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Date : 20190607


Dossier : IMM-4061-18

Référence : 2019 CF 792

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2019

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

AISHA THORNTON

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La demanderesse, Aisha Thornton, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 juin 2018 par un agent principal de l’immigration [l’agent], par laquelle sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] a été rejetée.

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Pakistan. Elle est devenue résidente permanente du Canada en 2006 après avoir été parrainée par son premier époux, avec lequel elle a un enfant né au Canada.

[3]  Le 11 novembre 2008, la demanderesse a été accusée de voies de fait causant des lésions corporelles à l’égard de son fils au titre de l’alinéa 267b) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Elle a plaidé coupable à l’accusation et a été condamnée le 30 mars 2010 à une peine de quinze (15) mois à purger dans la communauté. Après la déclaration de culpabilité de la demanderesse, le fils de celle-ci est allé vivre avec la mère et le frère de la demanderesse au Pakistan.

[4]  Le 4 mai  2015, la demanderesse a été jugée interdite de territoire conformément à l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et une mesure d’expulsion a été prise contre elle le 6 janvier 2016.

[5]  Le 23 mai 2017, l’Agence des services frontaliers du Canada a fait savoir à la demanderesse qu’elle pouvait demander un ERAR. La demanderesse a présenté sa demande d’ERAR le 7 juillet 2017. Dans ses observations à l’agent d’ERAR, elle a allégué que, en tant que femme non accompagnée sans soutien familial au Pakistan, elle serait extrêmement susceptible d’être la cible de harcèlement sexuel, de discrimination et de violence. Plus précisément, elle a allégué qu’elle serait exposée au risque d’actes de violence aux mains de son frère et de façon générale à un risque en tant que femme non accompagnée au Pakistan. Elle a aussi prétendu que ses problèmes de santé mentale la rendraient susceptible de subir des actes de violence fondés sur le sexe au Pakistan.

[6]  Le 28 juin 2018, l’agent d’ERAR a rejeté la demande au motif que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle craignait avec raison d’être persécutée ou qu’elle serait exposée au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée au Pakistan aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

[7]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR. Elle affirme que l’agent a fusionné les critères énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR en exigeant qu’elle démontre un risque personnalisé au titre de l’article 96 de la LIPR. De plus, elle prétend que l’analyse effectuée par l’agent d’ERAR à l’égard de ses éléments de preuve établissant le risque personnalisé et des éléments de preuve documentaires n’est pas raisonnable.

II.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[8]  La question de savoir si l’agent d’ERAR a fusionné les critères aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Debnath c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 332 au paragraphe 15 [Debnath]; Somasundaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166 au paragraphe 17; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 505 au paragraphe 34 [Kaur]; Mahendran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1237 au paragraphe 10 [Mahendran]).

[9]  En revanche, l’appréciation par l’agent d’ERAR des éléments de preuve est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Gamez Barrientos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1220 au paragraphe 14; Guthrie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 852 au paragraphe 5; Debnath au paragraphe 16; Kaur au paragraphe 35).

[10]  Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel et se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

B.  L’agent d’ERAR n’a pas fusionné les critères applicables aux articles 96 et 97 de la LIPR

[11]  La demanderesse affirme que l’agent d’ERAR a commis une erreur en introduisant les exigences juridiques qui sont propres à l’article 97 de la LIPR dans la définition de réfugié au sens de la Convention prévue à l’article 96 de la LIPR. Pour étayer son argument, elle renvoie à un extrait de la décision dans lequel l’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré :

[traduction]

[…] [qu’] elle est exposée à un risque personnalisé et prospectif d’être persécutée, d’être soumise à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités suivant les risques qu’elle a définis si elle devait retourner au Pakistan.

Par définition, un risque est de nature prospective et le processus d’ERAR exige que la demanderesse soit personnellement exposée à un risque.

[Non souligné dans l’original.]

[12]  Invoquant la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250 aux paragraphes 17 et 19, la demanderesse affirme que, bien qu’il faille établir un risque personnalisé pour que soit accueillie une demande d’asile présentée au titre de l’article 97 de la LIPR, cette condition ne s’applique pas aux demandes du statut de réfugié au sens de la Convention. En l’espèce, sa demande au titre de l’article 96 de la LIPR reposait sur son appartenance à un groupe social particulier, soit les femmes ne bénéficiant pas de la protection d’un homme au Pakistan. L’agent a commis une erreur de droit en exigeant qu’il y ait un risque personnalisé dans le cadre de l’analyse en vertu de l’article 96 et de l’article 97 de la LIPR.

[13]  L’argument de la demanderesse ne saurait être retenu.

[14]  Pour satisfaire à la définition de « réfugié au sens de la Convention » énoncée à l’article 96 de la LIPR, la demanderesse devait démontrer qu’elle répondait à tous les éléments de la définition, y compris l’existence d’une crainte subjective et objective de persécution, qu’elle était la cible d’une persécution dirigée contre elle, soit personnellement, soit en tant que membre d’une collectivité, et que sa crainte fondée d’être persécutée, dans ce cas, existait en raison de son appartenance à un groupe social particulier. Elle n’était pas tenue de démontrer qu’elle avait déjà été persécutée par le passé ou qu’elle le serait dans l’avenir étant donné que la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR peut être établie par l’examen de la façon dont ont été traitées des personnes dans une situation semblable à la sienne (Debnath au paragraphe 31; Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125 au paragraphe 13).

[15]  Lorsque la crainte de persécution repose sur des actes criminels fondés sur le sexe, la demande d’asile ne peut pas simplement être rejetée au motif que les femmes sont exposées à une oppression générale et que la crainte de persécution de la demanderesse n’est pas étayée par un ensemble de faits qui lui sont propres (Dezameau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 559 au paragraphe 26 [Dezameau]). La preuve n’en doit pas moins établir qu’il existe un risque de préjudice suffisamment grave dont la survenance représente « davantage qu’une simple possibilité » (Dezameau au paragraphe 29).

[16]  En ce sens, la notion de risque personnalisé au titre de l’article 96 de la LIPR peut renvoyer au lien nécessaire que la demanderesse doit établir entre elle et la persécution pour un motif prévu dans la Convention (Debnath au paragraphe 31; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385 au paragraphe 29). Autrement dit, la « persécution doit être dirigée contre [la demanderesse] soit "personnellement", soit en tant que "membre d’une collectivité"[…] » (Debnath au paragraphe 31).

[17]  La jurisprudence établit clairement que dans le contexte d’une fusion alléguée des critères prévus à l’article 96 et à l’article 97, la simple utilisation du terme « personnellement » ou d’un terme semblable n’indique pas nécessairement qu’il y a fusion (Debnath au paragraphe 32; Kaur au paragraphe 38; Mahendran au paragraphe 17; Pillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1312 au paragraphe 42). Il est nécessaire de lire les motifs de l’agent d’ERAR dans leur ensemble plutôt que d’attirer l’attention sur certains passages seulement (Kaur au paragraphe 37).

[18]  Bien que je convienne avec la demanderesse que l’analyse de l’agent d’ERAR aurait pu être énoncée plus clairement, je suis convaincue après avoir examiné la décision dans son ensemble que l’agent d’ERAR a compris les différents critères qu’il devait appliquer au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[19]  Dans le cas en l’espèce, l’agent d’ERAR a renvoyé aux fardeaux de preuve distincts prévus aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Une telle distinction entre les fardeaux de preuve me porte à croire que l’agent d’ERAR a compris la différence entre les deux critères juridiques. De plus, l’agent d’ERAR n’a pas obligé la demanderesse à établir qu’elle avait été victime de persécution par le passé aux termes de l’article 96 de la LIPR. L’agent a plutôt, comme il était tenu de le faire, examiné les éléments de preuve au sujet des « personnes dans une situation semblable » à celle de la demanderesse pour établir un risque prospectif de persécution.

[20]  Dans l’analyse de l’ensemble de la décision, il importe de mettre en contexte les motifs de l’agent d’ERAR. Celui-ci a répondu directement aux trois (3) arguments avancés par la demanderesse dans ses observations relatives à l’ERAR.

[21]  En premier lieu, l’agent d’ERAR a pris en compte la crainte subjective de la demanderesse d’être exposée à des risques et de subir de la discrimination en tant que femme non accompagnée au Pakistan et, après avoir pris en compte les éléments de preuve documentaires objectifs, il a conclu que la demanderesse, en tant que femme instruite, ne correspondait pas au profil des « personnes dans une situation semblable » exposées au risque d’être persécutées au Pakistan. L’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve pour corroborer qu’elle serait exposée à des risques prospectifs [traduction] « en raison de son profil de femme célibataire ».

[22]  En deuxième lieu, l’agent d’ERAR a suivi la même démarche au sujet de la crainte de violence fondée sur le sexe et de harcèlement sexuel alléguée par la demanderesse en tant que femme non accompagnée sans soutien familial au Pakistan. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve qu’elle n’avait pas de soutien familial, soulignant qu’elle a une sœur résidant au Pakistan et qu’il n’y avait pas d’élément de preuve que sa mère ou sa sœur qui habitent toutes les deux au Pakistan avaient subi de la discrimination ou de la violence fondée sur le sexe ou que la demanderesse ne serait pas en mesure d’obtenir une protection adéquate si elle en avait besoin.

[23]  En troisième lieu, l’agent d’ERAR a aussi pris en compte et rejeté l’allégation formulée par la demanderesse voulant que ses problèmes de santé mentale la rendraient plus susceptible d’être victime de violence fondée sur le sexe au motif que le dernier examen médical subi par la demanderesse remontait à décembre 2016. Du point de vue de l’agent d’ERAR, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la demanderesse aurait encore besoin de soins ou qu’elle avait bénéficié de séances de thérapie au cours des dix‑huit (18) derniers mois. L’agent d’ERAR a aussi conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve que les services offerts aux femmes ayant les mêmes problèmes de santé qu’elle au Pakistan lui seraient refusés ou qu’elle ne pourrait pas y avoir accès.

[24]  Après avoir examiné les questions qu’a soulevées la demanderesse dans ses observations et les documents produits par elle, l’agent d’ERAR a fini par conclure que la demanderesse ne répondait à aucun des critères prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR. Je conclus que l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur à cet égard.

C.  L’analyse effectuée par l’agent d’ERAR des éléments de preuve de la demanderesse relatifs au risque personnalisé n’était pas déraisonnable

[25]  La demanderesse affirme que, bien qu’elle ne fût pas tenue de démontrer un risque personnalisé au titre de l’article 96 de la LIPR, elle a produit des éléments de preuve d’un risque personnalisé au titre de l’article 97 de la LIPR. Plus particulièrement, la demanderesse a allégué qu’elle était exposée à un risque particulier de violence fondée sur le sexe à la lumière des antécédents de son frère en matière de violence physique et de menaces verbales. Comme éléments de preuve des menaces proférées par son frère, la demanderesse a produit des messages textes sur son téléphone cellulaire, une conversation sur Facebook et une séance de clavardage par l’intermédiaire de Gmail entre son frère et elle.

[26]  La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable que l’agent d’ERAR exige des documents corroborants pour prouver la véracité des déclarations de son frère. Elle soutient que les messages auraient dû être appréciés dans l’optique de la menace que représentait son frère pour elle. De plus, il était déraisonnable que l’agent d’ERAR conclue que les messages ne constituaient pas des sources dignes de foi parce qu’il n’était pas possible de confirmer l’identité de l’expéditeur. Tous les messages révèlent le nom au complet du frère de la demanderesse, et il n’y a pas d’élément de preuve laissant entendre que les messages aient été écrits par quiconque d’autre que son frère.

[27]  Enfin, la demanderesse affirme que l’agent d’ERAR n’a pas pris en compte les éléments de preuve figurant au dossier quand il a conclu qu’il n’y avait pas d’information au sujet de la question de savoir si la demanderesse avait résidé au Pakistan par le passé, ni à quel moment elle y aurait vécu ou de la question de savoir si elle avait été victime d’un quelconque incident lors de ses visites au Pakistan ou lorsqu’elle résidait dans ce pays. À l’appui de son argument, la demanderesse se fonde sur son affidavit dans lequel elle a déclaré que son premier époux et elle avaient résidé au Pakistan après leur mariage et elle a décrit plusieurs incidents de violence familiale, y compris un incident au cours de sa dernière visite au Pakistan en décembre 2012 lorsque sa mère a essayé d’inciter son frère à l’agresser.

[28]  Je conclus que les préoccupations soulevées par la demanderesse ne constituent pas un motif de rejet de l’analyse faite par l’agent d’ERAR du risque personnalisé auquel est exposée la demanderesse au titre de l’article 97 de la LIPR.

[29]  L’agent d’ERAR a raisonnablement souligné que les menaces alléguées dans les messages textes envoyés par le frère de la demanderesse ne visaient pas directement celle-ci, mais son époux. De plus, les messages ne reflètent pas, comme l’allègue la demanderesse, une volonté de la menacer. Au contraire, ils laissent entendre que le frère de la demanderesse s’inquiète de sa sœur et qu’il essaie de la protéger.

[30]  En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve figurant dans le dossier au sujet d’incidents de violence survenus lorsque celle-ci rendait visite à sa famille, l’agent d’ERAR a expressément examiné le prétendu incident de violence s’étant produit en 2012, soulignant les incohérences dans les dates auxquelles l’incident aurait eu lieu et faisant remarquer que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve corroborants sur l’événement. L’agent d’ERAR a aussi souligné que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve d’autres incidents ou menaces depuis ses dernières communications avec son frère en 2015. C’est dans ce contexte que l’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de son allégation selon laquelle elle subirait des actes de violence à son retour au Pakistan.

[31]  Enfin, bien que la déclaration de l’agent d’ERAR au sujet de la résidence de la demanderesse au Pakistan puisse ne pas être tout à fait exacte, j’estime qu’elle n’est pas déterminante à l’égard de la décision.

[32]  Étant donné que l’agent d’ERAR est présumé avoir considéré toute la preuve dont il était saisi (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL)), la demanderesse n’a pas établi à ma satisfaction que l’agent d’ERAR a omis de tenir compte de quelconques éléments de preuve en l’espèce. La demanderesse demande essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve, ce qui n’entre pas dans le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 165 au paragraphe 51).

D.  L’analyse effectuée par l’agent d’ERAR des éléments de preuve documentaires n’était pas déraisonnable

[33]  La demanderesse soutient que l’analyse effectuée par l’agent d’ERAR à l’égard des éléments de preuve documentaires était sélective et déraisonnable.

[34]  En ce qui concerne l’analyse des risques auxquels sont exposées les femmes non accompagnées au Pakistan, la demanderesse affirme que les femmes instruites sont aussi exposées à des risques au Pakistan.

[35]  Je ne suis pas d’accord.

[36]  Dans ses observations relatives à l’ERAR, la demanderesse a expressément renvoyé à deux (2) documents sur la situation dans le pays : 1) Home Office du Royaume‑Uni, Country Information and Guidance – Pakistan: Women fearing gender-based harm/violence, février 2016 [document du R.‑U.]; 2) Département d’État des États‑Unis,  2016 Country Reports on Human Rights Practices – Pakistan, 3 mars 2017.

[37]  Dans la décision, l’agent d’ERAR a examiné les documents de la demanderesse et a fait observer que ces éléments de preuve ne démontraient pas que, en tant que femme instruite, la demanderesse serait exposée à un risque de persécution au Pakistan. L’agent d’ERAR a expressément renvoyé au document du R.‑U. qui, sous la rubrique [traduction] « Droits économiques et sociaux » porte sur les [traduction] « Femmes célibataires/non accompagnées ». Il était raisonnablement loisible à l’agent d’ERAR, après avoir examiné cette section, de conclure que les risques auxquels sont exposées les femmes instruites qui vivent seules en milieu urbain au Pakistan ne sont pas les mêmes que ceux auxquels sont exposées les femmes qui sont moins instruites et qui vivent en milieu rural.

[38]  L’agent d’ERAR a également cité un document de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulé « Pakistan : information sur les circonstances dans lesquelles une femme a le droit légal d'obtenir un divorce devant les tribunaux (divorce judiciaire) de sa propre initiative; information sur les circonstances où une célibataire peut vivre seule » daté du 17 novembre 2010. Sous la rubrique « Information indiquant si une célibataire peut vivre seule », il est expressément écrit « le fait qu’une femme célibataire puisse vivre seule ou non dépendra de la province et du contexte où elle vit ». Après avoir analysé des contextes particuliers, le rapport précise « le degré d’indépendance d’une femme [diffère] en fonction de sa scolarité ». Il y est expressément affirmé que « [d]ans les grandes villes, les femmes instruites ayant un emploi ou certains revenus fonciers n’auraient pas de grandes difficultés à vivre seules ».

[39]  En l’espèce, l’agent d’ERAR a examiné le contexte spécifique de la demanderesse, en soulignant que celle-ci était instruite et qu’elle avait été enseignante à l’étranger avant son arrivée au Canada. Il a aussi souligné qu’il était inscrit dans le passeport de la demanderesse que la résidence permanente de celle-ci au Pakistan est à Lahore et que la sœur et la mère de la demanderesse résident aussi à Lahore.

[40]  À la lumière des éléments de preuve documentaires, du degré d’instruction de la demanderesse et du fait qu’elle ait vécu en milieu urbain, je ne suis pas convaincue que la façon dont l’agent d’ERAR a interprété les éléments de preuve était déraisonnable. De plus, la demanderesse n’a pas établi à ma satisfaction que l’agent d’ERAR avait omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents. Le fait que la demanderesse peut avancer une interprétation raisonnable différente relativement à la preuve ne signifie pas forcément que les conclusions de l’agent sont déraisonnables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 17).

[41]  Là encore, la demanderesse demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve, ce qu’elle ne fera pas.

[42]  La demanderesse affirme également que l’analyse effectuée par l’agent d’ERAR de la protection de l’État offerte aux victimes de violence fondée sur le sexe ne respecte pas les limites du caractère raisonnable. Au lieu d’apprécier l’efficacité concrète de la protection de l’État, la décision de l’agent d’ERAR est dénuée de toute analyse digne de ce nom de la question de savoir si le Pakistan est en mesure de fournir une protection adéquate aux victimes de violence fondée sur le sexe.

[43]  Étant donné que l’agent d’ERAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger au titre de l’article 97 de la LIPR, il n’était pas tenu de procéder à une analyse de la protection de l’État.

III.  Conclusion

[44]  Après avoir examiné la jurisprudence qui s’applique et la décision dans son ensemble, je suis convaincue que l’agent d’ERAR n’a pas fusionné les critères applicables aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. De plus, je ne suis pas convaincue que l’appréciation du risque personnalisé auquel est exposée la demanderesse ou l’analyse des éléments de preuve se rapportant à la situation dans le pays effectuées par l’agent d’ERAR étaient déraisonnables.

[45]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4061-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé est modifié pour remplacer « ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18jour de juillet 2019

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4061-18

INTITULÉ :

AISHA THORNTON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUéBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 MARS 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JUIN 2019

COMPARUTIONS :

Kate Forrest

POUR LA DEMANDERESSE

Lynne Lazaroff

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kate Forrest

Montréal (Québec)

pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

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