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Date : 20190517


Dossier : IMM-2196-18

Référence : 2019 CF 565

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SYED MUZAFFAR ABBAS RIZVI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, M. Rizvi, est un citoyen du Pakistan. En tant qu’étudiant au Pakistan, M. Rizvi a joint les rangs de l’Organisation de tous les étudiants mohajirs du Pakistan (APMSO), organisation politique étudiante qui est affiliée au Mouvement Mohajir Quami (MQM). Le MQM est un parti politique au Pakistan ayant pour mission de promouvoir les droits de la minorité mohajire. Des membres du MQM se sont livrés à des actes violents, et le parti a été accusé de terrorisme par le Pakistan. 

[2]  En 1990, M. Rizvi a joint les rangs du MQM, où des membres de sa famille occupaient des postes de haut niveau. En raison du rôle que ceux-ci jouaient au sein du MQM, la résidence familiale a fait l’objet d’une descente, et M. Rizvi a été battu, torturé, menacé et la cible de coups de feu. Il est arrivé au Canada en 1997 et a demandé l’asile.

[3]  M. Rizvi a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en septembre 1998, et a demandé le statut de résident permanent en novembre de la même année. Il a poursuivi ses activités au sein du MQM après son arrivée au Canada.

[4]  Pendant le traitement de la demande de résidence permanente de M. Rizvi, un agent d’immigration a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le MQM est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme, et que M. Rizvi était par conséquent interdit de territoire au titre de ce qui est maintenant l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). À la suite de cette conclusion d’interdiction de territoire, M. Rizvi a demandé une dispense ministérielle au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre). La dispense a été refusée. En juillet 2009, la Section de l’immigration a conclu que M. Rizvi était interdit de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[5]  Le ministre a consenti à réexaminer la demande de dispense ministérielle de M. Rizvi au titre de l’ancien paragraphe 34(2) de la LIPR. En avril 2018, le ministre a à nouveau rejeté la demande. C’est cette décision que doit examiner la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. M. Rizvi affirme que le ministre 1) a conclu de façon déraisonnable que sa présence au Canada constitue une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité publique, 2) a omis de prendre en compte les facteurs voulus, y compris l’intérêt national de préserver l’unité familiale et de promouvoir les avantages économiques, culturels et sociaux maximaux de l’immigration. Le défendeur affirme que la décision était raisonnable étant donné qu’elle est compatible avec la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (Agraira).

[6]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Le dossier

[7]  Le défendeur a présenté une requête au titre de l’article 87 de la LIPR pour que soit rendue une ordonnance relative à la non-divulgation de certains passages du Dossier certifié du tribunal (DCT). La requête a été examinée conformément à l’article 83, tel qu’il est modifié par l’article 87.

[8]  Le défendeur a produit un affidavit classifié supplémentaire, et une audience in camera ex parte a eu lieu. À la suite de cette audience, le défendeur a accepté de lever un caviardage partiel et a fait savoir que les renseignements caviardés ne seraient pas invoqués pour répondre à la demande de contrôle judiciaire. Une ordonnance datée du 29 octobre 2018 a accueilli la requête. L’ordonnance en question est accessible dans le dossier public.

III.  L’ancien article 34 de la LIPR et la dispense ministérielle

[9]  M. Rizvi a demandé une dispense ministérielle au titre de l’ancien article 34 de la LIPR. Le paragraphe 34(1) définit les circonstances dans lesquelles un étranger est interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité. Le paragraphe 34(2) prévoit que lorsque l’interdiction de territoire est prononcée au titre du paragraphe 34(1) et qu’un étranger convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national, les circonstances décrites au paragraphe 34(1) ne constituent pas une interdiction de territoire:

Sécurité

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

Exception

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Security

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(c) engaging in terrorism;

(d) being a danger to the security of Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

Exception

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

[10]  La Cour suprême du Canada a examiné le paragraphe 34(2) dans l’arrêt Agraira, dans lequel un ressortissant libyen avait été déclaré interdit de territoire en raison de son appartenance à une organisation que Citoyenneté et Immigration Canada considérait comme étant terroriste. Une demande de dispense ministérielle présentée au titre du paragraphe 34(2) a été rejetée, le ministre ayant conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt national d’admettre des individus qui ont entretenu des contacts suivis avec des organisations terroristes connues ou des organisations ayant des liens avec des terroristes.

[11]  S’exprimant au nom de la Cour, le juge LeBel a estimé que l’interprétation de l’« intérêt national » dans le contexte du paragraphe 34(2) était cruciale puisqu’elle définit la norme que le ministre doit appliquer pour évaluer l’effet de la présence continue du demandeur au Canada aux fins de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Agraira au paragraphe 55). Comme le ministre n’avait pas expressément défini l’expression « intérêt national », le juge LeBel, se fondant sur la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, a conclu que la décision du ministre peut suggérer une interprétation particulière de la disposition et a amorcé l’examen de « l’interprétation que le ministre semble avoir donnée de l’expression "intérêt national" », à partir de sa décision motivée et du guide opérationnel Traitement des demandes au Canada : Refus des cas de sécurité nationale/Traitement des demandes en vertu de l’intérêt national de Citoyenneté et Immigration Canada (30 avril 2012), disponible en ligne à l’adresse https://www.canada.ca/content/dam/ircc/migration/ircc/francais/ressources/guides/ip/ip10-fra.pdf (le guide opérationnel)] (Agraira aux paragraphes 56 à 58; des extraits pertinents du guide opérationnel sont reproduits à l’Appendice 1 de l’arrêt de la Cour suprême).

[12]  La Cour suprême a relevé le type de renseignements dont disposait le ministre : l’importance de la participation du demandeur en tant que membre de l’organisation; les activités auxquelles celui-ci s’est livré au nom de l’organisation; l’absence de participation à des actes de violence perpétrés par l’organisation ou au nom de celle-ci; les raisons pour lesquelles il a joint les rangs de l’organisation; la question de savoir s’il savait que l’organisation se livrait à des actes violents, sa participation continue aux activités de l’organisation, et son établissement au Canada (Agraira au paragraphe 59). La Cour a souligné que bon nombre de ces considérations correspondaient aux facteurs énoncés dans le guide opérationnel (Agraira au paragraphe 59). Elle a ensuite statué que les facteurs énoncés dans le guide opérationnel ne constituaient pas un code définitif et rigide, mais plutôt un ensemble de facteurs pertinents et raisonnables destinés à guider le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et à l’aider à élaborer un processus administratif juste (Agraira au paragraphe 60). La Cour a souligné que le ministre avait accordé une importance particulière aux questions portant sur la sécurité nationale et la sécurité publique, concluant que si ce dernier avait défini expressément l’expression « intérêt national », la définition aurait porté principalement sur la sécurité nationale et la sécurité publique. Toutefois, elle a aussi conclu que la définition n’aurait pas écarté les autres considérations importantes énoncées dans le guide opérationnel (Agraira au paragraphe 62).

[13]  Le juge LeBel a conclu que cette définition était raisonnable; l’interprétation respectait la méthode moderne d’interprétation législative énoncée par Driedger (Agraira au paragraphe 64). Ce faisant, il a conclu qu’il valait mieux examiner les considérations d’ordre humanitaire dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 25, et que le paragraphe 34(2) ne devait pas devenir une formule de rechange à l’examen pour des raisons d’ordre humanitaire. Toutefois, les facteurs personnels peuvent par ailleurs être pertinents quand il s’agit de déterminer si une personne peut être considérée comme présentant une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité publique et peuvent raisonnablement être pris en compte à la lumière des faits particuliers de la demande soumise au ministre (Agraira aux paragraphes 84 à 88). 

[14]  Les facteurs tels qu’ils sont énoncés dans le guide opérationnel ont été résumés en ces termes par la juge Anne Mactavish dans la décision Hameed c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1353 au paragraphe 26 (Hameed) :

1. La présence du demandeur au Canada est‑elle inconvenante pour le public canadien?

2. Les liens du demandeur avec l’organisation/le régime sont‑ils complètement rompus?

3. Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait bénéficier d’un avoir obtenu lorsqu’il était membre de l’organisation?

4. Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait retirer des bénéfices de son appartenance passée à l’organisation/au régime?

5. Le demandeur a‑t‑il adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne?

IV.  Décision faisant l’objet du contrôle

[15]  En refusant la demande de dispense ministérielle de M. Rizvi, le ministre s’est fondé sur un rapport établi par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui a examiné et apprécié les observations de M. Rizvi. Le rapport de l’ASFC reflète les motifs de la décision du ministre.

[16]  Le rapport de l’ASFC énonce les origines du MQM, soulignant qu’en 1992, l’organisation s’est divisée en deux factions, le MQM-H et le MQM-A. Il passe en revue les antécédents de M. Rizvi en matière d’immigration, puis énumère les postes que celui-ci a occupés au sein du MQM, la violence qu’il a subie en tant que membre du MQM au Pakistan, sa participation aux activités du MQM au Canada, les explications qu’il a fournies relativement à des déclarations contradictoires au sujet du rôle qu’il a joué au sein du MQM, et ce qu’il savait des actes violents commis par le MQM. Le rapport signale que M. Rizvi a choisi de se rallier à la faction du MQM‑A en 1992. Il résume aussi les observations formulées par M. Rizvi en réponse à la divulgation par l’ASFC de son rapport préliminaire et de sa recommandation au ministre.

[17]  Dans son rapport, l’ASFC souligne que M. Rizvi a cessé toute participation aux activités du MQM au Canada en 2003 ou 2008. Elle aborde le rôle joué par le demandeur au sein du MQM, soulignant que celui-ci s’en était tenu à une version des événements pendant plus de 14 ans selon laquelle il avait occupé un poste de direction au sein du parti au Pakistan et n’a modifié cette version qu’au moment où l’exposé circonstancié initial ne servait plus ses intérêts. L’ASFC a pris en compte son explication au sujet des contradictions, a souligné d’autres éléments de son exposé circonstancié qui étaient compatibles avec les fonctions prépondérantes qu’il avait exercées au sein du MQM, et a conclu que [traduction] « les fausses déclarations ont eu une incidence sur la fiabilité de ses observations ».

[18]  Le rapport de l’ASFC révèle que le MQM a été reconnu comme un groupe qui s’est livré à des actes terroristes et que cela était particulièrement vrai au début des années 1990. Il concluait que M. Rizvi n’avait pas démontré qu’il ignorait que le MQM avait commis des actes terroristes et violents, citant, entre autres éléments, sa participation active, de longue date, aux activités du MQM ainsi que le rôle actif et prépondérant joué par sa famille au sein du MQM. De plus, le rapport précisait que par son appartenance et son activisme, M. Rizvi avait apporté son aide à l’organisation, qu’il ait participé directement ou non à des actes violents.

[19]  L’ASFC conclut également que M. Rizvi avait montré un engagement entier à l’égard du MQM. Pour étayer cette conclusion, l’ASFC souligne que, malgré le décès de son frère attribuable à son association avec le MQM et le fait que M. Rizvi avait été battu, arrêté et soumis à la torture, il ne s’était pas dissocié du MQM à son départ du Pakistan. En fait, il est devenu un membre actif de l’organisation à Calgary. Il a fini par s’en dissocier à la suite de changements dans sa situation familiale au Canada et non pas parce qu’il désapprouvait l’organisation.

[20]  Le rapport de l’ASFC aborde les difficultés et les risques auxquels la famille de M. Rizvi serait exposée si celui-ci était renvoyé du Canada. Il y est souligné que le renvoi ne serait pas automatique en raison du statut de réfugié ayant été conféré à M. Rizvi, et le rapport précise que celui-ci pourrait être admissible à un examen des risques avant renvoi (ERAR) si son renvoi devenait un jour exécutoire.

[21]  Le rapport examine aussi le retard intervenu dans le traitement de la demande de dispense et la situation personnelle de M. Rizvi, y compris son absence de casier judiciaire au Canada, son apport à la vie de la société canadienne, et son établissement au Canada. Il rejette le retard en tant que motif pour l’octroi de la dispense et estime que l’établissement du demandeur et le rôle de pourvoyeur de soins à ses enfants ne l’emportent pas sur les préoccupations liées à la sécurité nationale et à la sécurité publique que soulèverait le maintien de sa présence au Canada.

V.  Question en litige

[22]  La demande soulève une seule question : le refus du ministre d’accorder une dispense était-il déraisonnable?

VI.  Norme de contrôle

[23]  Les parties conviennent que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre et l’interprétation de la LIPR sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Agraira aux paragraphes 49 et 50).

VII.  Analyse

A.  Le refus du ministre d’accorder une dispense était-il déraisonnable?

[24]  M. Rizvi présente deux arguments pour soutenir sa position voulant que la décision du ministre était déraisonnable. En premier lieu, la conclusion du ministre selon laquelle la présence du demandeur au Canada constituerait une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité publique était déraisonnable. En second lieu, le ministre a omis de prendre en compte les facteurs voulus, y compris l’intérêt national pour le Canada de préserver l’unité familiale et de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques.

(1)  Le ministre a-t-il conclu de façon déraisonnable que la présence de M. Rizvi au Canada constituerait une menace pour la sécurité nationale et la sécurité publique?

[25]  M. Rizvi affirme que sa nature pacifique et sa participation non violente aux activités du MQM ne constituent pas des motifs sur lesquels l’on peut fonder une conclusion voulant qu’il représente une menace à la sécurité nationale ou à la sécurité publique. Il soutient que ses agissements passés en tant que membre du MQM ne peuvent constituer le fondement d’une conclusion actuelle qu’il représente maintenant une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité publique. Il fait ressortir sa longue période de résidence au Canada sans incident ou participation à une quelconque activité présentant une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité publique comme un élément déterminant dans ce dossier. De plus, il soutient que dans le contexte des demandes de réadaptation, le temps écoulé a été reconnu comme un signe important de réadaptation et que, dans les affaires se rapportant à la réadaptation, les demandes de dispense ministérielle présentées au titre du paragraphe 34(2) nécessitent un examen actuel de la question de savoir si le demandeur constitue une menace pour le public. Il affirme que l’omission de tenir compte du temps écoulé en tant que signe important qu’il ne représente pas une menace constitue une erreur susceptible de contrôle.

[26]  M. Rizvi prétend également que, bien que l’arrêt Agraira permette la prise en compte des activités passées, il n’empêche pas la prise en compte des risques présents et futurs. Il soutient que le ministre a commis une erreur en inférant uniquement à partir de son association passée avec le MQM, et sans tenir compte de la nature pacifique de cette association ou de ses longues années sans incident au Canada, que sa présence au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national. Il invoque les nombreuses années écoulées depuis qu’il s’est dissocié du MQM pour soutenir que rien ne justifiait que le ministre conclue que sa présence continue au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national. Il affirme qu’il a démontré qu’il ne constituait pas une menace à la sécurité publique ou à la sécurité nationale, et qu’il était déraisonnable que le ministre conclue que c’était le cas.

[27]  De plus, M. Rizvi affirme que, outre ses déclarations contradictoires passées se rapportant à l’importance de sa participation aux activités du MQM, il n’existe pas d’éléments de preuve positifs dans le dossier qu’il était davantage qu’un membre ordinaire du MQM. Bien qu’il soit loisible au ministre d’accorder peu de poids à son témoignage au sujet de cette participation, il y avait des éléments de preuve documentaire à l’appui de son témoignage, éléments de preuve qui n’ont pas été jugés indignes de foi ou non véridiques. Il précise, de plus, qu’il était déraisonnable de juger qu’il devait savoir que le MQM se livrait à des actes terroristes. Le demandeur a constamment affirmé à l’ASFC qu’il ne croyait pas que le MQM se livrait à des actes violents et que c’était la raison pour laquelle il soutenait l’organisation.

[28]  Les observations de M. Rizvi ne me convainquent pas.

[29]  Je voudrais d’abord souligner qu’il incombait à M. Rizvi de convaincre le ministre que sa présence continue au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national (Hameed au paragraphe 24).

[30]  Les agissements passés représentent un facteur pertinent dans l’appréciation de la question de savoir s’il y a un fondement pour une conclusion actuelle qu’une personne constitue une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité publique. Dans l’arrêt Agraira, les agissements passés de M. Agraira en Libye ont joué un rôle important dans l’appréciation. La jurisprudence reflète constamment aussi la position voulant que les activités passées sont importantes et pertinentes dans l’appréciation d’une demande présentée au titre du paragraphe 34(2) (Afridi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1299 au paragraphe 35 (Afridi); Siddique c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 192 au paragraphe 79). Il va de soi que les agissements passés seraient également pertinents pour déterminer si la présence du demandeur au Canada serait inconvenante pour le public canadien, ce qui constitue l’un des facteurs pertinents définis dans l’arrêt Agraira (aux paragraphes 17, 87).

[31]  Le ministre, comme il se devait, a pris en compte les agissements passés, mais ce faisant, il n’a pas concentré son attention uniquement sur les activités passées de M. Rizvi. Par exemple, le rapport reconnaît que M. Rizvi s’est dissocié du MQM, mais souligne que ce n’était pas tant parce qu’il désapprouvait les actes violents commis par le MQM, mais plus simplement en raison d’un manque de temps après s’être marié. Le rapport a aussi pris en compte l’importance des remords actuels ou des regrets quant à son appartenance passée au MQM.

[32]  Les raisons de la dissociation et la conclusion d’une absence de remords minent aussi les arguments présentés par M. Rizvi voulant que sa conduite pratiquement sans reproches au Canada représente une indice solide de réadaptation et est déterminante quant à la question de savoir si sa présence au Canada serait préjudiciable à l’intérêt national. En soupesant et en prenant en compte toutes les circonstances, le ministre a raisonnablement conclu que le simple fait de se dissocier d’une organisation, même depuis longtemps, ne reflète pas un degré de réadaptation qui pourrait l’emporter sur les préoccupations en matière de sécurité nationale ou de sécurité publique.

[33]  L’observation de M. Rizvi selon laquelle le ministre a de façon déraisonnable rejeté les éléments de preuve qui étayaient son affirmation selon laquelle il n’était rien de plus qu’un membre ordinaire du MQM n’est pas non plus convaincante. Le rapport aborde les éléments de preuve contradictoires sur cet aspect, prend en compte l’explication de M. Rizvi et présente une analyse raisonnée menant à la conclusion que les faits n’étayent tout simplement pas la description révisée de M. Rizvi du rôle qu’il jouait dans l’organisation. Le rapport conclut également que même si M. Rizvi n’occupait pas la fonction spécifique au sein de l’organisation qu’il avait initialement déclarée comme étant la sienne, il n’en était pas moins un membre bien informé du MQM occupant un poste de premier plan. À l’appui de cette conclusion, le rapport souligne des faits qui ne sont pas contestés : ses rapports avec des membres de haut niveau du MQM au Pakistan, la place de membres de sa famille à des échelons élevés du MQM, et le rôle de premier plan qu’il a assumé au sein du MQM à Calgary à son arrivée au Canada.

[34]  Les observations de M. Rizvi selon lesquelles il n’a pas personnellement participé aux actes violents et que son appartenance au MQM traduisait un intérêt de sa part pour l’activité électorale sans violence n’aident en rien M. Rizvi : « même si les objectifs visés par une organisation peuvent être louables, le recours au terrorisme pour réaliser ces objectifs n’est jamais justifié » (Afridi au paragraphe 34, citant Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 CF 592 au paragraphe 36 (CA)). Le ministre n’a pas commis d’erreur en concentrant son attention sur les activités violentes du MQM, même si M. Rizvi n’a pas participé personnellement aux activités.

(2)  Le ministre a-t-il omis de prendre en compte d’autres facteurs pertinents?

[35]  M. Rizvi soutient que le ministre a commis une erreur en omettant d’examiner les intérêts de ses enfants, pour lesquels il est un pourvoyeur de soins clé, et en ne prenant guère en compte son établissement considérable et son indépendance financière au Canada.

[36]  Dans l’arrêt Agraira, la Cour suprême a conclu que l’expression « intérêt national » comprend aussi la préservation des valeurs sous‑jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11, et le caractère démocratique de la fédération canadienne (Agraira au paragraphe 65). M. Rizvi soutient qu’à la lumière de l’intérêt national de préserver l’unité familiale et de promouvoir les avantages sociaux, culturels et économiques maximaux de l’immigration, il était déraisonnable que le ministre n’ait pas analysé pleinement ces considérations. Je ne suis pas d’accord.

[37]  Le rapport de l’ASFC souligne et analyse les incidences défavorables qu’un déménagement au Pakistan aurait sur la famille de M. Rizvi, y compris ses filles. Il examine et analyse aussi l’incidence de son absence de statut d’immigration sur sa famille et traite de ses observations sur son établissement au Canada.

[38]  Le ministre ne prenait pas en compte les motifs d’ordre humanitaire dans le contexte d’une demande faite aux termes de l’article 25 de la LIPR. Les considérations d’ordre humanitaire ont plutôt été examinées dans le contexte d’une demande de dispense ministérielle présentée aux termes du paragraphe 34(2). Il était loisible au ministre de prendre en compte et d’apprécier ces facteurs dans le contexte de cette demande précise dans la mesure où ils étaient utiles pour ce qui était d’apprécier la question de savoir si M. Rizvi représentait une menace à l’intérêt national (Agraira aux paragraphes 84 à 88). C’est précisément ce qui a été fait, et il était raisonnablement loisible au ministre de conclure, comme le concluait le rapport de l’ASFC, que ces facteurs n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur les principales préoccupations liées à la sécurité nationale ou à la sécurité publique.

VIII.  Conclusion

[39]  La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question grave de portée générale aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2196-18

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de juillet 2019

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2196-18

 

INTITULÉ :

SYED MUZAFFAR ABBAS RIZVI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 NOVEMBRE 2018

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON.

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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