine après que M. Roon a eu rejoint le Seatow, l’Elf sombrait, la poupe en premier. Le capitaine du Seatow, William Kelly, a relevé les coordonnées de l’endroit où le navire s’est abîmé, puis les a transmises aux Services de communication et de trafic maritime de Vancouver.

[48]  Il était 4 h 35 lorsque l’Elf a officiellement coulé le 17 janvier 2014 près de la pointe Atkinson, environ 20 minutes après le changement de remorqueur; il s’agissait alors de son second naufrage.

[49]  La GCC n’a pas envisagé d’essayer de remonter le bâtiment à la surface, car comme la preuve l’indique, l’opération de sauvetage de l’Elf aurait coûté entre 650 000 et 2 000 000 $ US.

[50]  Après le second naufrage, le Programme national de surveillance aérienne (PNSA) a effectué un vol au-dessus de la zone où l’Elf s’était abîmé pour un contrôle de la pollution causée par les hydrocarbures. Les employés du PNSA ont remarqué un déversement d’hydrocarbures au sud de la baie Howe, près de l’endroit du naufrage. La GCC a jugé qu’en raison de la quantité estimée d’hydrocarbures, il n’était pas nécessaire de déployer des ressources supplémentaires.

A.  Est-ce qu’un procès sommaire est approprié en l’espèce?

[51]  Précédemment, dans la décision Beasse 1, le juge Manson a analysé la question de savoir si l’affaire se prêtait à un procès sommaire, question à laquelle il a répondu par l’affirmative. Au paragraphe 30 de ses motifs, il déclare en effet : « La Cour a confirmé que l’application de la jurisprudence pertinente de la Colombie-Britannique concernant l’article 18A des anciennes Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, BC Reg 221/90, sur lequel repose les articles 213 et 216 des Règles des Cours fédérales, est éclairante. »

[52]  Les parties à la présente requête conviennent qu’il est approprié de trancher l’affaire dans le cadre d’un procès sommaire.

[53]  Je conclus qu’il s’agit effectivement d’une affaire qui peut être tranchée au moyen d’un procès sommaire. Les désaccords quant aux faits sont limités, voire inexistants et la crédibilité des parties n’est pas véritablement en cause. La question de la responsabilité est la seule question de droit isolable que la Cour est appelée à trancher, et le dossier qui lui est présenté est bien étoffé.

[54]  Procéder par voie de procès sommaire va dans le sens d’une justice abordable et expéditive (Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au paragraphe 5).

B.  Est-ce que la défenderesse est responsable du second naufrage de l’Elf?

(1)  Arguments du demandeur

a)  La navigabilité

[55]  Le demandeur soutient que la GCC, en prenant possession de l’Elf après le premier naufrage, était devenue responsable du second naufrage. Selon lui, dans l’arrêt Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd c BC Marine Shipbuilders Ltd et al, [1981] 1 RCS 363 (Wire Rope), la Cour suprême du Canada a statué que lorsque le propriétaire d’un remorqueur conclut un contrat de remorquage, il doit s’assurer que le remorqueur est en état de naviguer.

[56]  Le demandeur prétend que puisque la GCC avait la possession et la maîtrise de l’Elf, elle devait s’assurer que ce dernier était propre à la navigation avant de le remorquer.

[57]  De plus, selon le demandeur, puisqu’il n’y avait plus aucune urgence une fois l’Elf sorti de l’eau, rien ne peut justifier que la GCC ait omis de s’assurer de sa navigabilité. La position du demandeur est qu’aucune preuve n’a été produite concernant les causes du second naufrage, de sorte que la défenderesse ne dispose d’aucun moyen de se dégager de sa responsabilité.

[58]  Le demandeur affirme qu’au moment de remorquer l’Elf, la défenderesse ne s’est pas d’abord assurée que le bâtiment était navigable. À cause de cette omission, la défenderesse doit être tenue responsable.

[59]  Ces arguments concernant la navigabilité sont inextricablement liés aux autres arguments du demandeur, ce dont il est question plus loin.

b)  Le dépôt

[60]  Parallèlement à l’argument qui précède, le demandeur affirme qu’en tant que dépositaire, la défenderesse avait envers lui l’obligation de faire preuve d’une diligence raisonnable au regard du déplacement de l’Elf; il ajoute qu’en procédant à ce déplacement, la défenderesse avait outrepassé les pouvoirs qui lui étaient conférés par la loi et qu’elle avait manqué à cette obligation et s’est donc montrée négligente.

[61]  Le demandeur n’explique pas pourquoi il prétend que la défenderesse agissait en qualité de dépositaire des biens du demandeur.

[62]  Dans le Black’s Law Dictionary, le « dépôt » (bailment) est défini comme suit : [traduction] « Délivrance d’un bien personnel par [le déposant] (bailor) au [dépositaire] (bailee) qui détient le bien à une fin déterminée, habituellement en vertu d’un contrat exprès ou découlant implicitement des faits » (10e éd., 2014). Le déposant doit prendre temporairement possession des marchandises du dépositaire, étant entendu qu’elles lui seront retournées. L’une des caractéristiques du dépôt tient au fait que le dépositaire assume la responsabilité de la bonne garde des marchandises [Seaspan International Ltd c Le Kostis Prois, [1974] RCS, aux pages 920 à 927 (Seaspan)].

[63]  La GCC a agi en vertu des pouvoirs conférés par l’article 180 de la Loi de 2001 sur la marine marchande au Canada, LC 2001, c 26 (Loi de 2001 sur la marine marchande au Canada) lorsqu’elle a décidé, après la sortie de l’eau du bâtiment, de le faire remorquer jusqu’au port de Shelter en vue d’une inspection plus poussée. Il est de droit constant que les lois l’emportent sur les règles de common law. Je souscris à l’avis de la défenderesse selon lequel la notion de dépôt ne s’applique pas en l’espèce. La loi applicable ne prévoit aucune règle semblable à celle du dépôt, qui garantit le retour des biens à leur propriétaire.

[64]  À l’inverse des principes fondamentaux du dépôt, l’article 180 de la Loi de 2001 sur la marine marchande au Canada prévoit que le ministre des Pêches et des Océans peut enlever, détruire ou disposer autrement d’un bâtiment s’il a des motifs raisonnables de croire que ce bâtiment a rejeté, rejette ou pourrait rejeter un polluant. La disposition ne prévoit pas la constitution d’un dépôt, et en retenir une telle interprétation reviendrait à faire fi du sens ordinaire des mots qui la composent.

[65]  Dans l’arrêt Seaspan, des arguments du même ordre ont été présentés pour faire valoir qu’il y avait eu dépôt, mais la Cour suprême du Canada a tiré les conclusions suivantes, aux pages 928 et 929 :

De toute manière, comme il n’y a pas eu de dépôt, le fardeau d’établir que la perte a été causée par la négligence des intimés, ou que cette négligence y a contribué, incombait aux appelantes et, à mon avis, il n’y avait pas de preuve de négligence. […] D’autres considérations auraient pu s’appliquer s’il y avait eu des preuves d’une négligence active, imputable aux intimés, qui aurait causé la perte ou y aurait contribué, mais, pour les motifs que j’ai indiqués, les intimés n’avaient aucune obligation de faire vérifier les câbles, et comme l’omission de ce faire n’a été qu’un facteur purement passif, les appelantes ne peuvent avoir gain de cause.

[66]  Il y a lieu d’appliquer le même raisonnement en l’espèce. Il n’appartient pas à la Cour de suppléer aux arguments du demandeur lorsque ceux-ci sont déficients. Néanmoins, même si l’on admet que la GCC agissait en tant que dépositaire, l’obligation du dépositaire consiste à prendre à l’égard des biens les soins et les précautions auxquels on pourrait raisonnablement s’attendre de la part d’un propriétaire prudent dans des circonstances semblables (voir Neff c St Catharines Marina Ltd, [1998] 155 DLR (4th) 647, aux paragraphes 23 à 25). Comme nous le verrons plus loin dans le détail, je suis d’avis que la GCC a bel et bien fait preuve d’une diligence raisonnable à tout moment au cours de l’opération de remorquage.

c)  La perte d’éléments de preuve

[67]  Pour étayer la thèse voulant que la défenderesse ait été négligente, le demandeur fait valoir que la GCC en était aux étapes préliminaires de son enquête lorsqu’elle a perdu un élément de preuve qui serait venu en aide au demandeur, l’élément de preuve en question étant l’Elf lui-même, qui a coulé. Selon le demandeur, à défaut de récupérer l’Elf, il est impossible de prouver que le naufrage a été causé par un bordage disjoint et, partant, la thèse de l’expert n’est pas étayée. En outre, le demandeur ajoute qu’en ne produisant pas les témoignages des plongeurs d’Hydra qui ont remis le navire à flot après le premier naufrage ni celui des membres de l’équipage, la défenderesse a empêché le demandeur de disposer d’éléments de preuve concrets susceptibles d’étayer ces arguments.

[68]  Comme je l’ai mentionné plus haut, la défenderesse a bel et bien obtenu un devis en vue de faire remonter l’Elf à la surface une deuxième fois : il y était estimé que l’opération coûterait entre 650 000 et 2 000 000 $ US, une somme qu’il était déraisonnable d’engager au vu des circonstances. En outre, s’agissant de la question des plongeurs, le témoin n’appartient à personne. S’il était possible de prouver que le naufrage avait été causé par quoi que ce soit d’autre qu’un bordage disjoint, il incombait au demandeur de produire la preuve en question comme il lui était permis de le faire.

[69]  Le demandeur a déposé en preuve une expertise post-naufrage effectuée en date du 1er août 2014 par le capitaine Rose, de l’entreprise Marine Consulting and Surveys Ltd., dans laquelle celui-ci indique que l’Elf, un bâtiment vieux de 112 ans, a une valeur de 279 000 $ CA. Toutefois, comme nous l’avons déjà vu, les coûts liés à l’exécution d’une expertise sous-marine au moyen d’un véhicule téléguidé ou au renflouement de l’Elf étaient considérables. Si on ajoute à cela le fait que l’inspection aérienne consécutive au second naufrage en eaux profondes avait permis de déterminer que le rejet de polluants était minime, il s’ensuit que la décision de la GCC de ne pas remonter l’Elf après le second naufrage était raisonnable.

[70]  Contrairement à ce qu’avance le demandeur, c’est à lui, et non à la défenderesse, qu’il incombe de prouver que la GCC a été négligente ou qu’elle a omis de prendre des mesures raisonnables pour la sauvegarde de l’Elf.

[71]  Je ne suis pas d’accord pour dire qu’en s’abstenant de remonter l’Elf ou de produire les témoignages des plongeurs, la défenderesse a en quelque sorte nui à la capacité du demandeur de s’acquitter de son fardeau de preuve. Le fardeau appartient au demandeur et celui‑ci ne m’a pas convaincue que la défenderesse a quelque chose à se reprocher devant la Cour.

d)  Wire Rope

[72]  Comme dans l’affaire Beasse 1, le demandeur a tenté de s’appuyer largement sur l’arrêt Wire Rope. Or, le juge Manson, qui était fondamentalement en désaccord avec la façon dont M. Beasse avait présenté Wire Rope, fait les remarques suivantes aux paragraphes 36 et 37 :

L’avocat du défendeur a fait largement référence à Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd c British Columbia Marine Shipbuilders Ltd, 1981 CanLII 182 (CSC), [1981] 1 RCS 363, à la page 392 et aux pages suivantes, et à McDougall c Black & Decker Canada Inc, 2008 ABCA 353 (CanLII) [Black & Decker], pour alléguer qu’il y a eu destruction d’éléments de preuve, vu la perte du remorqueur en raison des actions téméraires de la GCC et que, par conséquent, la question des recours dont pourrait disposer le demandeur devrait être tranchée à la suite d’un procès complet, au cours duquel le juge de première instance pourra examiner tous les faits et préparer la réponse la plus appropriée.

Toutefois, comme l’a déclaré la Cour d’appel de l’Alberta dans Black & Decker, au paragraphe 18 :

[traduction]

St. Louis, par conséquent, appuie la proposition ci‑après. En droit, le délit de destruction d’éléments de preuve ne découle pas du simple fait que des éléments de preuve ont été détruits. Ce délit implique qu’une partie ait détruit intentionnellement des éléments de preuve pertinents à un litige, en cours ou envisagé, dans des circonstances où il est raisonnable de croire que cette destruction visait à influer sur le litige en question. Une fois que le caractère intentionnel a été démontré, il naît une présomption selon laquelle l’élément de preuve détruit aurait nui à la cause de la partie qui l’a détruit. Toutefois, le prétendu destructeur peut réfuter cette présomption en présentant d’autres éléments de preuve pour démontrer que sa conduite, bien qu’intentionnelle, ne visait pas à avoir une incidence sur le litige, ou encore que sa cause est bien fondée ou que celle de son adversaire ne l’est pas.

En l’espèce, il n’y a aucun élément de preuve donnant à penser que le demandeur a intentionnellement détruit des documents ou qu’il s’est conduit de façon téméraire en ce qui concerne le second naufrage du remorqueur de sorte que celui‑ci ne puisse plus servir d’élément de preuve, ou qu’il visait à avoir une incidence sur le litige.

[73]  Je souscris entièrement à l’opinion du juge Manson.

[74]  Malheureusement pour le demandeur, l’arrêt Wire Rope a très peu à voir avec l’affaire dont nous sommes saisis, laquelle s’articule autour de la question de savoir si l’exploitant du remorqueur devrait être tenu de garantir la navigabilité de l’Elf. L’arrêt Wire Rope n’appuie pas la thèse que le demandeur cherche à défendre en l’invoquant.

[75]  En fait, il a été jugé que « [le] remorqueur a l’obligation de s’assurer que le navire remorqué est plus ou moins prêt à être remorqué, mais cela n’englobe pas l’évaluation du bon état de navigabilité du navire remorqué » (Hamilton Marine and Engineering Ltd c CSL Group Inc, [1995] 95 FTR 161, au paragraphe 47). Dans la mesure où le remorqueur a fait preuve de [traduction] « compétence et de diligence » en écartant la possibilité de négligence ou d’inconduite ou la création d’un risque inutile, il n’y a aucune garantie qu’il s’acquittera de sa tâche en toutes circonstances et malgré tous les dangers [Chircop et al, Canadian Maritime Law, (Toronto : Irwin Law, 2016), à la page 752].

[76]  S’il devait y avoir une obligation en l’espèce, elle devrait revenir au propriétaire du bâtiment à remorquer et consister à faire en sorte que celui‑ci soit en état de naviguer (Chircop, à la page 753). Ainsi, lorsque le propriétaire du bâtiment à remorquer assume la responsabilité des préparatifs visant à rendre le remorquage sécuritaire, il se peut qu’il assume par le fait même la responsabilité des réparations mal exécutées et de la perte qui en découle (Engine and Leasing Co c Atlantic Towing Ltd (1992), 51 FTR 1 (C.F. 1re inst.); mod. par (1993), 157 NR 292 (CAF); conf. par (1993), 164 398 (CAF)).

[77]  À l’audience, le demandeur a fait valoir qu’on ne pouvait interpréter la loi de façon à créer une situation qui permettrait à la GCC de se montrer négligente pour ensuite jouir d’une protection contre sa propre négligence. Je n’adhère pas à cette énonciation.

[78]  Dans la décision Le Groupe CSL Inc c Canada, [1997] 2 CF 575 (Groupe CSL), par exemple, les demanderesses étaient des sociétés armatrices canadiennes dont les navires transitaient régulièrement par la voie maritime du Saint‑Laurent. Entre le 10 novembre et le 15 décembre 1989, des fonctionnaires, dont certains membres de la GCC, avaient fait grève. En raison de cette grève, les brise-glaces habituellement utilisés par la GCC sur le fleuve Saint‑Laurent n’étaient pas en service et les bouées d’été, qui n’avaient pas été enlevées, étaient restées prises dans la glace. Les demanderesses soutenaient qu’à cause de la grève des membres des équipages des navires, en particulier, leurs navires avaient été retardés à tel point que des contrats conclus avec des expéditeurs et des réceptionnaires de marchandises n’avaient pu être exécutés avant la fin de la saison de navigation.

[79]  Dans la décision Groupe CSL, le juge Nadon a offert l’analyse suivante :

Pour déterminer quelle obligation, s’il en est, la common law imposait à la Couronne, il convient d’examiner le rôle et les devoirs de la Garde côtière. L’objectif premier de la GCC est de permettre à la circulation maritime de s’effectuer sans retard indu dans la mesure où cet objectif est compatible avec l’obligation de la GCC d’assurer la sécurité de ceux qui empruntent les voies navigables. Toutefois, on ne doit pas confondre un objectif avec une obligation. L’obligation de diligence imposée à la GCC était d’assurer la sécurité du public qui utilise le fleuve Saint‑Laurent en prenant toutes les mesures nécessaires eu égard aux circonstances, y compris le fait que les équipages de navires avaient exercé leur droit légitime de grève et qu’ils n’étaient donc pas disponibles pour exécuter les tâches habituelles. Son devoir se limite à assurer la sécurité de ceux qui utilisent les voies navigables. La défenderesse n’avait pas envers les demanderesses l’obligation « d’assurer la sécurité constante du Saint‑Laurent et de le maintenir en parfait état de fonctionnement » ou de prendre tous les moyens raisonnables pour leur permettre de transiter par le fleuve Saint‑Laurent sans retard.

[80]  Ainsi, sur la base de ce qui précède, l’arrêt Wire Rope n’est pas l’élément décisif pour ce qui est de pouvoir conclure que la GCC a agi en violation de ses obligations envers le demandeur. Le demandeur consacre la plus grande partie de ses observations écrites à la question de l’obligation qu’avait la GCC de veiller à ce que l’Elf soit en état de naviguer conformément à l’arrêt Wire Rope. Au vu des dispositions législatives applicables énoncées ci-dessous, sur lesquelles se fonde également la GCC, j’estime tout simplement qu’il ne s’agit pas d’un argument juridique convaincant.

e)  La négligence

[81]  L’article 180 de la Loi de 2001 sur la marine marchande au Canada définit les pouvoirs que peut exercer le ministre des Pêches et des Océans en cas de rejet d’un polluant par un bâtiment. Plus précisément, s’il a des motifs raisonnables de croire que le bâtiment a rejeté ou pourrait rejeter un polluant, le ministre peut :

a)  prendre les mesures qu’il estime nécessaires pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution, voire enlever le bâtiment ou son contenu et disposer, notamment par vente, démantèlement ou destruction, du bâtiment ou de son contenu;

b)  surveiller l’application des mesures prises par toute personne ou tout bâtiment en vue de prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution;

c)  dans le cas où il l’estime nécessaire, ordonner à toute personne ou à tout bâtiment de prendre les mesures visées à l’alinéa a) ou de s’abstenir de les prendre.

[82]  Suivant le paragraphe 180(2) de la Loi de 2001 sur la marine marchande au Canada, si un bâtiment est vendu, le produit de la vente sert d’abord à couvrir les frais engagés par le ministre pour intervenir en cas de rejet effectif ou probable d’un polluant. Ce n’est qu’une fois ces frais acquittés que le solde peut être versé au propriétaire.

[83]  L’alinéa 41(1)d) de la Loi sur les océans, LC 1996, c 31 attribue au ministre des Pêches et des Océans la responsabilité des services de garde côtière, y compris en ce qui touche l’intervention environnementale en milieu marin. La GCC est l’organisme du ministère des Pêches et des Océans qui a compétence en cas d’événement de pollution dans les eaux territoriales canadiennes et dans la zone économique exclusive du Canada. L’Elf se trouvait dans les limites de ce territoire.

[84]  En vertu de ces dispositions législatives, il relevait entièrement du mandat de la GCC de se saisir du bâtiment et de faire tout ce qu’elle estimait nécessaire pour éviter que la pollution ne cause d’autres dommages et elle avait parfaitement le droit de le faire. L’affaire Beasse 1 a permis d’établir que M. Beasse était responsable des frais à titre de pollueur et qu’il était nécessaire que l’organisme de la GCC prenne les choses en main pour assurer une intervention appropriée.

[85]  En ce qui concerne l’obligation de diligence, il ne fait aucun doute qu’après avoir pris des mesures raisonnables pour déterminer que l’Elf était prêt pour son remorquage, la GCC n’était tenue à aucune autre obligation quant à la navigabilité du bâtiment. Je suis d’avis qu’après avoir pris en charge l’Elf dans la foulée du premier naufrage, la GCC a agi à tout moment de manière raisonnable et avec la diligence requise.

[86]  La preuve montre que la GCC a fait tout en son pouvoir pour préserver l’Elf en vue de l’inspection qui devait être faite hors de l’eau à la marina Shelter Island. L’intervention privilégiée dans l’un et l’autre cas a été adaptée aux circonstances de chaque incident. À cet égard, voici une liste non exhaustive des mesures envisagées : atténuation des répercussions sur l’environnement, persistance possible des risques posés par les polluants, facteurs économiques, moment de l’intervention, efficacité des mesures d’intervention, sécurité du personnel et du public et autres options. Après avoir examiné tous ces éléments, le commandant d’intervention a déterminé la stratégie à suivre pour la réalisation des objectifs de l’intervention environnementale, puis il a procédé à leur mise en œuvre.

[87]  À la lumière de ces considérations, la défenderesse a pris des mesures raisonnables, surtout si l’on tient compte du fait que le souci premier était la protection du milieu marin. M. Brady est monté à bord de l’Elf après que celui‑ci a été asséché et il a remarqué la présence de réservoirs de carburant, d’un réservoir d’huiles hydrauliques, d’un moteur et de conduits de carburant. Comme il lui était impossible de déterminer la quantité d’hydrocarbures qu’il restait à bord de l’Elf, il était raisonnable de penser que la GCC se devait de retirer l’Elf du port de Squamish.

[88]  Les plongeurs d’Hydra ont réussi à ralentir la remontée d’hydrocarbures pendant que l’Elf était immergé, mais ils n’ont pu faire cesser le rejet de polluants.

[89]  Qu’il s’agisse des plongeurs d’Hydra, des experts maritimes, de M. Small, de M. Holonko, du demandeur, de M. Larson ou de M. Brady, personne n’a été en mesure de trouver la source de l’infiltration d’eau lorsque le bâtiment a été examiné après sa remise à flot. Selon l’opinion d’expert donnée par l’expert maritime, il s’agissait fort probablement d’un bordage disjoint, et cette opinion a été validée du fait de la rapidité avec laquelle l’infiltration s’est produite lors du second naufrage, alors que le bâtiment n’était plus soulevé par les élingues, lesquelles pourraient avoir remis temporairement le bordage en place.

[90]  La preuve étayant la thèse du bordage disjoint provient d’un album comportant quelque 500 photographies prises entre 1989 et 2004. L’album, qui a été récupéré après le premier naufrage, recense les restaurations et les inspections de l’Elf effectuées par les Van Diest. Les éléments de preuve photographiques révèlent que les propriétaires précédents avaient tiré l’Elf hors de l’eau à six occasions précises. La preuve photographique indique que l’Elf a été sorti de l’eau une première fois en 1990, une deuxième fois en mai 1993, puis en 1995, en 1999 et en 2002, et la dernière photo montrant le bâtiment hors de l’eau est datée de 2004 (contre‑interrogatoire de Robin Beasse, à partir de la page 18, ligne 109).

[91]  En contre-interrogatoire, M. Beasse a confirmé les faits suivants :

  • la dernière photographie documentant la mise de l’Elf en cale sèche remonte à neuf ou dix ans après le naufrage de l’Elf;

  • ni lui ni son épouse n’ont sorti l’Elf hors de l’eau pour l’entretien de la coque depuis qu’ils ont acquis le bâtiment des Van Diest;

  • ni lui ni son épouse n’ont procédé à des travaux d’entretien de la coque après l’achat du bâtiment, en octobre 2012;

  • il n’y a pas eu de travaux d’entretien des moteurs, sauf en ce qui concerne les pompes de cale, les génératrices et les panneaux solaires pour maintenir la charge des batteries;

  • l’Elf n’a fait l’objet d’aucune réparation depuis son acquisition;

  • il était au courant de la présence de bois pourri dans la superstructure de l’Elf, mais il n’a pas fait faire de réparations;

  • sous la ligne de flottaison, la coque n’avait été ni examinée ni inspectée par un expert maritime, ou par qui que ce soit d’autre, avant ou après l’acquisition du bâtiment en octobre 2012.

[92]  Une bonne partie de la face des bordages de la coque était recouverte de bois de fer, que l’on appelle aussi parfois « bois dur ». Ces lames de bois de fer doivent être retirées pour exposer les bordages de la coque, lesquels sont chevillés aux varangues de la coque. À moins de retirer ces varangues, il est impossible d’examiner la coque. Ni le demandeur ni son épouse n’ont examiné le point d’ancrage non étanche entre le bois de fer ou retiré le bois de fer pour inspecter les bordages de la coque ou les chevilles qui se trouvaient derrière (contre‑interrogatoire de Robin Beasse, aux pages 43 et 44).

[93]  Sur une photo (ID 106.1) prise en 1999, lorsque les Van Diest ont enlevé le bois de fer, la note suivante avait été écrite : [traduction] « Nous savions qu’il y avait une fuite du côté bâbord avant, mais lorsque nous avons retiré le bois de fer, les baux sont tombés en poussière! » Sur une autre photo (ID 06.3), on peut observer une immense perforation dans la coque et le commentaire suivant est ajouté : [traduction] « horrible pourriture sèche sur 5 bordages ou baux et 4 1/2 varangues ».

[94]  De fait, M. Small avait recommandé que l’Elf soit sorti de l’eau pour permettre une inspection complète, d’autant plus que la coque était recouverte de bois de fer. Il a reconnu qu’il fallait retirer les lames de bois de fer pour révéler l’état de la coque du bâtiment. M. Small a jugé qu’il y avait une détérioration importante du bois des ponts et des cabines de l’accastillage de l’Elf attribuable au fait que celui‑ci avait 112 ans. L’inspection recommandée visait à évaluer l’état actuel de l’Elf, sa navigabilité et sa valeur, des données dont l’organisme pourrait ensuite se servir pour décider des prochaines étapes à suivre.

[95]  Logiquement, puisque les experts maritimes et d’autres parties ont constaté de la pourriture sur la partie supérieure visible de l’Elf après sa remise à flot et que des photos prises après le retrait du bois de fer révèlent qu’il y avait déjà présence de pourriture sur la coque, il n’est pas inconcevable que la pourriture puisse avoir dégradé encore davantage la coque ou qu’un nouveau bordage de la coque en bois se soit disjoint, car le bateau n’avait pas été hissé hors de l’eau ni inspecté depuis son achat par le demandeur.

[96]  M. Holonko a découvert des signes supplémentaires de la cause probable du naufrage après avoir examiné le bâtiment, une fois celui‑ci renfloué et asséché par suite du premier naufrage. Il a lui aussi indiqué que son inspection n’était pas complète, car il aurait fallu pour cela sortir le bâtiment de l’eau. Dans le témoignage qu’il a offert en qualité d’expert maritime ayant examiné entre 30 et 40 bâtiments en bois, M. Holonko a déclaré que la cause la plus courante de naufrage pour les vieux bâtiments en bois est la disjonction d’un bordage entièrement ou partiellement immergé, laquelle permet une infiltration rapide de l’eau. À son avis, cela se produit lorsque le bois entourant une cheville se détériore et ne peut plus rester en place, provoquant un brusque mouvement de détente du bordage, qui se détache pour laisser l’eau pénétrer.

[97]  Certes, aucun bordage disjoint n’était apparent lorsque l’Elf a été remonté, mais d’après M. Holonko, cela peut s’expliquer par le fait que les élingues qui ont servi au levage pourraient avoir remis en place le bordage défectueux. Il a ajouté que cela pouvait également expliquer, d’une part, que l’Elf n’a pas laissé fuir d’eau lorsqu’il a été soulevé et, d’autre part, que lors de l’inspection effectuée par l’ensemble des parties, aucune d’elles n’avait relevé de cause apparente de naufrage. Selon le témoignage de M. Holonko, le second naufrage, qui s’est produit rapidement alors que le bâtiment était remorqué, cadrait avec l’hypothèse d’une disjonction de bordage, surtout si on ajoute à cela la preuve relative au premier naufrage.

[98]  Au vu de l’ensemble de la preuve susmentionnée, la décision de M. Brady, selon laquelle il n’était pas prudent de laisser l’Elf dans le port de Squamish, était raisonnable et justifiée par la preuve.

f)  Le remorquage

[99]  Du fait des inquiétudes qu’elle éprouvait par rapport aux réservoirs à carburant et aux hydrocarbures résiduels, la GCC avait des motifs raisonnables de croire qu’il était nécessaire d’éloigner l’Elf du port de Squamish.

[100]  La GCC a pris toutes les mesures raisonnables nécessaires pour intervenir sur les lieux de l’événement de pollution. Alors que d’entrée de jeu, le demandeur n’a rien fait, ou très peu, pour empêcher le rejet de polluants, la GCC a réagi de la manière appropriée en prenant des mesures immédiates et efficaces. Elle avait par ailleurs des motifs raisonnables de refuser que le demandeur reprenne possession de l’Elf comme il le souhaitait, car elle avait des raisons de croire que le bâtiment continuait de poser un danger pour le port de Squamish, lieu écosensible, et qu’il fallait transporter l’Elf hors du port pour empêcher d’autres dommages dus à la pollution.

[101]  La GCC a conçu un plan exhaustif pour le transport de l’Elf jusqu’au chantier naval. M. Brady a fait savoir au demandeur que l’Elf serait remorqué, mais il n’a pas mentionné le nom du chantier naval, car il souhaitait éviter toute confrontation entre le chantier naval et le demandeur ou M. Larsen, ce qui était une possibilité dans les circonstances. Des mesures raisonnables ont été mises en œuvre : par exemple, on a prévu que des pompes seraient amorcées et qu’un bateau‑taxi escorterait le convoi afin d’intervenir en cas de problème. Aucune réparation n’avait été suggérée par les experts maritimes et aucune n’a été faite, ce qui là encore était raisonnable et ce pour quoi aucune faute ne peut en outre être constatée. Les dispositions prises pour le remorquage de l’Elf étaient conformes à la pratique habituelle décrite par M. Holonko, l’expert retenu. La GCC n’est pas tenue aux obligations que le droit impose au propriétaire ou à l’entreprise de remorquage, car elle n’a pas elle‑même dirigé le remorquage.

[102]  Rien n’indique que SMS ou Valley Towing a manqué à son obligation de diligence consistant à fournir un remorqueur en état de naviguer, ou que la perte de l’Elf est attribuable au mauvais état de navigabilité du remorqueur qui a effectué le remorquage. Les remorqueurs de SMS et de Valley Towing étaient tous deux en état de naviguer et je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que les deux méthodes de remorquage ou l’exécution de ce remorquage par les responsables ou l’équipage révélaient des signes de négligence.

[103]  Au contraire, les éléments de preuve dont je dispose montrent que les responsables et les membres de l’équipage se sont comportés comme l’auraient fait des responsables et des membres d’équipage raisonnables et conformément à ce qui leur avait été recommandé. De l’avis de M. Holonko, le tandem n’était pas davantage susceptible de provoquer de nouveaux dommages à la coque, si toutefois cette dernière était en effet endommagée, ce qui ne pouvait être confirmé en l’absence d’une inspection en cale sèche. Le plan arrêté a été bien conçu et il a été appliqué à la lettre; le second naufrage s’est produit sans la moindre faute de la défenderesse.

[104]  La pratique habituelle, qui consiste à exercer une étroite surveillance à proximité du bâtiment avarié, a été suivie conformément à ce qui avait été recommandé. M. Jenkins a surveillé l’Elf durant son remorquage jusqu’à l’estacade près du ruisseau Shannon, puis pendant les six heures et demie où il est resté amarré là. Il a aussi surveillé le remorquage depuis la pointe Atkinson jusqu’à la remise du bâtiment à Valley Tow. Les notes et les photos qu’il a conservées sont la preuve de l’étroite surveillance qu’il a exercée.

[105]  Les membres de l’équipage du Seatow, M. Roon et M. Kelly, étaient par ailleurs des marins d’expérience qui ont continué de surveiller l’Elf après que celui‑ci a été confié à Valley Towing. M. Roon est monté à bord de l’Elf à deux reprises. La preuve photographique montre la ligne de flottaison et les opérations de surveillance de l’Elf; lorsqu’on la compare au témoignage donné par M. Jenkins, du bateau‑taxi, au sujet de la première étape du remorquage, on constate que la ligne de flottaison est essentiellement la même.

[106]  Je conclus que le plan de l’opération de remorquage était rigoureux et que les préposés au remorquage ont exercé la diligence voulue, comme le montrent les éléments suivants :

  • un bateau‑taxi a accompagné les opérations du début à la fin;

  • les photos prises par le pilote du bateau‑taxi montrent que ce dernier a surveillé de près la ligne de flottaison et le déroulement du remorquage en général;

  • des pompes étaient amorcées et prêtes à fonctionner, comme le montrent des photos sur lesquelles on peut aussi apercevoir la présence à bord d’un réservoir à essence;

  • le feu de remorquage éclairait l’Elf, permettant une surveillance du bâtiment et la détection d’éventuels problèmes;

  • lorsqu’on a remarqué que le bâtiment gîtait, les cordages de polypropylène ont été remplacés par un câble d’acier et un treuil, une solution raisonnable, étant donné qu’on avait noté une légère inclinaison.

[107]  En outre, les préposés au remorquage ont fait tout ce qu’on pouvait attendre d’eux pour assurer un remorquage sécuritaire, et ils ont fait preuve non pas de négligence, mais de diligence. Dès qu’il a été constaté que l’Elf était en difficulté, M. Roon est monté à bord de ce dernier et a démarré la pompe, mais comme la source de l’infiltration était inconnue, cela n’a pas suffi à sauver le bâtiment.

[108]  Il était raisonnable de recourir à une pompe manuelle dans le cas de cet accident maritime, étant donné que l’opération de remorquage était étroitement surveillée et que la pompe pouvait être démarrée dès qu’une anomalie était notée. Rien n’indique qu’une pompe automatique aurait changé quoi que ce soit sur le plan de la rapidité de l’infiltration, voire qu’elle aurait pu être déclenchée plus tôt et sauver l’Elf.

[109]  Bref, il a été recommandé d’exercer une surveillance étroite et rigoureuse, et c’est ce qui a été fait, comme le montre la preuve cumulative. Les préposés au remorquage ont fait tout ce qu’on pouvait attendre d’eux pour faire en sorte que le remorquage soit sûr; ils se sont montrés prudents, et non négligents.

[110]  La méthode employée pour le remorquage de l’Elf semble correspondre à la pratique habituelle. Aucune preuve ne permet d’affirmer que M. Small, M. Brady ou M. Holonko ont recommandé des solutions qui étaient inférieures à la pratique habituelle, et aucun argument n’a été avancé pour expliquer en quoi cette pratique habituelle ne satisfaisait pas à la norme indiquée.

[111]  Le demandeur ne relève aucun acte d’incompétence précis de la part de la GCC; au lieu de cela, il affirme en termes généraux que la GCC a manqué à son obligation de diligence. Je ne vois pas comment cet argument pourrait être retenu (voir Champlain (The) c Canada Steamship Lines Ltd, [1939] Ex CR 89, au paragraphe 10).

[112]  Compte tenu des témoignages présentés par affidavit et des contre-interrogatoires pertinents, il existe une preuve abondante tendant à indiquer que la GCC a exercé la diligence raisonnable qui s’imposait en l’espèce pour assurer un transport sûr de l’Elf avant de procéder à son remorquage.

[113]  La requête en procès sommaire est rejetée.

V.  Dépens

[114]  Le 22 mars 2019, la défenderesse a déposé un mémoire de frais au montant de 12 448,20 $, représentant les frais, honoraires, débours et taxes. Le demandeur n’a pas déposé de mémoire de frais car, selon ce que j’ai compris, il s’est absenté du bureau pendant une longue période, ce qui a empêché les parties de parvenir à une entente sur la question des dépens. Pour ces motifs, j’ordonne que les parties déposent, dans les sept (7) jours suivant la date du présent jugement, une entente quant aux dépens, exprimés sous la forme d’une somme forfaitaire comprenant les débours et les taxes ou, à titre subsidiaire, qu’elles soumettent des observations écrites d’au plus deux (2) pages sur la question des dépens, avec mémoires de frais à l’appui.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

    1. L’intitulé est modifié afin de désigner « Sa Majesté la Reine du chef du Canada », qui est la partie défenderesse appropriée.
    2. La requête en procès sommaire est rejetée.
    3. Les parties disposent de sept (7) jours à compter de la date du jugement pour déposer une entente quant au montant forfaitaire des dépens ou, subsidiairement, pour soumettre des observations écrites d’au plus deux (2) pages sur la question des dépens.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de juillet 2019

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE A

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

Rejet de la requête

Dismissal of motion

216 (5) La Cour rejette la requête si, selon le cas :

216 (5) The Court shall dismiss the motion if

a) les questions soulevées ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire;

(a) the issues raised are not suitable for summary trial; or

b) un procès sommaire n’est pas susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action.

(b) a summary trial would not assist in the efficient resolution of the action.

Jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier

Judgment generally or on issue

(6) Si la Cour est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête.

(6) If the Court is satisfied that there is sufficient evidence for adjudication, regardless of the amounts involved, the complexities of the issues and the existence of conflicting evidence, the Court may grant judgment either generally or on an issue, unless the Court is of the opinion that it would be unjust to decide the issues on the motion.

Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26

Mesures du ministre des Pêches et des Océans

Minister of Fisheries and Oceans — measures

180 (1) Le ministre des Pêches et des Océans peut, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un bâtiment ou une installation de manutention d’hydrocarbures a rejeté, rejette ou pourrait rejeter un polluant :

180 (1) If the Minister of Fisheries and Oceans believes on reasonable grounds that a vessel or an oil handling facility has discharged, is discharging or may discharge a pollutant, he or she may

a) prendre les mesures qu’il estime nécessaires pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution, voire enlever le bâtiment ou son contenu et disposer, notamment par vente, démantèlement ou destruction, du bâtiment ou de son contenu;

(a) take the measures that he or she considers necessary to repair, remedy, minimize or prevent pollution damage from the vessel or oil handling facility, including, in the case of a vessel, by removing — or by selling, dismantling, destroying or otherwise disposing of — the vessel or its contents;

b) surveiller l’application des mesures prises par toute personne ou tout bâtiment en vue de prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution;

(b) monitor the measures taken by any person or vessel to repair, remedy, minimize or prevent pollution damage from the vessel or oil handling facility; or

c) dans le cas où il l’estime nécessaire, ordonner à toute personne ou à tout bâtiment de prendre les mesures visées à l’alinéa a) ou de s’abstenir de les prendre.

(c) if he or she considers it necessary to do so, direct any person or vessel to take measures referred to in paragraph (a) or to refrain from doing so.

Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6

Responsabilité en matière de pollution et frais connexes

Liability for pollution and related costs

77 (1) Le propriétaire d’un navire est responsable :

77 (1) The owner of a ship is liable

a) des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire;

(a) for oil pollution damage from the ship;

b) des frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans, un organisme d’intervention au sens de l’article 165 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada ou toute autre personne au Canada pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire, y compris des mesures en prévision de rejets d’hydrocarbures causés par le navire, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables, de même que des pertes ou dommages causés par ces mesures;

(b) for the costs and expenses incurred by the Minister of Fisheries and Oceans, a response organization within the meaning of section 165 of the Canada Shipping Act, 2001 or any other person in Canada in respect of measures taken to prevent, repair, remedy or minimize oil pollution damage from the ship, including measures taken in anticipation of a discharge of oil from it, to the extent that the measures taken and the costs and expenses are reasonable, and for any loss or damage caused by those measures; and

c) s’agissant des polluants, des frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans à l’égard des mesures visées à l’alinéa 180(1)a) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, de la surveillance prévue à l’alinéa 180(1)b) de cette loi ou des ordres visés à l’alinéa 180(1)c) de la même loi et des frais supportés par toute autre personne à l’égard des mesures qu’il lui a été ordonné ou interdit de prendre aux termes de ce même alinéa, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables, de même que des pertes ou dommages causés par ces mesures.

(c) in relation to pollutants, for the costs and expenses incurred by

(i) the Minister of Fisheries and Oceans in respect of measures taken under paragraph 180(1)(a) of the Canada Shipping Act, 2001, in respect of any monitoring under paragraph 180(1)(b) of that Act or in relation to any direction given under paragraph 180(1)(c) of that Act to the extent that the measures taken and the costs and expenses are reasonable, and for any loss or damage caused by those measures, or

(ii) any other person in respect of the measures that they were directed to take or refrain from taking under paragraph 180(1)(c) of the Canada Shipping Act, 2001 to the extent that the measures taken and the costs and expenses are reasonable, and for any loss or damage caused by those measures.

Responsabilité — menace grave et imminente de pollution

Liability — grave and imminent threat of pollution damage

(1.1) Pour l’application du paragraphe (1), la responsabilité du propriétaire d’un navire à l’égard des frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans ou par toute autre personne, notamment à l’égard des mesures de sauvegarde visées à l’alinéa (1)c), ne peut être engagée qu’à l’égard des frais qui ont trait à tout fait ou tout ensemble de faits ayant la même origine qui cause des dommages dus à la pollution ou qui constitue une menace grave et imminente de causer de tels dommages.

(1.1) For the purposes of subsection (1), with respect to the costs and expenses incurred by the Minister of Fisheries and Oceans or any other person, including in respect of preventive measures referred to in paragraph (1)(c), the owner of a ship is liable only for the costs and expenses related to an occurrence — or series of occurrences having the same origin — that causes pollution damage or creates a grave and imminent threat of causing such damage.

[…]

Défenses

Strict liability subject to certain defences

(3) La responsabilité du propriétaire prévue aux paragraphes (1) et (2) n’est pas subordonnée à la preuve d’une faute ou d’une négligence, mais le propriétaire n’est pas tenu pour responsable s’il démontre que l’événement :

(3) The owner’s liability under subsections (1) and (2) does not depend on proof of fault or negligence, but the owner is not liable under those subsections if they establish that the occurrence

a) soit résulte d’un acte de guerre, d’hostilités, de guerre civile ou d’insurrection ou d’un phénomène naturel d’un caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible;

(a) resulted from an act of war, hostilities, civil war or insurrection or from a natural phenomenon of an exceptional, inevitable and irresistible character;

b) soit est entièrement imputable à l’acte ou à l’omission d’un tiers qui avait l’intention de causer des dommages;

(b) was wholly caused by an act or omission of a third party with intent to cause damage; or

c) soit est entièrement imputable à la négligence ou à l’action préjudiciable d’un gouvernement ou d’une autre autorité dans le cadre des responsabilités qui lui incombent en ce qui concerne l’entretien des feux et autres aides à la navigation.

(c) was wholly caused by the negligence or other wrongful act of any government or other authority that is responsible for the maintenance of lights or other navigational aids, in the exercise of that function.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1384-15

 

INTITULÉ :

ROBIN BEASSE c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Jay Straith

POUR LE DEMANDEUR

 

Monika Bittel

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jay Straith

Avocat

Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Le procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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